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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-3279-09

Référence : 2010 CF 205

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LI LI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 mai 2009 (la décision), laquelle a rejeté la demande de la demanderesse de se voir reconnaître le statut de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine). Après avoir mis fin à sa relation avec son ami de cœur le mois précédent, la demanderesse a adhéré au christianisme en mai 2005. Elle a commencé à fréquenter une église clandestine en juin 2005 et a été baptisée en mars 2006.

 

[3]               La demanderesse allègue que son église a fait l'objet d'une descente en janvier 2007. La demanderesse a fui l'église et s'est cachée dans la maison d'un ami. La demanderesse a appris que quatre membres de son église avaient été arrêtés. En janvier 2007, des représentants du Bureau de la sécurité publique (le BSP) qui étaient à sa recherche se sont rendus au domicile de la demanderesse.

 

[4]               La demanderesse a pris des mesures pour venir au Canada par crainte d'être arrêtée. Elle allègue que le BSP s'est rendu à son domicile à plusieurs reprises depuis son départ de la Chine pour tenter de l'arrêter.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[5]               À l'audience de la demanderesse, la question déterminante était sa crédibilité. Malgré une conclusion selon laquelle la demanderesse était en effet chrétienne, la Commission a conclu que le récit de la demanderesse concernant son appartenance à une église clandestine et sa poursuite par des agents du BSP n'étaient pas crédibles.

 

[6]               La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas recherchée par le BSP en raison de ses activités religieuses en Chine. De plus, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas exposée à une possibilité sérieuse d'être persécutée si elle devait retourner dans sa province d'origine, le Fujian.

 

[7]               La Commission a reconnu la « connaissance suffisante » de la demanderesse à propos du christianisme et a également admis la lettre de l'église de la demanderesse au Canada confirmant sa foi chrétienne. La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, qu'elle était chrétienne.

 

[8]               La Commission a cependant conclu que la demanderesse n'était pas crédible pour les motifs suivants :

a.       l'absence de préoccupation de la demanderesse avant de se joindre à une église clandestine illégale, compte tenu des conséquences graves d’être épinglée par les autorités et du besoin de l'église d'élaborer un plan d’urgence;

b.      le fait qu'il a fallu lui poser plusieurs questions avant que la demanderesse avoue qu'elle se sentait « un peu nerveuse » à la perspective d'enfreindre la loi, bien qu'elle ait affirmé ne l'avoir jamais fait auparavant, et le fait que ses parents désapprouvaient sa décision;

c.       l'absence d'émotion de la demanderesse lorsqu'elle a discuté de la prétendue récente descente du BSP dans son église, en comparaison de l'émotion qu'elle a manifestée lorsqu'elle a parlé de sa rupture avec son ami de cœur, qui s'est produite des années plus tôt.

 

[9]               De plus, la Commission a conclu qu’avant de fréquenter la maison-église, la demanderesse ne savait pas qu'il était illégal de la fréquenter, malgré qu'elle ait affirmé le contraire.

 

[10]           La Commission a examiné la preuve documentaire et a conclu que la province de la demanderesse, le Fujian, de même que la province de Guangdong, appliquaient [traduction] « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ». Bien que la Commission ait remarqué que des documents faisaient état d'arrestations de chrétiens entre 2005 et 2008, aucune de ces arrestations n'avait eu lieu au Fujian.

 

[11]           De plus, même si des « descentes ont été signalées dans des maisons-églises » en 2005, la preuve documentaire ne fait pas état que ces descentes ont eu lieu dans la province de la demanderesse, pas plus qu'elle ne soutient la conclusion selon laquelle des chrétiens ont été arrêtés au Fujian en 2006 et 2007. La seule mention d'arrestations effectuées au Fujian visait l'année 2002.

 

[12]           La Commission a conclu que, s'il y avait eu des arrestations dans la province du Fujian après 2002, les documents auraient fait état de ces arrestations. Selon la Commission, « la situation dans la province du Fujian ne correspond pas à celle décrite dans un grand nombre d’autres provinces où des arrestations de chrétiens ordinaires ont été signalées ».

 

[13]           La Commission a également examiné la maison-église de la demanderesse dans le contexte de la preuve documentaire et a tiré les conclusions suivantes : a) les réunions de prières et les groupes d'étude de la Bible sont légaux et n'ont pas besoin d'être enregistrés; b) les maisons-églises risquaient davantage d'avoir des problèmes lorsque le nombre de membres augmentait, qu'elles prenaient des dispositions pour utiliser des installations sur une base régulière ou qu’elles établissaient des liens avec d'autres groupes. Il n'y avait aucune preuve que le groupe de la demanderesse ait fait ces choses.

 

[14]           La Commission a conclu selon la prépondérance de la preuve que « la maison-église que fréquentait la demandeure d'asile n'a jamais fait l'objet d'une descente par les autorités et que, par conséquent, la demandeure d'asile n’est pas recherchée par le BSP ». Ainsi, la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion dans une église non enregistrée si elle retournait dans la province du Fujian.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Dans la présente demande, les questions en litige peuvent être résumées comme suit :

1.                  la question de savoir si la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité;

2.                  la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve, ce qui aurait donné lieu à une conclusion déraisonnable quant au risque de persécution auquel serait exposée la demanderesse.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent à la présente instance :  

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[18]           La conclusion quant à la crédibilité relève de l'expertise de la Commission. Pour ce motif, les conclusions quant à la crédibilité commandent la norme de la raisonnabilité lors d'un contrôle. Voir Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. no 732, au paragraphe 14.

 

[19]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation des faits et de la preuve est une question de fait. À ce titre, elle commandera la norme de la raisonnabilité lors d’un contrôle. Voir Dunsmuir, au paragraphe 51.

 

[20]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

 

[21]           La Commission a conclu que, contrairement à ce qu'elle alléguait, la demanderesse ne savait pas qu'il était illégal de fréquenter une église clandestine avant qu’elle commence à le faire. Les lois de la Chine sont claires : il est illégal de fréquenter une église non enregistrée. En conséquence, il était déraisonnable que la Commission conclue que la demanderesse ait cru le contraire. De plus, la demanderesse a expliqué à la Commission la raison pour laquelle elle fréquentait l'église tout en sachant que cette fréquentation était illégale. En premier lieu, elle s'est fiée aux assurances de son amie selon lesquelles, même si l'église n'était pas enregistrée, elle n'avait connu aucun problème dans le passé. Deuxièmement, des précautions étaient prises pour assurer la sécurité de ceux qui s'y rendaient. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne savait pas qu'il était illégal de fréquenter l'église n'est pas raisonnable.

 

La preuve

 

[22]           Malgré son examen relativement détaillé de la preuve documentaire, la Commission a omis de citer le rapport de 2007 intitulé « Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches within Mainland China » (le rapport sur la persécution), qui a conclu que [traduction] « on signale également la destruction de maisons-églises dans les provinces de Jilin et de Fujian ».

 

[23]           La demanderesse prétend que cet élément de preuve est pertinent parce qu'il constitue une preuve de la persécution des membres d'églises chrétiennes non enregistrées dans la province de Fujian. En outre, ce rapport est daté de janvier 2007, ce qui correspond exactement au moment où, selon la demanderesse, son église aurait fait l'objet d'une descente. Cet élément de preuve portait directement sur la question de savoir si l'église de la demanderesse avait fait l'objet d'une descente. De plus, il contredit directement la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait pratiquer sa religion au Fujian sans être exposée à une possibilité sérieuse d'être persécutée.

 

[24]           Ainsi, il est possible de conclure que cet élément de preuve a été soit omis, soit écarté par la Commission lorsqu'elle a tiré sa conclusion quant à la crédibilité du récit de la demanderesse. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425. La Commission a choisi de s'appuyer sur des parties du rapport pour en arriver à la conclusion inverse, mais a omis l'élément de preuve qui portait directement sur la question de la persécution des membres des églises chrétiennes non enregistrées au Fujian.

 

La capacité de la demanderesse de pratiquer le christianisme en Chine

 

[25]           Après avoir examiné la preuve documentaire, la Commission a conclu que la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion dans une église non enregistrée au Fujian sans être exposée à une possibilité sérieuse d'être persécutée. Cette conclusion a été tirée sans un examen complet de la preuve, telle la destruction de maisons-églises au Fujian, comme le signale le rapport.

 

[26]           La Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion dans une église non enregistrée à son retour sans être exposée à un risque sérieux d'être persécutée. À cette erreur s'est ajoutée l’erreur supplémentaire de la Commission de présumer que tous les incidents de persécution en Chine étaient énumérés dans le rapport, ce qui est contraire à ce que le rapport même déclare. Le rapport affirme qu'il contient vraisemblablement uniquement une fraction des incidents de persécution qui se sont réellement produits en Chine.

 

[27]           La Commission s'est également appuyée sur la preuve documentaire selon laquelle les réunions de prière et les groupes d'étude de la Bible tenus entre amis et membres de la famille étaient légaux et qu’ils n'avaient pas besoin d'être enregistrés. Le groupe de la demanderesse se distingue nettement d'une réunion de prière ou d'un groupe d'étude de la Bible, car l'église avait un pasteur qui venait à l'occasion pour donner la sainte communion et célébrer des baptêmes. Il est difficile de concilier la description que fait la Commission du groupe de la demanderesse comme étant une réunion de prière ou un groupe d'étude de la Bible et la description présentée par la demanderesse. Les autorités chinoises considéreraient très vraisemblablement son groupe comme étant une église non enregistrée plutôt que comme une réunion de prière ou un groupe d'étude de la Bible. La Commission a commis une erreur en omettant de prendre en compte les aspects pertinents des éléments de preuve présentés par la demanderesse, lorsqu'elle a qualifié le groupe de cette dernière. Voir Cepeda-Gutierrez.

 

[28]           La Commission a aussi commis une erreur en s'appuyant sur le rapport de 2008 du Département d'État des États-Unis sur les droits de la personne en Chine (le rapport du Département d'État des États-Unis) qui déclarait que les groupes non enregistrés risquaient davantage d'avoir des problèmes lorsqu'ils avaient un grand nombre de membres ou qu’ils établissaient des liens avec d'autres groupes. Alors que la Commission a jugé que cet élément de preuve lui permettait de conclure que l'église de la demanderesse ne serait pas persécutée, la preuve n'affirmait pas que les groupes non inscrits qui n'ont pas ces caractéristiques ne subissent pas de persécution. Cet élément de preuve donnait plutôt à entendre que les réunions composées de plus de quelques amis et membres de la famille étaient formellement interdites dans certaines régions.

 

[29]           Finalement, la demanderesse soutient qu'il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu'elle pourrait continuer ses pratiques religieuses et conserver sa liberté de religion en Chine simplement parce que [traduction] « à l’occasion le gouvernement en cause n'applique pas les lois qui portent atteinte à la liberté de religion ». En effet, il est déraisonnable de devoir commettre un acte illégal afin de conserver sa liberté de religion.

 

Le défendeur

            Les conclusions tirées quant à la crédibilité sont raisonnables

 

[30]           Les conclusions tirées quant à la crédibilité sont au cœur de la compétence spécialisée de la Commission. Par conséquent, la Cour devrait être réticente à annuler les conclusions de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité. Voir Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 372. Dans la mesure où les inférences que tire la Commission relativement à la crédibilité du demandeur ne sont pas déraisonnables, ces conclusions ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 160 N.R 315, [1993] A.C.F. no 732.

 

[31]           Un tribunal est fondé à rendre une décision défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur dans la mesure où les motifs de sa conclusion quant à la crédibilité sont exprimés « en des termes clairs et indubitables ». Voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199.

 

[32]           Dans la présente affaire, la Commission a expliqué en détail ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, qui découlaient de l'absence de préoccupations de la demanderesse en ce qui avait trait à la contravention de la loi. En effet, la Commission a souligné ce qui suit :

a)                  ce n'est qu'après plusieurs questions sur la manière dont elle se sentait que la demanderesse a déclaré se sentir un peu nerveuse d’enfreindre la loi;

b)                  la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n'avait jamais enfreint la loi auparavant;

c)                  la prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait désobéi à ses parents lorsqu'ils s'étaient opposés à sa fréquentation d'une église clandestine;

d)                  la réponse initiale de la demanderesse selon laquelle Dieu lui donnait de l'espoir et l'avait aidée à prendre cette décision;

e)                  l'absence d'inquiétude de la demanderesse avant de se rendre à l'église illégale;

f)                    les conséquences graves de se faire prendre à fréquenter l'église;

g)                  le fait que les membres de l'église estimaient qu'un plan d’urgence était nécessaire.

 

[33]           La Commission a également comparé la réaction émotionnelle de la demanderesse concernant sa rupture avec son ami de cœur en 2005 et l'absence d'émotion concernant la descente plus récente dont son église avait fait l'objet et la série d'événements qui a suivi, notamment : l'arrestation d'autres membres de l'église; se cacher; son départ illégal de la Chine. La Commission a conclu qu'il était contradictoire que la demanderesse fasse preuve d'une si grande émotion concernant sa rupture et n’en manifeste aucune à l'égard de la série d'événements traumatiques plus récente.

 

[34]           Le défendeur prétend que la Commission a présenté une explication approfondie de sa conclusion défavorable quant à la crédibilité « en des termes clairs et indubitables ». De plus, ses conclusions sont étayées par les éléments de preuve dont elle était saisie et appartiennent aux issues possibles acceptables, comme l'exige l'arrêt Dunsmuir.

 

L'appréciation correcte de la preuve

 

[35]           La Commission a examiné correctement les éléments de preuve présentés par la demanderesse en les appréciant en fonction des documents sur la situation du pays. La Commission n'a omis aucun des éléments de preuve dont elle était saisie. Elle a plutôt mentionné plusieurs rapports sur la situation du pays avant de se prononcer sur la question de savoir s'il existait une possibilité sérieuse que la demanderesse soit exposée à la persécution à son retour en Chine si elle continuait à y pratiquer le christianisme dans une église non enregistrée.

 

[36]           À titre d'exemple, la Commission a souligné que le Fujian (la province de la demanderesse) et le Guangdong appliquent la politique la plus libérale en Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme. Elle a également noté que dans les documents qui faisaient état d'arrestations entre 2005 et 2008, aucune arrestation n'avait eu lieu au Fujian. De même, la Commission a mentionné qu'en 2007, 788 chrétiens avaient été persécutés en Chine, et que 693 avaient été arrêtés et détenus, parmi lesquels se trouvaient 415 dirigeants d'église.

 

[37]           Dans l'examen de la preuve documentaire dont elle était saisie, la Commission mentionne seulement l'arrestation de chrétiens au Fujian en 2002 et que 20 catholiques non enregistrés ont alors été arrêtés pour leur participation à un cours de catéchisme.

 

[38]           La demanderesse a soutenu que la Commission avait écarté des éléments de preuve parce qu'elle n'avait pas cité l'élément de preuve documentaire selon lequel des maisons-églises du Jilin et du Fujian avaient été détruites. Essentiellement, la demanderesse fait valoir que la Commission aurait dû accorder plus de poids à cette partie de la documentation concernant le pays. Cependant, la Commission a le droit de s'appuyer sur certains éléments de preuve plutôt que sur d'autres lorsque les éléments sont contradictoires. Le rôle de la Cour n'est pas d'intervenir et de soupeser à nouveau la preuve documentaire dont la Commission était saisie. Voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, 288 N.R. 174.

 

[39]           De plus, il faut souligner que la demanderesse a allégué que des membres de son église avaient été arrêtés et que le BSP poursuivait ses tentatives de l'arrêter. Elle n'a pas allégué que son église avait été détruite, sort que d'autres avaient connu selon la preuve documentaire. La Commission n’était saisie d'aucun élément de preuve étayant l'allégation de la demanderesse selon laquelle des chrétiens avaient été arrêtés au Fujian entre 2005 et 2008.

 

[40]           Enfin, la Commission a également tenu compte du fait qu'il n'est pas nécessaire que les réunions de prière et groupes d'étude de la Bible tenus par des amis et des membres de la famille soient enregistrés. La Commission a mentionné les caractéristiques des maisons-églises qui risquaient d'avoir davantage de problèmes. La Commission n'était saisie d'aucun élément de preuve selon lequel la maison-église de la demanderesse possédait l'une de ces caractéristiques, car son groupe était demeuré petit et se concentrait principalement sur les discussions concernant la Bible et sur la prière. La Commission a décrit le groupe de la demanderesse de manière raisonnable.

 

[41]           La demanderesse a fait valoir que, malgré sa taille et ses pratiques habituelles, son église non enregistrée risque néanmoins d'être sanctionnée. À lui seul cet élément ne prouve pas qu'il existe plus qu'une simple possibilité d'être persécuté. Les arguments de la demanderesse reposent sur de simples hypothèses et ne montrent pas un éventuel risque de persécution.

 

[42]           La demanderesse s'appuie sur une partie du cartable de documents qui affirme que [traduction] « les réunions comptant plus qu’une poignée de membres de la famille et d'amis étaient formellement interdites ». Cependant, le début du paragraphe mentionne que la manière de traiter les groupes non enregistrés varie dans les différentes régions du pays et que dans certaines régions, [traduction] « des groupes non enregistrés ou des maisons-églises comptant des centaines de membres se rencontraient ouvertement ». Ce passage doit être pris dans le contexte des autres éléments de la preuve documentaire qui affirment que la province de la demanderesse applique la politique la plus libérale de la Chine en ce qui concerne les chrétiens.

 

[43]           L'appréciation de la preuve documentaire par la Commission était équitable et équilibrée. Elle a tenu compte de tous les éléments de la preuve documentaire qui concernaient le profil de la demanderesse en tant que chrétienne qui pratiquait dans une petite église non enregistrée au Fujian.

 

ANALYSE

            Les documents sur le pays

 

[44]           La demanderesse dit que la Commission a analysé en détail la répression des chrétiens en Chine, mais qu'elle a omis de mentionner les éléments de preuve concernant des arrestations et la répression des églises au Fujian.

 

[45]           La Demande d'information sur laquelle s'est appuyée la Commission pour déclarer qu'il n'y avait pas eu d'arrestations au Fujian en 2005, 2006, 2007 et 2008 mentionne bien qu'en 2003, un groupe de séminaristes à Changhe, près de Fuzhan (qui se trouve au Fujian), a été arrêté et qu'en 2005, le père Lin Daixian, ainsi que neuf paroissiens et un séminariste, ont été arrêtés alors que le père Lin Daixian célébrait la messe dans une résidence privée.

 

[46]           En conséquence, la déclaration de la Commission concernant les arrestations au Fujian n'est pas entièrement exacte. Cependant, je ne peux pas dire que ces erreurs sont particulièrement importantes en ce qui a trait à ce qu'a vécu la demanderesse en 2007 ou qu'elles ont une incidence importante sur les déclarations générales de la Demande d'information selon lesquelles le Fujian, ainsi que le Guangdong, appliquent [traduction] « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ».

 

[47]           La Commission utilise la preuve documentaire pour évaluer la vraisemblance de l'affirmation de la demanderesse selon laquelle son église a fait l'objet d'une descente et que quatre membres ont été arrêtés en janvier 2007. Je ne suis pas convaincu que l'arrestation d’un groupe de séminaristes en 2003 ou l'expérience du père Lin Daixian en 2005 minent de façon importante l’appréciation de la Commission de la question de savoir si le récit de la demanderesse concernant ce qui s’est produit à son église en 2007 était crédible.

 

[48]           La Commission était également saisie d’un rapport du Département d’État des États-Unis de 2007 qui faisait état de la fermeture d’églises par le gouvernement au Fujian, mais nous ne savons pas si ces églises correspondent au genre de maison-église à laquelle aurait appartenu la demanderesse. Il ressort clairement de ce même rapport qu’il existe une différence importante dans la manière dont les maisons-églises sont traitées, et cela en fonction d’une variété de facteurs :

                        [traduction]

Dans certaines régions, des maisons-églises comptant des centaines de membres se réunissaient ouvertement au su des autorités. Dans d’autres régions, les réunions de maisons-églises comptant plus qu’une poignée de membres de la famille et d’amis étaient interdites. Les maisons-églises risquaient davantage d'avoir des problèmes lorsque le nombre de membres augmentait, qu'elles prenaient des dispositions pour utiliser des installations afin de précisément y mener des activités religieuses ou qu’elles établissaient des liens avec d'autres groupes non enregistrés ou avec des coreligionnaires à l’étranger.

 

 

Ces renseignements sont fournis dans un paragraphe concernant les provinces de Zhejiang, de Jilin et de Fujian. Il est donc difficile de connaître la situation au Fujian ou de savoir si ces renseignements modifient le tableau général de la tolérance dont on fait état ailleurs en décrivant le Fujian et sur lequel la Commission s’appuie. Ainsi, de nouveau, je ne peux pas dire que les renseignements selon lesquels le gouvernement fermait des églises au Fujian contredisent nécessairement les conclusions générales de la Commission ni qu’ils exigeaient d’être mentionnés de façon particulière.

 

[49]           Il est possible de dire la même chose concernant le rapport de juin 2007 sur la persécution des maisons-églises chrétiennes, qui signale [traduction] « la destruction de maisons-églises au Jilin et au Fujian ». Comme d’autres documents le font ressortir clairement, tout dépend du genre de maison-église visé et des activités qui y ont lieu. Je ne peux pas dire que la Commission a omis des renseignements qui contredisaient ses conclusions ou que ces éléments de preuve particuliers devaient être mentionnés de façon précise conformément aux principes énoncés dans Cepeda-Gutierrez.

[50]           Il est possible de dire la même chose concernant l’analyse faite par la Commission concernant la taille et le genre des maison-église visés. Il est possible de trouver dans les documents que même les maisons-églises légales et les petits groupes peuvent faire l’objet d’une descente. Cependant, il n’est pas clair dans quelle mesure s’appliquent les renseignements trouvés sur cette question dans l'International Religious Freedom Report 2007 (rapport de 2007 sur la liberté de religion dans le monde) des États-Unis à la situation de la demanderesse au Fujian ou la mesure dans laquelle ils contredisent les conclusions générales de la Commission et auraient dû être traités de façon précise quant à l'appréciation de la vraisemblance du récit de la demanderesse.

 

[51]           L’analyse de la Commission concernant le risque auquel est exposée la demanderesse si elle retourne au Fujian et pratique sa religion se fonde sur l’ensemble des éléments de preuve mentionnés ci-dessus. De même, gardant à l’esprit le genre d’église auquel appartenait la demanderesse, je ne peux pas dire que l’analyse de la Commission concernant cette question est déraisonnablement erronée.

 

[52]           En ce qui a trait à l’analyse de la Commission concernant la crainte subjective de la demanderesse, je peux comprendre qu’il est possible d’être en désaccord avec l’importance des détails sur lesquels elle s’est appuyée et la conclusion générale selon laquelle « l’activité à laquelle la demandeure d’asile s’apprêtait à se livrer, soit fréquenter une maison-église, n’en était pas une que les gens qu’elle fréquentait et elle-même considéraient comme illégale ». Je ne peux toutefois pas dire que cette conclusion se situe à l’extérieur des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Conclusions

 

[53]           La demanderesse soulève divers points qui la préoccupent à propos de la façon dont la Commission a traité les éléments de preuve pour en arriver à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. J’ai examiné chacun de ces points.

 

[54]           Bien qu’il soit possible de dire que la Commission aurait pu prendre davantage en compte des facteurs particuliers, je ne crois pas qu’il soit possible de dire que la Commission a omis des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions, rendant ainsi sa décision déraisonnable selon les principes énoncés dans Cepeda-Guitterez.

 

[55]           Les points soulevés par la demanderesse visent l’importance et l’interprétation données à son témoignage et aux documents pertinents sur la situation du pays. En bout de ligne, il s’agit de questions concernant le poids à accorder à la preuve par la Commission et non par la Cour. Voir Legault. Examinée dans son ensemble, la décision se situe à l’intérieur des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ce qui, selon Dunsmuir, est tout ce qui est exigé.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3279-09

 

INTITULÉ :                                       LI LI

 

                                                            c.

 

                                                            ministre de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Hart A. Kaminker                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Melissa Mathieu                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

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