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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100106

Dossier : IMM-5616-08

Référence : 2010 CF 16

Ottawa (Ontario), ce 6e jour de janvier 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Demandeur

 

et

Djuma HABIMANA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) conteste la reconnaissance à Djuma Habimana (le défendeur) de qualité de personne à protéger par le tribunal dans une décision rendue le 3 octobre 2008.

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[2]          Le défendeur est un citoyen rwandais d’origine hutue.

 

[3]          Il affirme avoir fui le Rwanda pour le Burundi en 1994, à cause de la guerre civile et du génocide. À son retour en 1996, il aurait trouvé sa maison occupée par des militaires tutsis. Ayant tenté d’en reprendre possession, il aurait été emprisonné sans raison. Toutefois, il aurait été relâché une semaine plus tard, sans avoir été accusé, et aurait éventuellement récupéré sa maison.

 

[4]          En 2006, il aurait été convoqué par un tribunal traditionnel appelé Gacaca pour faire face à des accusations qu’il dit être le résultat d’un complot par les militaires tutsis pour lui reprendre sa maison. Il aurait été acquitté, puis accusé de nouveau. Suite à cette deuxième accusation, il a fui son pays pour le Canada.

 

[5]          Après qu’il eut présenté sa demande d’asile, des agents de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») se sont rendus au Rwanda pour se renseigner au sujet des accusations auxquelles le défendeur disait faire face. Ayant contacté les membres du Gacaca, ils ont établi que le tribunal n’avait pas de dossier au sujet du défendeur et ne l’aurait donc jamais convoqué. Le document établissant la convocation mis en preuve par le défendeur est apparemment un faux.

 

[6]          Cependant, le défendeur a témoigné que son récit sur la convocation par le Gacaca était vrai. Le tribunal a trouvé le témoignage du défendeur « direct et vraisemblable ». Il a pris en compte les tensions ethniques au Rwanda et a conclu que « la perception de partialité d’un tribunal composé principalement d’une des deux ethnies est raisonnable ». Le défendeur a soutenu que les autorités rwandaises auraient menti aux agents de la GRC.

 

[7]          Cependant, le tribunal a trouvé que « cette réponse ne réfute les allégations du Ministre que partiellement et ne permet pas de trancher sur la question de crédibilité ».

 

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[8]          Le tribunal a, tout d’abord, identifié la vengeance des militaires tutsis comme le motif de la crainte du défendeur. Or, la vengeance n’étant pas un motif de persécution reconnu par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention), le tribunal a conclu que l’article 96 de la Loi ne s’appliquait pas au défendeur et a examiné sa demande sur la base de l’alinéa 97(1)b).

 

[9]          N’étant pas arrivé à une conclusion quant à la crédibilité du défendeur et donc à la vérité de ses allégations, le tribunal a conclu que, quoi qu’il en soit, le défendeur est un « réfugié sur place », et donc une personne à protéger, à cause des actions des enquêteurs de la GRC. Ceux-ci ont révélé le nom du défendeur aux autorités rwandaises et leur ont montré l’avis de convocation dont ils doutaient de l’authenticité, « alors qu’il s’agit, aux yeux du demandeur, de ses agents persécuteurs ».

 

[10]      Se fondant sur la preuve documentaire sur le Rwanda, le tribunal a noté que les droits de la personne ne sont pas toujours respectés dans ce pays, que des citoyens peuvent être victimes d’arrestations arbitraires et que le gouvernement tente d’influencer les tribunaux, et particulièrement le Gacaca.

 

[11]      Le tribunal a conclu « qu’il est raisonnable de penser que les autorités s’en prendraient au demandeur qui ternit l’image du régime à l’étranger avec des documents douteux. Sa situation serait aggravée par le fait qu’il s’agit d’un Hutu face au régime Tutsi ».

 

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[12]      Le ministre reproche au tribunal d’avoir bâclé son processus décisionnel et d’avoir ainsi enfreint les exigences de l’équité procédurale en rendant une décision piètrement motivée, incohérente, inintelligible, et non fondée sur la preuve.

 

[13]      Je conviens avec le ministre que l’utilisation par le tribunal de la notion de « réfugié sur place » pour accorder une protection en vertu de l’article 97 de la Loi n’était pas, strictement parlant, appropriée, puisqu’elle est intimement liée à la notion de réfugié au sens de la Convention. La référence, au paragraphe 96 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, à la « crainte fondée de persécution », qui justifie la reconnaissance du statut de « réfugié sur place » à un demandeur le confirme.

 

[14]      Cependant, l’article 97 de la Loi ne dispose pas que les événements qui font croire qu’un demandeur d’asile serait exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité en cas de renvoi dans son pays d’origine doivent être survenus avant qu’il n’ait quitté ce pays. C’est pourquoi, à mon avis, le débat sur la notion de « réfugié sur place » n’est d’aucune conséquence pratique en l’espèce.

 

[15]      Le tribunal pouvait, s’il concluait que le défendeur serait exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité en cas de renvoi au Rwanda, lui reconnaître le statut de personne à protéger.

 

[16]      Cependant, pour le faire, le tribunal devait, comme le soutient le ministre, étudier attentivement le dossier et bien motiver sa décision. Il ne l’a pas fait.

 

[17]      L’analyse du tribunal sur l’impact de l’enquête menée par les agents de la GRC peut, au mieux, être qualifiée de sommaire. Le seul fait retenu par le tribunal est que les agents ont révélé l’identité du défendeur aux autorités rwandaises « alors qu’il s’agit aux yeux [de celui-ci] de ses agents persécuteurs ». Le tribunal ne dit pas si les autorités étaient déjà au courant de la situation du défendeur ou si les agents ont révélé le fait que celui-ci a présenté une demande d’asile au Canada. Or, une analyse de ces facteurs est déterminante pour la décision si le défendeur a été ou non mis en danger par les actions de la GRC (voir Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mbouko, 2005 CF 126, aux paragraphes 31 à 33).

 

[18]      De plus, je suis d’avis que le tribunal ne pouvait pas conclure que le défendeur subirait un risque pour sa sécurité ou sa vie sans avoir conclu soit qu’il avait été arbitrairement accusé, soit que les demandeurs d’asile renvoyés au Rwanda étaient plus susceptibles d’être poursuivis en justice ou menacés que les citoyens rwandais ordinaires. Dans l’un ou l’autre de ces cas, le tribunal pourrait conclure que le défendeur serait exposé au Rwanda à un risque « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas », comme le requiert le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi. Les motifs du tribunal ne démontrent aucunement que cette exigence législative est remplie dans le cas du défendeur.

 

[19]      Quant à la conclusion du tribunal voulant que le défendeur soit susceptible de ne pas être traité équitablement du fait de son origine hutue, je note, à l’instar du ministre, que le tribunal a pourtant conclu que l’article 96 de la Loi ne s’appliquait pas au défendeur, et donc que sa nationalité n’était pas un motif suffisant pour en faire un réfugié.

 

[20]      Ainsi, la conclusion du tribunal que le défendeur est une personne à protéger n’est pas transparente et intelligible. La Cour ne peut donc pas conclure qu’elle est raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

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[21]      Je suis  d’avis, pour les motifs qui précèdent, d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et d’ordonner qu’un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle étude complète du dossier du défendeur. 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 3 octobre 2008 est annulée et l’affaire est retournée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5616-08

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION c. Djuma HABIMANA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jocelyne Murphy                           POUR LE DEMANDEUR

 

Me Stéphanie Valois                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

 

 

 

 

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