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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date: 20091217

Dossier: IMM-2354-09

Référence: 2009 CF 1284

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MARIAMA DJELO BAH

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 20 avril 2009, rejetant la demande d’asile de la demanderesse fondée sur son homosexualité. Après avoir attentivement examiné le dossier soumis par la demanderesse ainsi que la transcription de l’audition devant la SPR, j’en suis arrivé à la conclusion que la SPR pouvait rejeter sa demande en s’appuyant sur son manque de crédibilité.

 

I.          Les faits

[2]               La demanderesse est citoyenne de la République de Guinée et de confession musulmane. Elle allègue avoir toujours eu une plus grande attirance pour les femmes que pour les hommes, et ce depuis sa plus tendre enfance. Elle a néanmoins caché son orientation sexuelle à sa famille et à son entourage, parce que l’homosexualité est taboue et très mal vue dans son pays. La demanderesse s’est donc mariée avec un homme haut placé dans la fonction publique guinéenne pour ne pas attirer l’attention, et elle a eu quatre enfants avec lui (trois de ces derniers ont la citoyenneté canadienne parce que la demanderesse est venue accoucher à Ottawa). Elle allègue que ce mariage lui laissait beaucoup de liberté, du fait que son mari avait une autre femme et voyageait beaucoup.

 

[3]               La demanderesse, aujourd’hui âgée de 51 ans, dit avoir eu ses premiers attouchements avec une autre jeune fille vers l’âge de 10 ans, et avoir alors été surprise par sa demi-sœur. Suite au divorce de ses parents, elle serait allée vivre chez une tante, où elle aurait de nouveau rencontré une autre fille de son âge (du nom de Mamie) ayant la même orientation sexuelle. Cette dernière, avec qui elle dit avoir eu des rapports sexuels de façon régulière, l’aurait suivi comme domestique chez son mari et avoir vécu avec elle jusqu’à son départ pour le Canada. Elle dit s’être confiée à sa demi-sœur et lui avoir fait des confidences à propos de ses relations avec Mamie.

 

[4]               La demanderesse dit avoir quitté la Guinée en mars 2006 pour se rendre en Chine et s’occuper de ses enfants. Ces derniers vivaient alors avec son mari, qui était ambassadeur dans ce pays et qui venait d’être rappelé en Guinée. Elle serait restée en Chine jusqu’en juin 2006, pour permettre à ses enfants de terminer leur année scolaire.

 

[5]               Pendant que la demanderesse se trouvait en Chine, sa demi-sœur aurait dévoilé son orientation sexuelle à un de ses oncles. Elle voulait ainsi se venger suite au refus de la demanderesse de payer son voyage pour qu’elle puisse l’accompagner en Chine.

 

[6]               En juin 2006, la demanderesse allègue que l’un de ses frères l’aurait prévenu par téléphone de la rumeur qui circulait à son sujet quant à son homosexualité. La demanderesse aurait tout nié.

 

[7]               En juillet 2006, l’oncle de la demanderesse aurait révélé l’homosexualité de la demanderesse à son ami le Ministre des Transports. Ce dernier, employeur de la demanderesse, l’aurait immédiatement démis de ses fonctions de coordinatrice d’une société mixte guinéo-norvégienne de transport maritime. L’oncle aurait également informé le père de la demanderesse de la rumeur qui circulait à propos de sa fille; en apprenant cette nouvelle, celui-ci aurait subi une crise cardiaque et serait décédé quelques semaines plus tard en août 2006.

 

[8]               En novembre 2006, la demanderesse est retournée en Guinée. Lors de ce séjour, un autre de ses oncles, imam dans une mosquée et fervent musulman, l’aurait convié à une réunion de famille en prétextant vouloir lui offrir ses condoléances suite au décès de son père. Or, la demanderesse aurait appris de son frère que le but réel de cette rencontre était de la confronter aux rumeurs qui circulaient à son sujet et s’en prendre à elle. Ne s’étant pas présentée à cette réunion, ses oncles se seraient arrangés avec le commissaire de police pour lui envoyer une convocation la sommant de se rendre au commissariat.

 

[9]               Informée de cette convocation, la demanderesse a fait ses arrangements pour quitter la Guinée le 30 novembre 2006. Elle est arrivée à Montréal le 3 décembre, après avoir transité à Paris, et elle a revendiqué l’asile en mars 2007.

 

II.         La décision contestée

[10]           La SPR s’est fondée sur plusieurs invraisemblances et contradictions dans le récit de la demanderesse pour conclure au rejet de sa demande. Dans un premier temps, le tribunal a jugé peu crédible que l’oncle de la demanderesse ait pu révéler son orientation sexuelle au Ministre des transports et n’ait rien dit à son mari, qui avait également été nommé ministre à son retour de Chine en 2008. Dans une société où l’homosexualité est réprimée et source de honte, la SPR a considéré peu vraisemblable l’explication de la demanderesse selon laquelle il serait beaucoup plus humiliant de révéler son homosexualité à son mari et à sa famille plutôt qu’à son employeur, qui est une personnalité publique de surcroît. La demanderesse avait également expliqué que l’objectif visé en faisant cette révélation au Ministre des transports était d’obtenir qu’elle soit révoquée de ses fonctions, la forçant par le fait même à rentrer en Guinée; la SPR n’a pas non plus prêté foi à ce récit.

 

[11]           La SPR a également confronté la demanderesse à certains éléments de son récit. La demanderesse a notamment dit être retournée en Guinée en novembre 2006 malgré sa crainte résultant des rumeurs qui circulaient à son propos. De plus, malgré le fait qu’elle dit avoir fui précipitamment son pays après avoir été convoquée à une réunion familiale dont elle craignait les conséquences, elle a mis plus de trois mois avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada. Les explications fournies par la demanderesse n’ont pas convaincu la SPR, qui s’est dite d’avis que le comportement de la demanderesse était irréconciliable avec la crainte d’une personne qui se dit persécutée ou menacée.

 

[12]           En effet, la demanderesse a soutenu qu’elle était retournée en Guinée en novembre 2006 afin de recevoir les témoignages de sympathie à l’occasion du décès de son père, ainsi que pour faciliter la transition à son successeur à la société de transport où elle travaillait. La demanderesse a également prétendu n’avoir pris connaissance de l’ampleur du problème occasionné par les révélations de sa demi-sœur qu’au moment de la convocation à une réunion de famille. Questionnée à propos du délai à revendiquer l’asile une fois arrivée au Canada, elle a cependant répondu qu’elle avait préféré attendre dans l’espoir que ses oncles allaient la laisser tranquille et que la situation s’améliorerait. Elle se serait finalement décidée à demander le statut de réfugié lorsque son frère lui a confirmé au téléphone que les choses ne s’arrangeaient pas. La SPR n’a pas trouvé ces explications crédibles.

 

[13]           La SPR a également reproché à la demanderesse certaines contradictions dans son histoire. Ainsi, la demanderesse a raconté qu’elle vivait avec son mari, sa demi-sœur, des nièces de son mari et Mamie, avec laquelle elle entretenait une liaison à l’insu de tous. Dans son témoignage, la demanderesse a changé sa version quant aux révélations qu’elle avait faites à sa demi-sœur par rapport à sa liaison. Elle a d’abord affirmé que sa demi-sœur l’avait surprise avec Mamie, pour ensuite dire qu’elle ne l’avait vu dans une position compromettante qu’avec son amie d’enfance mais jamais avec Mamie. Elle a également déclaré avoir raconté à sa demi-sœur les grandes lignes seulement de sa relation avec Mamie sans lui donner trop de détails; or, elle a par la suite expliqué lui avoir révélé la nature et la régularité de ses relations sexuelles avec Mamie.

 

[14]           La SPR s’est également étonnée que la demanderesse n’ait jamais tenté de réclamer l’asile dans l’un des nombreux pays signataires de la Convention où elle a séjourné à plusieurs reprises, malgré les problèmes qu’elle dit vivre depuis longtemps avec son mari à cause de son homosexualité.

 

[15]           La SPR a relevé une autre contradiction dans le témoignage de la demanderesse, relativement au moment où la situation se serait détériorée. Lors de sa rencontre avec un agent d’immigration en avril 2007, elle avait déclaré avoir été informée des révélations faites par sa demi-sœur en août 2006. Pourtant, elle a témoigné à l’effet qu’elle avait été avisée par son frère au début de juin 2006 des propos de sa demi-sœur. Invitée à commenter cette contradiction, la demanderesse a expliqué que les choses avaient vraiment commencé à se corser en août 2006; on aurait alors commencé à l’accuser d’avoir tué son père. La SPR relève que cette information est absente dans les déclarations qu’elle a faites au point d’entrée et, plus tard, dans son Formulaire de Renseignements Personnels. La SPR s’est également demandé comment elle avait pu retourner quand même en Guinée en novembre, compte tenu de cette accusation grave qui pesait sur elle.

 

[16]           Enfin, la SPR n’a pas cru à l’homosexualité de la demanderesse et a remis en question sa sincérité, étant donné la demande parallèle de résidence permanente au Canada pour des considérations humanitaire qu’elle a déposée. Le tribunal s’est permis de spéculer que la demanderesse avait peut-être perdu son emploi pour des raisons tout autres que celles invoquées (du fait de son absence prolongée du pays, par exemple), et qu’elle cherchait peut-être à divorcer de son époux.

 

[17]           En dernière analyse, la SPR a donc considéré le témoignage de la demanderesse non crédible, et a conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau de prouver qu’il existe une possibilité sérieuse d’être persécutée en vertu de l’un des motifs de la Convention. Elle a également conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait personnellement exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités advenant son retour en Guinée.

 

III.       Question en litige

[18]           La seule question en litige dans le présent dossier est celle de savoir si la SPR a erré en concluant que la demanderesse n’est pas crédible.

 

IV.       Analyse

[19]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile s’apparentent à des questions de fait, et doivent donc faire l’objet d’une grande déférence lors d’un contrôle judiciaire. Par voie de conséquence, la question que cette Cour doit se poser n’est pas celle de savoir si elle serait parvenue au même résultat, mais plutôt si la conclusion de la SPR est raisonnable. Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC  9, [2008] A.C.S. no 9, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (par. 47).

 

[20]           La demanderesse a d’abord soutenu que la SPR avait été indûment influencé par la demande parallèle de résidence permanente pour motifs humanitaires, déposée par la demanderesse quelques jours après avoir demandé l’asile au Canada. Selon la demanderesse, l’existence de cette demande aurait pesé lourd dans la balance et amené la SPR à douter de sa crédibilité injustement.

 

[21]           Ce premier argument me semble dénué de tout mérite. Loin d’en faire un motif de sa décision, la SPR n’a fait référence à cette demande parallèle qu’à la toute fin de ses motifs, après avoir exposé plusieurs contradictions et invraisemblances dans le récit de la demanderesse. La commissaire écrit d’ailleurs, au paragraphe qui précède immédiatement cette référence à la demande de résidence pour motifs humanitaires :

[34] Cette contradiction majeure relativement à un point central de cette demande d’asile, soit le moment où elle a prétendument appris qu’on avait dénoncé sa supposée homosexualité, combinée à une omission touchant de plein fouet son histoire alléguée, est venue mettre un point final à la crédibilité de cette histoire. Il découle du témoignage dénué de toute crédibilité de la demandeure que le tribunal ne croit pas non plus qu’elle est homosexuelle.

 

 

[22]           On comprend dès lors que le tribunal a tiré ses conclusions quant à la crédibilité de la demanderesse, et ce avant même de considérer sa demande de résidence permanente. Le paragraphe qui suit, dans lequel la commissaire réfère à cette demande et spécule sur les véritables motifs qui ont poussé la demanderesse à réclamer l’asile, est tout à fait superfétatoire. Dans la mesure où il n’ajoute rien à la décision et repose sur des conjectures, il aurait peut-être été plus prudent et mieux avisé de ne pas l’insérer dans la décision. Ceci étant dit, cela ne saurait suffire à vicier la décision. La conclusion de la SPR à l’effet que la demanderesse n’est pas crédible ne repose pas sur le fait qu’il y avait une demande parallèle de résidence permanente.

 

[23]           La demanderesse a invoqué la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Orelien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.), [1991] A.C.F. no 1158, au soutien de son argument voulant que l’on ne peut mettre en doute sa crédibilité du seul fait qu’elle a cherché à émigrer au Canada. Cette affaire n’a cependant rien à voir avec le présent dossier. Contrairement au cas qui nous occupe, il y avait dans Orelien de nombreux éléments de preuve dont la crédibilité n’avait pas été mise en doute.

 

[24]           La demanderesse a également allégué dans son mémoire que la SPR avait appliqué une norme de preuve inappropriée à la question de crédibilité, en considérant la possibilité plutôt que la probabilité d’un élément de preuve relatif à la crédibilité. Lors de l’audition, le procureur de la demanderesse a admis qu’il s’agissait là d’une erreur de sa part, étant entendu que la probabilité est plus exigeante que la simple possibilité. Dans la mesure où la SPR aurait appliqué la norme de la possibilité (ce que l’on n’a par ailleurs nullement démontré), cela n’aurait donc pu qu’avantager la demanderesse.

 

[25]           Enfin, la demanderesse a prétendu que la décision du tribunal est fondée davantage sur des invraisemblances que sur des contradictions, et que les inférences tirées par la SPR sont déraisonnables. Or, un examen attentif de la décision révèle que le tribunal n’a pas cru la demanderesse pour plusieurs raisons. Tel que mentionné plus haut, on a relevé plusieurs contradictions, une omission et des invraisemblances. On a également conclu que le comportement de la demanderesse était incompatible avec une crainte subjective de persécution.

 

[26]           Il est bien établi que le tribunal peut tenir compte de contradictions dans la preuve pour douter de la crédibilité d’un demandeur. La jurisprudence reconnaît également qu’un tribunal peut conclure à l’absence de crédibilité d’un revendicateur en s’appuyant sur l’invraisemblance de son récit, à condition que les inférences tirées soient raisonnables.

 

[27]           En l’occurrence, la SPR a soigneusement soupesé les explications fournies par la demanderesse lorsqu’elle a été confrontée aux contradictions et invraisemblances de son récit. Le tribunal a également tenu compte du contexte particulier de la Guinée ainsi que de l’opprobre et du rejet auxquels font face les personnes homosexuelles dans ce pays. À la lumière de toute la preuve qui lui a été soumise, la SPR a conclu que l’histoire de la demanderesse n’était pas crédible. Il s’agissait là d’une « issue possible acceptable » au regard des faits qui avaient été portés à sa connaissance.

 

[28]           Ce n’est pas à dire que cette Cour aurait tiré les mêmes conclusions. Ainsi, certaines des « contradictions » identifiées par la SPR n’en étaient peut-être pas, au vu des explications fournies par la demanderesse. Mais la décision repose sur une accumulation de réelles contradictions et d’invraisemblances, de même que sur un long délai à réclamer l’asile. Considérée dans son ensemble, la décision de la SPR ne m’apparaît pas déraisonnable et peut certainement se justifier au regard de la preuve, et les motifs de contestation présentés par la demanderesse sont insuffisants pour casser la décision.

 

[29]           Pour tous les motifs qui précèdent, cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question certifiée, et le dossier n’en soulève aucune.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2354-09

 

INTITULÉ :                                       Mariama Djelo Bah c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               10 décembre 2009

 

MOTIFS  DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR  :             Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      17 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luc R. Desmarais

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maître Luc R. Desmarais

1265, rue Berri

Montréal (Québec)  H2L 4X4

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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