Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20091204

Dossier : IMM-1987-09

Référence : 2009 CF 1241

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

AGLAYA LUGO GARCIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Dans une décision, le récit est la clé et la source essentielle pour comprendre la nature de la condition humaine. Il ne faut jamais accepter de compromis dans la recherche de l’exactitude des faits clés de la preuve. Il y a trois règles dans le domaine immobilier : l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement; il en va de même dans la jurisprudence : l’essentiel est le récit, le récit et le récit. La négligence de faits clés peut fausser leur signification et, ainsi, laisser de côté des éléments de preuve clés pour la décision. Laisser de côté des éléments de preuve clés, c’est abolir la justice. Faute d’un récit précis, aucune décision ne serait complète. Même s’il est bref, il faut que le résumé des faits clés soit complet.

 

II.  Introduction

[2]               [9]        [...] lorsque des éléments de preuve pertinents contredisent une conclusion du tribunal quant à une question essentielle, le tribunal a le devoir d’analyser ces éléments de preuve et d’expliquer dans sa décision pourquoi il ne les accepte pas ou pourquoi il leur préfère d’autres éléments de preuve portant sur cette question. Plus ces éléments de preuve sont pertinents, plus grande est l’obligation du tribunal d’expliquer les motifs pour lesquels il ne leur accorde pas de valeur probante : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

 

[10]      Indiscutablement, la preuve documentaire présentait une grande pertinence quant à l’authenticité du mariage. Lorsqu’on a demandé à l’agente, au cours du contre-interrogatoire sur son affidavit, pourquoi elle n’avait pas mentionné les documents dans sa décision, elle a répondu, en substance, qu’ils ne représentaient qu’un seul élément de preuve et qu’elle préférait se fier aux entrevues personnelles avec les conjoints et à son appréciation de la cohérence de leurs réponses à ses questions. Il appert donc que l’agente a fait totalement abstraction des documents et a fondé sa décision uniquement sur l’opinion qu’elle s’est faite à la suite des entrevues. Je ne doute pas que les entrevues constituent un outil efficace pour démasquer les cas de fraude dans le traitement des demandes fondées sur des motifs humanitaires, mais le résultat de cet exercice ne libère pas l’agent de l’obligation d’analyser adéquatement les autres éléments de preuve. Son omission à cet égard constitue une erreur donnant lieu à révision.

 

[11]      Au-delà de cette conclusion, je comprends mal en quoi les divergences relevées par l’agente représentent des contradictions; la plupart d’entre elles sont mineures et peuvent facilement s’expliquer, ce qu’a d’ailleurs fait l’avocate du demandeur à l’occasion d’un envoi écrit subséquent. Les réponses du demandeur et de son épouse à la plupart des questions ont été cohérentes, et les conjoints ont établi que chacun d’eux participe étroitement à la vie de l’autre. Appliquant la retenue judiciaire voulue envers la décision d’ensemble de l’agente, je conclus que cette décision ne résiste pas à un « examen assez poussé ». En conséquence, la demande sera accueillie. (Non souligné dans l’original)

 

(Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, 150 A.C.W.S. (3d) 203).

 

III.  Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision du 2 avril 2009 par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente que la demanderesse avait soumise au Canada, à titre de conjointe d’une personne protégée ou d’un réfugié.

 

IV.  Faits

[4]               À la suite d’une entrevue avec la demanderesse, Mme Aglaya Lugo Garcia, et son époux, M. Joel Velazquez Flores, le 30 mars 2009, l’agent d’immigration a conclu que leur mariage n’était pas authentique.

 

V.  Question à trancher

[5]               L’agent d’immigration a-t-il manqué aux principes de l’équité et tiré des conclusions erronées sans tenir compte de la preuve soumise à l’appui de la demande de résidence permanente de Mme Lugo Garcia, demande présentée au Canada à titre d’épouse d’une personne protégée ou d’un réfugié?

 

 

VI.  Analyse

[6]               Durant l’entrevue devant servir à déterminer si la relation du couple était authentique, l’agent d’immigration a demandé à Mme Lugo Garcia et à son époux s’ils préféraient tenir l’entrevue en anglais ou en français, et le couple a choisi l’anglais.

 

[7]               Il n’est pas clair si le couple était pleinement conscient de son droit de demander un interprète.

 

[8]               À la lecture des motifs fournis par l’agent d’immigration, il se peut que plusieurs des prétendues incohérences soient attribuables à une communication inadéquate entre les parties et à la confusion qui s’en est ensuivie. Mme Lugo Garcia et son conjoint n’étaient peut-être pas en mesure de s’exprimer de manière complète relativement à la validité de leur relation.

 

[9]               Il s’agit d’une question tellement importante – dans la mesure où elle a une incidence sur l’ensemble de l’évaluation réalisée par l’agent d’immigration – qu’elle justifie l’intervention de la Cour.

 

[10]           De plus, l’agent d’immigration est tenu de signaler tout élément de preuve contradictoire qui pourrait mener à une autre conclusion, et d’expliquer pourquoi il n’a pas retenu cet élément de preuve. Plus un élément de preuve est important et plus cet élément de preuve a un lien étroit avec la question centrale, plus il est important que l’agent d’immigration explique pourquoi il a écarté l’élément de preuve. (Voir, à cet égard, le mémoire en réplique de la demanderesse, en date du 13 juillet 2009).

 

[11]           Ce principe est résumé et expliqué comme suit dans la décision de la Cour dans Simpson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, 150 A.C.W.S. (3d) 457 :

[44]      Bien qu’il soit exact qu’il existe une présomption que la Commission a examiné toute la preuve, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu’il existe dans le dossier des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de fait de la Commission, une déclaration générale dans la décision selon laquelle la Commission a examiné toute la preuve ne sera pas suffisante. La Commission doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi [...]

 

(Voir également Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264).

 

[12]           En l’espèce, Mme Lugo Garcia et son époux ont fourni les éléments de preuve suivants, entre autres, pour démontrer que leur relation est authentique : un certificat de mariage; une attestation de la grossesse de l’épouse; des photos du mariage, des photos de vacances et d’autres photos; des reçus pour des achats liés au mariage; des factures de services publics et de téléphone en leurs deux noms; le bail de leur appartement (pièces B et C du dossier de la demanderesse).

 

[13]           Il n’y a aucun renvoi à ces éléments de preuve que Mme Lugo Garcia a présentés pour prouver que la relation entre son mari et elle est durable.

 

[14]           Étant donné que la décision ne renferme aucun renvoi clair aux éléments de preuve qui démontrent des facettes d’une relation, il y a une erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[15]           L’agent d’immigration signale plusieurs prétendues lacunes relevées durant l’entrevue avec Mme Lugo Garcia et son époux; toutefois, ces prétendues contradictions, c’est-à-dire des erreurs relatives à certaines dates et adresses, sont peut-être d’importance secondaire.

 

[16]           Durant l’entrevue, en raison de difficultés liées à la langue, il se peut que l’agent d’immigration ait conclu qu’il y avait des propos contradictoires; la présence d’un interprète aurait peut-être permis d’éviter ces contradictions. Il semble également, à la lumière des affidavits de Mme Lugo Garcia et de son époux, que ces derniers ont eu de la difficulté à fournir des réponses complètes parce qu’ils n’avaient pas accès à un interprète. Par conséquent, le droit de Mme Lugo Garcia de se faire entendre exige l’intervention de la Cour.

 

[17]           L’agent d’immigration n’a fait aucun renvoi important aux explications fournies par Mme Lugo Garcia et son époux pour faire concorder ce que l’agent considérait comme des incohérences dans leurs témoignages.

 

VII.  Conclusion

[18]           Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et  l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1987-09

 

INTITULÉ :                                                   AGLAYA LUGO GARCIA

                                                                        c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 1ER DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 DÉCEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea C. Snizynsky

 

POUR LA DEMANDERESSE

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANDREA C. SNIZYNSKY

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.