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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100105

Dossier : IMM-1850-09

Référence : 2010 CF 8

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

XIA FENG SHI

(alias XIAFENG SHI)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine qui est arrivé au Canada en mai 2007 muni d’un visa d’étudiant et a par la suite demandé l’asile. Bien qu’il soit né dans la province du Fujian, le demandeur a vécu à Shanghai avant de venir au Canada. Sa demande était fondée sur sa crainte d’être persécuté pour des motifs religieux. Le demandeur a prétendu qu’il fréquentait une maison‑église à Shanghai (Chine), où il a pratiqué la religion chrétienne pendant les deux années qui ont précédé son arrivée au Canada. Après son arrivée au Canada, il a appris que son groupe religieux avait été découvert et avait fait l’objet d’une descente.

[2]               Dans une décision datée du 13 mars 2009, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande du demandeur. Bien que la Commission ait conclu que le demandeur pratiquait la religion chrétienne dans une maison‑église et qu’il a continué à pratiquer sa religion au Canada, elle n’a pas été convaincue que la maison‑église du demandeur a été ou serait découverte et a fait ou ferait l’objet d’une descente. De plus, la Commission semble avoir conclu que le demandeur pourrait pratiquer la religion chrétienne dans une église enregistrée.

 

[3]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Il ne fait aucun doute que la décision de la Commission appelle une grande retenue. Néanmoins, même la norme de la décision raisonnable exige la présence des attributs de la raisonnabilité que sont la « justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[5]               La question déterminante consiste à savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle la petite maison-église du demandeur n’a pas pu faire l’objet d’une descente était raisonnable. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la décision comporte les éléments essentiels d’une décision raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[6]               Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission, sans se soucier de la crédibilité, a accepté que le demandeur pratiquait la religion chrétienne dans une maison‑église qu’il fréquentait en Chine et qu’il a continué de pratiquer la religion chrétienne au Canada. La Commission s’est ensuite demandée s’il était crédible que l’église du demandeur ait été découverte et fait l’objet d’une descente. Dans le cadre de cette analyse, la Commission a tenu compte de l’importance de l’église et du rôle peu important joué par le demandeur.

 

[7]               En ce qui concerne l’importance de l’église, le paragraphe suivant renferme l’essentiel de l’analyse de la Commission :

Le demandeur d’asile a affirmé qu’il fréquentait une maison-église qui comptait tout au plus 14 membres. Le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, une maison-église ayant si peu de membres n’aurait pas fait l’objet d’une descente. La documentation indique que le sort réservé aux maisons-églises varie selon les régions. Même si l’application du règlement sur la religion est plus sévère dans les régions urbaines comme Shanghai, selon le Département d’État des États-Unis, en général, quelques dizaines de membres ou moins participent aux rencontres des églises domiciliaires dans les centres urbains. La preuve documentaire souligne qu’aucune descente n’est faite dans le cas de petits groupes d’amis ou de membres d’une famille qui se réunissent dans une résidence pour prier et étudier la Bible.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               On ne sait trop pourquoi on fait mention de Shanghai dans le paragraphe susmentionné. La Commission voulait‑elle dire que, sauf à Shanghai, les petites maisons‑églises sont tolérées? Ou, la Commission voulait‑elle dire que, même si l’application des règlements est plus rigoureuse dans les grands centres urbains, les petits groupes de pratique religieuse célébrée à domicile sont tolérés à Shanghai? Si la première interprétation possible est juste, la Commission a mal interprété la prétention du demandeur selon laquelle il pratiquait sa religion à Shanghai et qu’il y retournerait – et pas ailleurs, où la tolérance religieuse est peut‑être plus grande. Il s’agirait là d’une erreur de fait grave. Comme il est toujours important de lire une décision dans sa totalité, je me penche sur le reste de la décision pour voir si, en effet, la Commission avait compris que l’église du demandeur était située à Shanghai et non ailleurs en Chine.

 

[9]               Dans toute la décision, on ne fait que très peu mention de Shanghai. Dans le résumé des allégations (à la page 1 de la décision), la Commission souligne que le demandeur vivait à Shanghai. L’analyse de la question de savoir si le demandeur pratiquait la religion chrétienne à titre de membre d’une maison‑église ne fait aucune mention explicite de Shanghai. La seule autre mention de Shanghai figure à la page 4 de la décision où la Commission mentionne que « [l]es rencontres avaient lieu à quatre endroits différents de Shanghai ».

 

[10]           Par contre, la décision comprend une mention explicite de la province du Fujian. À la page 5 de la décision, la Commission affirme ce qui suit :

La preuve documentaire est considérée comme fiable et probante et fournit au tribunal des détails lui permettant d’avoir une connaissance approfondie de la situation des protestants dans la province du Fujian.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Le défendeur prétend que la mention par la Commission de la province du Fujian n’était qu’une simple erreur et que le reste de la décision traduit l’analyse faite par la Commission de la situation à Shanghai. Je ne suis pas convaincue qu’il s’agissait d’une simple erreur d’écriture. Contrairement aux affirmations du défendeur, il ne ressort pas clairement du reste de la décision si la Commission avait à l’esprit Shanghai ou la province du Fujian. Ce problème est particulièrement grave en l’espèce parce que la preuve documentaire semble démontrer que les autorités de la province du Fujian font preuve de plus de tolérance à l’égard des églises chrétiennes clandestines qu’ailleurs en Chine.

 

[12]           L’erreur susmentionnée fait preuve d’un manque de diligence dans le cadre du traitement de la présente affaire et elle me fait douter de la présence exigée des attributs de la raisonnabilité que sont la « justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel ». La décision de la Commission suscite d’autres réserves qui pourraient justifier l’intervention de la Cour. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de discuter des autres réserves, car une seule erreur grave est suffisante pour que la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, toutefois, je vais illustrer brièvement une autre faiblesse dans la décision de la Commission.

 

[13]           Selon moi, la décision est le reflet d’une utilisation sélective de la preuve documentaire. Par exemple, renvoyant au rapport 2007 du Département d’État des États-Unis sur la liberté de religion en Chine, la Commission a déclaré, à la page 3 de sa décision: que « [l]a preuve documentaire souligne qu’aucune descente n’est faite dans le cas de petits groupes d’amis ou de membres d’une famille qui se réunissent dans une résidence pour prier et étudier la Bible ». Si nous retournons à la source documentaire, cette déclaration semble être prise hors contexte. En effet, dans le même rapport du Département d’État des États-Unis, il est écrit ce qui suit à la page 5 :

[traduction]

 

[…] les groupes d’amis ou de membres d’une famille qui se réunissent dans une résidence pour prier et étudier la Bible sont licites et n’ont pas à être enregistrés. L’AEAR [Administration d’État pour les Affaires religieuses] n’a pas défini publiquement les termes « famille et amis ». Les maisons‑églises affirment que les autorités locales ont souvent perturbé les réunions d’amis ou de membres d’une famille dans des résidences privées et arrêté les participants au motif qu’ils participaient à des rassemblements interdits.

 

[14]           L’incertitude concernant la région de la Chine prise en compte par la Commission pour évaluer le dossier du demandeur et les problèmes dans le traitement de la preuve sont des erreurs suffisamment graves pour que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

[15]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué de la Commission;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1850-09

 

INTITULÉ :                                       XIA FENG SHI (XIAFENG SHI)

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 5 JANVIER 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDER

Adrienne Rice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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