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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100106

Dossier : IMM-369-09

Référence : 2010 CF 9

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

ZHI JUN ZHANG

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

Le juge O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission), datée du 2 décembre 2008, laquelle a déterminé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales :

            1.         déclarant qu’il est un réfugié au sens de la Convention;

            2.         subsidiairement, une ordonnance renvoyant l’affaire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avec des directives;

            3.         subsidiairement encore, une ordonnance renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour une audience de novo.

 

Le contexte

 

[3]               Zhi Jun Zhang (le demandeur) allègue qu’il a joint une église clandestine en Chine à la requête d’un ami. Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. Il demande l’asile parce qu’il craint d’être persécuté en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine en Chine.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 20 août 2006, muni d’un visa d’étudiant pour fréquenter la Hanson International Academy. Pendant qu’il était au Canada, le demandeur a continué de communiquer avec son ami en Chine et l’a informé de ses activités religieuses. En octobre 2006, le demandeur a commencé à inclure des dépliants sur la prière dans les lettres qu’il adressait à son ami.

 

[5]               Le demandeur allègue que, pendant qu’il était au Canada, ses parents ont reçu la visite d’agents du Bureau de la sécurité publique (BSP) concernant sa participation à l’église clandestine. Les agents du BSP ont indiqué à ses parents qu’il était recherché pour être arrêté et qu’il devait revenir en Chine pour se présenter au BSP.

 

[6]               Le demandeur a présenté une demande d’asile le 12 février 2007 au motif qu’il craignait d’être arrêté et emprisonné et qu’il ne serait pas en mesure de pratiquer sa foi chrétienne librement et ouvertement, parce qu’il fréquentait une église illégale en Chine et qu’il envoyait des documents religieux en Chine.

 

[7]               Le demandeur allègue que deux autres adeptes ont été arrêtés depuis son départ de la Chine et que les agents du BSP continuent de rendre visite à ses parents concernant ses activités au Canada et la date de son retour en Chine.

 

La décision de la Commission

 

[8]               La Commission a commencé sa décision en examinant les éléments de preuve présentés par le demandeur dans ses observations écrites et orales. Il a été noté que le demandeur avait fréquenté la maison-église clandestine en Chine à six ou sept reprises entre juin 2006 et son départ pour le Canada le 20 août 2006. La Commission a conclu que les connaissances du demandeur correspondaient à celles d’une personne qui assistait à des services au Canada depuis les deux dernières années. En outre, la Commission a mentionné qu’une lettre du révérend Ko de la Living Water Assembly à Toronto indique que le demandeur avait été baptisé le 17 mars 2007. S’appuyant sur ces éléments de preuve, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était un chrétien pratiquant au Canada et qu’il avait acquis la plus grande partie de ses connaissances après son arrivée au Canada.

 

[9]               La Commission a conclu que la principale question pour déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger était de savoir si le demandeur, en tant que membre d’une maison-église chrétienne clandestine, serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté, arrêté et/ou emprisonné par les autorités en Chine. La Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse que cela se produise.

 

[10]           La Commission mettait en doute l’allégation selon laquelle les personnes qui fréquentaient des églises clandestines étaient exposées à la persécution. La Commission a fait état des éléments de preuve documentaire qui indiquaient que des réunions de prière et des groupes d’étude qui réunissaient les membres d’une famille et des amis ne faisaient pas l’objet de raids à moins de croître en nombre, de tenter de se joindre à d’autres groupes religieux et/ou de chercher des installations plus permanentes. Le groupe de dix membres appartenant à l’église clandestine que le demandeur a fréquentée à six ou sept reprises ne correspondait pas à une situation qui attirerait l’attention du BSP; le demandeur ne s’est pas décrit comme le chef d’une église ou un chrétien bien en vue, des facteurs qui, selon la preuve documentaire, attirent la persécution de la part du BSP. En outre, le demandeur n’a fourni aucune preuve de la croissance du nombre de membres ni d’un déplacement à différents endroits.

 

[11]           En ce qui a trait aux documents religieux que le demandeur a envoyés à son ami, la Commission a déclaré qu’aucun élément de preuve présenté n’indiquait que le BSP avait confisqué les documents, de même qu’aucune preuve telle que des reçus ne montrait que ces documents avaient été envoyés.

 

[12]           La Commission a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur serait en mesure de pratiquer sa religion sans être exposé au risque de persécution en Chine et, plus particulièrement, la question de savoir si le demandeur pourrait pratiquer sa religion librement dans des églises inscrites. La Commission a conclu que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve directe pour confirmer qu’il serait tenu de prêter allégeance à l’État plutôt qu’à Dieu dans une église inscrite. La déclaration du demandeur selon laquelle ce renseignement provenait d’un ami en qui il avait confiance était insuffisante pour la Commission. La Commission poursuit en reconnaissant que la preuve documentaire mentionne cette question, mais conclut qu’« aucune preuve solide à l’appui de cette affirmation n’a été présentée ». La Commission a déclaré que l’affirmation selon laquelle des « rapports » concluaient que l’État restreignait les églises inscrites constituait une preuve insuffisante si la source de ces rapports n’était pas fournie.

 

Les questions en litige

 

[13]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées et a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne devrait pas être considéré comme une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[14]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission dans son ensemble est la norme de la décision manifestement déraisonnable. La norme de la décision correcte doit être appliquée aux questions de droit. Le demandeur cite la décision Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653, pour la notion selon laquelle « [l]a Cour est souvent tout aussi capable que la Commission de décider si les faits d’un récit particulier ou les événements décrits par le demandeur peuvent raisonnablement s’être produits », tirée de Kapita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1074.

 

[15]           Le demandeur commence par des questions concernant la crédibilité. Il souligne qu’il n’y avait aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité en général. De plus, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur était compatible avec celui de quelqu’un qui était chrétien pratiquant.

 

[16]           Le demandeur soutient que la Commission était obligée de conclure en sa faveur lorsqu’elle a décidé qu’il ne serait exposé à aucun risque après avoir fréquenté des églises non inscrites en Chine et après avoir diffusé de la documentation chrétienne par le courrier. Lorsqu’il n’y a pas de problème quant à la crédibilité, [traduction] « c’est le demandeur qui en profite » (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305). La preuve documentaire varie grandement selon les localités. Cependant, la perception générale du gouvernement à l’égard des groupes religieux non réglementés est telle qu’il cible toute contestation de son autorité. La Commission s’est livrée à une lecture sélective des documents qui ont omis de discuter de ce fait. En outre, les allégations du demandeur selon lesquelles les autorités dans sa région ciblent des membres d’églises non inscrites ne devraient pas être mises en doute. La Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur était digne de foi du point de vue de la crédibilité, tout en rejetant également ses déclarations au motif de l’absence d’éléments de preuve solides. Ou subsidiairement, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a accordé plus de poids à des éléments de preuve documentaire qui, selon elle, étaient problématiques dans la mesure où ils étayaient les allégations, pour ensuite conclure que peu de poids pouvait être accordé au demandeur.

 

[17]           La Commission a omis de reconnaître les faits présentés par le demandeur, à savoir : le risque auquel était exposé le demandeur, parce qu’il allait à trois églises différentes en Chine, parce qu’il avait envoyé par la poste des documents chrétiens en Chine depuis le Canada et parce que l’église à laquelle appartenait le demandeur à Toronto avait établi un lien avec des églises clandestines en Chine.

 

[18]           Le demandeur a ensuite critiqué les conclusions de la Commission concernant l’absence d’éléments de preuve solides ou en d’autres mots, [traduction] « le fait de tirer des conclusions n’ayant aucun fondement probatoire » (voir Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3502-05, le 25 janvier 2006, la juge Snider). Le demandeur a déclaré que la manière dont la Commission avait traité la question des documents envoyés en Chine était erronée, car elle avait fait abstraction de la preuve. Le demandeur cite le rapport du Département d’État américain sur les pratiques en matière de droits de l’homme en Chine, publié le 11 mars 2008 :

[traduction]

 

En vertu de la loi, seules les maisons d’édition approuvées par le gouvernement étaient autorisées à imprimer des livres… les personnes qui tentaient de publier sans l’approbation du gouvernement s’exposaient à l’emprisonnement, à des amendes, à la confiscation de leurs livres et à d’autres sanctions.

 

[19]           Il se trouve que la censure du gouvernement chinois n’est pas parfaite et ce dernier peut avoir raté les documents envoyés. Cela ne signifie pas toutefois que les autorités ne trouveront pas les documents dans l’avenir. La Commission [traduction] « minimise la conduite du demandeur » et la gravité des conséquences en Chine.

 

[20]           La Commission souligne que les chefs des églises clandestines sont le plus souvent persécutés, mais omet de reconnaître que la preuve documentaire, telle que le rapport du Département d’État américain, déclare que les membres sont tout aussi ciblés que les chefs.

 

[21]           Le demandeur examine ensuite la conclusion de la Commission selon laquelle il peut pratiquer sa religion dans une église dirigée par l’État. Il était irrationnel que la Commission conclue qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve solides selon lesquels les églises dirigées par l’État prêtaient allégeance au gouvernement plutôt qu’à Dieu, parce que la déclaration du demandeur peut être vraie, que le demandeur en ait fait l’expérience ou non. Cela ne change pas le fait de la déclaration du demandeur.

 

[22]           Les croyances principales du demandeur sont ce qu’il [traduction] « faut examiner » (voir Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066, et Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47). La croyance du demandeur était que l’Église patriotique dirigée par l’État violait ses convictions religieuses.

 

[23]           Le raisonnement de la Commission est aussi tout à fait irrationnel et non fondé lorsqu’elle donne à entendre que les rapports documentaires ne sont pas étayés. Les documents cités sont le résumé de plusieurs documents provenant d’une grande variété de sources, appelés RDI et incluant des documents tels que le rapport du Département d’État américain sur la liberté religieuse et les rapports des comités du Congrès des États-Unis.

 

[24]           Les documents cités déclarent qu’il est interdit aux églises inscrites de faire des déclarations doctrinales, ce que le demandeur cherchait à éviter en joignant une église clandestine.

 

[25]           Les inférences tirées ne s’appuyaient par sur la preuve, car les parties importantes et pertinentes de la demande d’asile sont intrinsèquement logiques et il existe un lien entre les activités du demandeur et la perception des autorités à l’égard du demandeur ainsi que les documents à l’appui sur la situation du pays. Lorsque des conclusions et des inférences d’invraisemblance constituent la plus grande partie des motifs, une décision ne peut tenir. On doit pouvoir dire qu’il est raisonnable que les inférences tirées existent.

 

[26]           En ce qui a trait aux facteurs énoncés à l’article 97 et la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque s’il retournait en Chine, le demandeur fait valoir que la Commission a omis de prendre en compte la preuve d’une manière appropriée. Dans ses motifs, la Commission avait l’obligation d’effectuer une analyse des risques selon l’article 97 et a omis de la faire. La Commission n’a pas tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité et a alors omis de fournir une analyse cohérente du risque. La décision devrait être annulée pour ce motif. Les lignes directrices de la Commission indiquent qu’une analyse selon l’article 97 est essentielle, même si la demande est rejetée en vertu de l’article 96 de la Loi.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[27]           La norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité (voir Kabongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 348).

 

[28]           La Commission n’a pas négligé ni mal interprété la preuve et elle est présumée avoir pris en compte tous les éléments de preuve. Le défendeur soutient que la Commission a examiné tous les éléments de preuve concernant la persécution des maisons-églises chrétiennes en Chine. Il est faux de dire que la Commission n’a pas reconnu l’existence de la persécution des chrétiens en Chine.

 

[29]           Le défendeur est en désaccord avec le demandeur sur la question de savoir si la Commission a tiré des inférences qui étaient erronées. Le défendeur déclare que l’élément essentiel des arguments du demandeur concernant la preuve est que la Commission aurait dû tirer d’autres inférences que celles qu’elle a en fait tirées et que la Commission a entrepris une analyse sélective de la preuve. Pour qu’il y ait une erreur susceptible de contrôle, le demandeur doit montrer que les inférences tirées par la Commission ne sont aucunement étayées par la preuve. Le simple fait de soutenir que d’autres inférences auraient dû être tirées ne répond pas à la norme de contrôle ni à la déférence à accorder à la Commission (voir Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 11, et Qasem v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1182, au paragraphe 46).

 

[30]           Le défendeur s’appuie sur Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 300, en faveur de l’idée que la question en jeu est essentiellement la manière dont la Commission a traité l’ensemble de la preuve, car celle-ci est souvent ambiguë et équivoque et que certains éléments appuient la position du demandeur et que d’autres lui nuisent. Dans le cadre de son expertise, la Commission a le mandat de tirer des conclusions en s’appuyant sur cette preuve souvent vague.

 

[31]           Le demandeur a tort de soutenir que la Commission n’a pas tiré une conclusion en s’appuyant sur l’article 97 de la Loi. La Commission a examiné le récit du demandeur, sa situation personnelle et la preuve documentaire concernant la persécution des églises clandestines. En s’appuyant sur ces éléments de preuve, elle a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il retournait en Chine. L’argument du demandeur à cet égard n’a aucun fondement.

 

Analyse et décision

 

[32]           Première question

Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a déclaré que si la norme de contrôle a déjà été définie, aucune autre analyse n’est nécessaire. L’arrêt Dunsmuir, précité, a également réuni les normes de la décision manifestement déraisonnable et de la décision déraisonnable simpliciter en une seule norme de contrôle, la norme de la raisonnabilité.

 

[33]           Dans la présente affaire, le demandeur soulève des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait. Les questions de fait visent les conclusions de la Commission s’appuyant sur des inférences, des invraisemblances et des conclusions quant à la crédibilité. Ces conclusions sont de nature hautement factuelle. Dans de nombreuses décisions antérieures à l’arrêt Dunsmuir, la Cour a statué que la norme de contrôle applicable était la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Soosaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1349, 2007 CF 1040, au paragraphe 9).

 

[34]           Dans la décision Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 527, le juge Russell a déclaré ce qui suit : « La question de savoir si la Commission a oui ou non omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents comporte un examen des faits et a été examinée dans le passé selon la norme de la décision manifestement déraisonnable » (voir aussi Dannett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1363, [2006] A.C.F. no 1701 (QL), au paragraphe 33).

 

[35]           La dernière question qu’a soulevée le demandeur visait des questions mixtes de droit et de fait, parce qu’elle portait sur les conclusions de la Commission relativement à l’article 97 de la Loi en regard des éléments de preuve qu’il a présentés. La Cour a établi que les questions de droit et de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Kamilov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 810).

 

[36]           En conséquence, la norme de contrôle applicable à toutes les questions soulevées par le demandeur est la norme de la décision raisonnable. Aucune pure question de droit n’a été soulevée qui justifierait un examen selon la norme de la décision correcte.

 

[37]           La Cour limite son analyse à l’examen de la décision de la Commission pour vérifier si la décision a été rendue en fonction de l’existence de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[38]           Dans l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 59 :

[…] Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[39]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées et a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne devrait pas être considéré comme une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi?

            Le demandeur est parti du principe que, lorsqu’il n’y a pas de conclusion défavorable quant à la crédibilité, le demandeur en profite, tel que l’a établi Maldonado, précité. Il a ensuite adapté ce principe aux nombreux éléments de preuve dont la Commission était saisie et il soutient que, parce qu’elle ne s’était pas fondée sur ce principe, les conclusions étaient erronées. La Commission aurait dû examiner chaque élément de preuve en fonction de ce que le demandeur disait être vrai si elle l’avait déclaré crédible. Selon le demandeur, cela constituait une erreur viciant plusieurs conclusions de la Commission.

 

[40]           Je ne trouve rien à redire aux conclusions de la Commission. Le demandeur déclare ce que lui sait être vrai. La Commission n’a pas contesté sa croyance en ces choses. Ce que la Commission conteste cependant est la question de savoir si ces croyances sont le reflet exact du risque objectif de persécution. J’ai compris que la Commission avait déclaré qu’il n’existait pas d’éléments de preuve solides pour étayer ce qu’alléguait le demandeur. Il y a une distinction entre conclure qu’un demandeur n’est pas crédible et la conclusion selon laquelle, malgré ce que le demandeur sait lui‑même être vrai, la déclaration alléguée ne fournit pas suffisamment de preuve pour accepter une déclaration comme étant véridique selon la prépondérance des probabilités. Pour ce motif, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur.

 

[41]           En ce qui concerne la question de la diffusion de documents, je conclus que les conclusions de la Commission étaient raisonnables et reconnaissaient l’approche punitive adoptée par la République populaire de Chine à l’égard de tels documents. Les conclusions de la Commission étaient fondées sur des éléments de preuve selon lesquels, au-delà de l’affirmation du demandeur que le BSP avait trouvé et saisi les documents, il n’existait pas d’autre preuve pour étayer cela. La Commission n’a pas conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait un risque de persécution qui y était associé sur la foi de simples affirmations. Je trouve cela raisonnable. Dans la décision Tan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 844, le juge Lemieux a souligné ce qui suit :

14     Il est de jurisprudence constante qu’un office comme le tribunal de la Section de la protection des réfugiés est bien placé pour tirer des conclusions d’invraisemblance à condition que les conclusions qu’il tire ne soient pas déraisonnables (Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.)).

 

 

[42]           Il s’agit d’une conclusion intelligible à tirer, étant donné qu’aucun reçu n’a été fourni pour prouver que les documents ont été envoyés et que le demandeur a pris des mesures pour cacher leur contenu. Bien que la Commission eût vraisemblablement pu conclure autrement, que le BSP pouvait avoir trouvé ou peut découvrir ces documents, elle n’a pas tiré cette conclusion. Le fait d’apprécier de nouveau ces éléments de preuve et de tirer des conclusions à leur égard va au-delà de la directive que la Cour a reçue à l’égard de contrôles judiciaires de cette nature.

 

[43]           Les questions suivantes visent la manière dont la Commission a traité les éléments de preuve concernant la question de savoir si les membres des églises clandestines étaient persécutés ou si les personnes ciblées étaient des chefs plus en vue et si les églises inscrites prêtaient allégeance à l’État plutôt qu’à Dieu.

 

[44]           Encore ici, le demandeur a fait valoir qu’à moins d’être déclaré non crédible, sa déclaration concernant les églises inscrites, issue de discussions avec son ami, aurait dû être acceptée. Je ne suis pas d’avis que la Commission était tenue de l’accepter en s’appuyant sur ce principe pour les motifs dont j’ai discuté ci-dessus concernant la crédibilité.

 

[45]           Je ne crois pas que la Commission ait commis une erreur lorsqu’elle a fait le raisonnement qu’il n’y avait pas allégeance à l’État plutôt qu’à Dieu, sur la base de la discussion du demandeur avec son ami. La Commission ne donne pas à entendre que le demandeur ne disait pas la vérité, mais que cela ne constituait pas une preuve directe suffisante pour conclure que c’était le cas. Cela relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission.

 

[46]           Deuxièmement, le demandeur a soutenu que la Commission avait fait abstraction de la preuve documentaire et avait tiré des conclusions irrationnelles à leur égard relativement à la question de savoir si les membres d’églises clandestines étaient persécutés et à la question de savoir si les églises inscrites prêtaient allégeance à l’État plutôt qu’à Dieu.

 

[47]           Je trouve également étrange que la Commission a tiré des conclusions en s’appuyant sur ce raisonnement. La Commission a déclaré : « L’article fait référence à des rapports, mais ne fournit aucun renseignement sur les sources. » Essentiellement, les rapports devraient être étayés par des « rapports ». En d’autres mots, la Commission ne faisait pas confiance aux renseignements fournis dans les rapports et n’était pas convaincue que ces renseignements s’appuyaient sur des éléments de preuve solides. La Commission utilise ce raisonnement pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’Église patriotique chinoise ne prête pas allégeance au gouvernement et au parti communiste plutôt qu’à Dieu.

 

[48]           Ces rapports sont communément utilisés comme sources fiables de renseignements sur la situation des pays et les risques qui leur sont propres. En effet, ce rapport faisait partie d’un ensemble de documents sur la Chine compilés le 30 juillet 2008 pour la Commission de l’immigration et du statut de réfugié : les propres rapports de la Commission. Bien que le document contienne une mise en garde selon laquelle il n’offre pas de conclusion quant au bien-fondé d’une prétention particulière, je ne crois pas que cela règle la question en l’espèce.

 

[49]           Cela ne s’est pas produit qu’à l’égard d’un seul rapport. Les réponses aux demandes d’information (RDI) du 13 juin 2007 et du 27 avril 2007, le rapport sur la liberté religieuse dans le monde de 2007, les Country Reports on Human Rights Practices pour 2007, et la Commission du congrès et de l’exécutif sur la Chine, entre autres, contenaient tous des prétentions qui indiquaient que, dans les églises inscrites, l’État contrôle la doctrine et que les membres sont aussi parfois persécutés avec les chefs.

 

[50]           Je suis d’avis que la Commission a eu tort de contester les prétentions au regard de la preuve documentaire pour ce motif.

 

[51]           Enfin, le demandeur a fait valoir que ses croyances principales étaient très importantes, citant la décision Zhu, précitée, et l’arrêt Syndicat, précité. Il soutient que ses croyances sont menacées s’il est forcé de fréquenter les églises dirigées par l’État. Dans la décision Zhu, précitée, le juge Zinn a statué que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable pour la demanderesse de fréquenter une église sanctionnée par l’État en raison du niveau peu élevé de ses connaissances religieuses. La fréquentation des églises clandestines était une conviction en soi conforme aux croyances de la demanderesse. De plus, dans l’arrêt Syndicat, précité, la Cour suprême du Canada a reconnu la subjectivité des convictions religieuses et a statué qu’elle était la substance de nos libertés religieuses en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Le principe était essentiellement le suivant : il suffit qu’une personne ait un lien avec une croyance qui a une qualité religieuse. Je suis d’accord avec les déclarations du juge Zinn.

 

[52]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable. Elle doit donc être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

 

[53]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

[54]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans la présente section.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-369-09

 

Intitulé :                                       ZHI JUN ZHANG

 

                                                            - et -

 

                                                            Le ministre de la citoyenneté

                                                            et de l’immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 juillet 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 6 janvier 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Marvin Moses

 

Pour le demandeur

Suran Bhattacharyya

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

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