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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date :  20100121

Dossier :  T-1726-08

Référence :  2010 CF 69

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

AMADOU BALIO BAH

et NENE IDIATOU BAH

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Pour les fins de la demande de citoyenneté, il est reconnu que le fait d’occuper un emploi à l’étranger, même pour une entité canadienne, ou même liée à une entité canadienne, n’est pas une justification acceptable de ces absences, sans preuve étayée, en ce qu’il s’agit d’un choix conscient et non d’un fait indépendant de la volonté des demandeurs (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tarfi, 2009 CF 188, [2009] A.C.F. no 244 (QL) aux par. 8-9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hussein, 2008 CF 757, 330 F.T.R. 166; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 47, 145 A.C.W.S. (3d) 379).

II.  Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision, rendue le 10 septembre 2008, par Citoyenneté et Immigration Canada, rejetant la demande de citoyenneté présentée par les demandeurs, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (Loi).

 

[3]               Conformément à l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), les appels en matière de citoyenneté sont déposés à titre de demandes et sont assujettis aux articles 300 et suivants des Règles.

 

III.  Faits

[4]               Les demandeurs, monsieur Amadou Balio Bah et madame Nene Idiatou Bah, sont citoyens de la République de Guinée et sont arrivés au Canada en août 1991 à titre de résidents temporaires (Dossier de citoyenneté (DC) aux pp. 1, 8, 46 et 49).

 

[5]               Ils sont devenus résidents permanents les 5 et 7 juillet 2002 et ont demandé la citoyenneté canadienne le 28 novembre 2004 (DC aux pp. 7 et 14).

 

[6]               Les demandeurs ont été convoqués et ont comparu devant le juge de la citoyenneté, le 9 juin 2008. À ce moment, madame Idiatou Bah et monsieur Balio Bah totalisaient respectivement 426 et 427 jours de présence physique au Canada entre le 28 novembre 2000 et le 28 novembre 2004 (DC aux pp. 23 et 28). La période de référence est donc du 28 novembre 2000 au 28 novembre 2004.

[7]               Leurs demandes de citoyenneté ont été rejetées conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi car ceux-ci n’ont pas démontré qu’ils remplissaient les conditions relatives à la résidence.

 

[8]               En effet, à compter du 18 novembre 2002 et ce, jusqu’à la date de leurs demandes de citoyenneté, le demandeur a choisi d’occuper un emploi pour une organisation non gouvernementale canadienne au Sénégal. La demanderesse ainsi que les deux enfants du couple ont choisi d’habiter avec le demandeur au Sénégal.

 

IV.  Point en litige

[9]               Le juge de citoyenneté a-t-il erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils remplissaient les conditions relatives à la résidence au sens de l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

V.  Analyse

[10]           La Cour est d’accord avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas démontré que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit ou de fait susceptible d’être révisée par cette Cour dans sa décision de leur refuser la citoyenneté canadienne.

 

A.  Disposition législative applicable

[11]           Le paragraphe 5(1)c) de la Loi se lit comme suit :

5.      (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui à la fois :

 

[...]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

 

 

 

            B.  Décision du juge de la citoyenneté

[12]           Il est maintenant reconnu, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, que la décision d’un juge de la citoyenneté quant à la notion de résidence doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Tarfi, ci-dessus; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ntilivamunda, 2008 CF 1081, 302 D.L.R. (4th) 345 au par. 5).

 

[13]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a refusé d’accorder la citoyenneté aux demandeurs parce que ceux-ci ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer, conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, qu’ils remplissaient les conditions relatives à leur présence physique au Canada (El Fihri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1106, 147 A.C.W.S. (3d) 745 au par. 12; Malevsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1148, 120 A.C.W.S. (3d) 11).

 

[14]           Dans son évaluation de la notion de résidence, le juge de la citoyenneté pouvait adopter l’une ou l’autre des trois approches suivantes :

[10]      La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

 

[11]      Je suis d'accord pour l'essentiel avec le juge James O'Reilly lorsqu'il écrit, au paragraphe 11 de la décision Nandre, précitée, que le premier critère exige la présence physique, alors que les deux autres nécessitent un examen plus qualitatif :

 

Manifestement, la Loi peut être interprétée de deux manières, l'une exigeant une présence physique au Canada pendant trois ans sur un total de quatre, et l'autre exigeant moins que cela, pour autant que le demandeur de citoyenneté puisse justifier d'attaches étroites avec le Canada. Le premier critère est un critère physique et le deuxième un critère qualitatif.

 

(La Cour souligne).

 

(Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 698, 158 A.C.W.S. (3d) 879; également, Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, 87 A.C.W.S. (3d) 432 (1re inst.)).

 

[15]           Dans le cas présent, le juge de la citoyenneté a opté pour l’approche la plus favorable aux demandeurs, choisissant d’utiliser les critères établis dans l’affaire Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, 59 F.T.R. 27 (1re inst.). Pour ce faire, il a soupesé les six facteurs suivants et pour chacun d’eux, a fait part de la preuve pertinente et de ses conclusions :

a.       Les demandeurs étaient-ils physiquement présents au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de leurs demandes de citoyenneté?

b.      Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) des demandeurs?

c.       La forme de la présence physique des demandeurs au Canada dénote-t-elle que ceux-ci reviennent dans leur pays ou qu’ils ne sont plutôt qu’en visite?

d.      Quelle est l’étendue des absences physiques des demandeurs (lorsqu’il ne manque que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

e.       Les absences physiques sont-elles imputables à une situation manifestement temporaire (par exemple pour avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger?

f.        Quelle est la qualité des attaches des demandeurs avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

1)  Durée de la présence des demandeurs au Canada avant le dépôt de leur demande

 

[16]           Avant de déposer leur demande, les demandeurs se sont absentés 741 jours du Canada.

 

[17]           Par ailleurs, le juge de la citoyenneté a reconnu que ceux-ci habitaient au Canada depuis 1991, y sont arrivés à titre d’étudiants et ont obtenu leur statut de résidents permanents en juillet 2002.

 

[18]           Le juge de la citoyenneté a également constaté que les demandeurs habitaient déjà au Sénégal au moment du dépôt de leurs demandes de citoyenneté (DC à la p. 23).

 

[19]           De plus, le juge de la citoyenneté a noté que le demandeur avait choisi de travailler à l’étranger à compter de novembre 2002 pour une entreprise canadienne et qu’il occupait toujours cet emploi au moment de l’évaluation de sa demande (DC aux pp. 25 et 29). La demanderesse avait pour sa part choisi d’accompagner le demandeur au Sénégal (madame Idiatou Bah travaille également aux mêmes fins au Sénégal que son mari).

 

                  2)  Absence de famille au Canada

[20]           Quant au deuxième critère, le juge de la citoyenneté a constaté que les demandeurs et leurs deux enfants canadiens habitent tous au Sénégal.

 

[21]           De plus, la demanderesse a admis qu’elle et le demandeur avaient laissé leur appartement pour partir à l’étranger et ne possédaient aucun bien meuble au Canada et qu’aucun membre de leurs familles n’y habite (DC aux pp. 25 et 29)

 

[22]           Les demandeurs ne satisfaisaient donc pas ce critère.

 

      3)  Présence au Canada dénote que les demandeurs ne sont qu’en visite

[23]           Les demandeurs n’ont soumis aucune preuve quant aux dates de leurs retours au Canada depuis leur départ en novembre 2002.

 

[24]           Le juge de la citoyenneté a également constaté que les demandeurs ne possédaient aucun pied-à-terre au Canada (leur maison acquise avant le dépôt de leur demande de citoyenneté étant louée) et aucune famille. Bien qu’aucune preuve n’ait été produite par les demandeurs à cet égard, il appert que la demanderesse est retournée au Canada en 2004 afin de donner naissance à son deuxième enfant, pour ensuite retourner au Sénégal.

[25]           Les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient des liens sociaux avec le Canada. Or, ils n’ont pas étayer leurs allégations (à leur début de preuve) à l’effet qu’ils ont créé et œuvré à l’intérieur d’une organisation à but non lucratif chargée de favoriser les échanges entre le Canada et le continent africain et, également, participé au « Lions club – Montréal au service de l’enfance ».

 

[26]           Les demandeurs n’ont donc aucun lien social réel avec le Canada.

 

[27]           Conséquemment, le juge de la citoyenneté a conclu que les demandeurs n’avaient « pas démontré d’aucune façon que [leurs] retours au Canada étaient des retours à [leur] foyer » (DC aux pp. 25 et 29).

 

      4)  Importantes absences physiques

[28]           En ce qui concerne le quatrième critère, soit l’étendue de la présence physique au Canada (nombre de jours d’absence par opposition au nombre de jours de présence), le juge de la citoyenneté a noté que les demandeurs ont passé 427 (426 jours pour la demanderesse; DC à la p. 29) jours au Canada durant la période en cause, contre 741 jours à l’étranger.

 

[29]           Considérant que les demandeurs habitent à l’extérieur du Canada depuis novembre 2002, ceux-ci n’ont d’aucune façon centralisé leur mode de vie au Canada, et ne vivent pas « habituellement, normalement ou régulièrement » :

[7]        Plus particulièrement, je considère que même si le juge de la citoyenneté a erré dans le calcul du nombre de jours d'absence du demandeur (il a mentionné 942 jours), cette erreur est insignifiante, le demandeur lui-même ayant indiqué, dans sa demande de citoyenneté, avoir été absent pendant 864 jours en raison de son travail à l'étranger. Le demandeur n'ayant été présent au Canada que pendant 596 jours pendant la période de référence, il était loin de rencontrer la période de résidence minimale prescrite de 1 095 jours, ce qui était suffisant pour permettre au juge de la citoyenneté de raisonnablement refuser sa demande.

 

[8]        En effet, dans Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259, à la page 260, le juge Muldoon, énonce les objectifs sous-tendant l'alinéa 5(1)c) de la Loi :

 

. . . vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » . Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifiera que la citoyenneté peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses [...]

 

(La cour souligne).

 

(Abderrahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1486, 139 A.C.W.S. (3d) 810).

 

[30]           Comme le rappelait la Cour dans l’affaire Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 700, 139 A.C.W.S. (3d) 433 :

[15]      Le Parlement a bien précisé qu'un demandeur de la citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant « au moins » trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Quant au sens de « résider » , celui-ci n'est pas défini en propre au paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté. Cela étant, il est assurément juste de dire que le fait que l'alinéa 5(1)c) autorise jusquun an d'absence au cours des quatre années qui précèdent la demande de citoyenneté crée une forte inférence que la présence du demandeur au Canada au cours des trois autres années retenues doit être prolongée [...]

 

[31]           De plus, dans des circonstances similaires, la présente Cour a déjà conclu qu’un séjour de 616 jours à l’étranger constituait une indication qu’un demandeur n’avait pas centralisé sa vie au Canada (Khan, ci-dessus, au par. 18 (société minière internationale – 676 jours d’absence); également, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 106, 164 A.C.W.S. (3d) 745 (employé d’une organisation non gouvernementale (ONG) – 305 jours d’absence); Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1384, 242 F.T.R. 185 (travailleur d’UNICEF – 958 jours d’absence); Fernandes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 305, 121 A.C.W.S. (3d) 424 (banque internationale – 857 jours d’absence); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Woldemariam (1999), 175 F.T.R. 108, [1999] A.C.F. no 1545 (QL) (412 jours d’absence – ancien travailleur pour le programme alimentaire mondial (ONU)).

 

[32]           L’affaire Paez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 204, 165 A.C.W.S. (3d) 228 stipule:

[16]      [...] :

 

Quand les absences sont un mode de vie régulier plutôt qu'un phénomène temporaire, elles indiquent que la vie est partagée entre les deux pays, et non pas un mode de vie centralisé au Canada, comme le prévoit la Loi […] 

 

[...]

 

[17]      Je suis d’accord avec mon collègue. Bien que le critère de la décision Re Koo soit foncièrement souple puisqu’il prend en considération la situation personnelle du demandeur, cette souplesse a une limite. Si la personne souhaite devenir citoyen canadien, elle doit à un certain moment centraliser son mode d’existence au Canada. (La Cour souligne).

 

[33]           En somme, les demandeurs ne satisfaisaient pas ce critère.

 

      5)  Absences physiques à caractère permanent

[34]           Quant au cinquième critère, visant à expliquer à quoi les absences physiques du Canada sont imputables et s’il s’agit d’une situation temporaire, le juge de la citoyenneté a reconnu que le demandeur occupait un travail à l’étranger depuis 2002 et que la demanderesse avait choisi d’accompagner ce dernier à l’étranger.

 

[35]           Les demandeurs prétendent que l’emploi du demandeur au Sénégal était de nature temporaire.

 

[36]           Or, le contrat d’emploi du demandeur, initialement d’une durée déterminée de 2 ans, a été subséquemment renouvelé après le dépôt des demandes de citoyenneté, et ce, pour une durée indéterminée (DC à la p. 30).

 

[37]           Le demandeur n’a soumis aucune preuve démontrant que son employeur lui a offert un poste au Canada ou qu’il s’est engagé à changer son lieu d’affectation pour le Canada à l’avenir.

 

[38]           Au contraire, le demandeur a admis avoir demandé un changement d’affectation auprès de son employeur et que cette demande lui a été refusée. Tel que mentionné précédemment, le demandeur a de plus spécifiquement accepté le renouvellement de son contrat à l’étranger après le dépôt des demandes de citoyenneté.

 

[39]           Les demandeurs devaient justifier leurs périodes d’absence du pays afin qu’elles soient considérées comme des périodes de résidence au Canada, et ainsi démontrer qu’ils y auraient centralisé leurs vies.

 

[40]           Il est reconnu que le fait d’occuper un emploi à l’étranger, même pour une entité canadienne, ou même liée à une entité canadienne, n’est pas une justification acceptable de ces absences, sans preuve étayée, en ce qu’il s’agit d’un choix conscient et non d’un fait indépendant de la volonté des demandeurs (Tarfi, ci-dessus, aux par. 8-9; Hussein, ci-dessus; Khan, ci-dessus).

 

[41]           De plus, dans la décision Khan, ci-dessus, il est écrit :

[22]      Le demandeur a choisi de travailler pour une société qui l’oblige à travailler à son site d’exploitation de mines de diamants en Guinée. Tel que mentionné dans Re Leung (1991), 42 F.T.R. 149, à la page 154, 13 Imm. L.R. (2d) 93, un grand nombre de citoyens canadiens, qu’ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l’étranger dans le cadre des activités de leur entreprise, et il s’agit là de leur choix. Cependant, une personne qui veut obtenir la citoyenneté ne dispose pas de la même liberté à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi. (La Cour souligne).

 

[42]           Les absences physiques des demandeurs du Canada ne sont donc pas attribuables à une situation purement temporaire. En effet, la preuve soumise par ceux-ci établit clairement qu’il s’agit d’une situation permanente.

 

[43]           Conséquemment, il était raisonnable que le juge de la citoyenneté conclue que l’emploi du demandeur à l’étranger n’était pas de nature temporaire (Khan, ci-dessus, aux par. 20-21).

 

[44]           La demanderesse allègue pour sa part que le juge de la citoyenneté aurait dû considérer que ses activités bénévoles pour l’employeur du demandeur constituaient des jours de présences physiques au Canada.

 

[45]           Il appert clairement de la preuve soumise que la demanderesse n’a pas choisi de quitter le Canada pour effectuer un travail bénévole, mais bien pour accompagner le demandeur à l’étranger et a plutôt joint l’utile à l’agréable en offrant sont temps pour l’entreprise de son mari, avec compensation.

 

[46]           Outre le protocole d’entente, aucune autre preuve n’a été déposée afin de démontrer que la demanderesse aurait effectué du bénévolat. Pourtant, l’employeur du demandeur a fourni une attestation d’emploi pour ce dernier (DC à la p. 189).

 

[47]           De plus, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, rien dans la preuve présentée n’établissait qu’elle avait choisi d’agir à titre de coopérant de façon temporaire.

 

[48]           Ensuite, bien que les intentions futures des demandeurs ne soient pas pertinentes dans l’évaluation du caractère des absences au cours de la période visée par leurs demandes de citoyenneté (Ntilivamunda, ci-dessus, au par. 17), le juge de la citoyenneté a pris acte de l’intention des demandeurs de revenir au Canada à l’avenir, même s’ils étaient incapables de préciser la date de leur retour (DC aux pp. 26 et 30).

 

[49]           La décision fait également mention du fait que les demandeurs ont acquis une propriété au Canada quelques jours avant le dépôt de leur demande de citoyenneté, mais qu’ils n’y ont jamais habité et que celle-ci est louée depuis (DC aux pp. 26 et 30).

 

[50]           Le juge de la citoyenneté était donc justifié de conclure que les demandeurs ne remplissaient pas ce critère.

 

      6)  Peu de liens avec le Canada

[51]           Le juge de la citoyenneté a conclu que les demandeurs n’avaient pas de liens plus importants avec le Canada qu’avec un autre pays.

 

[52]           En effet, l’absence de famille, de pied-à-terre et de biens au Canada (outre leur maison louée), combinée à la nature permanente du travail du demandeur à l’étranger et à l’absence d’éléments de preuve suffisants, étayée, démontrant un attachement avec le Canada (par exemple les déclarations de revenus du demandeur) militait en faveur d’une telle conclusion malgré le retour de la demanderesse pour la naissance du deuxième enfant du couple.

 

[53]           Les demandeurs affirment que le juge de la citoyenneté a erré en concluant que leurs liens avec le Canada étaient ténus. En effet, ils prétendent que les éléments suivants étaient suffisants afin que le juge de la citoyenneté conclue qu’ils avaient centralisé leur mode de vie au Canada :

a.       L’existence d’un compte de banque au Canada;

b.      L’acquisition d’une propriété dans laquelle ils n’ont jamais habité et qui, selon la preuve, était louée au moment de l’audition;

c.       La naissance de leurs deux enfants, citoyens canadiens;

d.      La vente de leur propriété en Guinée.

 

[54]           Or, il est bien établi que les quatre éléments susmentionnés sont suffisants pour démontrer le degré requis d’établissement au Canada :

[18]      Enfin, en ce qui concerne la qualité des attaches avec le Canada, la Cour a été peu disposée à conclure qu’en eux‑mêmes les indices « passifs » – comme la possession de maisons, d’automobiles, de cartes de crédit, de permis de conduire, de comptes en banque, de cartes de bibliothèque, ainsi que la souscription à un régime d’assurance‑santé et les déclarations de revenus – montrent suffisamment l’existence d’une attache réelle (Sleiman, précitée, paragraphe 26; Eltom, précitée, paragraphe 25; Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration) c. Xia, 2002 CFPI 453, [2002] A.C.F. no 613 (QL), paragraphe 25). Lorsque l’on doit juger de l’attache, il doit y avoir un certain nombre d’éléments de preuve qui montrent une certaine communication avec la collectivité canadienne ou une explication rationnelle de l’absence de tels éléments de preuve, et non pas simplement des indices passifs [...] (La Cour souligne).

 

(Paez, ci-dessus; également, Khan, ci-dessus, aux par. 14 et 23; Sleiman v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 230, [2007] F.C.J. No. 296 (QL); Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1555, 284 F.T.R. 139; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Xia, 2002 CFPI 453, 113 A.C.W.S. (3d) 765 au par. 25).

[55]           Le juge de la citoyenneté a non seulement bien énoncé les six critères de la décision Koo, ci-dessus, mais les a aussi correctement appliqués.

 

C.  Autres arguments des demandeurs

[56]           De plus, les demandeurs prétendent que le juge de la citoyenneté aurait dû considérer que le travail du demandeur constituait un apport exceptionnel pour la société canadienne. Or, ceux-ci n’ont pas soumis une preuve soutenant, et, donc, étayant cette prétention (DC aux pp. 18 et 20).

 

[57]           Ensuite, les demandeurs prétendent que le juge de la citoyenneté n’a pas pris en considération que le siège social de l’employer du demandeur était situé au Canada.

 

[58]           Cependant, ce fait est spécifiquement mentionné dans la décision aux critères 1, 5 et 6 (DC aux pp. 25 et 26).

 

VI.  Conclusion

[59]           Malgré que les demandeurs sont en désaccord avec la décision du juge de la citoyenneté, ils n’ont pas démontré d’erreur qui justifierait l’intervention de cette Cour.

 

[60]           En effet, ils n’ont pas démontré qu’ils satisfaisaient au critère de la résidence exigé par l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[61]           Compte tenu de ce qui précède, les documents déposés comme début de preuve sans être étayés par les demandeurs ne sont pas susceptibles de permettre à la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.

 

[62]           La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est donc rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1726-08

 

INTITULÉ :                                       AMADOU BALIO BAH et NENE IDIATOU BAH

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cristina Marinelli

 

POUR A DEMANDERESSE

Me Émilie Tremblay

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CRISTINA MARINELLI, avocate

Montréal (Québec)

 

POUR A DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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