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Date : 20091201

Dossier : IMM-2156-09

Référence : 2009 CF 1227

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2009

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

MARIA DE LOURDES DIAZ ORDAZ CASTILLO

CARLO ALBERTO ZAPATA DIAZ ORDAZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Mme Maria de Lourdes Diaz Ordaz Castillo et son fils, Carlo, sont arrivés au Canada en provenance du Mexique en 2008. Ils ont présenté une demande d’asile, mais celle-ci n’a jamais été instruite au fond, Mme Diaz Ordaz Castillo l’ayant retirée en janvier 2009. Cette dernière a par la suite tenté de la faire rétablir, mais un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande.

 

[2]               Mme Diaz Ordaz Castillo soutient que la Commission a commis une erreur en rejetant sa demande visant à rétablir sa demande d’asile. Elle fait valoir que la Commission n’a pas pris en considération sa situation personnelle, particulièrement la fatigue mentale qu’elle éprouvait au moment où elle s’est désistée de sa demande et qui découlait en partie de la violence conjugale qu’elle avait fuie au Mexique. Elle soutient aussi que la Commission n’a pas bien expliqué pourquoi elle n’avait pas droit de rétablir sa demande « dans l’intérêt de la justice ». Elle me demande d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal de la Commission réexamine sa demande de rétablissement.

 

[3]               Les deux questions suivantes sont soulevées :

 

1.                  La Commission a-t-elle omis de tenir suffisamment compte de l’état mental de Mme Diaz Ordaz Castillo lorsque celle-ci a retiré sa demande d’asile?

2.                  La Commission a-t-elle suffisamment motivé sa conclusion relative à « l’intérêt de la justice »?

 

Je conviens que les motifs de la Commission n’étaient pas suffisants. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.     Historique

 

[4]               Mme Diaz Ordaz Castillo affirme s’être enfuie au Canada pour échapper à son ex-conjoint violent. Elle a présenté une demande d’asile, communiqué avec un avocat, obtenu un certificat d’aide juridique et pris rendez-vous auprès d’un avocat pour remplir son formulaire de renseignements personnels (FRP). Arrivée en retard à son rendez-vous, elle n’a pas pu en prendre un autre avant la date limite de la présentation de son FRP. Elle n’a non plus pu obtenir l’aide de quiconque durant la période des Fêtes. En conséquence, elle n’a pas pu présenter son FRP à l’échéance.

 

[5]               L’ex-conjoint de Mme Diaz Ordaz Castillo a ensuite communiqué avec elle et lui a demandé de revenir au Mexique. Se sentant déprimée et isolée et ayant des difficultés à élever seule son fils, elle a accepté. Elle s’est officiellement désistée de sa demande d’asile lors d’une audience qui visait à déterminer si elle avait retiré sa demande.

 

[6]               Cependant, Mme Diaz Ordaz Castillo a ensuite changé d’avis. Son ex-conjoint a continué de communiquer avec elle et a exercé de la violence verbale à son endroit, l’accusant d’avoir couché avec son meilleur ami. Elle a décidé que, tout compte fait, il était dangereux de retourner au Mexique et elle a donc présenté une demande pour faire rétablir sa demande d’asile. La Commission l’a rejetée.

 

 

III.   La décision de la Commission

 

[7]               La Commission rétablit la demande d’asile « soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire » (Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, paragraphe 53(3)).

 

[8]               La Commission a examiné s’il y avait eu un manquement à la justice naturelle en raison de la difficulté que Mme Diaz Ordaz Castillo avait eue à obtenir des conseils juridiques. Elle a conclu que, même si elle n’avait pas vraiment consulté un avocat, Mme Diaz Ordaz Castillo était représentée par avocat au moment où elle s’est désistée de sa demande et que rien n’indiquait qu’il était de quelque façon incompétent ou négligent.

 

[9]               La Commission a pris en considération l’état mental de Mme Diaz Ordaz Castillo. Elle a conclu que la situation de celle-ci aurait pu justifier la conclusion qu’elle ne s’était pas désistée de sa demande. Cependant, Mme Diaz Ordaz Castillo avait clairement et volontairement décidé de se désister sa demande. La Commission a fait remarquer que le formulaire de retrait lui avait été traduit par un interprète et, en signant le formulaire, elle reconnaissait qu’elle était consciente des conséquences. La Commission a conclu que le processus d’acceptation et d’examen de sa demande en vue de faire rétablir sa demande d’asile était équitable.

 

[10]           S’agissant de l’intérêt de la justice, la Commission a fait remarquer qu’elle avait offert de tenir une audience à laquelle la question du désistement aurait pu être examinée, mais que Mme Diaz Ordaz Castillo a plutôt choisi de retirer sa demande. Par conséquent, faire droit à sa demande de rétablissement aurait pour effet de reprendre le processus qui lui avait déjà été offert et qu’elle avait refusé. Un commissaire, un membre du personnel et un interprète avaient été chargés d’entendre et d’examiner ses prétentions. Le rétablissement de la demande d’asile nuirait aux efforts déployés par la Commission pour régler efficacement et rapidement les affaires dont elle est saisie et ne serait pas l’intérêt de la justice.

 

IV. Analyse

1.   La Commission a-t-elle omis de tenir suffisamment compte de l’état mental de Mme Diaz Ordaz Castillo lorsque celle-ci a retiré sa demande d’asile?

 

 

 

[11]           Mme Diaz Ordaz Castillo fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait que, au moment où elle s’est désistée de sa demande d’asile, la violence conjugale qu’elle avait fuie avait des répercussions sur son état mental. En effet, elle était incapable de prendre une décision libre et éclairée au sujet de sa demande. De plus, Mme Diaz Ordaz Castillo fait valoir que la Commission n’a pas pris en considération les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe applicables aux femmes qui présentent des demandes d’asile, de même qu’un affidavit qu’elle avait présenté et qui explique, en termes généraux, pourquoi les femmes choisissent parfois de rester dans des relations de violence.

 

[12]           À mon avis, la Commission n’a pas ignoré la preuve relative à l’état mental de Mme Diaz Ordaz Castillo. Cependant, la preuve présentée au commissaire n’indiquait pas que son état mental l’avait empêchée de prendre la décision éclairée de se désister de sa demande. Elle disait se sentir [traduction] « seule et isolée », « défaite » et « sans espoir » et que ces sentiments l’ont poussée à accepter de retourner au Mexique. Quoique ces sentiments fussent sans nul doute authentiques et peut-être naturels dans sa situation, je ne peux pas reprocher à la Commission d’avoir conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à la justice naturelle.

 

[13]           Dans les affaires invoquées par Mme Diaz Ordaz Castillo, les demandeurs avaient clairement subi des contraintes. Dans l’une de ces affaires, « en raison des pressions dont elle faisait l’objet, elle n’avait pas la liberté de parler de sa situation et elle était incapable de retenir les services d’un conseil qui l’aurait aidée à faire ses choix » (Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.), au paragraphe 32). Dans l’autre affaire, la demanderesse avait présenté la preuve que « les mauvais traitements que lui avait fait subir son mari […] l’avaient empêchée de participer à la demande » (Acevedo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 496, paragraphe 3). À titre de comparaison, Mme Diaz Ordaz Castillo s’est librement désistée de sa demande. Elle pouvait se prévaloir des services d’un avocat à ce moment-là, mais elle n’a pas cherché à obtenir des conseils juridiques. 

 

[14]            À mon avis, étant donné les faits, la Commission n’a pas commis d’erreur en ne discutant pas des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ou de l’affidavit sur les mauvais traitements infligés par son conjoint. La Commission était clairement consciente de la situation de Mme Diaz Ordaz Castillo. Elle n’était pas obligée de citer toute la preuve qui lui avait été présentée.

 

2.   La Commission a-t-elle suffisamment motivé sa conclusion relative à « l’intérêt de la justice » ?

 

[15]           Comme nous l’avons vu précédemment, la Commission a pris en considération l’effet que le rétablissement aurait sur ses propres processus. Elle a conclu qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice que les personnes dans la situation de Mme Diaz Ordaz Castillo soient autorisées à rétablir leurs demandes d’asile.

 

[16]           J’estime toutefois que la Commission n’a pas expliqué dans ses motifs pourquoi les circonstances particulières dans lesquelles se trouvait Mme Diaz Ordaz n’ont pas pesé dans la balance. Je souscris aux propos suivants du juge Michael Phelan :

 

L’expression « par ailleurs dans l’intérêt de la justice » a un sens large et donne à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu pour rétablir une demande, mais cela exige de sa part qu’elle pèse toutes les circonstances d’une affaire, et non pas uniquement sous l’angle des intérêts d’un demandeur. Le rétablissement est une exception à la norme et doit être interprété et appliqué dans ce contexte (Ohanyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078, au paragraphe 13).

 

[17]           De même, l’intérêt de la justice ne doit pas être envisagé du seul point de vue de la Commission. S’il en était ainsi, peu de demandes de rétablissement, voire aucunes, ne seraient accueillies pour ce motif.

 

V. Conclusion et dispositif

[18]           La Commission n’a commis aucune erreur en concluant que Mme Diaz Ordaz Castillo n’avait été soumise à aucune contrainte lorsqu’elle s’est désistée de sa demande d’asile et il n’y a donc pas eu de manquement à la justice naturelle. Cependant, les motifs de la Commission ne traitent que des aspects de[traduction] « l’intérêt de la justice » défavorables au rétablissement, et non des aspects favorables. Pour ce motif, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre tribunal de la Commission réexamine la demande de rétablissement. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant demandé la certification d’une question de portée générale, aucune n’est formulée.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B.


Annexe A


Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

 

Demande de rétablissement d’une demande d’asile retirée

53 (3) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire.

 

Refugee Protection Division Rules, SOR/2002-228

 

Application to reinstate a withdrawn claim

 

  53. (3) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2156-09

 

INTITULÉ :                                                   CASTILLO, ET AL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 23 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aisling Bondy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AISLING BONDY

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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