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Date : 20090331

Dossier : IMM-3701-08

Référence : 2009 CF 334

OTTAWA (ONTARIO), le 31 MARS 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

CONCEPCION I CRUZ GALDAMEZ,

DOUGLAS MAURICI GARCIA CRUZ

demandeurs 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse et son enfant, tous deux citoyens du Salvador, ont demandé l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la « LIPR »).  Dans une décision rendue le 30 juillet 2008, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SPR ») a conclu que Mme Galdamez et son fils n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention et n’étaient pas des personnes à protéger, au sens des articles précités de la LIPR.  C’est de cette décision que la demanderesse principale demande le contrôle judiciaire.

 

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse allègue avoir eu des ennuis à Santa Ana avec une bande de jeunes faisant partie des «Maras», un gang de plusieurs milliers de membres impliqués dans des activités criminelles aux États-Unis et en Amérique centrale.  Son conjoint et son beau-frère auraient eu maille à partir avec ce groupe du fait qu’ils ont refusé de se joindre à eux.  Ils auraient subséquemment été menacés et agressés en mai 2002.

 

[3]               Suite à ces événements, la demanderesse aurait déménagé à Sacramento avec son fils, son conjoint et son beau-frère pour échapper aux agressions de ce groupe criminel.  Ayant appris que les Maras étaient toujours à leur recherche, ils se seraient tous dirigés vers les États-Unis, où ils ont vécu illégalement à partir du mois d’août 2002 jusqu’à ce qu’ils tentent d’entrer au Canada le 28 décembre 2006. 

 

[4]               À leur arrivée au Canada, le conjoint de la demanderesse et son beau-frère ont été refoulés aux États-Unis; seuls la demanderesse et son fils ont été admis à revendiquer le statut de réfugié.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]               Après avoir analysé la preuve, tant testimoniale que documentaire, la SPR en est arrivée à la conclusion qu’elle ne pouvait faire droit à la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle n’était pas crédible et que son histoire avait été inventée.  La SPR a relevé deux écarts qui lui sont apparus importants entre son Formulaire de renseignements personnels (« FRP») et sa déclaration à l’agent d’immigration au point d’entrée.  Quant à l’allégation à l’effet que son conjoint et son beau-frère auraient été agressés et laissés pour mort dans la rue, la SPR n’y a pas cru non plus, étant donné que la demanderesse n’a produit aucun certificat médical à cet effet.

 

[6]               D’autre part, la SPR en est également arrivée à la conclusion que la demanderesse n’avait de toute façon pas renversé la présomption à l’effet que son pays était en mesure de la protéger.  Lors de l’audition, la demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas porté plainte parce qu’elle avait peur des représailles.  Or, cette explication n’a pas été jugée suffisante pour démontrer que l’État ne lui aurait pas accordé la protection dans l’hypothèse où elle lui en avait fait la demande.

 

[7]               Tout en reconnaissant que la situation n’était pas parfaite au Salvador, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas épuisé tous les recours à sa disposition pour obtenir aide et protection.  Le seul fait que l’État ne réussisse pas toujours à protéger ses citoyens ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ou les gens menacés d’actes criminels ne peuvent se réclamer de sa protection.

 

[8]               La SPR a également reproché à la demanderesse de ne pas avoir demandé la protection des États-Unis, préférant plutôt vivre dans l’illégalité.  Cela contredisait à son avis la prétention de la demanderesse à l’effet qu’elle craignait d’être persécutée dans son pays.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement deux questions : 1) La SPR a-t-elle erré dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse; et 2) la SPR a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que la demanderesse n’avait pas repoussé la présomption à l’effet que les autorités de son pays pouvaient lui offrir la protection requise?

 

ANALYSE

[10]           La question de savoir si un État est en mesure de protéger ses citoyens en est une qui fait intervenir des questions mixtes de faits et de droit, et doit à ce titre faire l’objet  d’un contrôle à l’aulne de la norme de la décision raisonnable.  Il en va de même des questions liées à la crédibilité de la demanderesse, qui ne soulèvent que des questions de fait.  C’est dire que le rôle de cette Cour est d’apprécier la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, d’une part, et de déterminer d’autre part si le résultat auquel en est arrivé la SPR fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para. 47.

 

[11]           S’agissant tout d’abord de la crédibilité de la demanderesse, j’estime que la SPR pouvait se fonder sur les écarts entre ses déclarations au point d’entrée et son FRP, ainsi que sur l’absence de dossier médical, pour conclure que le récit de la demanderesse n’était pas crédible.  Confrontée au fait qu’elle n’avait pas mentionné des éléments importants lors de son premier contact avec les autorités canadiennes, la demanderesse a tenté d’expliquer que l’agent d’immigration ne lui avait pas posé de questions à cet égard.  Pourtant, il s’agissait d’éléments importants au soutien de sa crainte.  Le fait que son conjoint était prétendument soupçonné d’avoir dénoncé le leader des Maras eu égard au vol à main armée qu’il aurait perpétré sur la personne du maire, et qu’elle aurait elle-même été frappée par les Maras et laissée inconsciente, constituait des éléments clés de sa revendication.  Il lui revenait d’expliquer, bien que de façon succincte, les raisons principales de sa crainte.  La SPR pouvait raisonnablement conclure que les explications de la demanderesse pour tenter de justifier ses omissions n’étaient pas satisfaisantes; cette évaluation relève clairement de l’expertise de ce tribunal administratif spécialisé : Jumriany c. M.C.I., [1997] A.C.F. no. 683 (Q.L.); Neame c. M.C.I., [2000] A.C.F. no. 378 (Q.L.); Nsombo c. M.C.I., 2004 CF 505.

 

[12]           La SPR pouvait également tenir compte du fait que la demanderesse n’a présenté aucune preuve permettant de corroborer ses allégations à l’effet que son conjoint et son beau-frère avaient été battus et subséquemment hospitalisés.  La demanderesse a bien tenté d’expliquer que son conjoint s’était rendu à l’hôpital, lors de son retour au Salvador, pour tenter d’obtenir copie de son dossier médical, mais qu’on lui avait répondu ne pas conserver les dossiers médicaux durant une aussi longue période.  Le tribunal a rejeté cette explication, après avoir noté que le conjoint de la demanderesse ne mentionnait aucune visite à l’hôpital dans une lettre qu’il lui avait fait parvenir quelques semaines avant l’audition.

 

[13]           Il convient de rappeler que c’est à la demanderesse qu’il revient d’établir le bien-fondé de ses allégations et de fournir les documents susceptibles d’étayer sa revendication : Art. 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-229.  Il est vrai que la lettre du conjoint de la demanderesse était antérieure à l’audience, et que la demanderesse ne lui avait pas demandé d’obtenir copie de son dossier médical.  Néanmoins, cela ne change rien au fait que la demanderesse aurait dû prendre les devants et tenter d’obtenir, par le biais de son conjoint ou autrement, un document permettant de corroborer les soins que son conjoint et son beau-frère auraient reçu à l’hôpital : Singh c. M.C.I., 2007 CF 62; Udeagbala c. M.C.I., 2003 CF 1507.

 

[14]           Dans un autre ordre d’idées, la SPR pouvait tenir compte du fait que la demanderesse a vécu pendant plus de quatre ans aux États-Unis sans demander l’asile pour conclure à l’absence de crainte subjective.  Bien que cet élément ne soit pas déterminant à lui seul, il pouvait être pris en considération par la SPR dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse : Conte c. M.C.I., 2005 CF 963; Manokean c. M.C.I., 2006 CF 111; Mejia c. M.C.I., 2006 CF 1087.

 

[15]           Enfin, la demanderesse a fait valoir que la SPR avait erré en omettant de considérer les lettres d’une voisine et d’un avocat corroborant son récit.  Cet argument me paraît sans fondement.  D’abord, il est de jurisprudence constante que la SPR est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve soumise au dossier avant de rendre sa décision, sans qu’il ne lui soit nécessaire de mentionner tous et chacun des éléments de preuve dans sa décision.  D’autre part, les lettres en question constituent du ouï-dire, dans la mesure où leurs auteurs n’ont pas été personnellement témoins des événements qu’ils relatent.  La SPR était donc fondée de ne pas leur accorder une grande importance.

 

[16]           Lors de l’audition, le procureur de la demanderesse a fait valoir que cette Cour devrait à tout le moins écarter la conclusion de la SPR à l’effet que l’histoire de Mme Galdamez était inventée parce qu’elle n’était pas motivée, et surtout parce qu’un tel constat était particulièrement dommageable pour sa cliente.  Au vu de la preuve soumise, je suis d’avis que cette conclusion était tout à fait raisonnable et pouvait trouver appui dans le dossier.  Qui plus est, cette conclusion n’aura pas de répercussion négative lors d’un éventuel examen des risques avant renvoi (ERAR), puisque la Règle 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 prévoit que la demanderesse devrait être convoquée pour une entrevue si sa crédibilité est en jeu.

 

[17]           Quant à la question de la protection de l’État, la demanderesse soutient que la SPR a erré en n’appliquant pas le bon critère et en ne procédant pas à une évaluation objective de la situation qui prévaut au Salvador.  La demanderesse soutient en effet que la SPR lui avait imposé le fardeau de démontrer que l’État salvadorien ne tenterait guère d’assurer sa protection, plutôt que de devoir démontrer que l’État n’assurerait pas sa protection. 

 

[18]           Une lecture attentive de la décision révèle pourtant que la SPR était tout à fait familière avec le fardeau de preuve qui incombait à la demanderesse.  À ce chapitre, les deux paragraphes suivants de la décision me semblent répondre parfaitement aux prétentions de la demanderesse :

En nous inspirant de l’arrêt Villafranca, il nous semble raisonnable d’en venir à la conclusion que, lorsqu’un État comme le El Salvador a le contrôle de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens victimes de menaces, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ou les gens menacés d’actes criminels ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

Il incombait à la demandeure de renverser la présomption que les autorités salvadoriennes étaient en mesure de les protéger.  Même si la situation n’est pas parfaite au El Salvador, le présent tribunal ne peut pas conclure pour autant qu’il existe une preuve claire et convaincante que l’État salvadorien n tenterait pas d’assurer la protection de la demandeure si elle devait retourner dans son pays et surtout, dans son cas, la demandeure n’a non seulement pas épuisé tous les recours à sa disposition pour obtenir aide et protection mais elle n’a fait aucune demande en ce sens.

 

[19]           Bien que la preuve soumise à la SPR fasse état d’un taux de criminalité croissant et de corruption, on ne peut en conclure que l’État serait incapable de protéger des personnes comme la demanderesse.  En fait, rien ne démontre un effondrement complet de l’État et une incapacité totale d’agir.  En ne faisant aucune démarche pour obtenir la protection des autorités de son État, la demanderesse n’a jamais même donné la chance aux forces de l’ordre de lui venir en aide.  Comme le rappelait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94, « le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (par. 30).

 

[20]           Bien que la SPR réfère effectivement dans l’extrait précité à l’absence de preuve que l’État salvadorien ne « tenterait » pas d’assurer la protection de la demanderesse, j’estime qu’il faut replacer cet énoncé dans son contexte.  À moins de vouloir procéder à un examen microscopique de la décision, il ne fait aucun doute que la SPR a eu recours au bon fardeau de preuve et a appliqué les principes pertinents.  Il ne faut jamais perdre de vue que la protection internationale n’entre en jeu que de façon subsidiaire, lorsque le demandeur d’asile ne dispose d’aucune solution de rechange.  La SPR avait raison de s’appuyer sur l’arrêt Villafranca pour conclure qu’un État exerçant le plein contrôle de son territoire, de son armée, de sa police et de sa fonction publique et qui fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens doit être présumé pouvoir offrir cette protection, même si cette dernière n’est pas parfaite et n’est pas nécessairement disponible dès la première demande.  Il est vrai qu’il eut été préférable d’analyser la preuve documentaire sur la situation qui prévaut au Salvador de façon plus explicite; mais en l’absence de toute démarche de la part de la demanderesse pour obtenir la protection de son pays, il est clair qu’elle n’a pas repoussé la présomption de protection de l’État.

 

[21]           Pour tous ces motifs, je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.  Les parties n’ont soumis aucune question pour fins de certification, et j’estime que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3701-08

 

INTITULÉ :                                       CONCEPTION I CRUZ GALDAMES et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mars 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET L’ORDONNACE :                      LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mr. Michel Le Brun

 

POUR LES DEMANDEURS

Mr. Jocelyne Murphy

POUR LES DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me. Michel Le Brun

6981, rue Marie-Guyart

Lasalle (Québec)    H8N 3G9

Téléc. : (514) 392-9189

 

POUR LES DEMANDEURS

Ministère fédéral de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque Ouest

Tour Est, 12e étage

Montréal (Québec)   H2Z 1X4

Téléc. : (514) 496-7876

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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