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Federal Court

 

Cour fédérale


Date: 20100219

Dossier :  T-1567-08

Référence : 2010 CF 188

Ottawa (Ontario), le 19 février 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

ENTRE :

OCEAN SERVICES LIMITED

demanderesse

 

et

 

MARCEL GUENETTE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]     Ocean Services Limited demande le contrôle judiciaire de la décision sur une requête préliminaire que John B. Malone (l’arbitre) a rendue le 10 septembre 2008, par laquelle il s’est déclaré compétent pour entendre la plainte pour congédiement déposée par Marcel Guenette.

 

[2]     Le défendeur était homme d’équipage de navire, employé comme mécanicien de pont/pompiste. Après avoir été congédié, il a déposé contre la demanderesse une plainte pour congédiement injustifié sous le régime de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). L’arbitre a été nommé par le ministre du Travail sous le régime de l’article 242 du Code pour entendre la plainte.

 

[3]     La demanderesse fournit des hommes d’équipage à des navires et elle employait le défendeur. Elle a soutenu dans une objection préliminaire que l’arbitre n’était pas compétent pour entendre la plainte, car selon l’alinéa 242(3.1)a) du Code, celui-ci ne peut procéder à l’instruction de la plainte si le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste.

 

[4]     L’arbitre a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé le licenciement de bonne foi et que deux des navires clients de celle-ci avaient été remplacés par quatre navires, ce qui démontrait que le congédiement du défendeur n’était pas dû à un manque de travail ou à la suppression d’un poste.

 

[5]     La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Elle allègue que les preuves qui ont été présentés à celui-ci établissent que le défendeur a été licencié par manque de travail et suppression d’un poste. Elle demande :

a.         une ordonnance de la Cour écartant et annulant la décision contestée;

b.         un jugement déclaratoire qu’en vertu de l’alinéa 242(3.1)a) du Code, l’arbitre n’est pas compétent pour instruire la plainte ou le congédiement injustifié du défendeur sous le régime de l’article 240 du Code;

c.         un jugement déclaratoire que l’arbitre a violé les principes d'équité procédurale et de justice naturelle, ce qui lui a fait perdre compétence;

d.         une ordonnance sur les dépens de la présente demande, favorable à la demanderesse et défavorable au défendeur;

e.         toute autre ordonnance ou réparation que la demanderesse peut demander à la Cour de considérer ou que la Cour peut juger à propos ou juste dans les circonstances.

 

LE CONTEXTE

[6]     La demanderesse est une personne morale du Nouveau-Brunswick qui fournit des hommes d’équipage canadiens à des navires. En 1983, elle a recruté le défendeur, qui était mécanicien de pont/pompiste sur le navire M.V. Irving Canada.

 

[7]     Irving Oil Ltd. (Irving) a retiré progressivement du service deux pétroliers à coque simple, le M.V. Irving Eskimo en octobre 2005 et le M.V. Irving Canada en août 2006. En 2005-2006, Irving a loué à la société néerlandaise Vroon B.V. quatre navires : l'un battait pavillon canadien alors que les autres battaient des pavillons étrangers. Le M.T. Acadian battait pavillon canadien, et les trois autres étaient le M.V. Nor’Easter, le M.V. Great Eastern et le M.V. New England.

 

[8]     La demanderesse fournit l’équipage du M.T. Acadian. Deux autres sociétés, Hanza Marine Ltd. et Marine Dolphin Ltd. ont fourni l’équipage des trois navires battant des pavillons étrangers. Hanza a fourni des équipages russes et lettons et Marine Dolphin Ltd., des Philippins.

[9]     Les sociétés exploitant les navires et fournissant les équipages de ceux-ci ont des liens entre elles. La demanderesse a été vendue le 31 décembre 2003 à Norbulk Shipping Company Ltd. (Norbulk), une société basée aux Bermudes. Celle-ci détenait aussi 60 p.100 des actions de Hanza. Norbulk possédait en plus Norbulk Shipping U.K., Ltd., qui exploite des navires mais ne constitue pas d'équipages, dont les quatre navires de Vroon B.V. Enfin, Norbulk possède Norbulk Shipping N.B. Ltd., une société du Nouveau-Brunswick.

 

[10]      Norbulk Shipping U.K. Ltd., l’une des sociétés de Norbulk, a eu un entretien avec le défendeur en octobre 2003 relativement à un poste d’équipage de l’un des navires de remplacement. Le défendeur a échoué à l’entretien. Le 26 juin 2006, la demanderesse lui a signifié la cessation de son emploi ou son licenciement avec prise d’effet à la date de la vente du M.V. Irving Canada. Son emploi s’est terminé le 22 septembre 2006. Il avait déposé sa plainte pour congédiement injustifié le 9 août 2006.

 

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[11]      Le défendeur conteste les questions soulevées par la demanderesse et soutient que ce n’est pas le moment d’analyser la décision interlocutoire, soit la conclusion de l’arbitre relativement à l’alinéa 242(3.1)a). Il soutient qu’il conviendrait davantage de traiter cette question préliminaire en appel.

 

[12]      La règle relative au contrôle judiciaire des requêtes interlocutoires a été énoncée par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 3 de Szcezecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 934 : sauf circonstances spéciales, la Cour ne doit pas entendre les demandes de contrôle judiciaire de décisions interlocutoires si elles sont susceptibles de retarder les audiences au fond. Dans Canada c. Schnurer Estate, [1997] 2 C.F. 545, la Cour d’appel fédérale a confirmé sa décision dans Szcezrcka, mais a décidé de procéder au contrôle judiciaire car la décision contestée réglait les droits fondamentaux d’une partie.

 

[13]      La réponse à la question de savoir si l’arbitre est compétent pour instruire l'affaire règle les droits substantiels des deux parties. Je vais donc instruire la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]      La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.         l’arbitre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a conclu qu’il était compétent pour instruire la plainte du défendeur en vertu de l’article 240 du Code, car celui-ci avait été licencié consécutivement à la suppression d'un poste ou à un manque de travail sur le fondement de l’alinéa 242(3.1)a) du Code ;

b.         l’arbitre a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu qu’il n’était pas sans compétence pour instruire la plainte du défendeur pour congédiement injustifié présentée en vertu de l’article 240 du Code, sur le fondement de l’alinéa 242(3.1)a) du Code;

c.         l’arbitre a fondé sa décision qu’il était compétent pour instruire la plainte du défendeur pour congédiement injustifié présentée en vertu de l’article 240 du Code, sur une conclusion factuelle erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans avoir tenu compte de la preuve dont il disposait;

d.         l’arbitre a agi contrairement aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, car après que la demanderesse et le défendeur ont eu terminé la présentation de leurs preuves respectives,

                                       i.      il a ajourné l’audience et ordonné à la demanderesse de communiquer des éléments de preuve documentaire;

                                     ii.      il a repris l’audience afin d’entendre d’autres éléments de preuve présentés de vive voix.

 

[15]      Je conclus que la première question en l’espèce est une question de droit qui restreint la compétence de l’arbitre. L’alinéa 242(3.1)a) du Code empêche l’arbitre d’examiner le dossier de plaignants licenciés pour manque de travail ou de ceux dont les postes sont supprimés. L’arbitre doit d’abord tirer une conclusion de droit, puis l’appliquer à ses conclusions de fait. Il doit interpréter le sens des expressions « licenciement pour manque de travail » et « suppression d'un poste ». Puis il doit décider si les faits dont il dispose correspondent à l’une ou l’autre de ces expressions. Les réponses à ces questions permettront de décider si l’arbitre va instruire la plainte. Je conclus donc que la solution réside dans la question suivante :

a.       l’arbitre a-t-il commis une erreur de droit relativement à sa conclusion à propos de  l’alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail?

 

Si la réponse est affirmative et que la conclusion correcte est que le défendeur a été licencié ou que son poste a été supprimé, l’arbitre est alors incompétent pour instruire l’affaire. Il est compétent si  la réponse est négative.

 

[16]      La question suivante porte sur les conclusions de fait. La demanderesse allègue que l’arbitre a commis dans celles-ci une série d’erreurs. Il s’agit de sa question « c » et je considère qu’elle se pose en ces termes :

b.    l’arbitre a-t-il fondé sa décision qu’il était compétent pour instruire la plainte du défendeur pour congédiement injustifié présentée en vertu de l’article 240 du Code, sur une conclusion factuelle erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans avoir tenu compte de la preuve dont il disposait?

 

[17]      Selon la demanderesse, la troisième question est relative à l’équité procédurale et à la justice naturelle. Ces notions relèvent de la common law. L’audience s’est toutefois déroulée selon les dispositions procédurales du Code. Le fond de la question est la façon dont l’arbitre a mené l’audience à la lumière de ces dispositions.  C’est là une pure question de droit. Je conclus qu’il faut répondre à la question suivante :

c.       l’arbitre a-t-il erronément interprété et appliqué l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail lorsqu’il a instruit cette plainte?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]      La Cour suprême du Canada a conclu dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), qu’il existe à présent deux normes de contrôle : la décision correcte et la raisonnabilité. Le contrôle des questions de droit s’effectue en général au regard de la décision correcte. La raisonnabilité commande plus de retenue et sera employée pour contrôler des questions de fait et, de façon générale, des questions mixtes de fait et de droit.

En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Canada (Procureur général) c.Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés. Dunsmuir paragraphe 53

 

 

[19]      La norme de contrôle est forcément la décision correcte pour les questions de compétence.

 

[20]       La Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y a pas lieu de faire une analyse quant à la norme de contrôle dans chaque demande de contrôle judiciaire. La cour de révision peut appliquer la jurisprudence déjà bien établie à l’égard de la norme de contrôle applicable à la question qui lui est présentée. Dunsmuir, paragraphe 57.

 

[21]      Les questions en l’espèce appellent des normes de contrôle différentes.

 

[22]      La première question est relative au droit et concerne une disposition du Code qui limite la compétence de l’arbitre aux plaintes où il n’y a eu ni manque de travail ni suppression d’un poste. Les cours de justice ont conclu que de nombreuses questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité s’il existe une disposition privative stricte comme c’est le cas en l’espèce. Il n’y a toutefois qu’une seule norme de contrôle en cas de dispositions relatives à la restriction de la compétence – la décision correcte. Aziz c. Telesat Canada, [1995] A.C.F. no 1603, paragraphes 14 à 19. (Aziz)

 

[23]      Le juge Darrel Heald a analysé dans Aziz le rapport entre la détermination des faits et la compétence. Dans la mesure où l’arbitre applique la loi aux faits, la norme de contrôle pour une conclusion mixte de fait et de droit est la raisonnabilité :

Dans l'espèce Canada c. Davis, M. le juge Muldoon parle du critère d'examen applicable au contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre nommé conformément au Code du travail. La clause privative examinée dans cette affaire était la même que celle qui est examinée ici. Le juge Muldoon arrive à la conclusion, dans les circonstances visées, que le critère d'examen applicable aux erreurs commises dans le respect de la compétence attribuée est le critère de l'erreur manifestement déraisonnable, tandis que le critère d'examen applicable à la question de la compétence est le critère de justesse. Le juge Muldoon s'appuie en particulier sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'espèce Paccar of Canada Ltd. c. Association canadienne des travailleurs des industries mécaniques et assimilées, section locale.

 

En résumé, la jurisprudence applicable montre clairement que le critère d'examen relatif aux erreurs de fait et de droit est le critère élevé, et même rigoureux, de l'erreur manifestement déraisonnable. Elle montre également que le critère moindre, c'est-à-dire le critère de justesse, s'applique lorsque les erreurs se rapportent à des dispositions qui définissent la compétence d'un arbitre.

 

 

[24]      La deuxième question est relative aux faits. Le juge Pinard a contrôlé, dans Kassab c. Bell Canada, 2008 CF 1181, la décision d’un arbitre de ne pas instruire une plainte pour congédiement, sur le fondement de l’alinéa 242(3.1)a) du Code. Il a contrôlé les conclusions de fait selon la norme de raisonnabilité en se fondant sur son interprétation de l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53. Je suis d’accord avec sa conclusion que la norme de contrôle qui convient aux conclusions de fait d’un arbitre est la raisonnabilité.

 

[25]      Finalement, la question de procédure est une question de droit. Depuis Dunsmuir, les cours de justice doivent choisir entre deux normes de contrôle lorsqu’ils contrôlent les décisions des tribunaux administratifs : la raisonnabilité et la décision correcte. La Cour suprême affirme ce qui suit :

Rappelons que dans le cas d'une question de droit générale « à la fois, d'une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d'expertise de l'arbitre » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62, le juge LeBel), la cour de révision doit également continuer de substituer à la décision rendue celle qu'elle estime constituer la bonne. Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l'administration de la justice dans son ensemble.

 

J’estime que l’interprétation des dispositions du Code portant sur la procédure est une « question de droit générale ». La Cour possède beaucoup plus d’expertise pour évaluer les mesures et les procédures qui garantissent l’équité des audiences. Je conclus en conséquence que cette question doit être contrôlée selon la décision correcte.

 

LA LÉGISLATION

[26]      Le Code canadien du travail prévoit ce qui suit :

242.  (2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier…

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

 

242.  (2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint;…

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

[27]      Les Règles concernant la pratique et la procédure à la Cour d'appel fédérale et à la Cour fédérale, DORS/98-106 (les Règles), prévoient ce qui suit :

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

 

ANALYSE

L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit relativement à sa conclusion à propos de  l’alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail?

[28]      En l’espèce, l’arbitre a énoncé le critère relatif à l’alinéa 242(3.1)a) en faisant référence à l’ouvrage de Howard Levitt, The Law of Dismissal in Canada, 3e éd., aux pages 2‑37 et 38, et en raisonnant ainsi :

Le paragraphe 242(3.1) reconnaît le droit inhérent et le pouvoir discrétionnaire de l’employeur qui procède à une restructuration de prendre des décisions de nature organisationnelle et des décisions fondées sur l’efficacité. Cela étant dit, il est bien établi en droit qu’il incombe à l’employeur de démontrer que l’employé a été en fait licencié. Pour ce faire, il doit présenter des éléments de preuve démontrant que le licenciement a été fait de bonne foi, soit en raison du « manque de travail », soit en raison de la « suppression d’un poste ». De plus, le « manque de travail » ou la « suppression d’un poste » ne saurait constituer qu’une raison parmi d’autres du licenciement, mais doit constituer le [traduction] « motif réel, essentiel et effectif » ou la [traduction] « raison véritable et principale » du licenciement.

 

[29]      La demanderesse ne conteste pas cette affirmation. Son argumentation fait valoir pour l’essentiel la séparation de l’emploi sur le navire battant pavillon canadien de celui sur les navires battant pavillons étrangers. Elle soutient que deux navires battant pavillon canadien ont été remplacés par un navire battant pavillon canadien, et affirme qu’elle avait la responsabilité de fournir seulement l’équipage de celui-ci. C’est pourquoi la question de la compétence visée par l’alinéa 242(3.1)a) entre selon elle en jeu.

 

[30]      La demanderesse soutient que le manque de travail découle de la réduction de la flotte battant pavillon canadien et aussi que le poste de pompiste du défendeur a été supprimé sur le navire de remplacement battant pavillon canadien.

 

[31]      La position de la demanderesse est en opposition avec la conclusion de l’arbitre. Selon celui-ci en effet, quatre navires ont remplacé deux navires déclassés, et le [traduction] « motif réel, essentiel et effectif » ou la [traduction] « raison véritable et principale » du congédiement du défendeur n’a pas été le manque de travail ou la suppression d'un poste.

 

[32]      L’arbitre a correctement exposé le droit fondant son interprétation de l’alinéa 242(3.1)a) du Code. Je dois à présent examiner si ses conclusions de fait étaient sa conclusion qu’il était compétent pour instruire la plainte.

 

L’arbitre a-t-il fondé sa décision qu’il était compétent pour instruire la plainte du défendeur pour congédiement injustifié présentée en vertu de l’article 240 du Code, sur une conclusion factuelle erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans avoir tenu compte de la preuve dont il disposait?

[33]      La demanderesse soutient que l’arbitre a erronément déclaré que son témoin, Mme Belinda McQuade, est devenu gérante et directrice de Norbulk Shipping Company Ltd. Selon les preuves présentées tant par la demanderesse que par le défendeur, plusieurs sociétés ont en commun le nom « Norbulk » : Norbulk Shipping Company Ltd., Norbulk Shipping UK Ltd., Norbulk Shipping (NB) Ltd. Le défendeur souligne que le témoin de la demanderesse déclare ne pas avoir été gérante ou directrice de Norbulk Shipping Ltd. ou de Norbulk Shipping UK Ltd., mais qu’elle évite de faire référence à Norbulk Shipping (NB) Ltd. Il donne à entendre que celle-ci est la société dont parlait le témoin et qu’elle a mal désignée dans son témoignage, simple erreur qu’a relevé l’arbitre. L’erreur dont se plaint la demanderesse importe peu à mon avis pour la conclusion de l’arbitre.

 

[34]      La demanderesse allègue que l’arbitre a erronément conclu qu’elle était une société de services d’équipage qui fournissait des marins et des hommes d’équipage à des navires, sans préciser qu’elle ne fournissait ce service qu’à des navires battant pavillon canadien. Puisque l’arbitre a mentionné que le navire de remplacement battant pavillon canadien était le M.T. Acadian, puis a déclaré que la demanderesse avait fourni l’équipage de ce navire tandis que celui des trois navires battant pavillons étrangers avait été fourni par une autre société Norbulk, je ne suis pas d’accord qu’il ait commis une erreur.

 

[35]      Les autres erreurs de fait alléguées par la demanderesse ont toutes trait au point de savoir si le défendeur a été interviewé pour un poste uniquement sur le M.T. Acadian ou bien pour un poste sur l’un des quatre navires entrant en service. La demanderesse soutient que l’arbitre a tiré les conclusions de fait suivantes qui n’étaient pas étayées par la preuve :

a.                   en octobre 2003, Norbulk a accordé au plaignant une entrevue de 30 minutes, afin de déterminer si ce dernier possédait des compétences pour faire partie de l’équipage de l’un des quatre (4) navires de remplacement, alors que l’entretien avec le plaignant n’a été que pour des postes vacants sur le seul navire battant pavillon canadien, l’Acadian;

b.                  Ocean Services devait avoir avec le plaignant un entretien suffisant pour les postes vacants sur les autres navires;

c.                   les postes vacants sur les nouveaux navires de remplacement auraient dû être pourvus en fonction de l’ancienneté;

d.                  les documents de l’employeur indiquent clairement que quatre (4) navires remplaceraient les deux (2) navires mis hors service, sans faire mention qu’Ocean Services devait fournir des marins ou des hommes d’équipage à seulement un des quatre nouveaux navires.

 

[36]      La demanderesse soutient que la preuve démontre que l’entretien du défendeur a uniquement été pour un poste sur le M.T. Acadian. L’arbitre a tiré une autre conclusion :

Quelques rôles d’équipage déposés en preuve étaient rédigés sur du papier à en‑tête de Norbulk. L’employeur s’occupait de l’équipage du M.T. Acadian, tandis que celui des trois (3) nouveaux navires étrangers relevait d’une société d’équipage de Norbulk, connue sous le nom de Hanza – ayant comme équipage des Russes et des Lettons. En octobre 2003, Norbulk a accordé au plaignant ce qui a semblé être une entrevue de 30 minutes, afin de déterminer si ce dernier possédait des compétences pour faire partie de l’équipage de l’un des quatre (4) navires de remplacement.

 

[37]      J’ai examiné les preuves qui ont été présentées à l’arbitre, et je conclus que son affirmation est raisonnable. Le témoin de la demanderesse, Mme Belinda McQuade, a d’abord déclaré ce qui suit :

[traduction] Guenette a eu une entrevue d’une demi-heure le 1er octobre 2003 pour des postes vacants sur le nouveau navire Acadian devant être fourni par Vroon B.V. par les armateurs Norbulk Shipping UK Ltd. Guenette n’a pas eu d’entretien pour le Nor”Easter, le Great Eastern ou le New England, car l’équipage de ces navires était formé de marins et d’équipiers étrangers, fournis par des sociétés étrangères d’équipages. Il n’a pas réussi à obtenir de poste.

 

Mme Belinda McQuade n’a pas assisté aux entrevues et ce qu’elle sait de celles-ci et de leur teneur est uniquement fondé sur la foi de renseignements et sur ce qu'elle croit être les faits. À ce titre, son témoignage ne doit recevoir aucun poids. Paragraphe 81(1) des Règles, paragraphes 20, 21 de Kassab.

 

[38]      La preuve documentaire n’est pas aussi explicite que l’affirmation de Mme McQuade. La déclaration suivante figure à la pièce A de son affidavit, soit la Présentation aux officiers et à l’équipage du projet de remplacement des pétroliers – 22 septembre 2003 :

[traduction] Besoins de main-d’œuvre

·      Pour le navire battant pavillon canadien, il va falloir deux équipages complets d’environ – 38 personnes

·      Pour les navires battant pavillons étrangers, il faudra des capitaines et des ingénieurs en chef, soit peut-être 12 personnes, sous réserve de ce qui conviendra et des modalités convenues

·      Pour le personnel sédentaire, peut-être un gérant technique, un surveillant maritime et un adjoint administratif

Avis de main d’œuvre – courant

·      Les armateurs Norbulk mèneront en octobre 2003 des entretiens pour les postes vacants sur les nouveaux pétroliers.

 

[39]      Le Projet de remplacement des pétroliers, à la pièce B – Itinéraire pour la visite de Norbulk du 1er au 3 octobre, comporte la déclaration suivante :

[traduction]

Le personnel de Norbulk sera à Saint John pour rencontrer la haute direction de Kent Line Limited et discuter de main-d'oeuvre maritime et d’armement de navires, puis mener des entrevues avec le personnel de bureau.

Il y aura ensuite des réunions et des entrevues avec le personnel du navire en congé qui réside à Saint John ainsi qu’avec le personnel navigant à bord du navire Irving Canada, qui doit être à Saint John à ce moment-là.

 

[40]      Le nom du défendeur figure sur la liste du personnel navigant pour une entrevue le 1er octobre 2003. Selon la preuve documentaire, Kirk Taylor, lui aussi sur la liste de l’équipage du Irving Canada, est ensuite devenu équipier sur le navire battant pavillon étranger M.T. Nor’Easter.

 

[41]      Je relève que la demanderesse n’a pas eu d’entrevue avec le défendeur. L'entrevue a été faite par Norbulk Shipping UK Ltd., laquelle était chargée de l’exploitation des quatre navires. Les observations des parties ne font pas état du rôle de cette société dans le déroulement de ces entretiens. Il me semble que la preuve aurait dû préciser si elle avait mené des entretiens pour son propre compte ou à titre d’agent de la demanderesse ou de toutes les sociétés d’équipages. La preuve ne comporte rien à cet égard; cela a peut-être été communiqué oralement devant l’arbitre, mais il n’y a pas de transcription des témoignages oraux.

 

[42]      Il revient à la demanderesse d’établir que la preuve n’étaye pas rationnellement les conclusions de l’arbitre. Celui-ci n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui est contraire à sa conclusion. Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, paragraphes 14 à 16.

 

[43]      En l’espèce, il n’est pas si clair que les éléments de preuve dont disposait l’arbitre établissaient que le défendeur avait eu une entrevue seulement pour un poste sur le M.T. Acadian. L’arbitre a été saisi de preuves susceptibles d’étayer sa conclusion. Je ne peux affirmer qu’il a erronément tiré des conclusions factuelles que n’étayait pas la preuve qui lui avait été présentée.

 

[44]      L’arbitre ayant établi le bon critère juridique d'application l’alinéa 242(3.1)a), puis l’ayant appliqué aux conclusions de fait raisonnablement tirées, je ne peux affirmer que soit déraisonnable sa conclusion sur la question mixte de fait et de droit, à savoir que le défendeur n’a pas été licencié par manque de travail ou suppression d’un poste.

 

L’arbitre a-t-il erronément interprété et appliqué l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail lorsqu’il a instruit cette plainte?

[45]      La demanderesse allègue que l’arbitre n’a pas respecté les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Après qu’elle a eu terminé la présentation de ses éléments de preuve, l'arbitre a ajourné l’audience et lui a ordonné de communiquer d’autres preuves documentaires en dépit de son objection, puis après communication des documents, il a repris l’audience afin d’entendre d’autres éléments de preuve présentés de vive voix.

 

[46]      L’alinéa 242(2)b) du Code prévoit que l’arbitre fixe lui-même sa procédure, sous réserve de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations.

 

[47]      Selon la preuve de la demanderesse, son témoin, Mme Belinda McQuade, qui est sa directrice et sa gérante, a comparu le 20 septembre 2007. Elle a été interrogée par l’avocat de la demanderesse, contre-interrogée par celui du défendeur et interrogée de nouveau par celui de la demanderesse. L’avocat du défendeur n’a pas dit vouloir produire des preuves lors de la requête préliminaire. Après une brève suspension de l'audience, l’avocat de la demanderesse a entamé ses conclusions finales, mais a été interrompu par l’avocat du défendeur qui a demandé un ajournement afin d'obtenir communication d’autres renseignements et de pouvoir contre-interroger plus avant le témoin de la demanderesse. Après avoir entendu l’objection de l’avocat de celle-ci, l’arbitre a accordé l’ajournement et ordonné la communication d’autres preuves.

 

[48]      L’audience a repris le 4 septembre 2008 après que la demanderesse eut communiqué d’autres preuves. L’arbitre a questionné le témoin de la demanderesse, puis l'interrogatoire par l’avocat de la demanderesse a suivi et finalement il y a eu contre-interrogatoire par l’avocat du défendeur. La demanderesse a eu la possibilité d’interroger de nouveau son témoin, et les deux avocats ont présenté des observations finales. La décision de l’arbitre a été rendue le 10 septembre 2008.

 

[49]      Mise à part l’interruption initiale qu'a constitué l'ajournement pour communication de preuves supplémentaires, la demanderesse n’allègue pas qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter ses observations. Compte tenu des preuves qui précèdent, je ne peux conclure que l’arbitre n'a pas donné à la demanderesse toute possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations selon ce que prévoit le Code.

CONCLUSION

[50]      Je conclus que l’arbitre a appliqué le bon critère juridique à ses conclusions de fait. Je ne peux affirmer que soit déraisonnable sa conclusion sur les questions de fait et sur la question mixte de fait et de droit. Son audience a été menée en conformité avec les exigences procédurales du Code.

 

[51]      La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.      la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

 

                                                                                                      « Leonard S. Mandamin »        

                                                                                                Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1567-08

INTITULÉ :                                       OCEAN SERVICES LIMITED c. MARCEL

                                                            GUENETTE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

DATE DE L’AUDIENCE :               14 JUILLET 2009

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE :                                               LE 19 FÉVRIER 2010

COMPARUTIONS

Jamie C. Eddy

POUR LA DEMANDERESSE

Peter H. MacPhail

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cox & Palmer

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR LA DEMANDERESSE

Gorman Nason

Saint John (Nouveau-Brunswick)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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