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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100122

Dossier : IMM-2688-09

Référence : 2010 CF 58

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

Sukhwinder SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Mélanie Raymond, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 29 avril 2009, où elle a établi que le demandeur n’était ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

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[2]               M. Sukhwinder Singh, le demandeur, est né à Ismilepur, dans l’État indien du Pendjab. Il est sikh, de nationalité indienne. Son frère et son oncle étaient membres d’Akali Dal, un parti politique, depuis 1993. Le 6 juin 1994, le frère du demandeur a prononcé un discours dans lequel il dénonçait le gouvernement et d’autres partis politiques. Il a parlé ouvertement de dictature policière. Les forces policières ont réagi à ces critiques en perquisitionnant la maison du demandeur, où ce dernier vivait avec son frère. Lui-même et son frère ont été arrêtés le 6 juin 1994 puis détenus séparément pendant deux jours. Leur libération a été obtenue au prix du versement d’un pot-de-vin. Quelque temps après sa première arrestation, le demandeur est devenu membre actif du parti Akali Dal.

 

[3]               La deuxième arrestation a eu lieu le 20 mars 1997; à cette occasion, lui-même, son oncle et son frère ont été arrêtés et détenus pendant trois jours. Ils ont été arrêtés à un barrage routier au retour d’une cérémonie religieuse organisée à la mémoire d’un membre éminent de la communauté sikhe. Les trois hommes ont été libérés par suite du versement d’un pot-de-vin. Le demandeur a été arrêté une troisième fois le 6 juin 1999; il a été interrogé au sujet des liens entre son frère et certains militants. Pendant cette période, son frère était aussi détenu par la police. Au moment de sa libération, le demandeur a appris que son frère s’était enfui et qu’il se trouvait dans un endroit inconnu.

 

[4]               Le demandeur et son oncle se sont adressés à un avocat de Jalandhar pour obtenir de l’aide en ce qui concerne la disparition du frère du demandeur et le comportement des policiers. L’avocat a consigné les déclarations du demandeur et ce dernier devait comparaître comme témoin devant un tribunal. Cependant, les policiers de son village ont eu vent de la plainte. Le 18 février 2000, des policiers ont encerclé la maison du demandeur et ont arrêté ce dernier ainsi que son oncle. Ils ont été détenus jusqu’au 5 mars 2000 et encore une fois, comme lors de toutes les arrestations précédentes, la libération du demandeur a été obtenue au moyen du versement d’un pot-de-vin.

 

[5]               La quatrième fois, le demandeur a été libéré à la condition de quitter le pays. Le demandeur s’est caché dans la maison que possède son oncle dans un autre village, mais les policiers ont forcé l’épouse du demandeur à divulguer l’endroit où ce dernier se trouvait. Le demandeur s’est rendu à New Delhi dans l’espoir de rencontrer un intermédiaire qui pourrait organiser son départ vers les États-Unis.

 

[6]               Avec l’aide d’un intermédiaire, le demandeur a quitté l’Inde en septembre 2001; il a atterri à Vancouver, puis s’est rapidement rendu aux États-Unis pour y demander l’asile. Il est demeuré dans ce pays jusqu’en mars 2007. L’asile lui a été refusé dans ce pays, mais il a interjeté appel de la décision. Avant que la décision relative à son appel soit rendue, il est retourné en Inde pour rendre visite à sa mère malade.

 

[7]               À cette occasion, il a de nouveau été arrêté par la police locale. Les policiers auraient alors été à la recherche du cousin du demandeur, soutenant qu’il avait des liens avec des terroristes. Les policiers ont interrogé le demandeur parce que son cousin était venu voir le demandeur pendant que ce dernier se trouvait au village. Il a été libéré moyennant le versement d’un pot-de-vin après une période de détention qui aurait duré quelques mois, puis il s’est enfui à New Delhi. Il n’est pas retourné aux États-Unis, mais a demandé le statut de réfugié au Canada le 21 juin 2007.

 

[8]               Le demandeur allègue avoir été torturé au cours de chaque période de détention.

 

* * * * * * * *

[9]               La Commission a tiré une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur et a estimé qu’il n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture ou au risque de peines cruelles et inusitées. La Commission a établi que le demandeur avait la possibilité de refuge intérieur (« PRI ») à Mumbai.

 

[10]           La présente affaire soulève les deux questions suivantes :

1.                  Est-ce que la décision est déraisonnable parce que la commissaire a mal compris la preuve dont elle était saisie ou n’en a pas tenu compte?

2.                  Est-ce que la Commission a incorrectement évalué la preuve relative à une PRI pour le demandeur?

 

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[11]           La norme de contrôle judiciaire relativement à ces deux questions est celle du caractère raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339). Plus précisément, lorsque la Cour doit procéder au contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif concernant la question de la PRI, la norme de contrôle judiciaire pertinente est celle du caractère raisonnable car il s’agit d’appliquer des principes juridiques reconnus à un ensemble de faits, ce qui est à la fois une question de fait et de droit.

 

[12]           En ce qui concerne d’abord la question d’une PRI viable, je souligne que la Commission établit comme suit les critères pertinents relatifs à une PRI :

[14]     L’analyse de la possibilité de refuge intérieur doit se faire en deux temps. Le tribunal doit déterminer s’il existe une autre partie du pays où le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution ou à un risque à sa vie. Le demandeur a le fardeau de démontrer qu’il ne pouvait bénéficier d’aucune possibilité de refuge intérieur dans une autre partie de son pays. Le tribunal doit aussi se demander s’il serait objectivement déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur déménage dans une autre partie de son pays avant de demander l’asile à l’étranger. Lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable, la barre doit être placée très haute et il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur tentant de se relocaliser en lieu sûr.

 

 

 

[13]           La Commission a dit explicitement au demandeur, au cours du témoignage de ce dernier, qu’il pourrait chercher refuge dans une grande agglomération urbaine comme Mumbai. Le demandeur a été avisé que la question de la PRI préoccupait la Commission. Je souligne que la Commission pourrait, plus loin dans ses motifs, avoir décrit de façon plutôt floue le fardeau de la preuve qui était imposé au demandeur :

. . . À la lumière des informations citées précédemment, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas établi qu’il ne peut bénéficier d’une possibilité de refuge intérieur au sein de son pays, en s’établissant par exemple à Mumbai. . . .

 

 

 

[14]           Le demandeur n’a pas à démontrer qu’il court un risque partout dans le pays. Il lui incombe uniquement de démontrer la non-viabilité de la PRI que la Commission pourrait mentionner. Dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, le juge Linden s’exprimait en ces termes aux pages 595 et 596 :

     D'une part, pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur, comme je l'ai dit plus haut, doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans son pays. Si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est soulevée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans cette partie de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge. Je reconnais que le demandeur, dans certains cas, peut ne pas avoir une connaissance personnelle des autres parties du pays, mais, en toute vraisemblance, il existe une preuve documentaire et, en outre, le ministre produira normalement des éléments de preuve tendant à établir l'existence de la possibilité de refuge si cette question est soulevée à l'audience.

 

     D'autre part, il appartient au ministre ou à la Commission d'avertir le demandeur si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays doit être soulevée. Le demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L'un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d'une partie d'être entendue est l'obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d'un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d'un demandeur du statut de réfugié d'être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l'allégation du ministre en prouvant qu'il n'existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Par conséquent, il n'est pas permis au ministre ou à la Commission d'alléguer à l'improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l'audience. Comme l'a expliqué le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, précité, aux pages 710 et 711 :

 

. . . on ne peut s'attendre à ce que le demandeur de statut soulève la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ni à ce qu'on puisse simplement déduire de la demande elle-même la prétention que cette possibilité est inexistante. La question doit être expressément soulevée lors de l'audience par l'agent d'audience ou par la Commission, et le demandeur doit avoir l'occasion d'y répondre en présentant une preuve et des moyens.

 

Il importe, par conséquent, de distinguer entre ces deux obligations de nature très différente.

 

 

 

[15]           Bien sûr, la Commission aurait pu tirer une conclusion générale selon laquelle le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État. Dans un cas comme dans l’autre, on peut dire que la personne ne peut prétendre craindre avec raison d’être persécutée. Il est clair que la Commission a tenu compte uniquement de Mumbai, une agglomération populeuse à distance raisonnable du Pendjab, comme PRI; par conséquent, je ne peux déceler d’erreur susceptible de contrôle judiciaire eu égard à l’application du critère.

 

[16]           Le demandeur soutient que des éléments de preuve importants soumis à la Commission démontrent qu’il n’existe pas de PRI raisonnable pour les Sikhs du Pendjab à Mumbai, mais ne précise pas quels éléments de preuve ont été laissés de côté ou mal compris. Selon le témoignage du demandeur, ce dernier peut être retrouvé par la police du Pendjab n’importe où en Inde car il devrait s’inscrire à un poste de police lorsqu’il trouverait un endroit pour s’établir. En faisant cette déclaration, il attirerait l’attention de la police du Pendjab et, soutient-il, serait torturé comme auparavant. Cependant, selon les données figurant dans les Cartables nationaux de documentation, les Sikhs qui se relogent à l’extérieur du Pendjab n’ont pas à s’inscrire auprès de la police dans leur nouveau lieu de résidence, sauf si un mandat d’arrestation a été lancé contre eux. Il est aussi établi dans les Cartables nationaux de documentation que la probabilité que des poursuites soient intentées contre des Sikhs à l’extérieur du Pendjab est tributaire du profil de la personne plutôt que de sa foi.

[17]           De plus, il ressort clairement du témoignage du demandeur lui-même que les problèmes qu’il aurait subis étaient causés par la police locale et qu’il n’existe aucun mandat d’arrestation, aucune accusation formelle et aucun casier judiciaire le concernant. Rien ne démontre que le demandeur est ou était considéré comme une personne très connue qui serait pourchassée peu importe l’endroit où elle vit.

 

[18]           Dans les circonstances, étant donné que les éléments de preuve à l’appui de la conclusion de la Commission sur l’existence d’une PRI n’ont pas été contestés, il n’incombe pas à la Cour de se substituer à la Commission dans l’appréciation des faits que cette dernière a déjà effectuée et, par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée (voir, par exemple, Singh c. le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 644).

 

[19]           La conclusion de la Commission quant à l’existence d’une PRI permet de disposer de la demande. Étant donné que je confirme que cette conclusion est raisonnable, l’existence d’une PRI permet de la même façon de disposer de la demande de contrôle judiciaire. Donc, il ne sera pas nécessaire d’aborder l’autre question soulevée en l’espèce.

 

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[20]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Le demandeur a demandé que soient certifiées les questions suivantes :

[traduction] Est-il correct en droit de statuer qu’il existe une possibilité de refuge intérieur lorsqu’une victime de persécution, en l’espèce une victime de torture, fuit la police ou d’autres agents de l’État? N’y a-t-il pas une présomption juridique d’absence de possibilité de refuge intérieur lorsque la persécution provient de l’État ou d’agents de l’État?

 

 

 

[22]           Je reconnais avec le défendeur que la question ne mérite pas d’être certifiée car elle concerne un point déjà établi par la Cour d’appel fédérale et la Cour (voir Thirunavukkarasu, précitée; Barrionuevo c. ministre de la Citoyenneét et de l’Immigration, 2006 CF 1519; et Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.)). De plus, il s’agit d’une question purement factuelle qui relève de la compétence de la Section de la protection des réfugiés.

 

[23]           Par conséquent, la question proposée à des fins de certification ne satisfait pas aux critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Canada (M.C.I.) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4. Elle n’est donc pas certifiée.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 29 avril 2009 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2688-09

 

INTITULÉ :                                       Sukhwinder SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Me Lisa Maziade                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Stewart Istvanffy                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r..                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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