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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100122

Dossier : IMM-3171-09

Référence : 2010 CF 59

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

KAUR, Kuldeep

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Me Guy Lebel, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 3 juin 2009, établissant que la demanderesse n’est ni une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Mme Kuldeep Kaur, la demanderesse, est citoyenne de l’Inde. Elle est âgée de vingt-huit ans. Elle est arrivée au Canada le 22 juin 2007 munie d’un permis de travail comme modéliste. Elle a obtenu son permis en ayant recours aux services d’un intermédiaire et, à son arrivée au Canada, a été aiguillée vers un emploi dans une boulangerie. Elle a fait une demande d’asile presque un an après son arrivée au Canada.

 

[3]               Le 26 juin 2008, elle a été interviewée à Montréal par Line Ouellette, agente d’immigration, avec l’aide d’un interprète, Nami Haider, qui a fait la traduction entre l’anglais et le pendjabi.

 

[4]               La demanderesse fonde sa demande d’asile sur le fait qu’elle craint d’être persécutée par la police locale à cause des activités de son frère, Jaswant Singh, et de son fiancé, Swarnjit Singh, qui étaient membres actifs de la All India Sikh Student Federation (fédération indienne des étudiants sikhs).

 

[5]               La décision de la Commission était fondée uniquement sur la conclusion que la demanderesse n’était pas crédible. Cette conclusion est étayée par certaines contradictions et invraisemblances relevées par la Commission dans le témoignage de la demanderesse.

 

[6]               La première contradiction concernait le nom de l’organisation à laquelle appartenaient le frère et le fiancé de la demanderesse. Au cours de son témoignage, la demanderesse a affirmé que son fiancé était membre de la « All India Sikh Student Federation » (fédération indienne des étudiants sikhs), mais elle avait donné le nom d’un autre groupe politique au cours de son entrevue avec un agent d’immigration au point d’entrée, soit la « All Sikh Student Foundation » (fédération des étudiants sikhs). Une autre contradiction concernait le sort de son frère. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse soulignait que son frère vivait dans la clandestinité depuis janvier 2006; or, au cours de l’entrevue avec l’agente d’immigration, elle a déclaré qu’il avait été emmené par des policiers en janvier 2006 et qu’elle n’en avait plus entendu parler par la suite. La demanderesse a été placée devant ces deux contradictions. En ce qui concerne son frère, la Commission a établi que la demanderesse n’avait pas expliqué la contradiction, mais qu’elle s’était simplement déclarée heureuse du fait que son frère soit entré dans la clandestinité après sa libération. Cette déclaration n’a pas permis à la Commission de conclure que la contradiction n’était pas importante.

 

[7]               Dans son FRP, la demanderesse a indiqué qu’elle avait été libérée le lendemain du décès de son père. Étant donné que le décès est survenu le 4 avril 2006, elle aurait été libérée le 5 avril 2006. Cependant, au cours de son témoignage, elle a déclaré avoir été libérée le 3 avril 2006. Placée devant cette contradiction, elle a répété qu’elle n’avait pas été détenue plus d’une journée. La Commission a établi que la demanderesse avait modifié les dates. Selon le rapport médical, elle a été hospitalisée du 3 au 5 avril 2006. De l’avis du commissaire, la demanderesse avait modifié son témoignage pour l’ajuster à la preuve médicale.

 

[8]               En plus des contradictions relatives au témoignage de la demanderesse, la Commission a établi qu’elle ne pouvait accorder aucune valeur au rapport médical parce qu’il n’était pas fiable. Plus précisément, le rapport médical était daté du 5 avril 2006 mais on peut y lire que, après le 5 avril 2006, la demanderesse avait été traitée à domicile, qu’il lui avait été suggéré de retourner à la clinique médicale pour des tests de suivi mais qu’elle avait omis de le faire. Vu qu’elle devait recevoir des traitements après le 5 avril et que le document était daté du 5 avril, la clinique médicale ne pouvait pas savoir si la demanderesse se rendrait ou non à la clinique pour y suivre des traitements médicaux. La demanderesse a été informée de cette invraisemblance et elle a été incapable de fournir une explication qui aurait pu démontrer à la Commission que le rapport médical était fiable.

 

[9]               Globalement, les contradictions entre son FRP et les notes prises à l’interrogatoire relatif à l’immigration ont affaibli sa crédibilité.

 

[10]           Enfin, la Commission a tiré une autre conclusion négative en relation avec la crédibilité de la demanderesse du fait qu’elle a tardé à présenter sa demande d’asile après son arrivée au Canada. Selon la Commission, un retard n’a pas nécessairement en soi un effet déterminant sur la crédibilité de la demanderesse. Cependant, la Commission peut en tenir compte en relation avec l’ensemble des actions d’un demandeur d’asile. En l’espèce, la demanderesse a attendu près d’un an avant de présenter sa demande d’asile. Elle a expliqué le retard par le fait que son employeur lui avait promis d’obtenir des documents de résidence permanente pour elle, mais qu’il avait omis de le faire. Pendant sa première année au Canada, elle a rencontré une personne qui lui a dit qu’elle pouvait demander l’asile, ce qui l’a amenée à déposer sa demande. Cette explication n’a pas convaincu la Commission.

 

[11]           La Commission a statué que la demanderesse tentait d’obtenir un statut au Canada parce qu’elle ne pouvait pas ou ne voulait pas suivre la procédure normale d’immigration. Aucune analyse séparée aux termes de l’article 97 n’a été effectuée, mais la Commission a établi qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être exposée à des peines cruelles et inusitées en Inde parce que sa version des faits était essentiellement non crédible.

 

[12]           La demanderesse souligne que la Commission n’a pas commenté le rapport du psychologue dans ses motifs. Au paragraphe 7 des motifs de la Commission, il est question des notes de M. Woodbury, le psychologue qui a examiné la demanderesse. Le rapport est annexé au dossier de la demanderesse et concerne une opinion sur les symptômes du trouble de stress post-traumatique qui se manifesteraient à l’audience lors du témoignage de la demanderesse.

 

[13]           Le défendeur soutient d’abord que l’on ne peut reprocher à la Commission de ne pas faire référence à chaque document qui lui est soumis. En effet, elle est réputée avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve. Je souligne que la Commission a mentionné cet élément de preuve; par conséquent, cet argument n’est pas pertinent.

 

[14]           Le défendeur ajoute que le rapport est une tentative en vue d’établir la crédibilité de la demanderesse, que la Commission avait raison de lui accorder peu de valeur et que la Cour ne devrait pas intervenir pour réévaluer le poids accordé à cet élément de preuve.

 

[15]           Cependant, j’estime que le rapport de M. Woodbury a été fourni pour aider la Commission à évaluer la qualité du témoignage de vive voix. La Commission ne conteste pas les compétences de M. Woodbury. Elle ne fait aucun commentaire quant au comportement, à la franchise ou à d’autres éléments du témoignage de la demanderesse qui auraient pu être invoqués pour en faire une évaluation subjective. Dans les cas où la demanderesse a répondu directement à des questions pour étayer sa demande, il semble que la Commission ne l’ait pas crue, mais il n’est pas clair pourquoi. M. Woodbury a clairement insisté sur le fait que la demanderesse pourrait ne pas montrer des signes d’émotion là où on en attendrait à cause de ses symptômes liés au trouble de stress post-traumatique. Selon le conseil de la demanderesse, il n’était pas raisonnable de ne pas tenir compte du rapport du psychologue dans un contexte où la décision de rejeter la demande d’asile était fondée en grande partie sur le défaut de la demanderesse d’expliquer les contradictions apparentes avec son témoignage antérieur devant l’agente d’immigration et l’exposé circonstancié de son FRP. Je suis d’accord avec cet argument.

 

[16]           À mon avis, la Commission a effectué une analyse microscopique de la version des faits donnée par la demanderesse. En effet, la Commission s’est concentrée sans relâche sur une contradiction mineure concernant la date de sa libération de prison. La date de la libération du 5 avril 2006 a d’abord été contredite par un rapport médical dont on a finalement établi qu’il n’avait aucune valeur probante. Donc, dès le départ, il n’aurait pas dû être utilisé pour contredire la demanderesse. La Commission fournit des motifs insuffisants pour démontrer que le retard de la demanderesse dans la présentation de sa demande est révélateur de l’absence d’une crainte subjective étant donné l’explication du retard fournie par la demanderesse. La dernière contradiction concerne le nom de l’organisation politique dont le frère et le fiancé de la demanderesse étaient membres; cette contradiction n’a pas de lien avec son affirmation selon laquelle elle a été battue et violée par des membres de la police locale et craint d’être persécutée par ces derniers si elle retourne dans son pays. À mon avis, les contradictions relevées n’en sont pas vraiment et, à tout le moins, elles n’auraient pas dû avoir un poids déterminant dans l’issue de la demande.

[17]           Pour tous les motifs mentionnés précédemment, je conclus que la décision contestée n’est pas raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission aux fins d’un nouvel examen.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de Me Guy Lebel, commissaire à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 3 juin 2009, est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission aux fins d’un nouvel examen.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3171-09

 

INTITULÉ :                                       KAUR, Kuldeep c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Bertrand                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Émilie Tremblay                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Bertrand, Deslauriers                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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