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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-2401-09

Référence : 2010 CF 203

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SABALINGAM KUMARASAMY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision d’une agente des visas (l’agente) rendue en date du 24 mars 2009 (la décision), laquelle a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur présentée à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à titre de membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Citoyen du Sri Lanka, le demandeur est un Tamoul hindou. Ses parents et quatre de ses frères et sœurs sont des citoyens canadiens. Un de ses frères et sœurs est un citoyen des États-Unis.

 

[3]               Le demandeur a fui le Sri Lanka par crainte d'être persécuté. Les TLET l'ont pressenti pour travailler pour eux. Les TLET l’ont arrêté et il a été libéré six jours plus tard après avoir convenu de collaborer avec eux.

 

[4]               En route vers le Canada, le demandeur a été abandonné au Ghana par son passeur. Il a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à titre de membre de la catégorie réglementaire des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

 

LA Décision faisant l'objet du contrôle

 

[5]               L’agente a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences du Canada en matière d'immigration parce qu'il n'était pas membre d'une des catégories réglementaires. L’agente a aussi conclu que le demandeur n'était pas crédible.

 

[6]               Même si dans sa lettre l’agente ne donne aucun fondement pour étayer sa conclusion quant à la crédibilité, dans ses notes du STIDI, elle se dit n'être [traduction] « [p]as convaincue par le raisonnement qui sous-tend les raisons pour lesquelles il ne veut pas retourner, tout comme [elle] ne trouve pas crédible que subitement après 12 ans dans la même situation sans avoir collaboré avec les TLET, il était en danger d'être tué s'il refusait de collaborer comme il l’allègue ».

 

[7]               De plus, l’agente n'était pas convaincue que les difficultés invoquées par le demandeur montraient qu'un conflit armé et une guerre civile au Sri Lanka avaient eu des conséquences graves et personnelles pour lui ou qu'il craignait avec raison d’être persécuté. En conséquence, elle a conclu qu'il pouvait être rapatrié au Sri Lanka sans craindre de conséquences.

 

Les questions en litige

 

[8]               Les questions en litige que soulève la demande peuvent être résumées comme suit :

1.                  la question de savoir si l’agente a appliqué le mauvais critère quant à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention;

2.                  la question de savoir si l’agente a omis de fournir des motifs suffisants en rejetant la demande;

3.                  la question de savoir si l’agente a commis une erreur dans sa compréhension et son examen des risques auxquels le demandeur est exposé et de la preuve documentaire présentée à l'appui de ces risques.

 

LES Dispositions légales

 

[9]               Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[10]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), s'appliquent aussi à la présente instance :

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

 

 

LA Norme de contrôle

 

[11]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[12]           La question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère juridique doit être examinée selon la décision correcte. Voir Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. no 637, au paragraphe 8.

 

[13]           La question de savoir si l’agente a omis de fournir des motifs suffisants en rejetant la demande est une question d'équité procédurale. En conséquence, elle sera examinée selon la décision correcte. Voir Weekes (Tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 293, 71 Imm. L.R. (3d) 4, au paragraphe 17.

 

[14]           L'examen de la question de savoir si l’agente a commis une erreur dans sa compréhension et son examen des risques auxquels le demandeur était exposé et de la preuve documentaire présentée à l'appui de ces risques est une question de fait. À ce titre, elle commandera la norme de raisonnabilité pour son examen. Voir Dunsmuir, au paragraphe 51.

 

[15]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Le mauvais critère juridique

 

[16]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique quant à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Le critère juridique approprié est l'existence d'une possibilité raisonnable, ou de bonnes raisons de croire, que le demandeur sera persécuté, et non l'obligation pour le demandeur d'arriver à convaincre l'agent qu'il y a probabilité de persécution. Voir Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, [1989] A.C.F. no 67; Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 244, [2005] A.C.F. no 302, aux paragraphes 9 à 10.

 

[17]           En l'espèce, le fardeau qui incombait au demandeur d'établir le bien-fondé de sa demande d'asile était plus lourd que le fardeau légalement requis. Le demandeur prétend que l’agente lui a imposé le fardeau de prouver qu'il craignait avec raison d'être persécuté, au lieu d'une possibilité raisonnable ou de bonnes raisons de croire qu'il serait persécuté. Voir par exemple Sutharasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 226, 60 Imm. L.R. (3d) 249.

 

Le caractère adéquat des motifs

 

[18]           La conclusion défavorable de l'agente quant à la crédibilité était un facteur déterminant du rejet de la demande d'asile. L’agente a commis une erreur en omettant de fournir quelque motif que ce soit expliquant la raison pour laquelle elle avait conclu que le demandeur n'était pas crédible. Une conclusion quant à la crédibilité doit être tirée « en des termes clairs et indubitables » Voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199. En l'espèce, tout comme dans Krishnapillai, l’agente a omis d'énoncer ce qu'elle ne trouvait pas crédible, pas plus qu'il n'y avait d’analyse concernant la manière dont les doutes quant à la crédibilité étaient liés au fond de la demande d'asile.

 

[19]           En l'absence de motifs adéquats, il est impossible de savoir comment l’agente en est arrivée à sa décision. Voir par exemple Javed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1458, 41 Imm. L.R. (3d) 118. En l'espèce, l’agente n'a fourni ni analyse ni motifs adéquats pour montrer comment elle en est arrivée à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[20]           Le demandeur fait valoir que l’agente a omis de lui fournir des notes ou des motifs adéquats justifiant sa décision. Cela a entraîné une atteinte à l'équité procédurale.

 

L'examen insuffisant de la preuve

 

[21]           Le demandeur a décrit à l’agente sa crainte que les TLET lui extorquent de l'argent, vu le contexte de son unité familiale. Ses parents et frères et sœurs ont tous quittés le Sri Lanka. L’agente a omis d'analyser suffisamment ce risque d’extorsion qui était étayé par la preuve documentaire.

 

[22]           Dans la décision, l’agente a négligé de mentionner que les TLET et d'autres groupes militants pratiquaient l'extorsion contre les Tamouls au Sri Lanka. Elle a de plus omis d'examiner la preuve documentaire dont elle était saisie qui démontre l'existence de l'extorsion au Sri Lanka. La Cour fédérale a statué que l’omission d'un agent de reconnaître la possibilité d'extorsion pour ceux qui retournent au Sri Lanka était une erreur susceptible de contrôle. Voir Narany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 155, [2008] A.C.F. no 194. De même en l'espèce, l’agente a commis une erreur en omettant de traiter de la possibilité que le demandeur soit exposé à l'extorsion à son retour au Sri Lanka.

 

[23]           De plus, l’agente a commis une erreur en omettant de traiter de la Position du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) relative aux besoins de protection internationale des demandeurs d'asile originaires du Sri Lanka (2006), présentée par le demandeur à l'appui de sa demande. Ce document n'apparaissait même pas dans la liste des documents dressée par l’agente. Le demandeur cite Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 67, 68 Imm. L.R. (3d) 246, qui décrit ce même document de l’UNHCR comme étant « une source fort crédible et de la principale agence de protection des réfugiés au monde. Comme la Cour l'a si souvent répété, l’obligation pour l'agent de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. »

 

[24]           Dans une décision récente de la Cour fédérale, le juge Kelen a souligné que « [l]e rapport de l’UNHCR mentionne que "[t]outes les demandes d’asile des tamouls du nord et de l’est devraient être examinées favorablement" et que "[c]eux de ces individus qui se sont trouvés pris pour cible par l’État, le LTTE ou d’autres agents non étatiques" devraient être reconnus comme réfugiés ». Voir Christopher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 964, [2008] A.C.F. no 1199.

 

[25]           Assurément, l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à un risque en retournant au Sri Lanka, sans prendre en compte la preuve pertinente et le témoignage dont elle était saisie qui laissaient entrevoir des conclusions contraires.

 

Le défendeur

            Le cadre de la Loi

 

[26]           La demande du demandeur se distingue d'une demande du statut de réfugié au sens de la Convention présentée au Canada. La Loi énumère trois catégories de personnes qui sont admissibles à la résidence permanente : les membres de la catégorie du regroupement familial, les membres de la catégorie « immigration économique » et les membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention. Le Règlement crée ensuite trois sous-catégories dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention : la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, la catégorie de personnes de pays d'accueil et la catégorie de personnes de pays source. Afin d'être accueilli à titre de membre de la catégorie de personnes de pays d'accueil en vertu de l'article 147 du Règlement, un requérant doit démontrer qu’« une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui » [non souligné dans l’original].

 

[27]           Le paragraphe 61(1) de la Loi impose aux requérants le fardeau de répondre de façon véridique à toutes les questions qui leur sont posées. Lorsqu'un requérant ne se conforme pas à cette exigence, l'agent doit rejeter la demande, selon le paragraphe 11(1) de la Loi. Le cadre de la Loi impose le fardeau de la preuve au requérant.

 

 

L'application correcte du critère juridique

 

[28]           Le libellé « conséquences graves et personnelles » est l'expression d'une exigence propre à la catégorie de personnes de pays d'accueil décrite dans le Règlement.. Contrairement à l'argument du demandeur, le mot [traduction] « établissent », qui se trouve dans la lettre de l'agente, ne donne pas à penser qu'un mauvais critère juridique a été appliqué. De plus, la décision Sutharsan se distingue de l’espèce puisque, dans cette affaire, aucune entrevue personnelle n'avait eu lieu et aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n'avait été tirée. Une comparaison plus raisonnable avec la présente affaire pourrait être établie avec la récente affaire Besadh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 680, [2009] A.C.F. no 847, dans laquelle une agente a conclu que [traduction] « je ne suis pas convaincue que vous êtes membre de l’une des catégories prévues, parce que vous ne m’avez pas persuadée que votre crainte de persécution est fondée ». La Cour n’a conclu à aucune erreur au regard de ces faits.

 

[29]           De plus, dans l'affaire Saverimuttu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1021, [2002] A.C.F. no 1329, la CISR a rejeté une demande d'asile pour des motifs de crédibilité et a conclu que le revendicateur « ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve et qu'il n'a donc pas établi qu'il éprouverait les problèmes allégués s'il devait retourner au Sri Lanka ». Dans cette affaire, le juge Blais n'a trouvé aucune erreur susceptible de contrôle puisque la question déterminante en cause était de savoir si le critère avait été bien appliqué.

 

Les motifs étaient adéquats

 

[30]           Le demandeur a cité une jurisprudence abondante qui découle d'instances de la CISR. Cela est toutefois peu utile dans le cas où un agent prend une décision administrative. Voir Qarizada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1310, [2008] A.C.F. no 1662, au paragraphe 27.

 

[31]           La Cour d'appel fédérale a statué qu'un agent d'examen des risques et un tribunal administratif menant une audience juridictionnelle ne devaient pas être tenus à la même norme quant à l'obligation de fournir des motifs. Il est plutôt déraisonnable d'exiger des agents administratifs « qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle ». Voir Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 331, 282 N.R. 394, au paragraphe 11.

 

[32]           En l'espèce, les motifs de l’agente étaient adéquats. L’agente a noté que le demandeur avait présenté son récit en lisant une feuille de papier, qu’il était vague à propos de la manière dont il avait financé son séjour au Ghana et qu'il refusait de donner le nom de son passeur. De plus, elle a conclu qu'il était déraisonnable que le demandeur ait pu travailler pendant 12 ans comme juge de paix avant de connaître des difficultés. Chacune de ces conclusions était consignée dans les notes du STIDI.

 

[33]           La conclusion défavorable de l'agente quant à la crédibilité était raisonnable compte tenu des faits dont elle était saisie. Les inférences tirées par l’agente n'étaient pas si déraisonnables qu'elles justifient l'intervention de la Cour. Voir par exemple Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4.

 

 

La demande d'asile examinée correctement

 

[34]           L’agente a conclu de façon raisonnable que l’omission du demandeur de fournir une preuve crédible a porté un coup fatal à sa demande d'asile. La seule preuve objective de la situation du pays n'est pas suffisante pour qu'il y ait décision favorable à l'égard d'une demande d'asile, sans un lien entre la situation personnelle du demandeur et la situation actuelle au Sri Lanka. Il incombait au demandeur de montrer ce lien, ce qu’il n'a pas été en mesure de faire.

 

[35]           Une fois que l'agente a conclu à l'absence de crédibilité, elle n'avait pas l'obligation de rechercher un lien entre la preuve documentaire et la situation du demandeur. Voir par exemple Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1349, 58 Admin. L.R. (4th) 272. La Cour d'appel fédérale a statué que dans le cas où il a été conclu que le demandeur n'était pas crédible, « cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d'étayer une décision favorable au demandeur ». Voir Sellan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 381, 384 N.R. 163.

 

[36]           En accueillant la demande d'autorisation, la juge Simpson a souligné que [traduction] « l'armée du Sri Lanka a défait et éliminé l'agent de persécution en mai-juin 2009 ». Voir Kumarasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (le 9 novembre 2009), Ottawa IMM-2401-09.

 

[37]           En outre, la possibilité d'extorsion était mentionnée dans les notes du STIDI. L’agente fait état de l'allégation d'extorsion du demandeur, mais souligne qu'il ne travaillait pas et qu’il avait vécu en Afrique occidentale. Ainsi, cette allégation n'était pas un facteur déterminant de la demande.

 

[38]           Il était raisonnablement loisible à l'agente de conclure comme elle l'a fait. La Cour doit faire preuve de retenue à l'égard de ces conclusions et ne devrait pas intervenir.

 

ANALYSE

 

[39]           Selon le défendeur, une conclusion générale quant à la crédibilité est au cœur de la présente décision et elle a une incidence sur les autres questions soulevées.

 

[40]           Dans sa lettre, qui constitue une partie de sa décision, l’agente ne dit guère pourquoi elle conclut que le demandeur n'est pas crédible :

                        [traduction]

Après avoir examiné avec soin tous les facteurs relatifs à votre demande, je ne me suis pas convaincue que vous appartenez à l'une des catégories réglementaires, parce qu’au regard de la preuve dont je suis saisie, je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que vous n'êtes pas crédible. Les précisions que vous m'avez fournies et les difficultés auxquelles vous auriez fait face ne montrent pas qu’un conflit armé et une guerre civile dans votre pays continuent d'avoir des conséquences graves et personnelles pour vous, pas plus qu'elles établissent que vous craignez avec raison d'être persécuté du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Je suis d'avis que vous pourriez rentrer au Sri Lanka sans crainte de conséquences. Par conséquent, vous ne répondez pas aux exigences de l'alinéa.

 

 

[41]           Dans ce paragraphe, l’agente dit qu'elle conclut que le demandeur n'est pas crédible, mais elle ne dit pas pourquoi. Il n'est pas clair si elle ne croit pas les précisions que le demandeur a fournies, ou si elle croit ces précisions mais estime qu'elles ne montrent pas que le demandeur pourrait subir des conséquences personnelles.

 

[42]           Si nous examinons les notes du STIDI pour trouver des éclaircissements quant à la conclusion concernant la crédibilité, l’agente fournit le raisonnement suivant :

                        [traduction]

Pas convaincue par le raisonnement qui sous-tend les raisons pour lesquelles il ne veut pas retourner, tout comme je ne trouve pas crédible que subitement après 12 ans dans la même situation sans avoir collaboré avec les TLET, il était en danger d'être tué s'il refusait de collaborer comme il l’allègue.

 

 

[43]           L’agente semble dire qu'elle trouve que quelque chose est intrinsèquement non crédible ou invraisemblable à propos du récit du demandeur selon lequel les TLET l'ont pressenti après une période de 12 ans à titre de juge de paix.

 

[44]           Il n'y a absolument rien d’intrinsèquement invraisemblable à ce sujet. De plus, l’agente ne demande pas au demandeur pourquoi les TLET ont mis 12 ans avant de le pressentir et de le placer en détention jusqu'à ce qu'il promette de collaborer.

 

[45]           En d'autres mots, s’il y a une conclusion défavorable générale quant à la crédibilité en l'espèce, comme l'allègue le défendeur, elle ne repose sur aucun des faits. Elle est plutôt fondée sur l'hypothèse de l'agente elle-même à propos de ce qui est vraisemblable dans une situation à l'égard de laquelle elle n'a aucune connaissance, sauf dans la mesure des précisions fournies par le demandeur. L’agente n'explique pas pourquoi elle ne croit pas que le demandeur a été placé en détention par les TLET et qu’ils lui ont ordonné de collaborer. Tout ce qu’elle dit est que le délai de 12 ans rend la chose non crédible. Elle n'explique pas pourquoi un laps de temps particulier devrait être le facteur décisif en l'espèce.

 

[46]           Un problème semblable survient à l'égard du risque d'extorsion qu'a soulevé le demandeur s'il retournait. L’agente reconnaît qu'il a soulevé ce risque, mais dit simplement qu’elle n’est [traduction] « [p]as convaincue par le raisonnement qui sous-tend les raisons pour lesquelles il ne veut pas retourner ». Encore une fois, sa non-conviction est liée à la situation du demandeur et s'appuie sur l'écoulement d'une période de 12 ans.

 

[47]           Je suis d'accord avec le demandeur que l’agente ne lui a pas fourni des motifs adéquats quant à la raison pour laquelle elle met en doute sa crédibilité ou la raison pour laquelle la crainte d'extorsion peut être écartée. Il s'agit d'une décision administrative et on peut s'attendre à un peu moins en ce qui concerne les motifs que ce qui serait exigé de la part d'un agent de protection des réfugiés (voir Ozdemir, aux paragraphes 9 à 11), mais je ne crois pas qu'il y ait réellement une véritable explication donnée quant au doute de ce que déclare le demandeur à propos de son traitement passé aux mains des TLET. Même dans un contexte administratif, les motifs doivent être adéquats pour toutes les raisons énoncées par la Cour d'appel fédérale. Voir VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685, aux paragraphes 16 à 22.

 

[48]           Je suis également d'accord avec le demandeur concernant la question de l'application d'un mauvais critère relativement au fardeau de la preuve, mais il n'est pas nécessaire d'aborder ce sujet en détail puisque la décision doit être renvoyée pour les motifs énoncés.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire, renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

2.                  L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2401-09

 

INTITULÉ :                                       SABALINGAM KUMARASAMY

 

                                                            - et -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu de l’audience :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 FÉVRIER 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Kumar S. Sriskanda

                                                                                                DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

                                                                                                DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Kumar S. Sriskanda

Avocat

Scarborough (Ontario)

                                                                                                DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                                                                                                DÉFENDEUR

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