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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court


 

Date : 20100105

Dossier : IMM-307-09

Référence : 2010 CF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

SHAFQAT ULLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 23 décembre 2008 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), qui avait refusé de faire droit à l’appel interjeté par Shafqat Ullah (le demandeur) concernant une demande de parrainage visant les membres de sa famille. Le demandeur se représente lui-même.

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur est né le 15 novembre 1967 au Pakistan. Arrivé au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, il est devenu résident permanent en août 2000. Il vit actuellement à Lac la Biche, en Alberta, avec sa femme et ses trois enfants, et il travaille comme comptable.

 

[3]               En 2002, le demandeur a voulu parrainer certains membres de sa famille. Il avait décidé de parrainer ses parents, Karamat Ullah (le père) et Ghulam Zohra (la mère), ainsi que Quamar Shazad Nomi (le frère). Le frère du demandeur, qui est âgé de 34 ans, souffre d’un handicap mental léger ou modéré. Un agent des visas a refusé la demande de parrainage au motif que le frère du demandeur était interdit de territoire en vertu du paragraphe 38(1)c) de la Loi, parce qu’il représenterait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Par conséquent, le père et la mère ont été déclarés interdits de territoire au sens de l’alinéa 42a) de la Loi.

 

[4]               Conformément au paragraphe 63(1) de la Loi, le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas à la SAI. C’est la décision rendue par la SAI qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[5]               Après un bref énoncé des motifs pour lesquels le frère, le père et la mère avaient été déclarés interdits de territoire, la SAI a précisé que le demandeur n’avait pas contesté la validité juridique du refus de l’agent des visas, mais demandait plutôt que l’appel soit accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[6]               La SAI a ensuite conclu que le refus était valide en droit. Cette conclusion était fondée sur deux rapports médicaux versés au dossier d’appel qui confirmaient le diagnostic de handicap mental modéré chez le frère du demandeur, ainsi que sur le fait que le demandeur n’avait présenté aucune preuve documentaire pour contester l’évaluation médicale.

 

[7]               La SAI a déclaré d’emblée qu’en l’espèce, la question était de savoir si le frère constituerait un fardeau pour les services sociaux, et qu’il fallait par conséquent évaluer la capacité de la famille à assumer les coûts des services sociaux qui seraient nécessaires.

 

[8]               La SAI a ensuite évalué divers éléments de preuve en lien avec les conditions de vie du frère, les soins qui lui sont prodigués actuellement et la situation envisagée s’il devait venir au Canada. Elle a noté qu’en ce moment, c’était principalement la mère qui s’occupait de lui, et qu’il apportait son aide dans le commerce de son père. La SAI a écrit qu’advenant la venue de sa famille au Canada, le demandeur avait clairement indiqué qu’il prendrait soin de son frère si ses parents en étaient incapables et que toute sa famille vivrait avec lui et sa femme. Le demandeur a également témoigné que sa femme serait prête à s’occuper de son frère si besoin était. Il semble qu’à un certain moment, le demandeur ait affirmé qu’il continuerait de vivre à Lac la Biche, et à un autre moment, qu’il déménagerait à Edmonton avec sa famille. La SAI a ajouté que le demandeur avait fourni des lettres de divers organismes d’Edmonton indiquant que le frère pourrait agir comme bénévole auprès d’eux, et peut-être même apprendre l’urdu.

 

[9]               En réponse à ces arguments, la SAI a conclu que les parents du demandeur étaient âgés et ne jouissaient pas d’une bonne santé en ce moment. Sur la base de cette constatation et du témoignage du demandeur selon lequel il souhaitait que ses parents viennent vivre avec lui parce qu’ils étaient malades, la SAI a conclu que les parents ne pourraient peut-être pas donner des soins de base au frère à la maison pendant bien longtemps encore. La SAI a ajouté que l’adaptation à la vie au Canada occasionnerait des difficultés additionnelles pour les parents. Par ailleurs, la responsabilité du demandeur à l’égard de son frère se limite à un engagement de dix ans. Au moment où cet engagement expirera, les parents auront la soixante-dizaine avancée et seront peut-être alors dans l’incapacité de s’occuper du frère.

 

[10]           Selon la prépondérance des probabilités, il a été conclu que le frère aurait besoin d’un soutien à l’extérieur de la maison. En outre, on a souligné l’absence de plan concret pour des soins ou une intégration sociale en dehors de la famille immédiate. La SAI a relevé que la femme du demandeur n’avait aucune expérience en matière de soins aux personnes âgées ou aux personnes comme son frère, et que c’était elle qui, actuellement, s’occupait principalement de ses trois jeunes enfants. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve suffisante pour démontrer que sa femme était capable de s’occuper du frère. Enfin, la SAI a écrit que les lettres de participation provenaient uniquement d’organismes d’Edmonton, et qu’aucune planification claire n’avait été faite en vue d’une participation dans la communauté si le frère devait vivre à Lac la Biche.

 

[11]           La SAI a tranché que rien n’indiquait que les parents dépendaient du soutien financier du demandeur. Celui-ci a présenté une preuve montrant qu’il avait envoyé de l’argent à ses parents au fil des années; ce soutien financier a cependant diminué. Le demandeur a affirmé dans son témoignage que ces fonds servaient pour des dépenses supplémentaires et que, parce qu’il se culpabilisait de ne pas être là en personne, il continuerait de fournir ce soutien, même si sa famille ne venait pas au Canada.

 

[12]           La SAI a ensuite fait observer que bon nombre de frères et sœurs du demandeur vivaient encore au Pakistan, tout comme la majorité de leur famille élargie. Elle a en outre conclu que la famille du demandeur continuerait de bénéficier d’un soutien familial au Pakistan, et que rien ne prouvait qu’ils subiraient des difficultés excessives en demeurant là-bas.

 

[13]           La SAI a poursuivi son analyse en commentant la situation financière du demandeur. Elle a résumé ses antécédents professionnels, qui montrent que le demandeur a travaillé pour diverses entreprises à compter de 2000 et qu’il est travailleur autonome depuis 2006. En 2007, il a lancé une nouvelle entreprise, pour laquelle il travaille en ce moment. De plus, il détient à Edmonton cinq immeubles locatifs qui génèrent des revenus. Néanmoins, le demandeur a essuyé une perte financière en ce qui a trait à ces propriétés, et sa situation financière s’est détériorée au cours des trois dernières années. L’attestation bancaire qu’il a soumise révélait que son compte était à découvert. Vu la situation financière du demandeur, la SAI a tranché qu’il n’avait pas démontré sa capacité de payer pour les services dont son frère aurait besoin. Elle s’est appuyée pour ce faire sur une autre décision rendue par la SAI, qu’elle a dite similaire à l’espèce sur le plan des faits. Dans cette décision, il avait été conclu que l’insuffisance de la preuve produite concernant les ressources financières familiales et la façon dont ces ressources seraient mises en œuvre pour acquitter les coûts des soins requis, même en présence d’une famille dévouée, ne pouvait convaincre le tribunal du bien-fondé de la demande (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] D.S.A.I. no 567 (QL)).

 

[14]           Qui plus est, la SAI a fait observer que le demandeur, ainsi que sa femme et ses enfants, avait visité sa famille à trois reprises depuis 2004, et que rien n’empêchait d’autres visites dans l’avenir. La SAI a souligné que le frère aîné du demandeur vivait avec ses parents et dépendait d’eux financièrement. Le demandeur a affirmé qu’il retournerait au Pakistan si la demande de sa famille n’était pas acceptée, et la SAI a indiqué que ce serait là sa propre décision. Elle a en outre fait observer que les parents ne parlaient pas anglais, qu’aucun plan concret n’avait été préparé pour les intégrer dans la société et qu’on n’avait pas pris les dispositions nécessaires aux fins de leur établissement.

 

[15]           La SAI a également conclu que l’allégation concernant les difficultés excessives encourues en raison de la situation politique au Pakistan n’était que pure spéculation de la part du demandeur, et qu’aucun élément de preuve n’avait été soumis à ce sujet.

 

[16]           La SAI a écrit qu’elle avait pris en considération l’intérêt supérieur des enfants du demandeur. Elle a reconnu qu’il leur serait bénéfique d’avoir une relation avec leurs grands‑parents, mais que l’intérêt des autres petits-enfants qui habitent actuellement au Pakistan était également pertinent. La SAI a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur du frère et a conclu que, d’après la preuve documentaire, il va plutôt bien et affiche une certaine indépendance dans son environnement actuel. Qui plus est, il parle la langue locale et connaît bien son environnement – ce qui ne serait pas le cas s’il venait au Canada, puisque la preuve indique qu’il est timide et qu’il aurait de la difficulté à apprendre une nouvelle langue. De plus, le demandeur et sa famille sont occupés avec leurs propres activités et leur propre vie. Il serait donc dans l’intérêt supérieur du frère de rester au Pakistan.

 

[17]           Enfin, la SAI a expliqué que la simple volonté de l’appelant d’avoir ses parents plus près ne constituait pas, vu l’ensemble des faits, un motif suffisant pour l’emporter sur les éléments défavorables en l’espèce. La SAI a tenu compte de la volonté de l’appelant de réunifier sa famille et de s’occuper de son frère, mais a conclu que ces motifs ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales.

 

Les questions en litige

[18]           Le demandeur conteste la déclaration de la SAI selon laquelle il ne souhaitait pas contester la légalité de la décision. Il a également soulevé un certain nombre de questions concernant l’appréciation de la preuve par la SAI. Je formulerais les questions comme suit :

a.       La SAI a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la légalité de la décision de frapper d’interdiction de territoire le frère du demandeur pour des raisons de santé?

b.      La SAI a-t-elle omis de tenir compte de plusieurs facteurs importants en déterminant si les circonstances méritaient ou non la prise de mesures spéciales?

 

Les dispositions légales pertinentes

[19]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

[…]

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

 

 

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 

La norme de contrôle applicable

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a établi que, pour déterminer la norme de contrôle appropriée, la Cour peut examiner la jurisprudence pour vérifier si elle établit déjà une norme de contrôle satisfaisante (paragraphe 62). La Cour a statué que les décisions de la SAI concernant l’admissibilité pour des raisons médicales fondées sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit devraient être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Vashishat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1346, 337 F.T.R. 283). La première question en litige consiste en l’affirmation qu’on aurait mal interprété les faits et la preuve. La seconde concerne quant à elle l’appréciation de la preuve par la SAI. En conséquence, les deux questions en litige seront revues d’après la norme de raisonnabilité, et la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

La SAI a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la légalité de la décision de frapper d’interdiction de territoire le frère du demandeur pour des raisons de santé?

[21]           Le demandeur a soutenu avoir bel et bien contesté la validité juridique du refus et n’avoir jamais renoncé à son droit de contester la décision pour ce motif. Il a cité les arguments préparés par son avocat avant l’audition devant la SAI (le demandeur n’était plus représenté par un avocat au moment de l’audition), en ajoutant qu’il avait clairement indiqué son intention de contester la validité juridique de la décision d’interdiction de territoire. Le demandeur a affirmé avoir soumis des rapports médicaux contredisant les décisions de l’agent des visas et l’avis du médecin agréé. En outre, le demandeur a présenté une vidéo de son frère accomplissant des tâches quotidiennes, en ajoutant que cela montrait clairement son intention de contester la légalité de la décision d’interdiction de territoire.

 

[22]           Le défendeur, pour sa part, a admis que le demandeur avait contesté la validité juridique du refus de l’agent des visas et que, même si elle avait déclaré que le demandeur n’avait pas contesté cette question, la SAI l’avait ensuite examinée. Il ressort des motifs de la SAI que celle-ci a procédé à une évaluation individualisée de la capacité du demandeur de payer et de la probabilité d’un recours excessif aux services sociaux. Le défendeur a affirmé qu’en agissant ainsi, la SAI s’était bel et bien penchée sur la validité juridique de la décision, pour ensuite examiner les motifs d’ordre humanitaire en l’espèce.

 

Analyse

[23]           L’argument invoqué par le demandeur sur ce point est essentiellement que son frère a des capacités supérieures à celles décrites, et qu’avec le soutien de la famille, il n’aurait pas à recourir de manière excessive aux services sociaux au Canada. Selon lui, la SAI n’a pas retenu cet argument, qui est pourtant lié à la validité juridique de la décision d’interdiction de territoire.

 

[24]           Dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706 (Hilewitz), la Cour suprême du Canada a statué qu’une décision d’inadmissibilité fondée sur un fardeau excessif pour les services sociaux nécessite la prise en compte aussi bien de facteurs médicaux que de facteurs non médicaux, y compris une évaluation individualisée de l’état de santé de la personne, de ses capacités et de ses besoins réels, ainsi que du soutien, de la capacité et de la volonté de la famille de payer les services (aux paragraphes 54 à 61; voir également Vashishat, aux paragraphes 19 et 20).

 

[25]           S’il est vrai que la SAI a déclaré explicitement que la validité juridique de l’évaluation médicale n’avait pas été contestée en l’espèce, elle a poursuivi en examinant la question et en s’arrêtant à tous les facteurs requis établis dans Hilewitz. La SAI a reconnu, dans ses motifs, qu’il fallait appliquer les critères de la décision Hilewitz en l’espèce, et son analyse montre que c’est ce qu’elle a fait par la suite. Elle a souligné qu’aucun rapport médical supplémentaire réfutant le diagnostic de handicap mental n’avait été présenté. Elle a également souligné la capacité du frère d’accomplir certaines tâches par lui-même, ainsi que les arrangements actuels quant aux soins qui lui sont prodigués au Pakistan. La SAI a fait état des soins prévus pour lui s’il était admis au Canada. Elle a conclu qu’il était peu probable que les soins envisagés suffiraient, et qu’on ferait quand même appel aux services sociaux. La SAI a jugé que la situation financière du demandeur ne lui permettait pas d’assumer les coûts des services sociaux dont son frère pouvait avoir besoin s’il était admis au Canada.

 

[26]           Il ressort nettement de ses motifs qu’au moment de déterminer le fardeau qui serait imposé aux services sociaux, la SAI a pondéré l’état de santé et les besoins actuels du frère, l’existence d’un soutien de la famille, les autres arrangements proposés et la capacité de payer du demandeur. En me fondant sur ces facteurs et sur l’analyse exposée dans les motifs de la SAI, j’estime que celle-ci a traité de la validité juridique de la décision d’interdiction de territoire.

 

La SAI a-t-elle omis de tenir compte de plusieurs facteurs importants en déterminant si les circonstances méritaient ou non la prise de mesures spéciales?

[27]           Le demandeur a soulevé de nombreux éléments de preuve qui, selon lui, ont été ignorés ou retenus de façon sélective par la SAI. En ce qui a trait à la décision fondée sur des motifs de santé, le demandeur a signalé que la vidéo qu’il avait soumise, et qui montrait son frère en train d’accomplir des tâches quotidiennes, n’était pas mentionnée dans les motifs de la SAI, et que celle-ci avait précisé qu’elle ne l’avait pas encore vue au moment de l’audience. Le demandeur a en outre invoqué les rapports médicaux qu’il avait soumis à la SAI et à l’agent des visas. Le demandeur a fait valoir que la SAI avait lu et analysé de façon sélective les rapports médicaux. Selon lui, les rapports médicaux indiquaient que l’état de santé de son frère n’était pas aussi grave qu’on le présentait dans les motifs, et que la SAI avait ignoré ce fait.

 

[28]           De surcroît, le demandeur a allégué avoir expliqué que sa femme n’avait besoin d’aucune formation particulière pour prendre soin de ses parents âgés ou de son frère, et qu’elle serait disposée à le faire conformément aux valeurs de sa culture et de sa religion. Il a également expliqué qu’elle était une femme au foyer et qu’elle aurait amplement le temps de s’occuper des membres de sa famille. Il a soutenu que le tribunal avait ignoré ce fait important et avait commis une erreur en concluant qu’il serait nécessaire de faire appel à une aide professionnelle.

 

[29]           Concernant sa capacité de payer pour les services sociaux, le demandeur a affirmé que la SAI avait tiré une conclusion négative de façon déraisonnable en se basant sur le fait que ses immeubles locatifs entraînaient une perte d’argent. Il a fait valoir que, puisqu’il arrivait toujours à effectuer ses versements hypothécaires en dépit des pertes, cela indiquait clairement qu’il avait d’autres revenus, mais que la SAI n’en avait pas tenu compte. Le demandeur a également fourni un calcul de son revenu comprenant son revenu d’entreprise et celui de sa femme, qui s’est révélé bien plus élevé que dans la décision. Il a également attiré l’attention sur la déclaration selon laquelle son compte bancaire était à découvert, alors que les autres relevés bancaires indiquaient un surplus. Il a dit qu’encore une fois, la SAI avait utilisé de façon sélective les renseignements sur le revenu, et que la preuve montrait clairement qu’il avait les moyens de payer pour les services sociaux, au besoin.

 

[30]           En ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire, le demandeur a fait valoir que l’un des motifs sur lesquels il s’était appuyé était sa capacité de fournir à ses parents et à son frère de meilleurs soins qu’ils n’en recevaient actuellement au Pakistan, mais que la SAI n’en avait aucunement tenu compte. Il a ajouté que, lors de l’audition, il avait expliqué la situation politique au Pakistan et dit pourquoi la prise de mesures spéciales était justifiée, mais qu’on avait aussi ignoré ces explications.  

 

[31]           En réponse à ces arguments, le défendeur a fait valoir que la SAI n’avait mal compris ni ignoré aucun des éléments de preuve soumis par le demandeur. La décision est claire et indique que les documents et éléments de preuve présentés par le demandeur ont été examinés attentivement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce. Le défendeur a soutenu que l’évaluation de la preuve était raisonnable eu égard aux faits de l’espèce et qu’il n’y avait pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

Analyse

[32]           Le demandeur a affirmé que la SAI avait ignoré ou retenu de façon sélective certains éléments de la preuve dont elle disposait. À l’appui de son argument, il a attiré l’attention sur ce qu’il considère comme des éléments de preuve essentiels, mais qui ne sont pas mentionnés dans les motifs ou qui, selon lui, ont été interprétés de manière erronée. Il existe bien entendu une présomption réfutable selon laquelle le tribunal a soupesé l’ensemble de la preuve dont il disposait, même s’il n’a pas mentionné chacun des éléments. Néanmoins, plus l’élément de preuve qui n’a pas été mentionné est important, plus on présumera que le tribunal a commis une erreur et tiré une conclusion sans tenir compte des éléments (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17 (F.C.T.D.)).

 

[33]           En ce qui a trait à l’interdiction de territoire pour des motifs sanitaires, même si la SAI n’a pas regardé la vidéo avant de rendre sa décision, de nombreux autres éléments de preuve démontraient la capacité du frère à accomplir des tâches et à vivre avec une certaine indépendance. Il apparaît clairement, dans les motifs de la SAI, que celle-ci avait une solide compréhension des capacités du frère et des soins dont il a actuellement besoin. Dans le cadre de son analyse, elle ne s’est pas appuyée seulement sur la preuve médicale, mais aussi sur la preuve soumise par le demandeur et sa famille. Bien qu’elle n’ait pas expressément mentionné l’enregistrement vidéo dans ses motifs, je suis convaincu que la SAI a examiné l’ensemble de la preuve relative aux capacités du frère et que l’omission de mentionner cet élément de preuve particulier ne rend pas pour autant la décision déraisonnable.

 

[34]           La Cour a visionné la vidéo en question avant la présente audience et juge que, sans une analyse des rapports médicaux produits en l’espèce, il est très difficile de se prononcer sur les capacités du frère.

 

[35]           En outre, pour ce qui est de la conclusion quant à la capacité de la femme du demandeur de s’occuper du frère et au fait qu’elle n’avait pas de qualifications professionnelles, la SAI a effectivement mentionné que la femme n’était pas une soignante professionnelle, qu’elle avait eu peu de contacts avec le frère au fil des ans et n’avait jamais été appelée à être responsable de lui. Le demandeur a invoqué la partie de son témoignage où il avait expliqué pourquoi sa femme aurait la capacité et la volonté de s’occuper de son frère. Il ressort clairement de ses motifs qu’en dépit d’une telle volonté, la SAI s’est inquiétée du temps qu’exigeraient les soins prodigués au frère du demandeur, en particulier dans un nouvel environnement où il ne retrouverait plus ses tâches routinières, et elle a tranché qu’il était peu probable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que la femme serait en mesure de fournir le niveau de soins requis. L’explication du demandeur n’a pas directement contredit cette conclusion et n’est pas suffisante pour m’amener à conclure qu’on a pris une décision sans tenir compte de la preuve. Il était loisible à la SAI de tirer cette conclusion, par ailleurs raisonnable eu égard à la preuve dont elle disposait.

 

[36]           S’agissant de sa situation financière, le demandeur a affirmé que la SAI avait retenu de façon sélective les renseignements qu’il avait fournis pour conclure qu’il n’avait pas les moyens de financer les services sociaux qui pourraient s’avérer nécessaires. Il a également présenté d’autres calculs de son revenu. Il convient d’abord de noter que ces autres calculs incluaient son revenu d’entreprise et le revenu de sa femme, mais qu’aucun de ces deux éléments de preuve n’avait été soumis au tribunal, et qu’à ce titre, la Cour n’en tiendrait pas compte. À l’évidence, on ne peut reprocher à la SAI d’avoir omis d’analyser une preuve qui ne lui avait pas été soumise. Par ailleurs, il incombait au demandeur de prouver qu’il avait les moyens de payer pour les services sociaux s’il souhaitait qu’on tienne compte de ce facteur. La SAI a analysé les renseignements financiers dont elle disposait et tiré une conclusion en conséquence. Elle a mentionné les différentes sources de revenus déclarées par le demandeur pour une période de trois ans, et n’était toujours pas convaincue de sa capacité de payer. Sans se limiter à un moment précis, elle a retenu les renseignements financiers dans leur ensemble. En outre, même s’ils sont pris en considération, la capacité et la volonté de payer pour les services sociaux ne constituent pas nécessairement des facteurs déterminants (Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282, 64 Imm. L.R. (3d) 161, au paragraphe 5).

 

[37]           Pour ce qui est des motifs d’ordre humanitaire cités, la SAI ne pouvait juger des situations ayant eu lieu au Pakistan (l’instabilité politique qui aurait pris place ultérieurement à l’audience), sur lesquelles le demandeur fonde maintenant sa demande. Par ailleurs, les allégations générales relatives à l’instabilité faites par le demandeur lors de l’audience ont été jugées non fondées par la SAI. La Cour estime qu’il n’y a là aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[38]           Le demandeur a en outre fait valoir que la SAI avait ignoré sa volonté de fournir à ses parents de meilleurs soins que ceux qu’ils recevaient actuellement de son frère. Or, la SAI a reconnu clairement l’état de santé des parents et le fait que le demandeur était insatisfait des soins apportés à ses parents par son frère aîné, qui vit avec eux. Elle a précisé que le demandeur ne souhaitait pas que ses parents travaillent au Canada, et qu’il subviendrait à leurs besoins. La SAI a également conclu que les parents pouvaient compter sur le soutien qu’ils reçoivent actuellement des membres de la famille habitant au Pakistan. La SAI a tranché que, dans l’ensemble, les parents ne seraient pas exposés à des difficultés excessives s’ils demeuraient au Pakistan. La SAI a très bien compris que le demandeur souhaitait que ses parents viennent Canada parce qu’ils étaient malades et qu’il comptait prendre soin d’eux. Elle n’a pas ignoré ce motif, même si elle a utilisé une autre formulation que le demandeur.

 

[39]           À la lumière de l’analyse qui précède, les arguments invoqués par le demandeur à l’appui de ce motif ne peuvent être retenus. La SAI n’a pas fait erreur dans son appréciation de la preuve.

 

[40]           La Cour tient à préciser qu’il s’agit en l’espèce de la raisonnabilité de la décision, et non de l’opinion de la Cour à savoir si le frère du demandeur devrait être admis au Canada. La Cour aurait peut-être tranché autrement que la SAI, mais elle est d’avis que les conclusions de la SAI appartiennent aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[41]           Le demandeur a soumis les questions suivantes aux fins de certification :

[traduction]

1. La capacité de payer d’un demandeur est-elle une considération pertinente pour déterminer si son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada; l’évaluation d’un médecin agréé à cet égard est-elle déterminante, ou le décideur à l’égard de la demande de résidence permanente au Canada d’un demandeur doit-il évaluer la raisonnabilité de la conclusion du médecin agréé sur la question du « fardeau excessif » à la lumière de tous les documents pertinents fournis au défendeur par le demandeur?

 

2. La SAI a-t-elle commis une erreur de droit n’accordant pas la priorité à l’intérêt supérieur des enfants qui sont citoyens canadiens plutôt qu’aux enfants qui ne sont ni citoyens, ni résidents permanents du Canada, et qui n’y ont même jamais mis les pieds?

 

3. Le paragraphe 38(2) de la Loi porte-t-il atteinte aux droits garantis par la Charte aux citoyens ou aux résidents permanents du Canada parce qu’il exclut les parents des exceptions prévues? Est-il contraire à l’objectif de la LIPR exposé en son alinéa 3(1)d)?

 

[42]           Le défendeur s’oppose à ces questions. La Cour convient que la présente affaire repose sur les faits et qu’elle ne soulève aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-307-09

 

INTITULÉ :                                       SHAFQAT ULLAH

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shafqat Ullah                                                                            POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

                                                                                               

 

Rick Garvin                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet                                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, C.R.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

 

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