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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-2335-09

Référence : 2010 CF 200

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

Entre :

LETAY DOMOZ SEBAHTU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d'une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la demande de visa de résident permanent de Mme Sebahtu a été rejetée au motif que Mme Sebathu représentait une menace à la sécurité au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 


II.         CONTEXTE

[2]               La demanderesse est déjà une réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies; elle vit au Soudan depuis qu’elle s’est enfuie d’Éthiopie avec sa famille. Son époux était membre de l’Union démocratique éthiopienne (l’UDE), groupe qui a combattu le régime Derg dans les années 70.

 

[3]               La demanderesse a fait remplir un formulaire des Nations Unies (elle est analphabète) dans lequel il est mentionné qu’elle et son époux avaient fui l’Éthiopie en 1977 et en 1978 respectivement. Le formulaire révélait également qu’elle avait été membre de l’UDE, avait participé à des réunions et avait donné des contributions financières. Il y a des problèmes de dates dans le présent dossier : selon Immigration Canada, la demanderesse a été membre de l’UDE de 1980 à 1998, soit après qu’elle eut fui l’Éthiopie.

 

[4]               Une première entrevue a été tenue en mars 2004. Les notes de l’entrevue renferment des réserves concernant l’analphabétisme des membres de la famille et leur manque de compétence en matière d’emploi. L’agente a noté la possibilité que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés saisisse l’Australie de leur dossier, mais il n’y avait aucune mention quant à des problèmes de sécurité. L’agente a également noté l’appartenance de la demanderesse à l’UDE.

 

[5]               Avant que la décision sur l’admission soit prise, le beau‑fils de la demanderesse a été accepté en qualité de réfugié parrainé par le gouvernement.

 

[6]               La lettre relative à l’équité procédurale, dans laquelle l’admission de la demanderesse était refusée en raison de son appartenance à l’UDE, a été envoyée le 22 mai 2005. La demanderesse a été invitée à présenter des observations supplémentaires, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle n’a jamais reçu la lettre.

 

[7]               En raison de ces circonstances, la demanderesse a reçu une autre lettre relative à l’équité procédurale et elle a également eu l’occasion d’y répondre. La demanderesse a soutenu n’avoir jamais été membre de l’UDE et qu’elle avait seulement appuyé son époux.

 

[8]               Lors de la seconde entrevue, la demanderesse a nié être membre de l’UDE ou avoir participé à des réunions de l’UDE. Elle a affirmé qu’il y avait eu une erreur dans une traduction faite en 2004. Cette erreur semble s’expliquer par le fait que, dans sa langue, le « vous » au singulier (de politesse) est différent du « vous » au pluriel et que le traducteur a utilisé le pluriel. La demanderesse a estimé que la question visait elle et son époux et non seulement elle.

 

[9]               L’agente des visas a conclu que la demanderesse n’était pas franche au sujet de son appartenance à l’UDE, et elle a donc rejetée la demande sur le fondement de l’alinéa 34(1)f).

 

III.       ANALYSE

[10]           La décision contestée est essentiellement une conclusion relative à la crédibilité, et la norme applicable est donc la raisonnabilité (Rajaduri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 119). La demanderesse allègue également qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, et la norme de contrôle applicable à cette question est la décision correcte.

 

[11]           La Cour comprend qu’il est difficile de démêler les faits dans ce type d’affaires. La traduction peut être le dernier de nos soucis si l’on tient compte des problèmes liés à l’analphabétisme, aux normes culturelles et au manque de précision quant aux questions touchant la succession des faits dans le temps. Cependant, deux problèmes vicient la décision contestée.

 

[12]           Le premier problème est qu’il semble que l’agente des visas a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité sans fournir de motifs ou d’analyse. Il n’y a aucune preuve contradictoire quant à l’allégation de la demanderesse selon laquelle il y avait une erreur dans la traduction, et il n’y a pas d’analyse révélant pourquoi l’explication de la demanderesse au sujet de sa situation était ni crédible ni vraisemblable. Par exemple, l’agente ne s’est pas demandé comment une femme dans la situation de la demanderesse pourrait avoir le temps de participer à des réunions ou pourrait trouver de l’argent pour donner des contributions financières.

 

[13]           Les agents des visas peuvent tirer des conclusions relatives à la crédibilité, mais les motifs de leurs conclusions doivent faire état, même si ce n’est que de façon succincte, du fondement de leur conclusion défavorable. Il s’agit d’une question touchant l’équité procédurale et la raisonnabilité de la décision.

 

[14]           Le second problème concerne le caractère équitable du processus, en particulier en ce qui à trait à la traduction de l’exposé circonstancié de la demanderesse. Selon la prépondérance de la preuve, il y a eu une erreur dans la traduction, et ni l’une ni l’autre des parties n’en est responsable. Cela étant dit, cette erreur a tout de même donné lieu à un processus inéquitable qui a eu de graves conséquences en l’espèce, et ce, tant en ce qui concerne la conclusion relative au paragraphe 34(1) que le refus de tenir compte du paragraphe 34(2).

 

[15]           Le fait que la demanderesse n’ait pas eu adéquatement accès à la preuve contre laquelle elle devait se défendre préoccupe également la Cour. La demanderesse n’avait pas nécessairement le droit de consulter tous les documents de l’agente des visas, mais elle était en droit de connaître les autres faits pertinents dont avait été saisie l’agente des visas.

 

IV.       CONCLUSION

[16]           Par conséquent, le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas.

 

[17]           Il ne s’agit pas d’une affaire justifiant la certification d’une question.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire est accueilli, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2355-09

 

INTITULÉ :                                                   LETAY DOMOZ SEBAHTU

 

                                                                        et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Beth Tait-Milne

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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