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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100106

Dossier : IMM-2448-09

Référence : 2010 CF 11

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

SUGANTHAN SRIBALAGANESHAMOORTHY

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision du 18 mars 2009 rendue par l'agent des visas, Gregory Chubak, à Kuala Lumpur (Malaisie) (la décision), par laquelle celui-ci a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               Le demandeur est parrainé par un groupe de cinq personnes (G5). L'agent des visas a conclu que le demandeur ne répondait aux conditions associées à aucune des catégories de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Âgé de quarante-deux (42) ans, il vient du district de Jaffna dans le Nord du Sri Lanka. Il s'est enfui en Malaisie le 8 juin 2007 et s'y trouve depuis.

 

[4]               Le demandeur se dit victime du recrutement forcé par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) depuis le 14 janvier 1994. Le père du demandeur a versé de l'argent aux TLET pour que le demandeur n'ait pas à effectuer son service obligatoire. Le demandeur a tout de même déménagé chez son oncle à Vavuniya le 2 janvier 1997.

 

[5]               Le 8 mars 1997, un groupe de soldats sri-lankais ont arrêté le demandeur et l'ont torturé. Ils le soupçonnaient d'appartenir aux TLET. Les autorités ont libéré le demandeur après que l'oncle du demandeur eut versé un pot-de-vin. Un an plus tard, l'armé sri-lankaise a de nouveau arrêté le demandeur et lui a offert un poste à titre d'informateur.

 

[6]               Le demandeur a quitté pour Colombo le 20 mai 1999, comme le lui conseillait vivement son oncle. Les autorités sri-lankaises harcelaient régulièrement le demandeur; elles l'ont même une fois torturé alors qu’elles le détenaient par suite d'un attentat à la bombe survenu près de sa résidence. Le père du demandeur serait décédé le 27 décembre 1999 du stress occasionné par la situation du demandeur. Le 3 décembre 2003, l'armée sri-lankaise a à nouveau arrêté le demandeur, le soupçonnant d'appartenir aux TLET, et l'a torturé. Le demandeur a par la suite été libéré. Entre-temps, soit le 15 janvier 2004, le frère du demandeur serait mort parce qu’il s’inquiétait pour le demandeur.

 

[7]               Le 11 avril 2004, le demandeur est retourné à Jaffna et a mis sur pied un élevage avicole près de sa maison. Il a connu des difficultés sur le plan de la sécurité et du commerce en raison de la guerre civile sri-lankaise et de la fermeture de l'autoroute A9 à la circulation. Le demandeur a quitté Jaffna le 6 juin 2007 et est retourné à Colombo. Le service policier de Colombo a contraint celui-ci de se réinstaller brièvement à Trincomalee, mais il est revenu le lendemain. Le demandeur a décidé de s'enfuir en Malaisie le 8 juin 2007.

 

[8]               Le 28 janvier 2008, un groupe de cinq personnes (G5) a présenté une demande en vue de parrainer le demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention outre-frontières ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontières. Le demandeur a présenté une demande de statut de réfugié le 29 mai 2008. Dans sa demande, il a déclaré qu'il ne détenait pas de permis de travail en Malaisie.

 

[9]               L'agent des visas a conclu que, même si le demandeur venait d'une zone de conflit, il pouvait néanmoins [traduction] « se déplacer librement, sans difficulté ou persécution ». De même, le demandeur pouvait se déplacer à l'intérieur et à l'extérieur de Colombo. L'agent a conclu que le demandeur n'avait pas justifié son affirmation selon laquelle les TLET et l'armée sri-lankaise l'avaient tous les deux pris en cible. De plus, les difficultés qu'éprouvait le demandeur se limitaient à un manque de possibilités économiques. L'agent des visas a tiré une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur du fait que ce dernier n'a pas reconnu avoir précédemment soumis une demande de résidence permanente au Canada en 2005. Il a tiré une autre inférence négative concernant la crédibilité du demandeur du fait que ce dernier n'était pas en mesure d'expliquer pourquoi il affirmait être agriculteur dans la demande qu’il a présentée en 2005, et camionneur dans sa revendication du statut de réfugié.

 

A.        Nouveaux éléments de preuve

 

[10]           Le demandeur n'a pas déposé d'affidavit. Un des répondants du demandeur, M. Nakarajah Thilliampalam, a plutôt déposé l'affidavit sur lequel repose le dossier de la demande. Bien que la Cour n’approuve pas une telle démarche, elle peut statuer sur une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'affidavit d'un tiers : Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 110, [2004] A.C.F. no 109 (QL), d'après le juge Michel Beaudry, au paragraphe 10.

 

[11]           Le déposant rappelle les mesures prises par le répondant pour parrainer le demandeur. Toutefois, il décrit de manière détaillée la persécution dont faisait l’objet le demandeur et ses multiples fuites à l'intérieur de son pays. Le déposant signale les points importants suivants aux paragraphes 19, et 22 à 28 :

[traduction]

19.       Contrairement aux affirmations et conclusions du conseiller en immigration, Gregory Chubak, du Haut-commisariat du Canada à Kuala Lumpur, le demandeur n'a jamais déclaré que ses difficultés au Sri Lanka se limitaient à des « possibilités économiques ».

 

[…]

 

22.       Pendant l'entrevue du demandeur avec le conseiller en immigration, le 19 mars 2009, ce dernier lui a demandé s'il était possible qu'il ait présenté une demande d'immigration au Canada en 1995.

 

23.       Cette question a troublé notre neveu puisqu'il avait en fait déjà demandé le statut de résident permanent au Canada, mais en 2005 et pas en 1995.

 

24.       Les renseignements fournis par notre neveu étaient, dans l'ensemble, tout à fait cohérents. Il était agriculteur dans les années 1990. De 2002 à 2004, il était camionneur et a habité à Colombo, ainsi que dans le Nord et dans l'Est du pays.

 

25.       D'après les renseignements fournis par notre neveu, il est clair qu'il se déplaçait régulièrement pour éviter que les forces de sécurité nationale ainsi que les TLET le harcèlent davantage.

 

26.       Il n'y avait essentiellement aucune contradiction avec sa demande précédente de résidence permanente au Canada, qu'il a reconnu avoir présentée en 2005 après le tsunami.

 

27.       En fait, c’est le conseiller en immigration, et non le demandeur qui s’est trompé en faisant allusion à une demande d'immigration antérieure présentée en 1995, erreur qu’il a par la suite utilisée pour mettre en doute la crédibilité du demandeur.

 

28.       De plus, notre neveu a dit expressément au conseiller en immigration qu'il avait subi des pressions pour se joindre aux TLET et que notre famille avait connu de nombreux problèmes avec les TLET.

 

[12]           À mon avis, les déclarations figurant dans ces paragraphes constituent du ouï-dire. Le déposant peut formuler des observations en se fondant sur des renseignements et des opinions, mais lorsque l'affidavit ne repose pas sur la connaissance personnelle, « toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier » (Sarmis, précitée, au paragraphe 10; Turcinovica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 164, [2002] A.C.F. no 216 (QL), aux paragraphes 12-14; Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 55 (QL) le juge Décary au paragraphe 15).

 

II.         Norme de contrôle judiciaire

 

[13]           La norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, tandis que les autres questions commandent l'application de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les juges Bastarache et LeBel, au paragraphe 34; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, au paragraphe 59). Au paragraphe 59 de l'arrêt Khosa, précité, la norme de la raisonnabilité est exposée comme suit :

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue

en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[14]           En l'espèce, la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la raisonnabilité. Toutefois, les questions d'équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 243 N.R. 22.

 

III.       Dispositions législatives pertinentes

 

[15]           L'article 96 de la LIPR confère la qualité de réfugié à certaines personnes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[16]           L'article 97 de la LIPR confère la qualité de personne à protéger aux personnes qui sont exposées personnellement au risque de subir un préjudice :

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

[17]           Les articles 144 et 145 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR), D.O.R.S./2002-227, énoncent les conditions applicables à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières :

Catégorie

 

 

144. La catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

 

Qualité

 

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

Convention refugees abroad class

 

144. The Convention refugees abroad class is prescribed as a class of persons who may be issued a permanent resident visa on the basis of the requirements of this Division.

 

 

 

Member of Convention refugees abroad class

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

[18]           Le paragraphe 146(1) et l'article 147 de la LIPR énoncent les conditions applicables à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières :

Personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières

 

146. (1) Pour l’application du paragraphe 12(3) de la Loi, la personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention appartient à l’une des catégories de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières suivantes :

 

a) la catégorie de personnes de pays d’accueil;

 

 

b) la catégorie de personnes de pays source.

 

[…]

 

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

 

Humanitarian-protected persons abroad

 

146. (1) For the purposes of subsection 12(3) of the Act, a person in similar circumstances to those of a Convention refugee is a member of one of the following humanitarian-protected persons abroad classes:

 

(a) the country of asylum class; or

 

 

 

(b) the source country class.

 

[…]

 

 

Member of country of asylum class

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

IV.       Questions à trancher

 

[19]           Le demandeur soulève les points suivants :

 

(a)        L'agent des visas a commis une erreur de droit en rapportant de manière inexacte des parties critiques de la preuve du demandeur;

 

(b)        L'agent des visas a commis une erreur en omettant d'aviser adéquatement le demandeur de son droit de soumettre de la preuve documentaire corroborant sa crainte d'être persécuté au Sri Lanka, ainsi que de ses propres doutes concernant cette question clé;

 

(c)        La preuve documentaire se rapportant à l’état des droits de la personne au Sri Lanka. Les conclusions essentielles de l'agent des visas ne reposent pas sur un fondement probatoire clair et, dans certains cas, sont tout simplement erronées. L'agent des visas a effectué une analyse [traduction] « hautement sélective » de la documentation objective sur la situation dans le pays en cause.

 

A.        L'agent des visas a commis une erreur de droit en rapportant de manière inexacte des parties critiques de la preuve du demandeur

 

[20]           Le demandeur soutient que l'agent des visas a rapporté de manière inexacte quatre (4) éléments de preuve et que ces erreurs font en sorte que la décision est déraisonnable.

 

[21]           Premièrement, l'agent des visas aurait troublé le demandeur en lui demandant de fournir des précisions sur une demande de résidence permanente soumise en 1995. En fait, la demande avait été présentée en 2005, mais les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indiquaient 1995 à l'endroit où est transcrite la question d'entrevue. Par la suite, les notes du STIDI faisaient renvoi à l'année 2005.

 

[22]           Deuxièmement, l'agent des visas a rapporté de manière inexacte les professions du demandeur et a tiré de manière déraisonnable une inférence négative concernant la crédibilité du demandeur en raison de son supposé manque de clarté sur cette question. Le demandeur soutient qu'il ressortait clairement de la preuve que sa profession principale était agriculteur, mais qu'en raison du harcèlement que lui faisaient subir les TLET et les forces de sécurité nationale, il s’était vu contraint de travailler dans divers domaines, et au moins une fois comme chauffeur.

 

[23]           Troisièmement, l'agent des visas a rapporté la preuve de manière inexacte quand il a conclu que le demandeur [traduction] « n'a jamais été invité à se joindre aux TLET et se déplaçait librement à l'intérieur du pays ». Le demandeur soutient que les renseignements dont disposait l'agent démontraient que les TLET avaient tenté de le recruter. De plus, qualifier les nombreuses fuites du demandeur de [traduction] « liberté de circulation et de mouvement » reflète une compréhension superficielle et inexacte des renseignements fournis par le demandeur.

 

[24]           Enfin, l'agent des visas aurait tiré une conclusion de fait abusive, arbitraire et déraisonnable en déterminant que les difficultés du demandeur étaient attribuables à des [traduction] « possibilités économiques restreintes ». Le demandeur fait valoir que l'agent des visas n'a jamais tenté de lui présenter cette théorie.

 

[25]           Le demandeur se fonde sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (QL), 99 N.R. 168 (C.A.F.), dans lequel le juge James Hugessen a conclu, à la page 209, qu'un tribunal ne devrait pas « manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent demandeur, témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective ». Toute conclusion défavorable quant à la crédibilité qui reposerait sur un tel raisonnement ne saurait être confirmée. De même, mettre l'accent sur des omissions mineures dans le témoignage d'un demandeur est une erreur susceptible de révision : Lebbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 564, 148 A.C.W.S. (3d) 626, la juge Judith Snider, au paragraphe 10. Le demandeur se fonde aussi sur la définition du terme « conclusion de fait arbitraire », formulée brièvement par le juge William McKeown dans Rajapakse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 649, 41 A.C.W.S. (3d) 39041 A.C.W.S. (3d) 390, au paragraphe 3 :

[3]        Pour que l'erreur imputée soit effectivement passible de révision, il faut que la conclusion de fait soit tout à fait mal fondée. Il doit s'agir d'une conclusion capricieuse ou contraire à la preuve présentée et il faut que, comme l'a précisé l'arrêt Rohm-Haas Can. Ltd. c. Anti Dumping Tribunal, la décision soit elle-même fondée sur cette conclusion injustifiée. […]

 

[26]           Étant donné que le demandeur a omis de présenter son propre affidavit, la Cour doit se borner à relever les erreurs manifestes au vu de la décision : voir Sarmis, précitée; Turcinovica, précitée, aux paragraphes 12 à 14; et Moldeveanu, précitée, au paragraphe 15.

 

[27]           La première erreur alléguée a trait à la conclusion négative concernant la crédibilité du demandeur, parce que celui-ci n’a pas été en mesure de donner des précisions sur sa demande antérieure de résidence permanente. Selon l'affidavit de M. Thilliampalam, l'agent des visas a fait renvoi à une demande de 1995, ce qui a déconcerté le demandeur. M. Thilliampalam n'a pas assisté à l'entrevue. Par contre, l'agent des visas a présenté un affidavit dans lequel il explique que le renvoi à une demande de 1995 dans le STIDI était en fait une coquille et qu'il a expressément posé des questions au demandeur sur sa demande de résidence permanente présentée en 2005, laquelle a été rejetée. Les explications de l'agent des visas sont vraisemblables et sont corroborées par la déclaration sous serment d'une personne ayant une connaissance directe des événements en cause. À mon avis, il faut préférer la version de l’agent des visas quant au déroulement de l'entrevue aux renseignements obtenus de manière indirecte par M. Thilliampalam et dont celui­ci fait état dans son affidavit. Ayant conclu que le demandeur a été interrogé au sujet de sa demande de résidence permanente présentée en 2005, j’estime que l'agent des visas a raisonnablement tiré une inférence négative concernant sa crédibilité du demandeur parce que ce dernier n'a pu répondre aux questions.

 

[28]           La deuxième erreur alléguée a trait aux professions du demandeur. L'agent des visas affirme dans la lettre de décision que le demandeur n'a pas pu concilier les divergences qui existeraient entre les antécédents professionnels fournis dans sa demande de résidence permanente présentée en 2005 et ceux fournis dans sa revendication actuelle de statut de réfugié. Le demandeur soutient qu'il n'y avait pas de divergences à concilier. Il ne s'agit pas ici de savoir s'il existe ou non des divergences entre les antécédents professionnels fournis par le demandeur. Il s’agit de déterminer si l'agent des visas a raisonnablement tiré une inférence négative concernant la crédibilité du demandeur à cause du silence de ce dernier. Le silence d'une personne interrogée peut être un motif valable de mettre en question sa crédibilité : Matti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1561, 144 A.C.W.S. (3d) 138, le juge Konrad Von Finckenstein, au paragraphe 9. Il n'appartient pas au demandeur d’expliquer les questions de l'agent des visas à l'étape du contrôle judiciaire. À mon avis, il était raisonnable pour l'agent des visas de tirer une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur à partir du silence de ce dernier.

 

[29]           La dernière question porte sur l'élément central de la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur, soit les efforts des TLET en vue de le recruter et la liberté de mouvement dont il jouissait durant les années de guerre civile au Sri Lanka, ce qui a poussé l'agent des visas à conclure que les difficultés du demandeur découlaient de ses [traduction] « possibilités économiques restreintes ». Le raisonnement de l'agent des visas à cet égard se

 

 

trouve dans les notes du STIDI. Je cite les extraits pertinents ci-dessous :

[traduction]

Il semble que le DP ait été en mesure d'habiter à Colombo et de se déplacer assez aisément dans le Nord du pays, et il n'est pas en mesure d’indiquer, à part des généralités, à quels actes de persécution il aurait été exposés.

 

[30]           D'après les notes du STIDI, l'agent des visas a posé au demandeur des questions précises sur ses déplacements au Sri Lanka, la persécution qu'il avait subie et les prétendus efforts déployés par les TLET pour le recruter :

[traduction]

Vous a-t-on déjà persécuté au Sri Lanka? En 1994 et 1995, on a exercé des pressions sur moi pour que je me joigne aux TLET.

 

Vous a-t-on forcé à vous engager? Non, je me suis pas engagé [...]

 

Je constate que, depuis une dizaine d'années, vous avez surtout vécu à Colombo plutôt que dans le Nord du pays? Oui, et pendant que je travaillais comme camionneur, j'ai pu me déplacer régulièrement.

 

Encore une fois, pourriez-vous m'indiquer si on vous a déjà persécuté au Sri Lanka? J'estime avoir été ciblé par les deux camps.

 

Pourriez-vous expliquer? Les TLET voulaient que je me joigne à eux et Colombo n'est pas un endroit sûr pour un Tamoul.

 

[31]           Le demandeur recommande vivement à la Cour de conclure que l'agent des visas a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il était victime de harcèlement, ce qui explique ses déplacements à l'intérieur du pays. Toutefois, le récit du demandeur lui-même ne fait état d'aucun harcèlement pendant qu’il habitait dans le Nord du pays et empruntait régulièrement l'autoroute A6 pour l'approvisionnement de son élevage avicole. Le seul acte de harcèlement au cours de cette période est l'absence de paiement pour les volailles confisquées par l'armée, ainsi que les problèmes d'approvisionnement que le demandeur a connus à la suite de la fermeture de l'autoroute A6. L'agent des visas a reconnu que le demandeur avait été victime des TLET, mais il a raisonnablement conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas corroborées. De même, la plupart des renseignements ne donnent aucun exemple précis de harcèlement dont aurait victime le demandeur au cours des dernières années où il a vécu au Sri Lanka. En l’espèce, la preuve est insuffisante pour fonder une revendication du statut de réfugié. Par conséquent, la conclusion de l'agent des visas que le demandeur était un migrant économique était raisonnable compte tenu des faits dont il a été saisi.

 

B.         L'agent des visas a commis une erreur en omettant d'aviser adéquatement le demandeur de son droit de soumettre de la preuve documentaire corroborant sa crainte d'être persécuté au Sri Lanka, ainsi que de ses propres doutes concernant cette question clé

 

[32]           Le demandeur soutient que l'agent des visas a manqué à son obligation d'équité procédurale parce qu’il ne s’est pas penché sur la question des personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur au Sri Lanka, ce qu’il aurait pu faire en examinant la documentation objective sur la situation du pays en cause. D'après le demandeur, la jurisprudence de la Cour indique qu'il faut accorder la qualité de réfugié lorsque le demandeur peut démontrer que sa crainte de persécution est ressentie par des personnes dans une situation semblable : Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1125, [2007] 3 R.C.F. 400, le juge Luc Martineau, aux paragraphes 14 à 16.

 

[33]           Le demandeur soutient que l'agent des visas avait l’obligation de l'aviser des lacunes de sa demande. Il a présenté plusieurs décisions à l'appui de cet argument, mais toutes vont dans le sens contraire. Contrairement aux prétentions du demandeur, dans Gedeon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1245, 41 Imm. L.R. (3d) 206, le juge James Russell, la Cour a statué au paragraphe 101 que le fardeau de présentation incombe au demandeur :

[101]    Bien que la demanderesse ait le fardeau de démontrer qu'elle réunit les conditions requises pour entrer au Canada, cela ne dispense pas l'agent de l'obligation d'agir équitablement. Notre Cour a déclaré à de nombreuses reprises que, même si un décideur n'est pas tenu de se reporter explicitement à chacun des éléments de preuve dont il a été saisi et qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'il a tirée, ni d'analyser chacun de ceux-ci, « cela dépend beaucoup de la pertinence et de la force de la preuve ainsi que de l'importance pour la décision finale relative au fait auquel se rapporte la preuve », pour reprendre les termes du juge Rouleau dans Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1518 (1re inst.).

 

[34]           Selon la jurisprudence, l'agent des visas n’est pas tenu d'aviser le demandeur qu'il peut soumettre des renseignements objectifs sur la situation dans le pays en cause : Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38, 318 N.R. 300, au paragraphe 8. Par conséquent, ce motif de révision doit être rejeté.

 

C.        La preuve documentaire se rapportant à la situation des droits de la personne au Sri Lanka. Les conclusions essentielles de l'agent des visas ne reposent pas sur un fondement probatoire clair et, dans certains cas, sont tout simplement erronées. L'agent des visas a effectué une analyse [traduction] « hautement sélective » de la documentation objective sur la situation dans le pays en cause.

 

[35]           Le demandeur soutient que l'agent des visas a omis d'étayer sa décision. Il invoque de nombreuses décisions, qui sont toutes résumées dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), rendue par le juge John Evans, qui était à l'époque à la Section de première instance de la Cour fédérale; voici un paragraphe souvent cité de cette décision :

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[36]           Le demandeur soutient que l'omission par l'agent des visas de mentionner des renseignements importants sur la situation au pays en cause est fatale, puisqu'il aurait dû apprécier le dossier du demandeur en tenant compte de la preuve relative à des personnes se trouvant dans des situations semblables au Sri Lanka. Il n'est pas nécessaire d'examiner davantage les conclusions de fait tirées par l'agent des visas puisqu’elles ont déjà fait l'objet d'un exposé détaillé dans la première section.

 

[37]           La présente demande est dépourvue de fondement parce que l'agent des visas était uniquement tenu de s’appuyer sur les documents que le demandeur lui avait présentés. Il est illogique de s'attendre à ce que l'agent des visas fasse mention de la documentation objective sur la situation au pays alors qu’elle ne lui a pas été soumise. Ce n’est pas parce que certains documents sur la situation au pays pourraient étayer la cause du demandeur que l'agent des visas doit chercher à obtenir cette preuve et la présenter au nom du demandeur.

 

[38]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n'a proposé de question à certifier, et l'affaire ne soulève aucune question d'importance générale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2448-09           

 

INTITULÉ :                                       SRIBALAGANESHAMOORTHY

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 2 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JANVIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

(416) 413-4955

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

(416) 973-2314

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert I. Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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