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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090909

Dossier : IMM-384-09

Référence : 2009 CF 892

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

I.I.

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE

LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à une décision datée du 15 décembre 2008 par laquelle un agent d’immigration (l’agent d’ERAR) a rejeté la demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) d’I.I. (le demandeur).


Le contexte factuel

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria qui est entré au Canada à titre de visiteur en novembre 2004. Son visa de visiteur a expiré en janvier 2005.

 

[3]               En janvier 2005, le demandeur s’est marié. Son épouse a ensuite présenté une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial à l’appui de la demande de résidence permanente du demandeur. Cette demande a été rejetée en janvier 2006 au motif que le mariage n’était pas authentique.

 

[4]               En février 2006, le demandeur s’est engagé dans une union de fait avec une femme différente. Une seconde demande de parrainage a été présentée en avril 2006. Cette demande a été rejetée car le demandeur n’avait pas cohabité assez longtemps avec sa conjointe. Ce dernier a ensuite épousé sa conjointe de fait en octobre 2006, et une troisième demande de parrainage a été présentée.

 

[5]               En avril 2007, le demandeur s’est soumis à l’examen d’un délégué du ministre. À la suite de cet examen, une mesure d’expulsion a été prise contre lui, car il n’avait pas quitté le Canada à la fin de son séjour autorisé.

 

[6]               Le demandeur a présenté une demande d’ERAR en juin 2007. Dans cette demande, il a prétendu qu’il s’exposerait à des risques s’il retournait au Nigeria à cause de son orientation sexuelle. À l’appui de sa prétention, le demandeur a produit une déclaration sous serment relatant les relations homosexuelles qu’il avait eues avant de quitter le Nigeria.

 

[7]               En janvier 2008, lors d’un entretien avec un agent d’immigration, le demandeur a reconnu qu’il était séparé de sa seconde épouse depuis le mois de juin de l’année précédente. La demande de parrainage a donc été rejetée et le dossier a été transféré à l’ERAR car une demande avait déjà été déposée.

 

[8]               Le 15 décembre 2008, le demandeur a pris connaissance de la décision d’ERAR défavorable et des motifs connexes lors d’un entretien personnel avec un agent de renvoi.

 

La décision contestée

[9]               L’agent d’ERAR a conclu qu’il existait des preuves dignes de foi montrant que les homosexuels courent un risque raisonnable de persécution au Nigeria. Les preuves consultées comprenaient divers rapports confirmant que dans ce pays l’homosexualité est vilipendée et que les homosexuels risquent d’être harcelés, arrêtés et détenus arbitrairement par les autorités. Ceux qui sont mis en détention sont victimes de sanctions sévères et de longues peines. L’agent a reconnu qu’en plus de cela il existe un projet de loi fédéral qui frapperait d’interdiction les associations et les mesures de défense des homosexuels, de même que toute manifestation publique ou privée d’homosexualité. Il a également reconnu que les homosexuels sont victimes de violence aux mains de personnes qui ne sont pas au service de l’État.

 

[10]           L’agent d’ERAR a ensuite conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves objectives de l’homosexualité du demandeur. Il a fait remarquer que ce dernier, dans sa déclaration, allègue que sa vie en tant qu’homosexuel a débuté à l’école secondaire, et il relate en détail ses rencontres homosexuelles et la violence dont il a été victime après que l’on a découvert son orientation. L’agent a ensuite signalé que la déclaration sous serment n’est corroborée par aucune preuve objective autre que celle de la participation du demandeur au National Youth Service Corps où, dit‑il, il a eu l’une de ses relations homosexuelles.

 

[11]           L’agent d’ERAR a fait remarquer que le demandeur n’a jamais demandé l’asile durant son séjour au Canada et que ce n’est qu’au cours du processus d’ERAR qu’il a fait savoir qu’il craignait de retourner au Nigeria à cause de son orientation sexuelle. L’agent d’ERAR a exposé en détail l’historique des relations que le demandeur a eues au Canada, de même que ses diverses demandes d’immigration. Il a également reproduit une partie de la transcription de l’entretien d’examen que le demandeur a passé en avril 2007 et où ce dernier dit qu’il ne peut pas retourner au Nigeria parce que son épouse se trouve au Canada et qu’il veut travailler, subvenir aux besoins de son épouse et avoir un enfant.

 

[12]           L’agent d’ERAR a reconnu que ni l’un ni l’autre des deux mariages du demandeur n’a réussi, mais qu’il n’y a aucune preuve que l’orientation sexuelle déclarée a entraîné ces ruptures. Le demandeur n’a pas sous-entendu que cela avait été le cas, pas plus qu’il n’a fait état de ses relations avec une personne de sexe différent dans son ERAR.

 

[13]           L’agent d’ERAR a conclu qu’eu égard au fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile, au fait qu’il s’est marié avec deux femmes et aux déclarations qu’il a faites lors de l’entretien d’avril 2007, il n’y avait pas assez de preuves pour conclure que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur est homosexuel.

 

La question en litige

[14]           La question en litige est la suivante :

a.                   L’évaluation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve était-elle déraisonnable?

 

Le droit applicable

[15]           Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., 2001, ch. 27.

Il est disposé de la demande comme il suit :

 

[…]

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

[16]           Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement sur l’immigration).

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

Analyse

L’évaluation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve était-elle déraisonnable?

[17]           L’évaluation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve est une conclusion de fait à l’égard de laquelle il y a lieu de faire preuve de retenue et il ne convient de l’annuler que si elle « n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S 190, au paragraphe 47; Parchment c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1140, [2008] A.C.F. no 1423 (QL) (Parchment)).

 

[18]           Le demandeur soutient que l’évaluation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve était déraisonnable parce qu’une personne ne peut pas fournir une preuve objective de son orientation sexuelle. En avançant cet argument, le demandeur semble dire que la déclaration personnelle constituait une preuve suffisante pour démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu’il est homosexuel.

 

[19]           Deux décisions récentes de la présente Cour : Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 IMM. L.R. (3d) 306, [2008] A.C.F. no 1308 (QL) et Parchment, précitée, traitent de questions semblables, et les défendeurs se fondent dans une large mesure sur les deux. Dans ces deux affaires, il y est question d’une femme qui prétendait qu’on ne pouvait pas la renvoyer à cause de son orientation sexuelle. Dans les deux, elle avait fourni à l’appui de sa prétention une déclaration non corroborée selon laquelle elle était lesbienne.

 

[20]           Une preuve produite par un témoin qui a un intérêt personnel dans l’affaire peut être évaluée en fonction du poids qu’on lui accordera et, pour avoir de la valeur, elle nécessitera habituellement une preuve corroborante (Ferguson, au paragraphe 27). Il est loisible à l’agent d’ERAR d’exiger une telle preuve corroborante pour que l’on s’acquitte du fardeau imposé par la loi, surtout lorsque le fait se situe au cœur même de la demande (Ferguson, au paragraphe 32). Dans Ferguson, la Cour laisse entendre que cette preuve corroborante pourrait inclure une déclaration sous serment de la part d’un conjoint ainsi qu’une preuve de déclarations publiques (au paragraphe 32). Il ne faut pas oublier que la preuve doit avoir une valeur suffisante. Ce sera le cas si « elle convainc le juge des faits » (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au  paragraphe 30). En outre, l’agent doit prendre en considération la totalité des autres facteurs de l’affaire au moment de rendre la décision (Parchment, au paragraphe 28).

 

[21]           Dans le cas présent, la déclaration a été faite sous serment, contrairement à la déclaration dont il était question dans Parchment et Ferguson, ce qui lui vaut effectivement plus de poids. Cependant, le demandeur n’a fourni aucune autre preuve. Quand on lit les motifs, il est évident que l’agent d’ERAR n’a pas été convaincu par la preuve présentée de l’homosexualité du demandeur. Il a dû prendre en considération les autres facteurs en jeu, dont les antécédents du demandeur sur le plan de l’immigration, les relations que ce dernier a eues pendant son séjour au Canada ainsi que les déclarations faites antérieurement lors d’examens de l’immigration.

 

[22]           L’avocat du demandeur reproche aussi à l’agent d’ERAR de ne pas avoir expliqué le genre de preuve objective à laquelle on s’attendait, ni donné au demandeur la possibilité d’expliquer l’absence d’une telle preuve. Je ne suis pas d’accord. Dans une demande d’ERAR, c’est la partie demanderesse qui supporte le fardeau de la preuve (Ferguson, au paragraphe 21). Il incombait donc au demandeur de fournir les éléments de preuve nécessaires pour montrer, selon la prépondérance de la preuve, que s’il était renvoyé au Nigeria il s’exposerait à un risque de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités. Le rôle de l’agent d’ERAR est d’évaluer et de soupeser les éléments de preuve qui lui sont soumis et de tirer une conclusion raisonnable, et non pas d’énoncer, pour le demandeur, les éléments de preuve que ce dernier devrait fournir en vue de s’acquitter de son fardeau.

 

[23]           L’agent d’ERAR a pris en considération et soupesé la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis. Le demandeur ne dit pas qu’il aurait dû y avoir en l’espèce une audience, mais il aurait été bon que l’agent d’ERAR lui donne une possibilité de répondre à ses doutes.

 

[24]           La Cour est d’avis qu’en l’espèce le point déterminant était la valeur de la preuve, et non pas la crédibilité. Il était également loisible à l’agent de tenir compte des antécédents en matière d’immigration du demandeur et de ses relations hétérosexuelles au Canada afin de déterminer si ce dernier s’était acquitté de son fardeau à l’égard de sa prétention d’homosexualité.

 

[25]           L’évaluation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve n’était pas déraisonnable et elle appartient aux issues possibles acceptables.

 

[26]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-384-09

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            I.I. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 9 SEPTEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Bauer                                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Dagsvik                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bauer & Company Law Offices                                                POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

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