Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20091204

Dossier : IMM-663-09

Référence :  2009 CF 1248

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Mainville 

 

ENTRE :

OSCAR DAMIAN GONZALEZ GONZALEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une requête pour contrôle judiciaire soumise par M. Oscar Damian Gonzalez Gonzalez (le « demandeur ») à l’encontre d’une décision rendue le 30 janvier 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») prononçant le désistement de sa demande d’asile au Canada.

 

 


Contexte

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique, né le 19 août 1989, qui est entré temporairement au Canada comme visiteur le ou vers le 20 septembre 2008. Il a par la suite fait une revendication du statut de réfugié et cette demande fut transmise à la Commission le 21 novembre 2008.

 

[3]               Par avis remis en main propre au demandeur le 21 novembre 2008, il fut avisé de soumettre son formulaire de renseignements personnels dûment rempli dans les 28 jours suivants et il fut convoqué à une audience devant la Commission prévue pour le 2 décembre 2008. L’avis contient notamment la notification qui suit :

Si vous ne transmettez pas votre FRP [formulaire de renseignements personnels] dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle celui-ci vous a été transmis, la SRP [section de la protection des réfugiés] peut, après vous avoir donné la possibilité d’être entendu, prononcer le désistement de votre demande d’asile. Vous serez convoqué à une audience pour expliquer pourquoi la SRP ne devrait pas prononcer le désistement de votre demande d’asile. Le cas échéant, la date qui apparaît sur cet avis sera annulée.

 

 

[4]               Or, le 2 décembre 2008, le demandeur ne se présente pas devant la Commission ni ne communique dans le délai prescrit son formulaire de renseignements personnels.

 

[5]               Le 13 janvier 2009, son avocat écrit à la Commission pour l’aviser de ce qui suit :

Monsieur Gonzalez avait rendez-vous avec vous au début du mois de décembre 2008, parce qu’il avait des problèmes avec l’aide juridique il a cancellé son rendez-vous à notre bureau. Il a téléphoné pour prendre un autre rendez-vous, mais nos bureaux étaient fermés pour la période des fêtes. Finalement, il a eu rendez-vous aujourd’hui et nous nous sommes aperçus que Monsieur avait compris qu’il devait produire son FRP dans les plus brefs délais mais il n’a pas compris qu’il n’avait que 28 jours. Nous devons revoir monsieur Gonzalez ce vendredi 16 janvier en après-midi. Nous vous demandons de bien vouloir nous octroyer deux semaines afin de produire le FRP de notre client.

 

 

 

[6]               Cette demande de prolongation est refusée et, le 19 janvier 2009, la Commission convoque le demandeur à une audience pour lui permettre d’expliquer pourquoi il a omis de transmettre à la Commission son formulaire de renseignements personnels dûment rempli dans les délais prescrits. L’avis de convocation ne fait nullement mention du défaut du demandeur de se présenter devant la Commission le 2 décembre. L’audience est prévue pour le 28 janvier 2009 à 8h30.

 

[7]               La veille de cette audience, soit le 27 janvier 2009, le procureur du demandeur transmet le formulaire de renseignements personnels dûment rempli et daté du 16 janvier 2009.

 

[8]               L’audience du 28 janvier 2009 a lieu comme prévu à 8h30 et le demandeur y est présent. Par contre, son avocat n’y est pas. L’audition n’est pas enregistrée. Le demandeur soumet un affidavit, qui n’est pas contesté par le défendeur, dans lequel il explique les circonstances l’empêchant de déposer son formulaire de renseignements personnels dans les délais. Notamment, on y apprend a) qu’il était en situation de crise au cours du mois de décembre 2008, car il ne recevait pas l’assistance sociale et n’avait pas de quoi manger ni même d’argent pour prendre l’autobus pour se rendre chez son avocat; et b) que son avocat était en congé durant la période de Noël 2008 et du Jour de l’an 2009 et qu’il n’a pu prendre rendez-vous avant janvier. Le demandeur fait également état dans son affidavit de la demande de prolongation faite par son avocat le 13 janvier 2009.

 

[9]               Le demandeur déclare aussi avoir demandé à l’audience à ce qu’on attende l’arrivée de son avocat « qui était en route pour l’audience » (au par. 16 de son affidavit), mais la Commission a refusé. Il déclare également avoir indiqué à la Commission qu’il souhaitait poursuivre sa demande d’asile. Finalement, le demandeur note que l’audition fut brève.

 

 

Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes

 

[10]           Les paragraphes 167(1) et 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la « Loi ») disposent de ce qui suit :

167. (1) L’intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

 

 

 

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

 

167. (1) Both a person who is the subject of Board proceedings and the Minister may, at their own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.

 

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

 

 

[11]           L’article 58 des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit ce qui suit :

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

 

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

 

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

 

 

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

 

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

 

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

 

 

 

(a) the Division has not received the claimant’s contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

 

 

(b) the Minister and the claimant’s counsel, if any, do not have the claimant’s contact information.

 

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

 

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

 

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

 

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 

Les moyens soulevés

 

[12]           Le demandeur soulève trois principaux moyens auxquels le défendeur a répondu : a) la Commission aurait violé son droit à l’avocat, garanti par le paragraphe 10 b) de la Charte canadienne des droits de la personne, et les principes d’équité procédurale; b) la Commission a erré en concluant au désistement de la demande alors que l’intention manifeste du demandeur était d’aller de l’avant avec sa demande d’asile; et c) la Commission a erré en droit en n’évaluant pas, dans le cadre de l’enquête sur le désistement, les possibilités de crainte de persécution du demandeur advenant son retour au Mexique.

 

[13]           Notons que le troisième moyen est manifestement erroné et ne touche nullement la question qui était devant la Commission. Il n’y a donc pas lieu de s’y attarder. Il ne faut pas confondre une audition sur un désistement prononcé en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi et un examen des risques avant renvoi. De plus, vu la conclusion de cette Cour sur la question du désistement, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la prétendue violation du droit à l’avocat.

 

 

Analyse de la question du désistement

 

[14]           Préalablement à l’arrêt Dunsmuir, cette Cour a déclaré de façon constante que la norme de contrôle du raisonnable simpliciter s’appliquait au contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Commission prononce le désistement d’une demande d’asile : Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 109, au par. 27; Anjun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 496 au par. 17; Markadu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1596 au par. 9; Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 328 au par. 15.

 

[15]           En vertu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle du raisonnable simpliciter se fond maintenant avec la norme de la décision raisonnable. Étant donné qu’en vertu de l’arrêt Dunsmuir, au par. 62, il n’y a pas lieu de procéder à une étude approfondie pour arrêter la norme de contrôle applicable lorsque celle-ci est déjà établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, je procéderai donc au contrôle judiciaire de la décision de la Commission prononçant le désistement en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[16]           La question qui se pose en l’occurrence est donc de savoir si la Commission a tiré une conclusion raisonnable en décidant que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile. Dans la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, au par. 32, le juge Lemieux dit ce qui suit :

Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l'obligation d'un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l'obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général)), [1994] J.C.F. no 1789, le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (M.C.I.), [1997] J.C.F. no 1669, le juge Rouleau; Ressam c. Canada (M.C.I.), [1996] J.C.F. no 186, le juge Pinard; Alegria-Ramos c. Canada (M.C.I.), [1999] J.C.F. no 131, le juge Dubé).

 

 

 

[17]           Dans ce cas-ci, compte tenu de l’absence d’un enregistrement de l’audience devant la Commission et de la nature laconique de la décision de la Commission, laquelle ne contient pratiquement aucune explication des motifs ayant conduit au prononcé du désistement, il est difficile de comprendre ce qui a amené la Commission à prononcer le désistement. Dans de telles circonstances, il faut agir avec prudence et éviter d’attribuer des motifs à une décision qui n’en contient pas.

 

[18]           Le demandeur présente dans son affidavit des explications au sujet de son retard à présenter son formulaire de renseignements personnels.

 

[19]           En effet, le demandeur soutient qu’il était en situation de crise au cours du mois de décembre 2008, car il ne recevait pas l’assistance sociale et n’avait pas de quoi manger ni même d’argent pour prendre l’autobus pour se rendre chez son avocat. Le demandeur soutient également avoir informé la Commission lors de l’audience concernant le prononcé du désistement qu’il maintenait sa demande et souhaitait la poursuivre. Le demandeur a également soumis son formulaire de renseignements personnels quoiqu’avec quelques semaines de retard. De plus, son avocat a écrit à la Commission pour expliquer le retard, demander une prolongation pour la production du formulaire et indiquer l’intention du demandeur de poursuivre sa demande.

 

[20]           En l’absence des motifs qui ont poussé la Commission à ne pas retenir les explications du demandeur, je ne puis faire autrement que conclure que cette décision n’est pas raisonnable. En effet, le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au par. 47).

 

[21]           L’objectif d’une audience spéciale en vertu du paragraphe 52 (2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés est de déterminer, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, si le comportement du demandeur suggérait clairement un désir ou une intention de ne pas poursuivre sa revendication (Ahamad, précitée, au par. 37). Vu la preuve non contredite du demandeur et l’absence de motifs pour ne pas retenir cette preuve, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission selon laquelle le demandeur s’était désisté de sa demande est annulée, et le dossier du demandeur est renvoyé à la Commission afin d’être traité conformément à la Loi.

 

[22]           Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale et, en conséquence, aucune question ne sera certifiée conformément à l’alinéa 74 d) de la Loi.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur s’était désisté de sa demande soit annulée, et que le dossier du demandeur soit renvoyé à la Commission afin d’être traité conformément à la Loi.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-663-09

 

 

INTITULÉ :                                      OSCAR DAMIAN GONZALEZ GONZALEZ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

MStewart Istwanffy

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWART ISTWANFFY

Barrister and Solicitor

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, C.R.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.