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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20091118


Dossier : IMM-2088-09

Référence : 2009 CF 1177

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

RAFE SHAKIBAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Rafe Shakiban (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) le 16 mars 2009. Dans cette décision, il a été conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger en application de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et sa demande d’ERAR a été rejetée.

 

[2]               Le demandeur, un citoyen égyptien, est entré au Canada en 1998 comme étudiant. Il a demandé l’asile en 2004 au motif qu’à titre d’apostat musulman, il était menacé de persécution dans son pays d’origine. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il y avait une sérieuse possibilité qu’il soit victime de persécution s’il retournait en Égypte. La Commission n’avait pas tiré de conclusions défavorables concernant la crédibilité.

 

[3]               Le demandeur a présenté sa demande d’ERAR le 8 novembre 2006 ou aux environs de cette date. Un certain Michael P. Caden, consultant en immigration chez Immigration Partners International, a présenté une observation écrite le 16 novembre 2006.  

 

[4]               Dans la décision datée du 16 mars 2009, l’agent d’ERAR a mentionné que le demandeur avait répertorié les mêmes risques dans sa demande d’ERAR que ceux qui avaient été examinés par la Commission lors de l’audition de sa demande d’asile, et ajouté que la preuve qui lui avait été présentée était insuffisante [traduction] « pour [le] convaincre de parvenir à une conclusion différente de celle de la SPR ». L’agent a mentionné que les conditions en Égypte ne se sont pas significativement détériorées depuis la décision de la SPR et a renvoyé aux rapports du Département d'État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de la personne de 2004 et de 2007.

 

[5]               Le demandeur conteste maintenant la décision de l’agent d’ERAR, aux motifs que son conseil n’avait pas présenté de façon adéquate et professionnelle des observations en son nom au stade de la demande d’ERAR, et que l’incompétence professionnelle précitée de ce dernier a entraîné une entorse à la justice naturelle nécessitant une intervention judiciaire

 

[6]               La norme de contrôle appropriée dans le cas d’une allégation d’entorse à la justice naturelle est celle de la décision correcte : voir Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 74 Imm. L.R. (3d) 85 (C.F.).

 

[7]               Dans Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51, le juge Denault a passé en revue la jurisprudence portant sur les avocats incompétents dans les affaires d’immigration. À la suite de son examen de la jurisprudence, le juge Denault a rédigé, aux paragraphes 11 et 12, un sommaire des principes pertinents : 

11     Bien que les affaires susmentionnées portent sur des fautes professionnelles distinctes, il appert que l'incompétence manifestée par un avocat à l'audition d'une demande du statut de réfugié justifie le contrôle judiciaire de la décision du tribunal, en raison de la violation d'un principe de justice naturelle. Les critères applicables à l'examen d'une telle décision ne sont pas clairement établis, mais il est possible de dégager un certain nombre de principes à partir de la jurisprudence précitée. Lorsque le requérant n'a commis aucune faute, mais le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d'être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle, en sorte qu'un contrôle judiciaire est fondé (Mathon).

 

a.                   Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour établir « l'étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l'insatisfaction d'ordre général ressentie à l'égard de la qualité de la représentation assurée par l'avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d'une décision défavorable. Toutefois, lorsque l'incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l'annulation de la décision, même si le tribunal n'a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

 

 

[8]               Il est évident qu’afin qu’un demandeur puisse établir que la représentation d’un avocat incompétent ait entraîné une entorse à la justice naturelle, il doit d’abord produire une preuve suffisante pour cerner le problème, ainsi que la portée de celui-ci.

 

[9]               En l’espèce, le demandeur a produit le formulaire de plainte qu’il avait envoyé à la Société canadienne des consultants en immigration (la SCCI) le 15 avril 2009. Il a aussi produit une lettre de la SCCI datée du 29 avril 2009, qui accusait réception de la plainte.

 

[10]           Dans sa plainte, le demandeur affirmait simplement que le consultant en immigration [traduction] « n’a pas fait son travail et a torpillé ma cause ».

 

[11]           Dans la lettre datée du 29 avril 2006, l’agent d’information et de liaison aux plaintes et à la discipline de la SCCI a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je vous remercie pour votre lettre, que le service des plaintes et à la discipline a reçue le 15 avril 2009.

 

Pour pouvoir donner suite à votre plainte, nous avons besoin d’éléments de preuve documentaire ainsi que d’une déclaration écrite à l’appui de vos allégations que le membre a « torpillé » votre dossier, qu’il n’était « pas compétent » et que ses services « ne répondaient pas aux normes professionnelles ».

 

En l’absence d’un mandat de représentation, nous avons besoin d’une description détaillée des services que le membre devait fournir, ainsi que les frais y qui étaient liés. Nous avons aussi besoin :

1)      de copies de chèques, ou d’autres preuves de paiements versés au consultant;

2)      une description détaillée de l’objet principal de votre plainte – les circonstances de votre demande CH ainsi que la présumée annulation de votre demande CH par le membre;

3)      des copies de toute lettre envoyée ou reçue par CIC;

4)      une explication de la raison pour laquelle vous avez déposé cette plainte trois ans après que M. Caden ait cessé de vous représenter;

5)      une chronologie des événements, qui indique le moment auquel vous avez eu votre dernier contact avec le membre.

 

Un dossier de plainte ne sera pas ouvert tant que la documentation additionnelle ne sera pas reçue.

 

 

[12]           Il n’y a pas de preuve que le demandeur a donné suite à la demande de documents supplémentaires de la SCCI afin d’étayer sa plainte. Vu l’absence d’une telle documentation, la SCCI n’a pas ouvert de dossier de plainte. Une telle « plainte » n’est effectivement pas pendante.

 

[13]           Le demandeur a produit les observations datées du 16 novembre 2006 à propos de l’ERAR, qui avaient été déposées par le consultant en immigration en son nom. Il invite maintenant la Cour à en tirer la conclusion que les observations étaient inadéquates, et démontraient une incompétence professionnelle entraînant une entorse à la justice naturelle.

 

[14]           J’estime que le demandeur n’a pas réussi à établir la preuve nécessaire pour justifier un argument convaincant concernant l’entorse à la justice naturelle par un avocat incompétent. À ce sujet, je renvoie à la décision Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 F.T.R. 147, au paragraphe 19, où le juge Pelletier a dit ce qui suit :

19        Je ne suis pas disposé à admettre une accusation de faute professionnelle grave contre un avocat, auxiliaire de la justice, sans une explication par celui-ci des agissements en question ou sans la preuve que l'affaire a été soumise à l'ordre des avocats pour enquête. En l'espèce, il y avait amplement de temps pour faire l'une ou l'autre de ces deux choses, mais ni l'une ni l'autre n'a été faite. Ce défaut ne s'accorde pas avec la gravité de l'allégation. Cette observation n'est nullement une manifestation de la sollicitude de la Cour à l'égard des avocats et aux dépens de leurs clients. La Cour ne fait que reconnaître qu'il est facile de faire des allégations de faute professionnelle et que, une fois jugées fondées, celles-ci aboutissent généralement au redressement demandé. La preuve administrée à l'appui d'une allégation de ce genre doit être à la mesure de la gravité des conséquences pour tous les intéressés.

 

 

[15]           Le principe ci-dessus s’applique également à un demandeur qui jette le doute sur sa représentation par un consultant d’immigration assujetti aux règlements de la SCIC.

 

[16]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier ne se pose en l’espèce.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2088-09

 

INTITULÉ :                                       RAFE SHAKIBAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 novembre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE:              Le 18 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bahman Motamedi

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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