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Cour fédérale

 

Federal Court


Date :  20100129

Dossier :  T-622-09

Référence :  2010 CF 105

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

BANQUE CANADIENNE

IMPÉRIALE DE COMMERCE

demanderesse

et

 

NELLIE TORRE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision interlocutoire rendue le 18 mars 2009 par Me Gilles Brunet, arbitre (le tribunal), décidant qu’il a compétence pour entendre la plainte de congédiement injustifié déposée par la défenderesse en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code), d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               La demanderesse, la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la banque), est une entreprise fédérale. Le 30 avril 2007, le supérieur immédiat de la défenderesse, M. Daniel Poudrier, vice-président associé, a congédié la défenderesse, Madame Nellie Torre. On lui reproche alors d’avoir contrevenu aux règles de confidentialité de la banque.

[3]               La partie III, section XIV du Code (articles 240 à 246), permet à un employé non syndiqué travaillant dans une entreprise fédérale, croyant avoir été congédié injustement, de déposer une plainte contre son employeur, s’il justifie par ailleurs d’une année de service continu (article 240). Cependant, en vertu du paragraphe 167(3), l’employé qui occupe le poste de « directeur » ne peut se prévaloir de ce régime.

 

[4]               Faisant valoir que la défenderesse occupait un poste de « directeur », la demanderesse a demandé au tribunal de rejeter la plainte au motif d’absence de compétence. Pour le moment, il suffit de rappeler qu’au moment de son congédiement, la défenderesse occupait le poste de directrice du centre bancaire de Langelier (province de Québec). De fait, cinq employés, dont trois représentantes au service à la clientèle et deux représentants aux ventes, étaient sous la supervision de la défenderesse.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, la demanderesse n’a pas convaincu cette Cour qu’une erreur révisable a été commise par le tribunal.

 

I   –      NORME DE CONTRÔLE

[6]               En pratique, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 49 (Dunsmuir) n’a sensiblement pas modifié la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par un arbitre nommé en vertu du Code (Deschênes c. Banque canadienne impériale de commerce, 2009 CF 799 aux paragraphes 12 et 13).

 

[7]               En effet, les clauses privatives aux paragraphes 243(2) et 251.12(7) du Code en matière de congédiement injustifié et de réclamation monétaire, ainsi que la raison d’être et l’expertise de l’arbitre commandent toujours un degré de déférence très élevé (Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28 au paragraphe 48; Bitton c. Banque HSBC Canada, 2006 CF 1347 au paragraphe 29).

 

[8]               Somme toute, en ce qui concerne les questions de fait, cette Cour n’interviendra que si la décision du tribunal s’avère être basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou a été rendue sans que le tribunal tienne compte des éléments de preuve dont il disposait : alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 46.

 

[9]               L’interprétation juridique par un arbitre du terme « directeur » utilisé au paragraphe 167(3) du Code, considérée isolément, peut soulever une question de droit révisable selon la norme de la décision correcte. Toutefois, en pratique, la détermination faite par le même arbitre, après une étude exhaustive de la preuve au dossier, qu’une personne occupe ou non un poste de directeur, doit être traitée comme une question mixte de fait et de droit.

 

[10]           Or, de façon générale, une question mixte de fait et de droit est révisée selon la même norme de contrôle qui s’applique aux questions de fait, lesquelles sont normalement examinées selon la norme de la décision raisonnable (Democracy Watch c. Campbell, 2009 FCA 79 aux paragraphes 21 et 22).

 

[11]           Dans Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 49, les juges Bastarache et LeBel insistent sur la nécessité d’examiner la décision attaquée sous l’angle des conclusions de fait et du raisonnement général du tribunal :

 

La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur.  Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93.  La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

 

 

[12]           L’examen par le tribunal des tâches effectuées par un employé est un exercice purement factuel. Chaque affaire où la question des responsabilités de gestion d’un employé est soulevée constitue un cas d’espèce. Dans le cas de contestation, notamment lorsque des questions de crédibilité sont soulevées par les parties, les conclusions du tribunal méritent la plus grande déférence. Dans le cas présent, même si le procureur de la demanderesse invoque le spectre de la question « juridictionnelle », compte tenu de l’expertise spécialisée de la fonction arbitrale, il n’y a pas de raison particulière pour entreprendre un examen de novo de la preuve et pour réviser le raisonnement ainsi que les conclusions générales du tribunal selon la norme de la décision correcte plutôt que la norme de la décision raisonnable.

 

II   –     NOTION JURIDIQUE DE DIRECTEUR

[13]           Étant donné que le mot « directeur » utilisé au paragraphe 167(3) du Code n’est pas défini par le législateur, la jurisprudence a pallié à cette lacune, en énumérant un certain nombre de critères ou facteurs pertinents à considérer pour déterminer dans quels cas un employé occupe ou non un poste de directeur.

 

[14]           Le tribunal mentionne dans la décision attaquée qu’il existe deux courants « de pensée  » dans la jurisprudence, l’un voulant que le mot « directeur » soit interprété largement, l’autre restrictivement. Toutefois, cette conclusion n’est pas déterminante et ne porte pas conséquence puisque le tribunal accepte « qu’il faut favoriser la deuxième école de pensée, soit une interprétation restrictive de la notion de directeur… ». 

 

[15]           En effet, la demanderesse concède que l’exclusion contenue au paragraphe 167(3) du Code doit recevoir une « interprétation restrictive ». D’ailleurs, à plusieurs reprises, la Cour d’appel fédérale a constaté que le mot « directeur » au paragraphe 167(3) devait avoir un sens restreint parce que cette disposition « soustrait les employés qui sont des "directeurs" du groupe des personnes bénéficiant d'un … droit [de redressement prévu par le Code] » (Lee-Shanok c. Banque Nazionale del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578 au paragraphe 11 (C.A.F.); Canada Le procureur général du Canada c. Gauthier, [1980] 2 C.F. 393 (C.A.F) et Avalon Aviation Ltd. c. Canada (Code canadien du travail), [1981] A.C.F. no 111 (QL)).

 

[16]           En ce qui concerne les critères pertinents pour déterminer si une personne est ou non un « directeur », dans Msuya c. Sundance Balloons International Ltd., 2006 CF 321 au paragraphe 23 (Msuya), la Cour fédérale a décidé que l’approche de l’arbitre Bertrand dans la décision Isaac c. Listuguj Mi'gmaq First Nation, [2004] C.L.A.D. no 287 (Isaac), que cite notamment le tribunal dans la décision attaquée constitue « l’approche correcte ». À cet égard, mon collègue le juge Barnes a indiqué que « [l]e critère fondamental est de décider si [la] personne avait une autonomie, un pouvoir discrétionnaire et une autorité importants dans l'entreprise de l'employeur » (Msuya, paragraphe 23). Je suis d’accord avec lui.

 

[17]           Tant dans la décision Isaac que dans la jurisprudence arbitrale auquelle le tribunal fait également référence dans la décision attaquée, on retrouve nombre de critères dont le caractère utile n’est pas véritablement remis en question par la demanderesse :

·                    la nature du travail effectué par le soi-disant « directeur » est plus importante que le titre du poste;

·                    le « directeur » doit jouer le rôle d’administrateur et non celui d’exécutant;

·                    un « directeur » au sens du paragraphe 167(3) de la Loi peut être en haut ou en bas de la pyramide de direction, tout dépendra du degré d’autonomie dont jouit le directeur et de l’importance des fonctions de gestion en cause ;

·                    le directeur doit être en position de contrôle. Ainsi, il faut faire une nette distinction entre un « superviseur » et un « directeur » ;

·                    une personne n’est pas un « directeur » si elle n’est qu’une courroie de transmission entre les employés sous sa supervision et la direction qui approuve ou désapprouve ses recommandations.

 

[18]           Dans le présent dossier, le tribunal était autorisé à examiner les tâches effectuées par la défenderesse afin de déterminer notamment :

·                 si la défenderesse avait le pouvoir de travailler et de prendre des décisions d’ordre administratif affectant l’entreprise indépendamment de ses supérieurs ;

·                 si la responsabilité primaire de la défenderesse était la direction des autres, ce qui inclut le pouvoir d’embaucher et de superviser des employés ;

·                 si la défenderesse avait le pouvoir de discipliner et de renvoyer les employés (en pratique, le fait que la défenderesse avait ou non exercé par le passé un tel pouvoir de discipline et de renvoi était également un élément pertinent) ;

·                 si les décisions prises par la défenderesse concernant des questions d’importance en matière de personnel et de politiques générales de l’entreprise devaient être entérinées avant d’être exécutoires.

 

[19]           Bien entendu, la nature particulière des activités bancaires de l’employeur, la grosseur même de l’organisation et l’aire d’autorité où la défenderesse exerçait ses fonctions (en l’espèce, un centre bancaire), constituaient également des éléments contextuels importants. En effet, comme l’a également souligné une jurisprudence abondante de la Cour ou des arbitres, notamment l’affaire Banque canadienne impériale de commerce c. Bateman, [1991] 3 C.F. 586 au paragraphe 32 (1re inst.) (Bateman) sur laquelle s’appuie la demanderesse, il n’est pas nécessaire que l’autonomie de la personne ayant porté une plainte de congédiement soit « quasi absolue pour que l'on considère la personne comme un "directeur", et ce, dans le sens "étroit" où l'entend le paragraphe 167(3) ».

 

III   –   CARACTÈRE RAISONNABLE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

[20]           Selon l’arrêt Dunsmuir, ci-dessus, le caractère raisonnable de la conclusion du tribunal à l’effet que la défenderesse n’est pas un « directeur » au sens du paragraphe 167(3) du Code tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47; Khosa, ci-dessus, au paragraphe 59).

 

[21]           La preuve soumise par les parties est relatée en détail par le tribunal dans la décision attaquée. La demanderesse n’a pas véritablement remis en question cette première partie de la décision attaquée. D’ailleurs, le tribunal est mieux placé que la Cour pour évaluer la crédibilité des témoins et soupeser les éléments de preuve soumis de part et d’autre. En l’espèce, les conclusions de fait auxquelles en arrive le tribunal m’apparaissent raisonnables et peuvent se justifier dans les circonstances selon la preuve au dossier.

 

[22]           Plus particulièrement, selon la preuve au dossier, la défenderesse avait pour tâches principales :

·                    de s’assurer d’offrir constamment un service de qualité supérieure à l’échelle du centre bancaire de manière à répondre ou à dépasser les attentes des clients ;

·                    de réaliser les objectifs d’entreprise du centre bancaire ;

·                    de diriger, encadrer et veiller au perfectionnement des employés du centre bancaire en vue de créer une expérience positive pour les clients et développer les capacités de l’équipe ;

·                    de maximiser la capacité opérationnelle du centre bancaire ;

·                    de gérer le risque et s’assurer que des politiques, des procédures et des contrôles sont en place pour réduire le risque de fraude, de contrefaçon et de pertes irrécouvrables ;

·                    de s’assurer de la conformité à toute la formation sur la réglementation et, au besoin, veiller à ce que ces programmes et politiques soient appliqués de façon uniforme dans l’ensemble de l’entreprise.

 

[23]           De plus, les tâches de la défenderesse incluaient :

·                     l’évaluation des employés sous sa supervision deux fois par année ; 

·                    l’entrevue et l’embauche des candidats après une première entrevue complétée par le département des ressources humaines de la banque ;

·                    la formation des représentantes au service à la clientèle ;

·                    la discipline des employés conformément aux directives et procédures de la banque ; 

·                    l’établissement des quarts de travail des employés conformément au ratio de nombre d’heures de travail par employé, pour la succursale, déjà déterminé par la banque ;

·                    la gestion des vacances des employés.

 

[24]           Selon la preuve au dossier, il est également clair que la défenderesse devait rencontrer les objectifs fixés par la banque pour le centre bancaire de Langelier. De fait, elle devait s’assurer que les employés sous sa supervision rencontrent leurs objectifs personnels. En ce qui concerne l’évaluation de son rendement et l’atteinte des objectifs du centre bancaire, incluant les objectifs financiers, la défenderesse était évaluée par son supérieur immédiat, M. Poudrier. Outre son salaire, la défenderesse recevait un boni attaché à sa fonction de directrice de succursale.

 

[25]           D’autre part, à deux occasions, des décisions prises par la défenderesse concernant, respectivement, une promotion et un congédiement, ont été infirmées par ses supérieurs. Le premier exemple concerne une employée promue d’un poste de représentante au service à la clientèle à un poste de représentante aux ventes. M. Poudrier était d’avis que le rendement fourni par cette employée était insuffisant. Donc, malgré l’opposition de la défenderesse, M. Poudrier a demandé que l’employée en question soit retournée à son ancien poste. Par la suite, la défenderesse a voulu embaucher une personne qu’elle connaissait mais la division des ressources humaines a refusé l’embauche.

 

 

[26]           L’essentiel du raisonnement du tribunal pour rejeter l’objection préliminaire de la banque et conclure que la défenderesse n’occupe pas un poste de « directeur », se retrouve aux paragraphes 241 à 256 de la décision attaquée :

 

[241] Je suis d’avis qu’il faut favoriser une interprétation qui permet l’accessibilité au recours prévu aux articles 240 et ss. du Code canadien du travail pour les employés qui occupent des postes de supervision par opposition à un poste de direction.

 

[242] Dans le cas sous étude, Madame Torre exerce certes des responsabilités de nature administrative, mais cela ne dépasse pas le cadre de travail de surveillance ou de supervision tel que repris par plusieurs des jugements cités antérieurement : Gil c. Banque Nationale du Canada, Ciminelli c. Bell Canada, Monsieur T.L. c. La Banque, Clarke c. Royal Bank of Canada et Shek c. Bank of Nova Scotia.

 

[243] Son travail à titre de directrice de centre bancaire est également encadré et limité par les politiques et directives émises par les autorités supérieures de la Banque.

 

[244] Par exemple, concernant l’embauche, Madame Torre engage les employés qui lui sont référés par le service du personnel de la Banque. Il y a déjà eu une première sélection d’effectuée. Elle ne décide pas du nombre d’employés dont elle a besoin pour son centre bancaire. Cette décision est prise à des niveaux supérieurs.

 

[245] Au sujet de la formation, elle supervise la formation des caissières (service à la clientèle), tandis que les représentants vendeurs sont formés à l’extérieur. Madame Torre prépare des évaluations de ses employés comme tout gestionnaire dans une entreprise, mais on ne peut conclure de ce seul fait qu’elle exerce une position de directeur au sens de l’article 167(3) du Code canadien du travail.

 

[246] L’évaluation de l’employé détermine l’augmentation de salaire qu’elle a droit, mais ce n’est pas Madame Torre qui fixe l’échelle salariale. Cela se fait à un niveau supérieur au sien.

 

[247] La preuve n’est pas concluante à savoir si Madame Torre a des pouvoirs de discipliner des employés et de congédier. Elle n’a jamais eu à le faire durant ses quatre (4) années à titre de directrice.

 

[248] Elle souligne toutefois qu’il faut se conformer aux politiques et directives prévues dans le manuel (Guidelines) de la Banque dans de tels cas.

 

[249] Monsieur Poudrier affirme que Madame Torre a ce pouvoir de congédier, mais je demeure convaincu que dans une organisation comme celle de la CIBC, un directeur ne peut congédier sans consulter au préalable le service des relations de travail et ressources humaines de la Banque.

 

[250] D’ailleurs, il est à remarquer que toutes les lettres signées par Madame Torre ont été préparées par d’autres personnes de la Banque, même les moins significatives comme celles d’informer les employés sous sa supervision de leur horaire de travail.

 

[251] Au niveau des vacances, elle n’est qu’une courroie de transmission référant à son supérieur le choix des vacances établies par les employés entre eux. Elle n’a jamais eu à intervenir à ce sujet.

 

[252] Concernant les absences injustifiées d’un employé, Madame Torre affirme qu’elle n’a jamais eu à intervenir à ce sujet dans le passé, mais selon elle, les directives sont à l’effet qu’elle doit remplir un livre d’absences et en informer son vice-président associé. Monsieur Poudrier affirme le contraire.

 

[253] En l’absence de la production du Manuel des politiques et directives de la banque, la preuve n’est pas concluante à cet effet.

 

[254] Ce n’est pas la plaignante qui établit le budget de la succursale, cela se fait également à un niveau supérieur.

 

[255] Elle n’a aucun pouvoir décisionnel relativement à l’établissement du budget de son centre bancaire. Celui-ci lui est attribué et son objectif est d’évidemment dépasser les attentes et rentabiliser au maximum son centre bancaire.

 

[256] En somme, elle n’a pas ce pouvoir d’action, d’autonomie et de discrétion qui distingue un employé régi par les dispositions du Code canadien du travail (Partie III, Section XIV) d’un directeur non couvert par l’application du Code canadien du travail.

 

[27]           Le raisonnement et les conclusions de fait du tribunal reposent sur son évaluation de l’ensemble de preuve qui l’amène à conclure que la défenderesse n’est pas un « directeur ». À mon avis, cette conclusion du tribunal s’appuie sur la preuve au dossier et est raisonnable dans les circonstances. Au préalable, le tribunal a bien pris soin de citer divers extraits de décisions arbitrales reprenant maints principes énumérés précédemment par la Cour.  En l’espèce, rien n’indique que l’approche générale du tribunal soit incompatible avec ces principes.

 

[28]           Bref, dans le cas sous étude, après une analyse de la preuve, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que la défenderesse occupait un poste de « supervision » plutôt qu’un poste de « direction » à la banque, de sorte que les reproches formulés aujourd’hui par la demanderesse m’apparaissent injustifiés. En effet, il faut lire la décision du tribunal dans son ensemble. Aussi, il n’est pas approprié, compte tenu de la norme de contrôle applicable en l’espèce, de procéder à une micro-analyse de chaque conclusion du tribunal.

 

[29]           En l’espèce, il est clair ici que sous le couvert de la formulation de prétendues erreurs de droit ou du non-respect des principes d’équité procédurale, la demanderesse s’en prend, en réalité, à la conclusion générale de fait du tribunal. Par exemple, la demanderesse reproche au tribunal d’avoir accordé trop d’importance au fait que, dans un cas, une recommandation d’embauche de la défenderesse n’avait pas été suivie. En ce qui concerne le pouvoir de discipliner de la défenderesse, la demanderesse soumet qu’il existe même si cette dernière n’a pas eu à l’exercer en pratique. Par ailleurs, le fait que la défenderesse soit obligée de respecter les directives et les procédures de la banque, ou qu’elle doive consulter au préalable le service des relations de travail et ressources humaines, s’expliquent dans une grande organisation comme une banque. De plus, le fait que la défenderesse n’établissait pas elle-même les échelles salariales des employés de la succursale sous sa direction n’était pas un élément déterminant selon la demanderesse. Ainsi, selon la demanderesse, le tribunal aurait dû accorder plus d’importance au fait que l’évaluation du rendement des employés du centre bancaire par la défenderesse pouvait affecter les bonis versés par l’employeur. Comme on peut le constater, la demanderesse n’est tout simplement pas d’accord avec l’évaluation que le tribunal fait de la preuve au dossier.

 

[30]           D’autre part, il est clair, à la lecture de la décision attaquée, que le tribunal a considéré les arguments formulés par la demanderesse. Le tribunal ne les a tout simplement pas retenus. Contrairement à la prétention de la demanderesse à l’effet que les motifs du tribunal soit contestables, ceux-ci ne sont pas arbitraires ou dépourvus de rationalité. La demanderesse fait valoir qu’il y a beaucoup de similarités entre l’affaire en cause et la décision de cette Cour dans Bateman, ci-dessus. Par contre, même si cela est le cas, je ne crois pas que le tribunal ait exigé, en l’espèce, comme dans Bateman, ci-dessus, l’existence d’une autonomie « quasi-absolue ».

 

 

[31]           Sans exprimer d’opinion à ce sujet, la conclusion à l’effet que la défenderesse était un « directeur » pouvait sans doute constituer une issue possible (Fox c. Bank of Nova Scotia, [2002] C.L.A.D. no 552 ; Normandeau et National Bank of Canada, [1996] C.L.A.D. no 712 ; Rollingson c. Royal Bank of Canada, [2003] C.L.A.D. no 223). Toutefois, cette conclusion n’était  certainement pas la seule des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », d’autres arbitres ayant pu par le passé rejeter des objections similaires à celle présentées par la demanderesse (Shek et Bank of Nova Scotia, [1996] C.L.A.D. no 126).

 

[32]           Quoiqu'il en soit, la question n’est pas de savoir si il y a plus d’arbitres qui considérent qu’un directeur de centre bancaire est un « directeur » au sens du paragraphe 167(3) du Code. En effet, chaque cas est un cas d’espèce, au risque de me répéter. En l’espèce, le tribunal pouvait raisonnablement conclure, à la lumière de la preuve au dossier, que la défenderesse avait peu d’autonomie en pratique; elle suivait les directives de la banque en matière de discipline, d’embauche, de congédiement, d’établissement des horaires et des salaires, et ce, de manière à ce que les objectifs de la succursale soient rencontrés par le personnel en place. Par conséquent, le rôle de la défenderesse ressemblait donc beaucoup plus à celui d’un superviseur ou d’un surveillant qu’à celui d’un « directeur ». Le tribunal a donc compétence pour entendre la plainte de la défenderesse.

 

IV   –   CONCLUSION

[33]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judicaire doit être rejetée, et ce, avec dépens, vu le résultat.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          T-622-09

 

INTITULÉ :                                         BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE

DE COMMERCE

c.

                                                              NELLIE TORRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 12 JANVIER 2010

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 29 JANVIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patrick Galizia

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Dominic Bianco

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvie Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mercadente, Di Pace Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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