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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100308

Dossier : IMM-5367-08

Référence : 2010 CF 263

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

SONIA BLANCAS CALDERON

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 13 décembre 2008 (la décision). La Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

 

I.          Les faits

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique de 37 ans. Elle a deux jeunes enfants dont son ex-mari a la garde. L’ex-mari et les enfants vivent au Mexique et ne sont pas parties à la présente demande.

 

[4]               La demanderesse a demandé la protection au motif qu’elle craint son ex-mari violent et qu’elle veut recouvrer la garde de ses enfants. Selon la demanderesse, son ex-mari était violent avant leur divorce et a, depuis ce divorce, proféré des menaces. La demanderesse s’était initialement vu accorder la garde de ses enfants, mais celle-ci lui a toutefois été retirée par la suite et a été accordée à son ex-mari. Il ressort des documents judiciaires mexicains que l’un des éléments majeurs sur lesquels la cour avait fondé sa décision de lui retirer la garde était le souhait des enfants. La position de la demanderesse est que l’ex-mari a « acheté » le système et a soudoyé son avocat. La demanderesse prétend également que son ex-mari l’a menacée de ne jamais lui permettre de revoir ses enfants et de la tuer si elle tentait de les convaincre de revenir avec elle.

 

[5]               La Commission a estimé que les questions soulevées par la demande d’asile étaient la crédibilité, la protection de l’État et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). Dans ses motifs, la Commission a statué que la demanderesse était crédible et qu’elle était victime de violence familiale. Elle a cependant conclu que le point crucial de la présente affaire était que la demandeure d’asile était en conflit avec son ex-mari quant à la garde de ses enfants. La Commission a conclu que la demanderesse avait une PRI puisqu’elle pouvait vivre en sûreté partout au Mexique « à moins qu’elle n’essaie de convaincre ses enfants de revenir vivre avec elle » (page 3 des motifs).

 

II.         Les questions en litige

 

[6]               La demanderesse fait valoir les questions litigieuses suivantes :

a)         La Commission n’a pas examiné la prétention de la demanderesse concernant la protection de l’État.

 

b)         La Commission n’a pas appliqué de façon appropriée le critère visant à déterminer la viabilité d’une PRI.

 

III.       Norme de contrôle

 

[7]               Les questions soulevées en l’espèce seront tranchées selon la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Irshad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 763; [2005] A.C.F. no 941).

 

IV.       Analyse

 

A.        La Commission n’a pas examiné la prétention de la demanderesse concernant la protection de l’État

 

[8]               La demanderesse soutient que la Commission a reconnu qu’elle était un témoin crédible et a conclu qu’elle était une victime de violence familiale. Cependant, affirme-t-elle, en se concentrant sur les questions relatives à la garde de la demanderesse, la Commission a omis de prendre en considération sa prétention selon laquelle il n’existait pas de protection significative de l’État.

 

[9]               Le défendeur fait valoir que, puisque la Commission a conclu à l’existence d’une PRI viable, il ne lui était pas nécessaire de traiter de la question de la protection de l’État.

 

[10]           La question de savoir s’il existe une PRI est décisive. Comme cela a été énoncé dans la décision Irshad, précitée, au paragraphe 21, le concept de PRI fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention. Pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, une personne doit être un réfugié d’un pays et non d’une région d’un pays. Par conséquent, lorsqu’il est conclu à l’existence d’une PRI, un revendicateur n’est pas un réfugié ou une personne à protéger (voir Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353; [2005] A.C.F. no 435).

 

[11]           En l’espèce, ayant conclu à l’existence d’une PRI, la Commission n’était pas tenue d’examiner la prétention de la demanderesse relative à la protection de l’État. Il s’agit donc de voir si la Commission a appliqué le critère correct dans son analyse relative à la PRI et si ses conclusions relatives à l’existence d’une PRI viable sont raisonnables.

 

B.         Application du critère visant à déterminer la viabilité d’une PRI

 

[12]           La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle elle avait une PRI viable était déraisonnable, car la Commission n’a pas tenu compte de l’importance des menaces de son ex-mari et de l’effet que celles-ci auraient sur les rapports de la demanderesse avec ses jeunes enfants.

 

[13]           Le défendeur soutient que les conclusions relatives à une PRI viable sont des conclusions de fait envers lesquelles la cour de révision doit faire montre de retenue (voir Estrella c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 633; [2008] A.C.F. no 806). Il est d’avis que la décision et l’application du critère étaient raisonnables.

 

[14]           La Commission doit examiner la question de la viabilité d’une PRI en appliquant le critère à deux volets énoncé dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589; [1993] A.C.F. no 1172 (C.A.F.), et Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1256; [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.). En premier lieu, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée dans la région où existe la PRI proposée. En deuxième lieu, la situation dans la région où une PRI est proposée doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de s’y réfugier.

 

[15]           En ce qui a trait au premier volet de ce critère, la Commission était convaincue que la demanderesse n’était exposée à aucun risque au Mexique si elle ne tentait pas de convaincre ses enfants de revenir vivre avec elle. La Commission a relevé que la demanderesse avait travaillé à Pachucas pendant trois ans sans faire l’objet d’aucune menace de la part de son mari. Sa conclusion était raisonnable.

 

[16]           En ce qui a trait au deuxième volet du critère, la Commission a conclu qu’il existait une PRI « à moins qu’elle n’essaie de convaincre ses enfants de revenir vivre avec elle ». Par conséquent, l’une des conditions de la viabilité de la PRI était que la demanderesse ne tente pas de recouvrer la garde de ses enfants.

 

[17]           Il est indûment cruel et déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse renonce à toute tentative de recouvrer la garde de ses jeunes enfants. Par conséquent, la décision de la Commission en ce qui a trait au deuxième volet du critère visant à déterminer la viabilité d’une PRI n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[18]           Dans la décision Thirunavukkarasu, précitée, le juge Alen M. Linden a statué ce qui suit aux paragraphes 13 et 15 :

13        […] Il ne s’agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu’un nouveau pays. Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci: serait-ce trop sévère de s’attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l’étranger? […]

 

[…]

 

15        En conclusion, il ne s’agit pas de savoir si l’autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s’attendre à ce qu’il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d’aller chercher refuge dans un autre pays à l’autre bout du monde. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           La Cour a reconnu que la séparation forcée des familles peut être déraisonnable. Dans Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8469 (C.F.), la Cour a conclu qu’une PRI qui avait pour effet de séparer un parent âgé de ses enfants était indûment pénible. Au paragraphe 11, le juge James Hugessen a statué ce qui suit :

11        […] Le critère applicable pour trancher la question de savoir si une PRI est déraisonnable ou indûment pénible compte tenu de l’ensemble des circonstances implique certainement l’examen de quelques facteurs à tout le moins, lesquels constitueront sans aucun doute des considérations du même type que celles dont on tient compte en déterminant si une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être accordée. J’irais même jusqu’à dire que si l’on excluait du deuxième volet du critère applicable à la PRI chaque considération susceptible d’être qualifiée d’humanitaire, il ne resterait plus rien. J’ai soumis cette question à l’avocate du défendeur lors des plaidoiries, et elle a hasardé une réponse suggérant que ce qu’il resterait serait des considérations de sécurité. Cependant, bien entendu, les considérations de sécurité sont largement, voire entièrement subsumées sous le premier volet du critère.

 

[20]           La Cour a également reconnu le lien familial spécial entre un parent et un jeune enfant. Dans Sooriyakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 156 F.T.R. 285; [1998] A.C.F. no 1402 (1re inst.), le juge Allan Lutfy a statué comme suit aux paragraphes 7 à 9 :

7          […] La présence au Canada de ses deux enfants mineurs et réfugiés au sens de la Convention constitue le type de circonstance particulière dont le tribunal aurait dû tenir compte pour déterminer si Colombo offre un refuge indûment pénible pour la demanderesse.

 

8          La pertinence de la situation des enfants en l’espèce est sans rapport avec l’application du principe de l’unité de la famille ou une demande fondée sur des considérations humanitaires. La situation familiale de la demanderesse constitue tout simplement un facteur humain qu’il ne faut pas exclure dans l’application du deuxième volet du critère permettant de déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur. […]

 

9          […] Le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du lien naturel existant entre une mère et ses enfants mineurs, […]

 

[21]           Le défendeur soutient que la décision est raisonnable du fait que, en venant au Canada, la demanderesse ne peut plus voir ses enfants, alors qu’avant d’y venir, elle pouvait les voir chaque deux fins de semaine et durant les vacances. Cependant, le critère consiste en la question de savoir si les conditions de la PRI proposée au Mexique sont déraisonnables ou indûment cruelles, non en une comparaison de la PRI avec d’autres possibilités à l’étranger. Par conséquent, ce raisonnement est sans valeur.

 

[22]           Le défendeur soutient également qu’il ne s’agit pas d’un cas dans lequel des membres de la famille sont séparés, mais d’une situation dans laquelle la demanderesse est en désaccord avec une ordonnance d’un tribunal mexicain. Cependant, le fondement de l’argument selon lequel les conditions de la PRI seraient déraisonnables sont les menaces que l’ex-mari a proférées de faire du mal à la demanderesse si elle tente de faire valoir ses droits légaux – le droit de recouvrer la garde de ses enfants. La Commission a estimé que la demanderesse et ses allégations selon lesquelles elle aurait fait l’objet de violences et de menaces de la part de son ex-mari étaient crédibles. Par conséquent, quoique la séparation ait été le résultat d’une ordonnance attributive de garde, elle est maintenue indéfiniment par le fait que la demanderesse fait l’objet de menaces de violence de la part de son ex-mari si elle tente de recouvrer la garde des enfants.

 

[23]           La Commission a estimé que le point crucial de l’affaire était l’ordonnance attributive de garde rendue par les tribunaux mexicains et que cela sortait du cadre de son mandat. Cependant, la Commission a conclu que la demanderesse avait une PRI viable, ce qui lui a permis de trancher l’affaire. Pour les motifs exposés ci-dessus, cette conclusion était déraisonnable. Il n’est par conséquent pas nécessaire que la Cour traite de quelque autre question.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision conforme aux présents motifs.

2.         Il n’y a pas d’ordonnance sur les dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5367-08

 

INTITULÉ :                                       CALDERON c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Fedder

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tessa Kroecker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jonathan Fedder

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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