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Date :  20091204

Dossier :  IMM-2233-09

Référence :  2009 CF 1245

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

JOSUE PETERLEE MESIDOR

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) pouvait valablement se fonder sur le comportement du demandeur à l’audience dans l’appréciation de sa crédibilité, tel que la Cour d’appel fédérale l’a réitéré dans l’arrêt Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 240 N.R. 376 (C.A.F.), 87 A.C.W.S. (3d) 1182 :

[7]        Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que la Section du statut de réfugié a elle-même vu et entendu, à titre de juge des faits, le témoin dont elle a contesté la crédibilité. À l'instar des autres juges des faits, elle a bénéficié d'un avantage unique lorsqu'elle en est arrivée à ses conclusions, notamment en ce qui a trait à la crédibilité du témoin. Le rôle particulier que les juges des faits doivent jouer lorsqu'ils évaluent la crédibilité d'un témoin a été décrit à plusieurs reprises par les tribunaux au fil des années. Ainsi, Lord Shaw a formulé les remarques suivantes dans l'arrêt Clarke v. Edinburgh Tramway Company :

 

Ordinairement, devant une cour de justice, les choses sont partagées beaucoup plus également; des témoins sans parti pris conscient peuvent, par leur attitude, leur tenue, leur hésitation, la nuance de leurs expressions, voire par leurs cillements, avoir donné à celui qui les a vus et entendus une impression que le dossier imprimé ne peut pas reproduire. Psychologiquement parlant, quelle est donc alors l'obligation d'une cour d'appel? À mon avis, les juges d'une cour d'appel doivent, dans ces circonstances, se poser la question que je me pose présentement: moi qui ne puis profiter de ces avantages, parfois marqués, parfois subtils, dont bénéficie le juge qui entend la preuve et qui préside le procès, suis-je en mesure de conclure avec certitude, en l'absence de ces avantages, que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste? Si je ne puis me convaincre que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste, il est alors de mon devoir de déférer à son jugement.

 

(La Cour souligne).

 

II.  Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission, rendue le 6 avril 2009, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

 

III.  Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Josue Peterlee Mesidor, fonde sa demande d’asile sur le fait qu’il aurait été proche de monsieur Charles David, un coach de soccer à l’université qu’il fréquentait, ainsi que sur le fait qu’il serait perçu comme riche, ayant vécu à l’étranger (aux États-Unis et au Canada).

 

[4]               L’incident à l’origine du départ de monsieur Mesidor serait survenu le 27 février 2004 au cours duquel les Chimères Lavalas seraient venus à Cayes en provenance de Port-au-Prince pour causer de la violence. Ils auraient recherché monsieur David. Ayant eu des informations sur monsieur Mesidor, ils se seraient dirigés vers sa maison, mais le Front de Résistance qui protégeait le quartier l’aurait sauvé.

 

IV.  Décision contestée

[5]               La Commission a rejeté la revendication de monsieur Mesidor après avoir conclu que son témoignage n’était pas crédible.

 

[6]               La Commission a aussi conclu que monsieur Mesidor n’a pas établi un risque personnalisé en raison du fait qu’il aurait été perçu comme riche.

 

V.  Question en litige

[7]               Est-ce que la décision de la commission est raisonnable?

 

VI.  Analyse

[8]               La Cour est d’accord avec le défendeur que la décision est bien fondée en faits et en droit et que la demande de contrôle judiciaire de monsieur Mesidor devrait être rejetée.

A.  Absence de crédibilité

1)  Aucune explication raisonnable du défaut du demandeur de revendiquer aux États-Unis durant son séjour entre le 19 juillet 2004 et le mois de février 2007

 

[9]               La Commission était en droit de se fonder sur le défaut de monsieur Mesidor de demander la protection des autorités américaines pendant son long séjour dans ce pays.

 

[10]           Également, la Commission était en droit de ne pas croire les explications de monsieur Mesidor selon lesquelles un avocat aux États-Unis lui aurait dit qu’il aurait été trop jeune (le demandeur est né le 18 décembre 1984) pour revendiquer. Monsieur Mesidor aurait pu faire valider cette information auprès des membres de sa famille proche qui sont citoyens américains ou faire une vérification sur internet.

 

[11]           Dans l’affaire Assadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 331 (QL), 70 AC.W.S. (3d) 892, le juge Max Teitelbaum a décidé que le défaut de revendiquer la protection internationale dès la première opportunité pouvait affecter la crédibilité d’un revendicateur même à l’égard des incidents survenus dans son pays d’origine.

 

[12]           Également, selon une jurisprudence constante, le délai qu’un demandeur d’asile a mis avant de faire une demande d’asile peut justifier le rejet d’une demande d’asile dans le cas où ce délai n’a pas été expliqué de façon satisfaisante.

 

[13]           Par exemple, dans l’affaire Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, 127 A.C.W.S. (3d) 329, le juge Paul Rouleau a décidé ce qui suit :

[17]      La Commission déclare à juste titre que, bien que le retard dans la présentation n'a habituellement pas d'effet déterminant sur une revendication du statut de réfugié, il arrive qu'il joue un rôle décisif en certaines circonstances. Ce qui porte le coup fatal à la revendication du demandeur, c'est son incapacité d'expliquer le moindrement ce retard de manière satisfaisante.

 

(Également, Duarte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, 125 A.C.W.S. 137; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325; Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, 134 A.C.W.S. (3d) 485).

 

[14]           L’affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 743, 149 A.C.W.S. (3d) 479, le juge Teitelbaum a rejeté le contrôle judiciaire sur la base de délais non expliqués :

[49]      La jurisprudence sur la question de délai est claire. Dans Bhandal v. MCI, [2006] F.C.J. No. 527, 2006 FC 426, j'ai décidé tout récemment, soit le 3 avril 2006, qu'un délai est suffisant pour rejeter une demande en révision judiciaire, en m'appuyant sur une jurisprudence antérieure.

 

[…]

 

[55]      Il n'est pas manifestement déraisonnable que la SPR a déterminé que le demandeur n'était pas un témoin crédible.

 

[15]           Récemment, ces principes ont été réitérés dans l’affaire Semextant c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 29, [2009] A.C.F. no 20 (QL) :

[23]      En l’espèce, la demanderesse n’a pas fourni d’explication raisonnable à son retard. La Commission était en conséquence fondée à conclure, comme elle l’a fait, que la crainte subjective faisait défaut (Sainnéus, précité).

 

[24]      La Commission n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la conduite de la demanderesse minait en elle‑même la crédibilité de son témoignage.

[25]      La Commission pouvait, en conséquence, rejeter la demande d’asile de Mme Semextant sur le seul fondement de l’incompatibilité de la conduite de la demanderesse avec une « crainte subjective » :

 

[8]        Il y a plusieurs façons de tirer des conclusions en matière de crédibilité. Pour évaluer la fiabilité du témoignage du demandeur, le tribunal peut, par exemple, tenir compte du manque de précision, des hésitations, des incompatibilités, des contradictions et du comportement (Ezi-Ashi c. Canada (Secrétaire d'État) [1994] A.C.F. no 401, au paragraphe 4). Dans l'arrêt El Balazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 38, [2006] A.C.F. no 80, au paragraphe 6, le juge Yvon Pinard affirme que même dans certaines circonstances, le comportement du demandeur peut être suffisant pour rejeter une réclamation de statut de réfugié :

 

Le défendeur a raison de dire que la CISR peut tenir compte du comportement d'un demandeur pour apprécier ses dires ainsi que ses faits et ses gestes et que, dans certaines circonstances, le comportement d'un demandeur peut être suffisant, à lui seul, pour rejeter une demande d'asile (Huerta c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 271, (le 17 mars 1993), A-448-91, Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1994] A.C.F. no 1758, (le 22 novembre 1994), IMM-462-94, et Riadinskaia c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 30, (le 12 janvier 2001), IMM-4881-99). (Non souligné dans l’original.)

 

(Biachi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 589, 152 A.C.W.S. (3d) 498.)

 

2)  Comportement à l’audience

[16]           Dans l’affaire Gjergo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 303, 131 A.C.W.S. (3d) 508, le juge Sean Harrington a réitéré ce qui suit :

[22]      [...] Or, notre Cour a déjà statué que le tribunal peut prendre en compte le comportement d'un demandeur pendant son témoignage. Lorsque le témoin a de la difficulté à fournir des réponses adéquates et directes, le tribunal peut en tirer des conclusions défavorables [...]

 

(Également, Tong c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 479 (QL), 47 A.C.W.S. (3d) 678).

 

3)  Crainte en raison des liens avec monsieur David

[17]           Il n’était pas déraisonnable à la Commission de conclure qu’il n’y avait aucun motif de croire que monsieur Mesidor qui avait quitté Haïti depuis le mois de juillet 2004 serait ciblé advenant son retour en Haïti en raison de ses liens avec monsieur David.

 

[18]           Monsieur Mesidor prétend qu’il aurait précisé ses liens avec monsieur David et que son témoignage n’était pas en contradiction avec celui de la conjointe de monsieur David, madame Micheline Lachance, qui a été jugé crédible par la Commission (Mémoire du demandeur aux par. 22 et 23).

 

[19]           Le fait que la Commission ait jugé crédible le témoignage de madame Lachance relativement aux circonstances dans lesquelles elle-même et son mari auraient connu monsieur Mesidor ne suffit pas à établir qu’il serait à risque advenant son retour en Haïti.

 

[20]           Dans son mémoire, monsieur Mesidor prétend que madame Lachance aurait témoigné qu’elle croyait que monsieur Mesidor serait ciblé à son retour en Haïti en raison des liens avec son époux. Elle aurait ajouté que deux des étudiants auraient été ciblés et qu’ils auraient fui le pays (Mémoire du demandeur au par. 12).

 

[21]           Ces allégations de monsieur Mesidor devraient être ignorées. Les motifs de la décision de la Commission n’indiquent pas que madame Lachance aurait témoigné sur le danger que courait monsieur Mesidor advenant son retour ou sur le fait que deux étudiants auraient été ciblés.

 

[22]           De plus, l’affidavit de monsieur Mesidor est totalement silencieux sur ces éléments (Dossier du demandeur (DD) aux pp. 17-19).

 

[23]           Monsieur Mesidor allègue aussi que madame Lachance aurait aussi mentionné que son époux était toujours en danger en Haïti et qu’il assurait sa sécurité et celle de leur fils avec des gardes du corps et une voiture blindée (Mémoire du demandeur au par. 13).

 

[24]           Les motifs de la décision de la Commission indiquent ce qui suit à propos de la situation de monsieur David en Haïti :

Madame Lachance témoigne que son mari est maintenant Directeur de la Chambre d’Arbitrage et de Conciliation d’Haïti. Il n’a jamais quitté le pays puisqu’il y occupe un poste de prestige et qu’il fait un très bon salaire. Il doit cependant avoir un garde du corps, vu le climat d’insécurité en Haïti. Madame Lachance mentionne que son fils de 15 ans, est avec son père et qu’il fait ses études secondaires là-bas.

 

 

 

 

            B.  Risque généralisé

[25]           La Commission pouvait valablement rejeter les prétentions de monsieur Mesidor selon lesquelles il craint d’être enlevé du fait qu’il pourrait être considéré comme riche ayant vécu plusieurs années aux États-Unis et au Canada.

 

[26]           La Commission était en droit de se fonder sur le document 14.1 du Cartable National de la documentation Haïti ainsi que sur la situation particulière de monsieur Mesidor pour conclure qu’il ne serait pas personnellement ciblé advenant son retour en Haïti.

 

[27]           Aux termes du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, monsieur Mesidor doit apporter la preuve d’un risque personnalisé pour lui-même. La protection est limitée aux personnes qui sont exposées au risque particulier alors que d’autres personnes qui sont exposées au risque particulier alors que d’autres personnes originaires du même pays ne le sont généralement pas.

 

[28]           De plus, il est bien établi par la jurisprudence que l’appréciation du risque que pourrait courir un demandeur doit être personnalisée et que la situation générale d’un pays ne permet pas de déduire un risque pour un individu donné :

[28]      Ceci étant dit, l'appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d'être persécuté s'il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé. Ce n'est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l'on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné [...]

 

(Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506 (QL)).

[29]           Dans l’affaire Charles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 233, [2009] A.C.F. no 277 (QL), la Cour a déterminé que la Commission n’a commis aucune erreur en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un risque personnalisé :

[7]        Enfin, la Cour conclut que la Commission a aussi raisonnablement rejeté l’allégation des demandeurs quant aux risques plus élevés auxquels ils seraient exposés s’ils étaient renvoyés en Haïti en raison de la perception générale selon laquelle ils se seraient enrichis parce qu’ils reviendraient de l’étranger, allégation qu’elle a rejetée puisque l’article 97 requiert que les demandeurs soient exposés à des risques personnels (Carias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602; Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331; conf. par 2009 CAF 31).

 

VII.  Conclusion

[30]           Monsieur Mesidor n’a pas démontré que la décision de la Commission est déraisonnable ou n’appartient pas globalement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[31]           Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire de monsieur Mesidor est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2233-09

 

INTITULÉ :                                       JOSUE PETERLEE MESIDOR

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 4 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Whalen

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CLAUDE WHALEN, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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