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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100223

Dossier : IMM-2588-09

Référence : 2010 CF 196

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

SHIVANAND KUMAR KATWARU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 6 mai 2009, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Le demandeur est un Guyanien d’origine indo-guyanienne, âgé de 21 ans. Il affirme que, durant son enfance au Guyana, il a été brutalisé par une personne qui était de souche afro‑guyanienne. Son agresseur lui prenait l’argent de son dîner et, en 1996, il a poignardé le demandeur dans l’œil, ce qui explique que le demandeur ne voit plus de cet œil. Le demandeur a été traité au Guyana, mais il est venu au Canada en 1997 pour un mois afin d’y obtenir des soins pour son œil. Il est revenu au Canada en 2002 pour y obtenir d’autres soins. Lorsqu’il est au Canada, il vit chez ses grands-parents, qui sont résidents du Canada.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande d’asile en 2006. Il affirme que, s’il devait retourner au Guyana, il serait victime de discrimination en raison de son origine ethnique, de la violence ethnique et des tensions raciales au Guyana, enfin de la criminalité grandissante.

 

[5]               Ce n’était pas la première fois que le demandeur était entendu par la Commission. Sa première demande d’asile avait été instruite le 17 mai 2006. La demande avait été rejetée le 1er juin 2006. Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le juge Max Teitelbaum a accueilli la demande de contrôle judiciaire et ordonné que la demande d’asile soit renvoyée à un nouveau commissaire. Le juge Teitelbaum a estimé que, s’agissant de la protection de l’État, la Commission avait rendu sa décision sans tenir compte de la preuve qu’elle avait devant elle (voir Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 612; 62 Imm. L.R. (3d) 140)).

 

[6]               La Commission a statué une nouvelle fois sur la demande d’asile en avril 2008. Sur consentement des parties, le juge Roger Hughes a ordonné que la demande d’asile soit renvoyée encore une fois à un autre commissaire (voir Katwaru c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (20 octobre 2008), IMM-3651-08 (C.F.)). La demande d’asile a été entendue le 20 mars 2009, puis rejetée le 6 mai 2009. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

 

A.        La décision contestée

 

[7]               La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un réfugié au sens de la Convention selon l’article 96, ou une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR. Elle a admis que le demandeur courait un risque de discrimination raciale, mais, selon elle, il n’était pas établi que la discrimination équivalait à persécution au sens de l’article 96. La Commission a jugé aussi que le demandeur était exposé à un risque général, et non personnel, et qu’il n’était donc pas une personne à protéger au sens de l’article 97.

 

[8]               Plus précisément, la Commission a déclaré que les brutalités qu’avait subies le demandeur n’étaient pas motivées par le racisme, que les faits s’étaient produits lorsque le demandeur était jeune et que le demandeur pouvait maintenant s’adresser directement à la police pour obtenir son aide. Il était établi que le Guyana s’était attaqué au racisme ambiant et que, bien que la criminalité y soit très répandue, elle est davantage rattachée aux inégalités économiques qu’à la race.

 

[9]               Au cours de l’audience, le commissaire a déclaré que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause.

 

II.         La norme de contrôle

 

[10]           La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission portant sur la protection de l’État est la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n° 886; 2008 CF 696).

 

[11]           Comme on peut le lire dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, la norme de la décision raisonnable requiert que la décision soit justifiée et que le processus décisionnel soit transparent et intelligible. Il faut également se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

III.       Les questions en litige

 

[12]           Selon le demandeur, les questions suivantes doivent être examinées :

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que, au titre de l’article 97 de la LIPR, le demandeur disposait d’une protection de l’État?

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que la demande d’asile était visée par l’exception du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, parce que le demandeur n’était pas exposé à un risque personnel?

 

A.        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que, au titre de l’article 97 de la LIPR, le demandeur disposait d’une protection de l’État?

 

[13]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur, parce qu’elle s’est fondée d’une manière sélective sur certains éléments de la preuve documentaire et qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve documentaire objective pertinente qui lui a été soumise.

 

[14]           Le défendeur fait valoir que la décision était raisonnable et que la Commission pouvait parfaitement conclure que le demandeur serait en mesure de se prévaloir de la protection de l’État au Guyana.

 

[15]           Le demandeur s’appuie fortement sur le jugement antérieur du juge Teitelbaum. Cependant, ce jugement et les motifs qui l’accompagnent se rapportent au contrôle judiciaire d’une autre décision de la Commission, celle de 2007.

 

[16]           Dans la décision Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809; 221 F.T.R. 203, le juge François Lemieux examinait la manière de savoir si un État est capable ou non de protéger ses citoyens. Le juge Lemieux faisait observer que la présomption d’existence d’une protection de l’État, exposée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; [1993] A.C.S. n° 74, pouvait être réfutée si le demandeur apportait une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens. Dans l’arrêt Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94; 69 Imm. L.R. (3d) 309, la Cour d’appel fédérale a jugé que le demandeur devait convaincre le juge des faits que, selon la preuve, la protection offerte par l’État est déficiente.

 

[17]           Tel n’est pas le cas ici. Le commissaire a examiné la preuve produite par le demandeur, mais il n’a pas trouvé qu’elle avait pour effet d’écarter la présomption d’existence d’une protection de l’État.

 

[18]           Le demandeur fait aussi valoir que, sans conclure qu’il n’était pas crédible, la Commission ne pouvait pas passer outre à son témoignage selon lequel il avait cherché à obtenir de l’État une protection. Le commissaire a réglé cet aspect en disant que, à l’époque des agressions, le demandeur n’était pas un adulte et n’avait pas la capacité de demander lui-même à l’État une protection. Il a aussi relevé que l’agression avait été commise plusieurs années auparavant et que, au vu du passé récent du Guyana, les choses avaient changé.

 

[19]           Il est clair que la Commission a l’obligation de considérer la preuve qui lui est validement soumise et que plus la preuve produite est pertinente, plus élevée est l’obligation de la Commission d’expliquer les raisons qu’elle peut avoir de ne pas lui accorder de valeur (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425; 157 F.T.R. 35).

 

[20]           En l’espèce, la Commission s’est fondée sur la réponse à la demande d’information numéro GUY 100762.F, notamment pour appuyer sa conclusion selon laquelle l’État guyanien s’employait à renforcer la protection qu’il offrait à ses citoyens. Dans la décision Katwaru de 2007, précitée, le juge Teitelbaum écrivait que, d’après ce document, les dysfonctionnements au sein de la police sont chroniques et que l’efficacité de la protection assurée par l’État est mise en péril (voir le paragraphe 19). Je souligne que la décision et les questions dont était saisi le juge Teitelbaum étaient différentes de la décision dont la Cour est saisie en l’espèce.

 

[21]           Les motifs de la Commission doivent être fondés sur la totalité de la preuve produite. Certains éléments de preuve documentaire ne sont pas évoqués dans les motifs de la Commission, mais cela n’a pas pour effet de vicier sa décision (voir l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 946; 147 N.R. 317) (C.A.F.)).

 

[22]           Après examen de la preuve documentaire, la Commission a estimé que l’on pouvait obtenir de l’État une protection suffisante au Guyana, même si cette protection n’était pas parfaite. Dans ses motifs, la Commission s’est fondée non seulement sur les documents GUY100762.EF, mais aussi sur des documents évoqués dans les renvois 4, 5 et 8 de sa décision. Sans aucun doute, s’agissant des documents mentionnés dans le renvoi 8, à savoir les 2007 Country Reports on Human Rights Practices du Département d’État des États-Unis, la Commission examinait des documents qu’elle n’avait pas considérés auparavant dans sa première décision concernant la présente affaire. Compte tenu des lignes directrices exposées dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, la décision de la Commission était raisonnable.

 

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que la demande d’asile était visée par l’exception du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, parce que le demandeur n’était pas exposé à un risque personnel?

 

[23]           Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a dit que sa demande d’asile relevait de l’exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, parce qu’il n’était pas exposé à un risque personnel. Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) prévoit ce qui suit :

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

[…]

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

[…]

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

[…]

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

[…]

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

[…]

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

[…]

 

 

[24]           Selon le demandeur, la preuve soumise à la Commission montrait qu’il craignait une vengeance personnelle de la petite brute qui l’avait blessé à l’œil et qui avait continué à le menacer par la suite. Au soutien de sa position, le demandeur invoque la décision Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365; [2007] A.C.F. n° 501.

 

[25]           Dans Pineda, précitée, le demandeur affirmait avoir été ciblé par les membres d’un gang, qui l’avaient attendu à l’extérieur de l’enceinte de l’université et l’avaient tabassé. Le père et la famille du demandeur avaient également été menacés. La Cour fédérale a fait droit au recours exercé par le demandeur contre la décision de la Commission, qui avait jugé que le demandeur n’était pas exposé à un risque personnel. La Cour a fondé sa décision en partie sur le fait que le demandeur ne prétendait pas être exposé à un risque pour sa vie ou sa sécurité du seul fait qu’il était étudiant, jeune ou issu d’une famille aisée.

 

[26]           La décision Pineda, précitée, peut être distinguée de la présente affaire. D’abord, le demandeur ici était un jeune écolier à l’époque des faits, alors que, dans l’affaire Pineda, le demandeur était un adulte à l’époque des agressions. Comme l’a fait observer la Commission, le demandeur et la petite brute sont depuis devenus des adultes.

 

[27]           Deuxièmement, le demandeur dans la présente affaire affirme qu’il a été visé du fait qu’il est d’origine indo-guyanienne. La Commission a fait observer que c’est trop souvent la population indo-guyanienne qui est la cible d’actes de violence, ce qui peut être attribué à l’aisance supposée de cette population. Comme l’écrit la Commission dans sa décision, le juge Teitelbaum avait confirmé une décision antérieure de la Commission selon laquelle les agissements du persécuteur du demandeur n’avaient pas pour mobile le racisme (voir les paragraphes 11 et 12 de la décision Katwaru, précitée).

 

[28]           Dans la décision Carias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602; [2007] A.C.F. n° 817, il s’agissait d’une famille originaire du Honduras qui avait été prise pour cible parce qu’on la supposait riche. Le juge John O’Keefe a estimé que les demandeurs étaient exposés à un risque général de préjudice, risque qui était partagé par de nombreux autres Honduriens, y compris ceux qui étaient supposés riches.

 

[29]           En l’espèce, la Commission a estimé que le demandeur, aujourd’hui adulte, serait en mesure de s’adresser lui-même à la police. Je relève qu’il n’est pas erroné d’apprécier la probabilité future d’une persécution (Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 767; [1994] A.C.F. n° 1928, n° de dossier IMM-654-93 (1re inst.)). Au paragraphe 17, la Cour s’exprimait ainsi :

17        Avant d’examiner cette jurisprudence, je tiens à rappeler que toute personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention doit démontrer, à l’appui de sa demande, qu’elle craint avec raison d’être persécutée à l’avenir. Les preuves ainsi produites peuvent établir que la personne en cause a, dans le passé, fait l’objet de persécutions systématiques, dans son pays d’origine. Mais, en soi, cela ne suffit pas. En effet, le critère applicable aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention est un critère prospectif et non pas rétrospectif. Voir, par exemple, Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Mark (1993), 151 N.R. 213 (C.A.F.), à la page 215. S’il est important de démontrer l’existence de persécutions passées, c’est parce que cela sert de fondement à la crainte d’être persécutée à l’avenir. Ce qui compte vraiment, cependant, c’est de convaincre qu’on craint avec raison d’être persécuté à l’avenir.

 

[30]           Vu le texte du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, le demandeur devait convaincre la Commission qu’il serait personnellement exposé à un risque que ne courait pas de manière générale le reste de la population au Guyana. Le demandeur n’y est pas parvenu. Compte tenu des lignes directrices exposées dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, la décision de la Commission était raisonnable.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                              la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                              il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2588-09

 

INTITULÉ :                                       KATWARU c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Krassina Kostadinov

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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