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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20091117

Dossier :  T-606-08

Référence :  2009 CF 1172

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

BRAINHUNTER (OTTAWA) INC.

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

CANADA (MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX)

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La demanderesse, Brainhunter (Ottawa) Inc., demande la révision, en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A‑1 (la Loi), de la décision de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) d'autoriser la communication des renseignements non encore divulgués qui se trouvent dans l'offre que la demanderesse a faite en réponse à la demande de proposition (DP) de TPSGC pour la prestation de services informatiques à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

 

[2]        Le document en question est une version caviardée des pages 1 à 476 et 1071 à 1106 de l'offre initiale de la demanderesse à TPSGC. Le dossier de demande confidentiel de la demanderesse comprenait une copie de ce document. À la demande de la Cour, les défendeurs ont déposé, de façon confidentielle, une copie des documents originaux.

 

Mise en situation

[3]        La demanderesse est une société de dotation en personnel et de recrutement dans le domaine informatique; elle cerne, trouve et évalue les spécialistes techniques et commerciaux les plus doués du Canada en vue de pourvoir des postes temporaires et permanents.

 

[4]        En décembre 2005, TPSGC a publié la demande de soumissions no B8201‑040095/A et a ainsi lancé une procédure d'appel d'offres visant à conclure le contrat le plus avantageux possible afin de fournir des services professionnels en informatique à CIC. La première étape du processus d'appel d'offres était une DP, un document exhaustif qui comprend un contrat type ainsi qu'un énoncé des travaux à effectuer et des exigences obligatoires auxquelles doivent satisfaire des consultants compétents en informatique afin de pourvoir les postes en cause. La DP est un document public.

 

[5]        La demanderesse a fait une offre en réponse à la DP et a ensuite obtenu le marché public.

 

[6]        En février 2007, TPSGC a reçu une demande en vertu de la Loi demandant la communication de [TRADUCTION] « toutes les offres retenues pour TPSGC (Citoyenneté et Immigration Canada — volet C), notamment l'offre de CNC Global ». TPSGC a conclu que la demanderesse était un tiers intéressé par la demande et, le 11 juillet 2007, conformément au paragraphe 27(1) de la Loi, TPSGC a communiqué avec la demanderesse afin de l'informer de la demande et de son droit de présenter des observations écrites sur les raisons qui justifieraient un refus de communication des documents demandés.

 

[7]        Le 30 juillet 2007, la demanderesse a présenté des observations et s'est opposée à la communication de la quasi‑totalité de l'offre au motif que l'exception prévue au paragraphe 20(1) de la Loi s'appliquait aux renseignements qui y apparaissaient. Le 31 mars 2008, le directeur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de TPSGC a communiqué avec la demanderesse pour l'informer que l'on avait tenu compte de ses observations et qu'on refuserait en partie de communiquer l'offre de la demanderesse en raison du paragraphe 19(1), des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) et du paragraphe 24(1) de la Loi (les renseignements présentement exclus).

 

La présente demande

[8]        La demanderesse prétend que les renseignements non encore divulgués (le document en question), qui sont en partie caviardés, sont également confidentiels et ne devraient pas être communiqués en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi. La demanderesse demande notamment à la Cour d'ordonner à TPSGC, en vertu de l'article 51 de la Loi, de refuser de communiquer le document en question.

 

[9]        Le ministre de TPSGC et le procureur général du Canada sont les défendeurs en l'espèce; ils s'opposent à la demande.

 

Les dispositions légales pertinentes

[10]      Les exceptions invoquées par la demanderesse dans la présente demande apparaissent au paragraphe 19(1) et aux alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi :

 

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

 

 

20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

[...]

 

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

[...]

 

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

 

 

[...]

 

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

[...]

 

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

[...]

 

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party;

 

[...]

 

 

La norme de contrôle

[11]      La norme de contrôle pertinente est la norme de la décision correcte. Le fait que le terme « est tenu » apparaît au paragraphe 20(1) laisse clairement entendre qu'il ne faut faire preuve d'aucune retenue lorsqu'une institution fédérale décide de communiquer des renseignements qu'elle détient (Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Ministre du Revenu national, 2003 CF 1037, au paragraphe 78 (Conseil canadien), St. Joseph Corporation c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2002 CFPI 274, au paragraphe 31 (St. Joseph)). De plus, pour ce qui est du paragraphe 19(1), le fait que la Loi ne comprend aucune disposition privative et la nature des décisions prises en vertu de l'article 19 font en sorte qu'il ne faut faire preuve d'aucune retenue à l'égard des responsables d'institutions fédérales (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8, aux paragraphes 15 à 19 (GRC)).

 

Le rôle de la Cour

[12]      Le rôle de la Cour est d'examiner à nouveau la décision de TPSGC de communiquer le document et de « procéder au besoin à une révision détaillée de chacun des documents en litige » (Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), no T‑2249‑86, 24 mai 1989, [1989] A.C.F. no 453 (QL) (C.F. 1re inst.)).

 

[13]      Selon l'objet de la Loi énoncé au paragraphe 2(1), la communication des documents de l'administration fédérale constitue la règle et non l'exception. Par conséquent, le fardeau de la preuve repose sur la partie qui cherche à empêcher la communication. En raison de l'objet de la Loi, une « lourde charge » repose sur la partie qui tente d'empêcher la divulgation (St. Joseph, précité, aux paragraphes 32, 34 et 35).

 

[14]      Avant d'en arriver à sa propre conclusion en l'espèce, la Cour a tenu compte de tous les éléments de preuve présentés par les parties et a examiné page par page le document en question. La Cour a conclu que la demanderesse n'a pas démontré que la décision de TPSGC de ne pas refuser de communiquer le document en question était erronée et qu'il n'y a pas lieu de refuser de communiquer les renseignements non encore divulgués en vertu du paragraphe 19(1) ou des alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) de la Loi.

 

Le document en question comprend‑il des renseignements personnels?

[15]      Le paragraphe 19(1) interdit la communication de documents contenant des « renseignements personnels » selon la définition à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21. La demanderesse affirme que son offre contient des renseignements sur les antécédents professionnels d'individus identifiables et que ces renseignements sont des « renseignements personnels » selon la définition à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, notamment selon l'alinéa b) de cette définition. Les défendeurs prétendent, au contraire, que les renseignements non encore divulgués ne sont pas des renseignements dont la communication est interdite, puisque les exceptions aux alinéas j) et k) de la définition s'appliquent manifestement.

 

[16]      L'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels définit le terme « renseignements personnels » comme suit :

 

Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

 

[...]

 

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

 

 

[...]

 

... information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

 

[...]

 

(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

 

[...]

 

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

 

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

 

 

 

(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,

 

 

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

 

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

 

 

 

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,

 

 

(v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi;

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

 

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

 

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

 

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

 

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

 

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

 

k) un individu qui, au titre d'un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de la prestation;

 

 

 

[...]

 

(k) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of the individual given in the course of the performance of those services,

 

[...]

 

[Je souligne.]

 

[17]      Dans l'arrêt GRC, précité, la Cour suprême du Canada a examiné le lien qui existe entre les alinéas b) et j) de la définition du terme « renseignements personnels » à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle a affirmé, aux paragraphes 35 et 38 :

[...] seuls les renseignements portant sur le poste ou les fonctions de l'employé visé de l'administration fédérale ou correspondant à l'un des exemples donnés sont exclus de la définition des « renseignements personnels ». De très nombreux renseignements pouvant être considérés comme des « antécédents professionnels » demeurent inaccessibles. C'est le cas notamment des examens et évaluations du rendement d'un employé de l'administration fédérale, ainsi que des notes prises pendant une entrevue. En effet, ces évaluations ne constituent pas des renseignements concernant un cadre ou employé d'une institution fédérale qui portent sur son poste ou ses fonctions, mais touchent plutôt sa compétence quant à l'accomplissement de sa tâche. [...]

 

[...] les exemples donnés à l'al. 3j) ne sont pas exhaustifs. Cet alinéa a néanmoins une portée déterminée, car les renseignements doivent porter sur le poste ou les fonctions d'un employé de l'administration fédérale. [...] L'alinéa 3j) s'applique lorsque les renseignements — toujours liés à un individu — portent directement sur les caractéristiques générales rattachées au poste ou aux fonctions d'un employé, sans que la nature objective ou subjective de ces renseignements soit déterminante.

 

[Je souligne.]

 

 

[18]      La Cour note que dans l'arrêt GRC, la Cour suprême a ordonné la communication des renseignements suivants : (1) la liste des affectations antérieures, leur statut et les dates y afférentes; (2) la liste de leurs grades et les dates auxquelles ils les ont obtenus; (3) leurs années de service; (4) la date anniversaire de leur entrée en service. La Cour suprême a conclu que ces renseignements étaient directement visés par l'alinéa j) de la définition, puisqu'ils portaient sur les postes et fonctions des membres de la GRC en question. La demanderesse demande cependant à la Cour d'établir une distinction entre les faits de l'affaire GRC et ceux de l'espèce au motif que les renseignements non encore divulgués ne portent pas directement sur les caractéristiques générales des postes et des fonctions des personnes en cause. La demanderesse affirme que les renseignements non encore divulgués qui portent sur des tâches effectuées par certaines personnes en vertu de marchés publics comprennent des renseignements personnels relatifs aux antécédents professionnels de ces personnes.

 

[19]      J'ai examiné le document en question. La version caviardée ne comprend aucun renseignement personnel qui ne devrait pas être communiqué en application du paragraphe 19(1) de la Loi. Les noms des particuliers, leurs curriculum vitae, leurs évaluations et leurs rendements ont été retranchés de l'offre, et on ne peut aisément deviner ces renseignements en lisant ce qui reste du document. Les renseignements non encore divulgués portant sur des marchés publics antérieurs ne « concernent » pas des « individus identifiables »; ils ne font que renvoyer aux postes qu'ont eus certains individus non identifiés chez diverses organisations. En outre, la demanderesse ne fait que reprendre le libellé de la DP au sujet des exigences obligatoires pour les divers postes afin de démontrer que les candidats qu'elle propose ont les antécédents professionnels exigés. Les seuls renseignements distinctifs sont les années d'expérience de chaque candidat au regard des exigences obligatoires. Les projets précis sont également retranchés de la version caviardée. Il est peu probable que l'on puisse identifier ces personnes en ayant uniquement recours aux renseignements donnés, d'autant plus que les ministères et les administrations municipales sont, de par leur nature, de très grands organismes publics.

 

[20]      À ce moment, cependant, je devrais signaler que j'ai pu constater, en examinant le document en question, que TPSGC n'a manifestement pas retranché de l'offre le nom de tous les individus. Des noms apparaissent encore aux pages 173 et 216 du dossier de demande confidentiel de la demanderesse, et il se peut qu'il y ait eu d'autres oublis. Par exemple, bien que l'on n'ait pas débattu de cette question, il semble que l'on n'ait pas retranché les noms et les coordonnées de certains répondants qui apparaissent dans la version confidentielle du dossier déposé à la Cour. Ainsi, avant de communiquer les renseignements non encore divulgués, TPSGC doit effectuer les retranchements nécessaires.

 

Le document en question comprend‑il des renseignements commerciaux confidentiels?

[21]      L'alinéa 20(1)b) de la Loi dispose que l'on ne peut communiquer les renseignements fournis à une institution fédérale par un tiers qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante. Les renseignements doivent satisfaire aux quatre conditions qui suivent : (1) il s'agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, selon le sens courant de ces termes; (2) ils sont de nature confidentielle, suivant un critère objectif qui tient compte du contenu des renseignements, de leurs objets et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués; (3) ils sont fournis à une institution fédérale par un tiers; (4) ils sont traités d'une manière confidentielle de façon constante par ce tiers (voir Société canadienne des postes c. Commission de la capitale nationale, 2002 CFPI 700, au paragraphe 12, où l'on cite la décision Air Atonabee, précitée).

 

[22]      Selon son évaluation de la preuve et des observations des parties, ainsi que son propre examen approfondi du document en question, la Cour conclut qu'il n'est pas satisfait au critère de confidentialité à l'alinéa 20(1)b) de la Loi.

 

[23]      Il n'est pas en litige qu'un tiers, la demanderesse, a fourni les renseignements à une institution fédérale, TPSGC. Pour ce qui est de la nature commerciale des renseignements, la demanderesse s'appuie sur la définition que donne le dictionnaire du mot « commercial », soit [TRADUCTION] « relatif au commerce ou consacré au commerce », afin de faire valoir que l'ensemble du document en question, qui a été préparé uniquement afin de conclure un contrat commercial avec TPSGC, est de nature commerciale. Cependant, pour qu'un document soit de nature commerciale, il doit lui‑même contenir des « renseignements commerciaux » (Appleton & Associates c. Greffier du Bureau du Conseil privé, 2007 CF 640, au paragraphe 26).

 

[24]      Le document en question ne porte pas sur le commerce, mais découle du fait fondamental que la demanderesse voulait échanger, avec l'administration fédérale, des services contre de l'argent. Une très grande partie des renseignements non encore divulgués qui apparaissent dans le document ne portent que sur la façon dont divers candidats satisfont aux exigences obligatoires des postes selon la DP. Ces renseignements ne sont pas en soi de nature commerciale. Cela dit, le résumé contient certains renseignements généraux au sujet de l'entreprise, et l'on y mentionne des marchés publics déjà conclus en vue de fournir des services semblables. La Cour doute cependant fortement que des renseignements si généraux puissent être qualifiés de « commerciaux ». Quoi qu'il en soit, la demanderesse n'a pas fourni de preuve directe qu'il y ait des renseignements commerciaux confidentiels précis.

 

[25]      Afin de prouver que des renseignements sont confidentiels, la demanderesse doit apporter une preuve directe de la nature confidentielle des renseignements non encore divulgués, preuve qui contient une explication raisonnable permettant de refuser la communication de chaque document. Une preuve vague ou spéculative ne peut servir d'appui pour justifier une exception en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi. Voir Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Bureau d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, [2007] 1 R.C.F. 203, au paragraphe 73, Canada (Commissaire à l'information) c. Agence de promotion économique du Canada atlantique, no A‑292‑96, 17 novembre 1999, [1999] A.C.F. no 1723 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 3, et Wyeth‑Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 257, au paragraphe 20. La demanderesse n'a pas relevé ce fardeau.

[26]      En outre, dans la décision Air Atonabee, précitée, la Cour a donné des indications utiles sur l'évaluation de la revendication de confidentialité à l'égard d'un document :

a)         le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

 

b)         les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

 

c)         les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.

 

[27]      L'offre comprend un passage déclarant qu'elle est confidentielle. La demanderesse souhaitait sans aucun doute que le document en question soit considéré comme confidentiel. Cependant, la présence d'une déclaration de confidentialité n'est pas déterminante en soi lorsqu'il s'agit de décider si la revendication de la demanderesse est raisonnable, d'autant plus que le document a été préparé afin de faire une offre commerciale en vue d'un marché public.

 

[28]      Puisque les dispositions de la Loi s'appliquent nonobstant toute entente qui prétend le contraire, il n'est pas manifeste à la Cour qu'il y avait une attente raisonnable de confidentialité à l'égard de l'ensemble des renseignements dans le document en question communiqué à TPSGC. Voir Conseil canadien, précité, au paragraphe 124, CORADIX Technology Consulting Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2006 CF 1030, au paragraphe 23 (Coradix).

 

[29]      Dans la décision Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 CF 270, notre cour a fait l'affirmation suivante, au paragraphe 40 :

L'objectif d'intérêt public qui sous‑tend la Loi c'est que la communication des renseignements fournis à une institution fédérale doit constituer la règle et non l'exception. Le processus d'adjudication de marchés publics est assujetti aux dispositions de la Loi. Un soumissionnaire éventuel pour un tel marché sait, ou devrait savoir, que lorsqu'il remet des documents dans le cadre de ce processus il ne peut généralement s'attendre à ce que ceux‑ci échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement par suite de son devoir de rendre compte des fonds publics dépensés. Dans cette perspective, il est déraisonnable pour la demanderesse de prétendre qu'elle s'« attendait », sur la foi de la lettre en cause, à ce que les documents demeurent confidentiels.

 

 

[30]      En raison de ce qui précède, la Cour conclut que les renseignements non encore divulgués du document en question ne sont pas visés par l'exception à l'obligation de communication à l'alinéa 20(1)b) de la Loi.

 

La communication des renseignements non encore divulgués nuirait‑elle à la compétitivité de la demanderesse?

[31]      L'alinéa 20(1)c) de la Loi prévoit une exception à l'obligation de communication lorsque la divulgation des renseignements risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité. Lors de l'audience tenue devant la Cour, les avocats des parties se sont penchés sur la portée et l'application de cette exception au regard des faits de l'espèce et de la nature des renseignements non encore divulgués du document en question.

 

[32]      Pour que l'alinéa 20(1)c) s'applique, la demanderesse doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a un risque vraisemblable de préjudice probable (Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F.), à la page 60, Société Radio‑Canada c. Commission de la Capitale nationale, no T‑2200‑97, 19 mai 1998, [1998] A.C.F. no 676 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 24). Pour satisfaire à ce fardeau, la demanderesse ne peut que faire de simples affirmations; elle doit démontrer l'existence d'un lien direct entre la communication et le préjudice invoqué (Coradix, précité, au paragraphe 30). Un demandeur ne peut démontrer l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable tout simplement en affirmant dans un affidavit que la communication des documents entraînera pareil résultat. Il faut présenter des éléments de preuve additionnels établissant que ce résultat est vraisemblablement probable (Brookfield Lepage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2003 CFPI 254, au paragraphe 21, SNC‑Lavalin inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), no T‑916‑92, 29 juin 1994, [1994] A.C.F. no 1059 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 43).

 

[33]      Lorsqu'elle affirme qu'elle a démontré qu'il y a un risque vraisemblable de préjudice probable, la demanderesse s'appuie largement sur la décision de notre cour dans l'affaire Coradix, précitée, qui, dit‑elle, est essentielle à la résolution de l'espèce. Dans cette affaire, un fournisseur privé de services professionnels en technologies de l'information a demandé la révision de la décision de TPSGC de communiquer la proposition gagnante qu'elle avait faite lors d'un appel d'offres. L'administration publique a retranché certains renseignements de l'offre, notamment le prix unitaire, mais a conclu qu'il n'y avait pas lieu de refuser de communiquer le reste du document.

 

[34]      La juge Hansen a conclu que les renseignements ne devraient pas être communiqués en raison de l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Elle a déclaré, aux paragraphes 31 et 32 :

[31]      Dans le cadre du recours prévu à l'article 44, la Cour doit effectuer un examen détaillé des renseignements pour décider si tout ou partie de ceux‑ci doivent être soustraits à la communication. En l'espèce, il y a un certain nombre de cas où, si les renseignements sont considérés isolément, il n'est pas évident que la communication d'un élément précis puisse compromettre la compétitivité de la demanderesse. Toutefois, si les stratégies sont considérées dans leur ensemble, il devient évident que c'est l'ensemble de ces diverses stratégies d'entreprise et de gestion qui constitue la méthode et l'approche adoptées par la demanderesse à l'égard de son activité de base, de la gestion fructueuse des ressources humaines et du contrôle de la qualité. Considérée sous cet angle, il devient évident que si les renseignements étaient communiqués, un concurrent pourrait, dans des soumissions ultérieures, mettre en oeuvre ou reprendre à son avantage la méthode de la demanderesse, mais au détriment de la demanderesse sur le plan de la compétitivité.

 

[32]      Compte tenu de la preuve non contredite sur laquelle la demanderesse se fonde, soit la nature « assimilable à une marchandise » de l'industrie, les demandes passées de propositions de l'administration fédérale, la méthode que l'administration fédérale utilise pour évaluer les propositions, l'importance de la différenciation sur la base des compétences de l'entreprise, les critères que l'administration fédérale utilisera probablement dans les demandes futures de soumissions et le fait que l'activité de base de la demanderesse est fondée sur l'approche unique en son genre qu'elle a adoptée à l'égard de l'assurance de la qualité et de la gestion des ressources humaines, je suis convaincue, suivant la prépondérance de la preuve, que la demanderesse s'attend raisonnablement à subir un préjudice probable si les renseignements sont communiqués.

 

[Je souligne.]

 

[35]      Le dossier dans l'affaire Coradix demeure confidentiel, de sorte qu'il est impossible de savoir quels renseignements précis n'étaient pas soumis à l'obligation de communication. Le dossier public permet cependant de savoir que les renseignements qui, selon la Cour, n'avaient pas à être communiqués comprenaient des renseignements concernant les clients antérieurs de Coradix, ses méthodes de gestion de la prestation des services et les aspects techniques de son offre. En l'espèce, la demanderesse ne cherche pas à empêcher la divulgation d'une partie précise de son offre, mais de l'offre en entier, puisque, au fil des ans, elle a mis au point une façon d'organiser ses offres afin de répondre de façon directe aux besoins du ministère qui a fait la demande de proposition. En bref, ce « savoir‑faire » constitue un secret de la demanderesse que TPSGC ne devrait pas divulguer puisque, lors d'appels d'offres futurs, les concurrents de la demanderesse pourront imiter sa méthode toute particulière. La demanderesse souligne qu'on attribue souvent une cote numérique à la présentation de l'offre, de sorte que la forme de la présentation peut avoir autant d'importance que les autres éléments liés au fond de l'offre. La demanderesse reconnaît que chaque DP est différente, mais elle dit qu'il arrive souvent que les ministères reprennent des passages des DP, de sorte que toute divulgation de son offre conférera un avantage à un concurrent lors des DP futures.

 

[36]      La demanderesse affirme également que le marché dans lequel elle fait affaire est dominé par quelques entreprises privées qui se font constamment concurrence à l'égard des consultants et d'un nombre limité de marchés publics. La demanderesse affirme que, depuis sa constitution il y a 26 ans, elle a mis l'accent sur la conclusion de marchés publics fédéraux, ce qui étaye sa position voulant qu'elle a élaboré une stratégie toute particulière et que la divulgation de cette stratégie nuirait à sa compétitivité. Elle affirme qu'on pourrait identifier les candidats proposés en examinant le document en question, même dans sa forme caviardée actuelle. Ses concurrents pourront ainsi connaître les taux du marché préférés de ces candidats, et ils pourront ensuite reproduire de façon approximative sa stratégie globale de fixation des prix. La demanderesse estime également qu'en raison de la nature de la demande en matière d'accès à l'information, il y a de bonnes raisons de croire que la personne qui l'a faite est l'un de ses concurrents directs.

 

[37]      J'ai examiné avec soin la preuve, notamment l'affidavit confidentiel de Corine Porter. La demanderesse a fait des affirmations générales de préjudice et de désavantage concurrentiel, mais j'ai conclu qu'elle n'a pas présenté de preuve qu'il existe un risque vraisemblable de préjudice probable si le document en question était divulgué. La Cour estime que les allégations de l'appelante reposent sur des hypothèses et ne s'appliquent pas aux renseignements non encore divulgués du document en question, dans sa forme caviardée. De plus, vu la conclusion de la Cour au sujet des renseignements personnels, il n'y a aucune raison de croire qu'un membre du public, y compris un concurrent, pourra identifier les individus mentionnés dans le document en question.

 

[38]      La demanderesse n'a tout simplement pas su relever le fardeau qui repose sur elle en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi. L'identité de la personne qui a fait la demande est sans pertinence. La Cour note que l'offre initiale a été considérablement caviardée. La demanderesse n'a fait que de vagues allégations au sujet du caractère tout particulier de ses offres sans renvoyer à des renseignements précis au dossier. De plus, le document, dans sa forme caviardée, ne comprend pas de renseignements cohérents ou utiles dont la communication pourrait nuire à la compétitivité de la demanderesse. Le processus d'appel d'offres est prospectif et les soumissionnaires doivent chaque fois faire les offres les plus intéressantes des points de vue technique et financier. Les exigences techniques et financières de chaque DP sont différentes; en outre, les propositions financières ne sont pas communiquées.

 

[39]      Une partie considérable des renseignements non encore divulgués ne fait que reprendre le modèle que TPSGC a utilisé pour sa DP. Rien ne démontre que le « savoir‑faire » que la demanderesse a invoqué à l'égard de la présentation de ses offres lui soit particulier. En fait, si l'on compare l'offre de la demanderesse et la DP, on constate que la présentation générale de l'offre et les éléments techniques de celle‑ci correspondent aux directives et aux méthodes de présentation que TPSGC a précisées dans sa DP (voir la partie 2 de la DP). L'annexe A de la DP, l'énoncé des travaux, décrit déjà de façon détaillée les postes qu'auront à occuper les candidats et les tâches qu'ils devront exécuter. De plus, il y a à l'annexe A (catégorie de ressources) un modèle des exigences obligatoires (M) et des exigences assujetties à la cotation numérique (R) pour chacun des postes, ainsi qu'un espace en blanc où le soumissionnaire doit renvoyer à la DP. Ainsi, la façon dont la demanderesse a présenté son offre est compatible avec la présentation de la DP, un document qui est déjà public (voir la partie 3 de la DP).

 

[40]      Il importe de répéter qu'il faut examiner chaque recours en révision d'une décision en matière d'accès à l'information selon les faits qui lui sont propres. Contrairement à ce qui s'est produit devant la juge Hansen dans l'affaire Coradix, la demanderesse n'a pu démontrer, d'après les faits et le dossier dont dispose la Cour, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe un risque vraisemblable de préjudice probable en cas de communication, par TPSGC, des renseignements non encore divulgués du document en question, que ces renseignements soient considérés individuellement ou collectivement. Il ne suffit pas d'affirmer qu'il y aura un préjudice en raison de la nature particulière de l'activité de base de la demanderesse ou de la nature des marchés publics fédéraux. Après avoir examiné la décision à nouveau, la Cour est maintenant convaincue que TPSGC a déjà expurgé du dossier en question les renseignements de nature délicate portant sur les méthodes de la demanderesse et sur son approche à l'égard de la gestion des ressources humaines et du contrôle de la qualité — notamment les renseignements portant sur les méthodes pour choisir et recruter les candidats, sur la répartition des prix et des coûts, sur l'évaluation des employés, sur la résolution des problèmes et la rétroaction avec les clients, sur la valeur de l'offre et des marchés antérieurs, sur l'imputabilité en vertu du marché et sur l'opportunité des réponses aux autorisations de travail — ainsi que tout autre renseignement, notamment commercial ou lié à l'entreprise, qui porte sur l'activité de base de la demanderesse et qui la distingue de ses concurrents.

 

Conclusion

[41]      Pour ces motifs, le présent recours en révision présenté en vertu de l'article 44 de la Loi est rejeté avec dépens aux défendeurs.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE ET ADJUGE que le recours en révision présenté par la demanderesse en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information soit rejeté avec dépens aux défendeurs.

 

 

 

« Luc Martineau »

juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-606-08

 

INTITULÉ :                                                   BRAINHUNTER (OTTAWA) INC. et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et CANADA (MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX)

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 2 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence A. Elliott                                           POUR LA DEMANDERESSE

Jack Hughes

 

Agnieszka Zagorska                                         POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais S.R.L.,                         POUR LA DEMANDERESSE

S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

 

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