Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100203

Dossier : T-207-09

Référence :  2010 CF 116

Ottawa (Ontario), le 3 février 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

RODIN LEMERISE

Demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Mario Marchand, gestionnaire du service aux particuliers à l’Agence du revenu du Canada (l’Agence), datée le 15 janvier 2009, de rejeter la demande d’allègement du demandeur afin d’obtenir l’annulation des pénalités et des intérêts pour la production tardive de sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2006 en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

 

[2]               Dans la présente affaire, le demandeur se représente seul.

 

Contexte factuel

[3]               Le demandeur, Rodin Lemerise, a produit tardivement sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2006. Il a produit sa déclaration avec près d’une année en retard, soit le 14 avril 2008, alors que la date limite de production était le 30 avril 2007.

 

[4]               Le 1 mai 2008, l’Agence a émis un avis de cotisation pour l’année 2006 par lequel des pénalités et des intérêts ont été imposés pour la production tardive de la déclaration de revenus du demandeur.

 

[5]               Le 2 juin 2008, le demandeur a fait une première demande d’allègement afin d’obtenir l’annulation des montants de 223,40 $ en pénalité pour production tardive et de 140,29 $ d’intérêts sur arriérés en date de janvier 2009. Le demandeur allègue qu’il est atteint du trouble de déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH) et que cette maladie est la cause principale de la production tardive de sa déclaration de revenus et qu’il s’agit d’une situation hors de son contrôle.

 

[6]               Le 5 septembre 2008, le demandeur a reçu la décision de l’Agence l’avisant que sa demande d’allègement avait été refusée.

 

[7]               Le 24 octobre 2008, le demandeur a demandé un réexamen de la décision de l’Agence datée du 5 septembre 2008. Dans le cadre de cette demande, un agent du service aux particuliers à l’Agence nommé Claude Gagnon a été chargé de préparer une recommandation pour son superviseur, Mario Marchand. M. Gagnon s’est appuyé sur les faits et la preuve présentés par le demandeur incluant la Circulaire d’information IC07-1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables (Circulaire IC07-1).

 

[8]               Le 13 janvier 2009, après avoir examiné l’ensemble des documents présentés par le demandeur, Claude Gagnon a recommandé de ne pas annuler la pénalité et les intérêts visés par la demande d’allègement du demandeur.

 

[9]               Le 15 janvier 2009, Mario Marchand, représentant le ministre, a communiqué au demandeur le refus de sa demande, précisant qu’aucune circonstance exceptionnelle n’avait empêché le demandeur de déclarer ses revenus dans les délais prescrits.

 

[10]           Le demandeur conteste la décision du 15 janvier 2009.

 

Questions en litige

[11]           La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi en refusant la demande d’annulation des intérêts et pénalités du demandeur.

 

Législation pertinente

[12]           Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) :

220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

220. (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

152. (4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier, autre qu’une fiducie, ou fiducie testamentaire — pour une année d’imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :

 

a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

 

b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.

152. (4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining, at any time after the end of the normal reassessment period of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year, the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is ten calendar years after the end of that taxation year,

 

(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and

 

 

 

(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year.

 

 

Norme de contrôle

[13]           La Cour d’appel fédérale a déterminé que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire du ministre en vertu des dispositions d’équité de la Loi est la raisonnabilité (Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, 334 N.R. 348 et Comeau c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 271, 361 N.R. 141).

 

Analyse

[14]           Selon le demandeur, le refus du ministre démontre qu’il n’a pas compris ce qu’est le TDAH. Le demandeur explique ses retards répétés dans les années antérieures par le TDAH plutôt que par la négligence ou l’insouciance, car une personne atteinte du TDAH répète constamment les mêmes erreurs. Ceci explique que le demandeur a pu mener une vie professionnelle très responsable et qu’il n’est pas un individu négligent ou insouciant. Le demandeur allègue que ni son témoignage ni le diagnostique de son médecin n’ont été pris au sérieux par le ministre. Selon ses prétentions, le ministre a rendu sa décision en vertu des manquements antérieurs du demandeur et en négligeant sa condition médicale.

 

[15]           Les règles applicables en matière d’allègement pour les contribuables sont contenues dans les lignes directrices de la Circulaire IC07-1. Ces lignes directrices n’ont pas force de loi et ne peuvent pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Sutherland c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 154, 146 A.C.W.S. (3d) 380 aux par. 16-17), mais elles peuvent faciliter l’exercice de cette discrétion.

 

[16]           En vertu de l’article 23 des lignes directrices, le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque certaines situations sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de ses obligations. Parmi les situations énumérées, on retrouve des « circonstances exceptionnelles ».

 

[17]           Pour sa part, l’article 25 des lignes directrices précise qu’une maladie grave ou un accident grave peut compter parmi des « circonstances exceptionnelles » qui peuvent avoir empêché un contribuable de s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi, notamment produire une déclaration dans les délais.

[18]           Dans la présente cause, le demandeur a invoqué la maladie à titre de motif à l’appui de sa demande d’allègement. Il a expliqué qu’il souffrait du TDAH.

 

[19]           Afin d’obtenir une réduction ou l’annulation des pénalités et intérêts, le demandeur a fourni des renseignements à l’appui de sa demande, tel qu’exigé par les lignes directrices. Sur la base des renseignements fournis, le ministre devait se demander si la maladie TDAH du demandeur représentait des circonstances indépendantes de la volonté du demandeur et, le cas échéant, si ces circonstances empêchaient ou pourraient empêcher le demandeur de se conformer à la Loi.

 

[20]           A l’appui de sa demande, le demandeur a soumis une note du Dr Bernard Lafrenière datée du 8 avril 2008. La difficulté pour le demandeur réside dans le fait que cette lettre n’explique pas en quoi son état de santé l’aurait empêché, à titre de « circonstances exceptionnelles » (art. 23 et 25 des lignes directrices) de soumettre sa déclaration de revenu de 2006 dans les délais prescrits par la Loi. En effet, les renseignements contenus dans la lettre sont, somme toute, assez limités. A titre d’exemple, (i) la lettre ne mentionne pas la posologie conseillée au demandeur par le médecin      (ii) elle n’explique pas les conséquences de la médication sur le demandeur (iii) elle n’indique pas depuis combien de temps le demandeur est sous médication (iv) elle est silencieuse quant à l’état de santé du demandeur en général - c’est-à-dire quelles sont les raisons pouvant expliquer que le demandeur est performant dans certaines sphères d’activités et moins dans d’autres et, (v) de quelle façon la médication peut entraîner des difficultés pour le demandeur lorsque vient le temps d’effectuer certaines tâches, notamment produire sa déclaration annuelle d’impôt. A la lumière de cette note fournie par le demandeur, la Cour est d’avis qu’il était difficile pour le ministre de conclure que le demandeur ne peut produire ses déclarations de revenu dans les délais prescrits par la Loi.

 

[21]           Au surplus, la décision du 5 septembre 2008 rappelle que plusieurs des déclarations de revenus antérieures du demandeur, soient celles correspondant aux années 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 et 2004, avaient été produites après le délai d’échéance. La Cour note que parmi les facteurs utilisés pour arriver à sa décision, le ministre peut considérer si le contribuable a respecté par le passé ses obligations fiscales (art. 33 des lignes directrices).

 

[22]           La lettre du 5 septembre 2008, lu a contrario, est également à l’effet qu’entre 1998 et 2003 ainsi qu’en 2005 le demandeur a démontré qu’il était en mesure de produire ses déclarations dans les délais.

 

[23]           L’article 32 des lignes directrices impose au demandeur le fardeau de fournir à l’Agence tous les renseignements pertinents à l’appui de sa demande d’allègement. Il est en effet bien établi qu’un contribuable qui invoque son état de santé au soutien d’une demande d’allègement des pénalités ou intérêts a le fardeau de prouver que sa maladie ou son état de santé constituent des facteurs indépendants de sa volonté et que les intérêts dus découlent principalement de ces facteurs (Young c. Canada, (1997), 138 F.T.R. 37, 76 A.C.W.S. (3d) 447 au par. 19 (C.F.P.I). Le fardeau de preuve incombait donc au demandeur et non pas à l’Agence.

[24]           La Cour n’a pas à décider si le ministre a eu raison ou tort, mais plutôt s’il a considéré toute la preuve devant lui de façon équitable de manière à déterminer si l’omission du demandeur de se conformer à la Loi a été causée par des facteurs indépendants de sa volonté. La question n’est pas de savoir si la Cour aurait rendu une décision différente, mais plutôt de savoir si la décision du ministre était raisonnable compte tenu de la preuve du demandeur pour appuyer sa prétention.

 

[25]           Finalement, le demandeur a avancé qu’il disposait d’un délai de trois (3) ans pour produire sa déclaration d’impôt. La Cour est en désaccord. En effet, en vertu de l’article 150 de la Loi, une déclaration de revenu doit être produite pour chaque année d’imposition d’un contribuable. Le délai de trois (3) ans de prescription prévu à l’article 64 des lignes directrices auquel fait référence le demandeur s’applique plutôt dans le cas d’un remboursement d’impôt, ce qui ne correspond pas aux faits en l’espèce.

 

[26]           Après avoir pris connaissance du dossier et entendu les parties, la Cour est satisfaite que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle. La Cour conclut que le ministre a examiné la preuve présentée devant lui et que la décision n’était pas fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la Loi (Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 44 N.R. 354 au par. 8).

 

[27]           Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, il n’y aura pas de dépens.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-207-09

 

INTITULÉ :                                       Rodin Lemerise c. Le Procureur général du Canada

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rodin Lemerise

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aucun

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

John H. Sims, c.r.

Sous procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.