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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100308

Dossier : IMM-3189-09

Référence : 2010 CF 265

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

FULTON DORNO

MARIE EVELINE DORNO-MOISE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 3 juin 2009 par laquelle la Commission a établi que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni n’avaient qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Les demandeurs, un couple marié, sont des citoyens d’Haïti. En 1994, ils ont quitté Haïti pour les États-Unis. De 1994 à 2007, ils ont vécu aux Etats-Unis, où ils ont revendiqué le statut de réfugié. Leur demande a été rejetée. En 2007, ils ont quitté les États-Unis et demandé l’asile au Canada.

 

[4]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le mari (le demandeur principal) a affirmé craindre pour sa vie en raison de gangs criminels en Haïti. Dans son FRP, la demanderesse a affirmé qu’elle s’appuyait sur l’exposé de son mari. Le demandeur principal a occupé le poste de chef comptable au sein de l’Agence de développement et de secours adventiste en Haïti avant son départ (l’Agence ou l’ADSA). Il soutient qu’il était appelé, dans le cadre de ses fonctions, à se rendre à la banque et à se déplacer dans des véhicules de l’Agence, ce qui faisait de lui la cible des gangs criminels. La demanderesse a affirmé qu’elle courait un risque en fonction des faits allégués par son mari et craignait d’être violée.

 

[5]               La Commission a conclu, dans sa décision, que le demandeur principal n’était pas ciblé de façon précise et que les risques allégués découlaient de la criminalité générale.

 

II.         La norme de contrôle

 

[6]               Les questions soulevées en l’espèce sont toutes des questions de fait et commandent l’application de la norme de la raisonnabilité (voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339).

 

[7]               Il ressort des arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, que la raisonnabilité d’une décision tient à sa justification ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Est aussi prise en compte l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

III.       Les questions en litige

 

[8]               Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

a)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de procéder à l’analyse relative à l’article 97 à l’égard de la demanderesse?

 

b)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en assimilant le risque de viol allégué par la demanderesse à un risque général et en n’appliquant pas les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à sa situation particulière?

 

c)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’appartient pas à un groupe social particulier ni n’a qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR?

 

d)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant qu’aucune preuve n’appuyait l’allégation contenue dans le FRP du demandeur principal au sujet de l’assassinat de l’un des inspecteurs de l’Agence?

 

e)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en exigeant du demandeur principal qu’il fournisse des éléments de preuve établissant que les employés de l’Agence sont expressément ciblés?

 

f)          Le tribunal a-t-il commis une erreur en tirant une série de conclusions qui soit étaient erronées, soit servaient de fondement à d’autres conclusions erronées?

 

[9]               Je me pencherai d’abord sur les questions d) à f), concurremment. Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis plusieurs erreurs, notamment la conclusion qu’aucune preuve n’appuyait l’allégation de l’agression d’un employé de l’Agence, une erreur quant à la résidence du demandeur principal, la conclusion que la demanderesse s’était contredite à l’égard du fait qu’elle avait des frères et la conclusion par rapport à la question de savoir si les citoyens d’Haïti qui reviennent de l’étranger sont expressément ciblés.

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que certaines des erreurs pourraient avoir eu pour résultat que la Commission n’a pas donné créance au demandeur principal. En particulier, les demandeurs soutiennent qu’elle pourrait n’avoir tenu aucun compte de la preuve fournie à l’égard de l’agression envers un employé de l’Agence et que cet élément de preuve aurait pu avoir une incidence sur ses conclusions. La Commission aurait ainsi tiré une conclusion erronée de façon abusive, sans tenir compte d’un élément de preuve dont elle était saisie. Il s’agit en l’occurrence d’un article intitulé : « Haiti: Adventist Aid Agency Worker Dies in Shooting » (Haïti : un employé de l’Agence de développement et de secours adventiste est tué lors d’une fusillade). Cet élément de preuve est désigné sous la cote C-7 dans la liste des documents des demandeurs.

 

[11]           Le défendeur soutient que les conclusions erronées de la Commission sont dénuées de toute pertinence.

 

[12]           Si les erreurs se limitaient aux conclusions relatives à l’endroit où résidaient les demandeurs aux États-Unis ou à la question de savoir si la demanderesse avait des frères, je serais d’accord avec le défendeur. La Commission a toutefois affirmé, aux paragraphes 52 et 54 :

52.       L’exposé circonstancié figurant dans le FRP du demandeur d’asile principal contient une allégation selon laquelle l’un des inspecteurs de l’ADSA a été assassiné. Cependant, rien n’indique quelle personne a été tuée, son rôle au sein de l’ADSA, la date ou le lieu du soi-disant meurtre, qui étaient les assassins, ou la raison pour laquelle cette personne a été tuée. J’accorde peu de crédibilité, voire aucune, à cette allégation.

 

[…]

 

54.       Je constate que le demandeur d’asile principal n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour appuyer ses allégations voulant que, en raison de son association avec l’ADSA, il sera exposé à un risque auquel étaient exposées de façon similaire les autres personnes censément associées à l’ADSA.

 

[13]           La pièce cotée C-7, « Haiti: Adventist Aid Agency Worker Dies in Shooting », qui a été présentée à la Commission, contient la réponse à certaines de ces questions. Il ressort des paragraphes précités que la Commission n’a tenu aucun compte de cet élément de preuve et que n’eût été cette omission, elle aurait pu trancher l’affaire autrement. La décision de la Commission est donc déraisonnable du fait d’avoir été rendue sans que soient pris en considération tous les éléments de preuve au dossier.

 

[14]           En l’espèce, la demanderesse avait fondé sa demande sur celle de son mari et sur sa crainte d’être violée. Cette dépendance se reflète dans la décision de la Commission. La décision concernant la demanderesse est à tel point liée à celle rendue à l’égard du demandeur principal qu’il serait impossible de l’en disjoindre. En conséquence, j’en conclus, pour les motifs précités, que la décision concernant la demanderesse, à l’instar de celle concernant son mari, est déraisonnable. Ainsi, nul n’est besoin d’examiner les questions a) à c).

 

[15]           Les demandeurs ont proposé que soit certifiée la question suivante : Une femme est-elle tenue de démontrer qu’elle a été violée ou qu’elle est ou a été personnellement prise pour cible par des violeurs, en plus de devoir établir que les viols sont un problème important dans son pays d’origine, pour pouvoir se prévaloir du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés? Eu égard aux faits en l’espèce, je suis d’avis que la question ne satisfait pas aux critères de l’alinéa 74d) de la LIPR, que la Cour d’appel fédérale a récemment examinés dans l’arrêt  Kunkel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 347; [2009] A.C.F. no 1700. En conséquence, je refuse de certifier la question proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés afin qu’un tribunal différemment constitué la réexamine en tenant compte des présents motifs.
  2. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3189-09

 

INTITULÉ :                                       FULTON DORNO et al. c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Russell Kaplan

 

POUR LES DEMANDEURS

Helene Robertson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Russell Kaplan

Kaplan Immigration Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

n

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