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Date : 20100423

Dossier : IMM‑2252‑09

Référence : 2010 CF 443

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

FERZAD SHOKOHI ET HAKEM SHOKOHI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 31 mars 2009 (la décision) par laquelle une agente des visas (l’agente) a refusé la demande de visa de résident permanent de Ferzad Shokohi (le demandeur) à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un Kurde de 22 ans citoyen iranien. Il allègue courir un risque parce qu’il aurait été dénoncé aux autorités iraniennes pour la possession de vidéos (CD) contenant des renseignements sur le parti démocratique du Kurdistan iranien (le PDKI).

 

[3]               La famille du demandeur a des liens connus avec le PDKI. Son grand‑père et un de ses oncles ont été tués parce qu’ils soutenaient ce parti. Son père a été arrêté et ne peut plus sortir du pays à cause d’allégations selon lesquelles il est un sympathisant du PDKI, même s’il ne joue pas un rôle actif en politique.

 

[4]               Le demandeur n’est pas membre du PDKI, mais il en est un sympathisant. Il a souvent regardé des CD du PDKI à contenu militant. Un de ses cousins lui a remis deux documentaires sur CD relatifs à l’assassinat par le régime islamique d’Iran de membres du PDKI, dont son grand‑père et un de ses oncles. Le demandeur s’est rendu à la maison d’un ami pour regarder les CD. À l’arrivée du père de son ami, qui n’était pas prévue, le demandeur a fui et a laissé les CD derrière lui.

 

[5]               Le père de l’ami est ensuite allé à la maison du demandeur; il y a rencontré la mère du demandeur et a proféré la menace de porter plainte contre son fils.

 

[6]               Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, le demandeur est allé habiter chez sa sœur. Il a ensuite appris que les autorités avaient fait une perquisition à son domicile. Les autorités ont trouvé de l’alcool et une antenne parabolique, les deux étant interdits. Les autorités ont menacé la mère du demandeur et lui ont dit que ce dernier devait se livrer.

 

[7]               Le demandeur s’est réfugié en Turquie, où il s’est inscrit auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le UNHCH). Sa demande fait actuellement l’objet d’un appel devant le UNHCH. Le demandeur a ensuite fait une demande de résidence permanente au Canada, parrainée par un groupe de cinq personnes.

 

[8]               Un oncle et un cousin du demandeur vivent au Canada. L’oncle, membre du groupe de cinq personnes qui parrainent le demandeur, a créé une fiducie au profit de ce dernier. La demande de parrainage en groupe a été autorisée en mars 2007.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[9]               La décision de l’agente est fondée sur le fait que, selon l’information sur le pays d’origine, les partisans peu en vue ou les Kurdes qui sont sympathisants du PDKI ne présentent pas d’intérêt pour les autorités iraniennes. L’agente n’était pas convaincue que le demandeur avait [traduction] « … réussi à démontrer qu’il pourrait attirer l’attention des autorités ». Par conséquent, elle a estimé que la crainte du demandeur n’était pas objectivement fondée.

 

[10]           Les conclusions de l’agente s’appuyaient sur le fait que le demandeur n’avait jamais été membre du PDKI et qu’il n’avait jamais effectué d’activités pour le parti. En fait, il possédait simplement une vidéo. Elle a estimé qu’il n’était pas concevable – et les documents d’information sur le pays le confirmaient – qu’un sympathisant aussi peu en vue attire l’attention des autorités.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Le demandeur soumet à la Cour les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1.                  L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’agir équitablement en ayant recours aux services d’un interprète incompétent?

2.                  La décision de l’agente était‑elle déraisonnable dans la mesure où elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents?

3.                  L’agente a‑t‑elle violé les principes d’équité procédurale en omettant de fournir des motifs adéquats?

4.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en omettant de porter à l’attention du demandeur les renseignements relatifs au pays d’origine sur lesquels elle avait l’intention de s’appuyer et en ne donnant pas au demandeur l’occasion de se prononcer sur ces éléments de preuve?

5.                  Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité selon les faits de l’espèce?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[12]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

[13]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227, s’appliquent aussi en l’espèce :

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger se trouve hors du Canada;

b) il a présenté une demande conformément à l’article 150;

 

c) il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence;

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

(a) the foreign national is outside Canada;

(b) the foreign national has submitted an application in accordance with section 150;

(c) the foreign national is seeking to come to Canada to establish permanent residence;

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[14]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont la cour de révision est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision examine les quatre facteurs sur lesquels s’appuie l’analyse de la norme de contrôle.

 

[15]           La question de savoir si l’agente a omis de fournir des motifs suffisants expliquant le rejet de la demande relève de l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale emportent l’application de la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, et Weekes (tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, 71 Imm. L.R. (3d) 4, au paragraphe 17.

 

[16]           La question de savoir si le demandeur a eu accès à des services d’interprétation appropriés a trait au déroulement et à l’équité de l’audience. Par conséquent, conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité, cette question fera l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision correcte.

 

[17]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en omettant de divulguer la source de la preuve documentaire sur laquelle elle s’est appuyée pour rendre sa décision, ce qui a privé le demandeur de la possibilité d’y répondre. La question de savoir si l’agente s’est appuyée sur une preuve extrinsèque sans en aviser le demandeur est une question d’équité procédurale. À ce titre, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte. Voir Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 626, [2008] A.C.F. no 879, aux paragraphes 42 à 45.

 

[18]           Le demandeur a aussi fait état d’une crainte raisonnable de partialité. Pour cette question, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Voir Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 7, [2010] A.C.F. no 12, au paragraphe 27.

 

[19]           Quant à la question de savoir si l’agente a commis une erreur de compréhension et d’évaluation des risques que doit affronter le demandeur et de la preuve documentaire étayant l’existence de ces risques, il s’agit d’une question de fait. La norme de contrôle de ce genre de question est celle du caractère raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 51.

 

[20]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse s’attachera « … à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle se situe à l’extérieur des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Interprète

 

[21]           Le demandeur soutient que l’accès à un interprète compétent s’impose lorsque la crédibilité est un facteur déterminant dans une décision. Voir, par exemple, Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 326, 231 F.T.R. 61 et Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 107 N.R. 296, [1990] A.C.F. no 173.

 

[22]           La Cour fédérale a statué dans la décision Huang, précitée, au paragraphe 8, qu’un demandeur a droit à « une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente ». La Cour a ajouté qu’il n’est pas nécessaire que le demandeur démontre qu’il a subi un préjudice réel par suite du manquement à la norme d’interprétation pour que la Cour puisse modifier la décision.

 

[23]           Le demandeur soutient qu’on ne lui a pas demandé son avis au sujet de l’interprète. Or, il ne parle pas beaucoup le persan et a eu de la difficulté à communiquer avec l’interprète. De plus, le demandeur affirme que les notes de l’agente ne rendaient pas entièrement compte de tout ce qu’il avait dit au cours de l’audience. Par conséquent, selon le demandeur, [traduction] « compte tenu du recours aux services d’un interprète incompétent, qui a pu commettre de nombreuses et importantes erreurs de traduction, l’agente des visas n’a pu effectuer une évaluation correcte, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité du demandeur ».

 

[24]           Dans la décision Huang, précitée, la Cour a affirmé qu’étant donné le rôle déterminant de la crédibilité dans l’évaluation de la demande, les erreurs de traduction justifiaient que la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur fait le lien avec la situation en l’espèce où la crédibilité semble être un des facteurs importants qui a motivé le rejet de la demande par l’agente. En effet, comme dans Huang,

les erreurs [de traduction] ne sont pas ici sans importance : elles touchent au fondement même du rejet de la revendication. La Commission s’est fondée, à tout le moins en partie, sur les erreurs de traduction pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. Elle a rejeté la revendication du demandeur principalement en raison de cette conclusion défavorable concernant la crédibilité.

 

 

 

Défaut de tenir compte d’éléments de preuve

 

[25]           Même s’il se contredit sur ce point, le demandeur fait valoir que l’agente semble avoir jugé son témoignage crédible. Elle a toutefois estimé que la preuve qu’il lui avait présentée n’était pas suffisante pour la convaincre qu’il courrait un risque à son retour en Iran.

 

[26]           L’agente a cependant commis une erreur en ne tenant pas compte d’une partie importante de la preuve fournie par le demandeur, soit le fait que sa maison a été perquisitionnée par la police parce qu’il avait eu en sa possession et regardé les CD. Ces éléments de preuve sont pertinents parce qu’ils justifient les craintes du demandeur quant aux risques auxquels il serait exposé à son retour en Iran à cause des antécédents de sa famille en matière d’activités politiques et du fait qu’il avait regardé des vidéos illégales.

 

[27]           De plus, l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve relatifs à la situation du demandeur comme membre de la minorité kurde en Iran. Il s’agit clairement d’une erreur vu l’emprisonnement de son père de même que les décès de son grand‑père et d’un de ses oncles. L’agente a omis de tenir compte du contexte familial du demandeur et n’a pas abordé le fait que les autorités croyaient que le demandeur tentait de recruter des membres pour le PDKI.

 

[28]           Les motifs de l’agente ne mentionnent aucune prise en compte de l’identité du demandeur comme Kurde d’Iran ou des antécédents de sa famille. L’agente a clairement commis une erreur en omettant de tenir compte de ces éléments importants de la demande.

 

Motifs inadéquats

 

[29]           L’agente a commis une erreur en omettant de citer la documentation sur le pays d’origine sur laquelle elle s’est appuyée pour rendre sa décision. Elle a de plus omis de présenter une analyse de ces documents. Elle a aussi commis une erreur en n’expliquant pas les éléments du témoignage du demandeur qu’elle a (ou n’a pas) acceptés.

 

[30]           L’agente a estimé que la possession des CD ne justifierait pas l’intérêt des autorités pour le demandeur, mais elle n’a pas examiné ce fait dans le contexte plus large des antécédents de la famille du demandeur. De plus, elle n’a pas du tout mentionné la perquisition des autorités à la maison du demandeur. Dans ce cas, les motifs de l’agente sont tellement imprécis qu’il n’est pas possible d’établir quelles étaient ses conclusions et la façon dont elle les a tirées. Comme le soulignait la Cour d’appel d’Angleterre dans R. c. Civil Service Appeal Board ex p Cunningham, [1991] 4 All E.R. 310 :

[traduction] La Commission aurait dû fournir des motifs détaillés et suffisants pour montrer dans quelle direction elle orientait sa réflexion et, indirectement, pour indiquer non pas si sa décision était bonne ou mauvaise… mais si elle était conforme à la loi.

 

 

[31]           Le demandeur soutient que les motifs doivent expliquer adéquatement la décision qui a été rendue. En fait, les motifs doivent clarifier le fondement de la décision et fournir les éléments de base d’un examen valable en appel. Voir, par exemple, R c. Sheppard, 2002 CSC 869, [2002] 1 R.C.S. 869.

 

[32]           En l’espèce, les motifs de l’agente n’expliquent pas adéquatement sa décision. De plus, elle n’a mentionné aucune source concernant les renseignements sur le pays d’origine qu’elle a utilisés pour rendre sa décision. En l’espèce, les motifs fournis par l’agente ne correspondent pas à l’objet qui doit être visé par un exposé des motifs. Ces derniers étaient trop vagues et inadéquats.

 

Preuve extrinsèque

 

[33]           Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur des renseignements sur le pays d’origine en ne citant ni documents ni sources dans sa décision. Étant donné que le demandeur n’a pas eu accès à cette information, il n’a pas été en mesure de réagir à ces éléments de preuve. Selon le demandeur, la façon dont l’agente a utilisé une telle documentation équivaut au recours à une preuve extrinsèque.

 

[34]           La documentation sur la situation dans le pays d’origine dont était saisie l’agente contredit clairement les conclusions de cette dernière. Par exemple, selon Amnesty International, même les [traduction] « simples sympathisants » du PDKI courent des risques en Iran. Selon la preuve soumise à l’agente, les partisans peu en vue n’ayant pas attiré l’attention des autorités ne couraient pas de risque. Cependant, la preuve fournie par le demandeur démontre que les autorités se sont intéressées à lui puisqu’il y a eu perquisition à son domicile.

 

[35]           Comme l’a statué la Cour fédérale dans Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 720, 1994 A.C.F. no 1902, au paragraphe 20 (QL), les éléments de preuve extrinsèques se composent « … de déclarations, de faits ou de circonstances qui n’apparaissent pas à la lecture du document ou dont celui‑ci ne fait pas mention, mais qui ont pour but d’expliquer, de modifier ou de contredire celui‑ci ». Selon le demandeur, les renseignements relatifs au pays d’origine sur lesquels l’agente s’est appuyée auraient dû être divulgués au demandeur avant qu’une décision soit rendue. En omettant de transmettre ces éléments de preuve au demandeur, elle s’est appuyée sur une preuve extrinsèque et a empêché le demandeur de commenter celle‑ci. Comme il a été établi dans Gill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 12 Imm. L.R. (2d) 305, [1990] A.C.F. no 354, « … en toute équité, un requérant […] doit avoir la possibilité de présenter un témoignage ou un argument contradictoire ».

 

[36]           L’agente était tenue de s’assurer que toute la documentation sur laquelle elle s’appuyait pour rendre sa décision pouvait être consultée par le demandeur. Elle devait de plus lui donner la possibilité de commenter ces éléments de preuve. L’agente a commis une erreur en omettant de citer la documentation sur le pays d’origine sur laquelle elle se fondait.

 

Crainte raisonnable de partialité

 

[37]           Enfin, dans son exposé des arguments complémentaire, le demandeur soulève la question de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité sur le fondement de l’affidavit de l’agente.

 

[38]           Dans son affidavit, l’agente déclare qu’elle s’est appuyée sur [traduction] « sa compréhension personnelle de la situation que vivent les Kurdes en Iran » pour tirer sa conclusion. L’agente ne donne toutefois pas de précisions sur la situation dont elle parle. Selon le demandeur, il pourrait s’agir d’expériences personnelles, de relations antérieures avec des gens, d’observations ou de résultats de recherches. Par conséquent, il semble que l’agente ait joué le rôle d’enquêteure en plus de décideure ultime. Selon le demandeur, cette situation justifie une crainte raisonnable de partialité.

 

[39]           Selon le demandeur, [traduction] « une personne raisonnable et bien informée peut estimer que l’agente a des idées préconçues sur les demandeurs kurdes lorsque l’agente se fonde sur sa “compréhension personnelle” de la situation ». En fait, le demandeur ne savait rien des expériences personnelles de l’agente. Cette dernière ne lui a pas transmis ces renseignements et elle ne l’a pas averti non plus qu’elle s’appuierait sur des recherches et des expériences personnelles pour tirer une conclusion relativement à sa demande. En s’appuyant sur ce type d’information, l’agente a commis une erreur de droit.

 

Le défendeur

            Traitement de la preuve

 

[40]           Rien n’étaye l’allégation du demandeur selon laquelle l’agente n’a pas tenu compte d’éléments de preuve parce qu’il est clair que l’agente a pris en compte la totalité de la preuve qui lui avait été soumise. Après avoir examiné la totalité de la preuve, l’agente a tiré la conclusion que le demandeur n’avait pas [traduction] « réussi à démontrer qu’il pourrait attirer l’attention des autorités ».

 

[41]           Il n’appartient pas à la Cour de modifier les conclusions sur la crédibilité tirées par un agent dans le cadre d’une audience, sauf si la Cour est convaincue que l’agent en question s’est appuyé sur des facteurs non pertinents ou qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui lui étaient présentés. De plus, la Cour ne devrait pas intervenir concernant des inférences et conclusions d’un agent lorsque ces dernières sont raisonnables, comme c’est le cas en l’espèce. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732. En l’espèce, l’agente a fait part de ses préoccupations relativement à la crédibilité du demandeur et ce dernier n’a pu fournir d’explication raisonnable.

 

[42]           De plus, l’agente avait le droit de préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur, même si ce dernier avait été jugé crédible. Voir Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 678, [2008] A.C.F. no 846, au paragraphe 7.

 

[43]           Le demandeur allègue aussi que l’agente n’a pas tenu compte de son identité à titre de Kurde iranien. Cependant, selon les notes du STIDI, l’identité du demandeur a été prise en compte dès le début de l’audience, et ce, selon le défendeur, [traduction] « avec les autres éléments de preuve soumis à l’agente ». Il incombait au demandeur de présenter tout élément de preuve dont il souhaitait que l’agente tienne compte en ce qui concerne la situation des Kurdes en Iran. En l’espèce, il a omis de fournir quelque élément de preuve que ce soit.

 

Information sur le pays d’origine

 

[44]           Le demandeur a allégué que l’agente n’avait pas identifié les documents d’information relatifs au pays d’origine sur lesquels elle s’est appuyée. Cependant, l’agente cite l’article 498 du code pénal islamique dans les notes du STIDI. L’agente a conclu qu’aucun élément de preuve crédible n’établissait que le demandeur serait puni en vertu de ce code. Par conséquent, il n’était pas nécessaire qu’elle aborde d’autres facteurs.

 

[45]           De plus, même s’il n’en était pas fait mention dans la décision, l’agente, a mentionné dans son affidavit la documentation relative au pays d’origine sur laquelle elle s’est appuyée.

 

[46]           Comme l’agente avait été en poste en Turquie, où un grand nombre de Kurdes iraniens effectuent des demandes d’asile, il était raisonnable que l’agente s’appuie sur ses connaissances relatives à la situation des Kurdes en Iran. Il incombe à un demandeur de fournir les éléments de preuve dont il veut qu’un agent tienne compte à l’égard de la situation dans son pays. En l’espèce, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve. Par conséquent, il ne peut alléguer que l’agente a commis une erreur en ne mentionnant pas expressément les éléments de preuve. Voir, par exemple, Qarizada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1310, [2008] A.C.F. no 1662.

 

[47]           Le demandeur a aussi allégué que l’agente s’était appuyée sur des éléments de preuve extrinsèques. Or, rien ne prouve que l’agente s’est appuyée sur autre chose que des renseignements figurant dans une source publique à laquelle le demandeur avait accès. Ces renseignements ne peuvent donc être considérés comme des éléments de preuve extrinsèques et la prise en compte de ce type d’éléments de preuve n’a rien d’inéquitable. De plus, l’agente n’était pas tenue de mentionner ces renseignements au demandeur avant de rendre sa décision. Voir Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 626, 330 F.T.R. 40, aux paragraphes 44 et 45, et Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1732, [2005] A.C.F. no 2145, aux paragraphes 14 à 16.

 

[48]           L’agente est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui était soumise. L’agente n’est pas tenue d’énumérer chaque élément de preuve qu’elle a pris en compte pour rendre sa décision. De plus, l’allégation du demandeur selon laquelle la documentation relative au pays [traduction] « contredit clairement la conclusion de l’agente » équivaut essentiellement à un désaccord sur le poids relatif accordé aux divers éléments de preuve, question qui ne peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour.

 

Équité procédurale

 

[49]           Le défendeur prétend que la nature de la décision rendue par l’agente en l’espèce autorise une moins grande rigueur dans l’application de l’obligation d’équité. Voir Jallow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 122 F.T.R. 40, [1996] A.C.F. no 1452, au paragraphe 18. De plus, la Cour « doit se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter ». Voir Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, 213 F.T.R. 56, au paragraphe 32.

 

Interprète

 

[50]           Contrairement aux observations du demandeur, ce dernier a eu l’occasion de choisir la langue de l’interprète. En effet, dans sa demande de résidence permanente au Canada, le demandeur a déclaré que la langue qu’il choisissait pour l’entrevue était le [traduction] « persan – kurde ». Étant donné que son premier choix semblait être le persan (farsi), le demandeur a eu droit à un service d’interprétation en farsi.

 

[51]           De plus, le demandeur ne mentionne aucune erreur commise par l’interprète; il déclare simplement qu’à la lecture des notes du STIDI il a eu l’impression que ces dernières [traduction] « … ne rendaient pas entièrement compte de tout ce qu’il avait dit ». Il mentionne aussi que l’interprète [traduction] « a pu commettre de nombreuses et importantes erreurs de traduction », mais il n’en mentionne aucune.

 

[52]           L’agente est une intervieweuse expérimentée qui n’a eu aucun doute quant à la qualité de la traduction à l’audience. Selon le défendeur,

[traduction] [i]l n’y a pas eu de portions démesurées des dialogues entre le demandeur et l’interprète qui n’ont pas été traduites par la suite et il n’y a pas eu non plus incompatibilité entre la quantité de renseignements donnés par le demandeur et ce qui a par la suite été traduit en anglais.

 

De plus, selon les notes du STIDI, le demandeur ne semble pas avoir eu de difficulté à comprendre les questions qui lui étaient posées.

 

[53]           Il faut aussi souligner que le demandeur n’a pas informé l’agente de l’existence de problèmes d’interprétation; il incombait au demandeur de signaler l’existence de ces problèmes au cours de l’entrevue. Le demandeur a plutôt dit à l’agente qu’il comprenait l’interprète sans difficulté. Il est clair que le défaut du demandeur de soulever les problèmes relatifs à l’interprétation au cours de l’entrevue invalide complètement sa demande de réparation. Voir Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] C.F. 85, au paragraphe 18, et Dhillon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1995 A.C.F. no 390, au paragraphe 10.

 

[54]           Le demandeur a laissé entendre que sa version des faits devait être retenue au détriment de celle que l’on retrouve dans les notes du STIDI. Cependant, la version des faits du demandeur est tirée d’un affidavit souscrit cinq mois après l’entrevue, alors que les notes du STIDI ont été prises pendant l’entrevue. La Cour a déjà accordé plus de poids aux notes du STIDI lorsqu’il y avait contradiction entre ces dernières et le témoignage du demandeur. Voir Al Nahhas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1507, [2006] A.C.F. no 1949, aux paragraphes 14 à 16.

 

[55]           De plus, même s’il était établi que les services d’interprétation comportaient certaines lacunes, il n’y a pas eu de manquement aux principes de justice naturelle en l’espèce étant donné que rien n’étaye la prétention que le demandeur a subi une forme quelconque de préjudice du fait de ces supposés problèmes. Voir la décision Dhillon, précitée, au paragraphe 9.

 

Motifs adéquats

 

[56]           Dans le contexte d’une demande d’asile faite à l’étranger, la Cour a établi que les notes du STIDI jointes à une lettre de refus constituent des motifs suffisants dans la mesure où elles expliquent pour quelles raisons la demande a été refusée. Voir Besadh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 680, [2009] A.C.F. no 847, au paragraphe 4, et Bhandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 427, 2006 A.C.F. no 528, au paragraphe 18.

 

[57]           La décision de l’agente n’est pas imprécise. En effet, il y est mentionné clairement que la demande a été refusée parce que le demandeur n’avait pas [traduction] « réussi à démontrer qu’il pourrait attirer l’attention des autorités ». Selon le défendeur, cette conclusion n’est pas fondée uniquement sur les CD en possession du demandeur, mais sur l’examen de l’ensemble des allégations du demandeur.

 

[58]           Le fait que les renseignements relatifs au pays d’origine n’ont pas été cités ne rend pas en soi la décision déraisonnable, puisque celle‑ci se fondait plutôt sur des conclusions de fait en relation avec la crédibilité du demandeur. La mention ou l’absence de mention de ces renseignements sur le pays d’origine n’est pas pertinente quant à la conclusion de l’agente.

 

[59]           Même si la Cour devait statuer que les motifs de la décision étaient insuffisants, l’inadéquation des motifs ne constitue pas automatiquement une erreur. C’est plutôt le demandeur qui doit s’acquitter du fardeau de démontrer que les lacunes des motifs ont entravé l’exercice d’un droit légal. Voir, par exemple, Bakht c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1193, [2008] A.C.F. no 1510, au paragraphe 37, et l’arrêt Sheppard, précité.

 

[60]           En fait, le texte de la décision en cause est suffisamment complet pour expliquer les motifs du refus de la demande et pour permettre un contrôle judiciaire efficace.

 

Allégation de partialité

 

[61]           L’allégation de partialité est grave et ne doit pas être faite à la légère. Une allégation de cette nature doit être étayée par des éléments de preuve concrets. Voir Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, [2001] A.C.F no 1091, au paragraphe 8.

 

[62]           L’argument du demandeur selon lequel le fait que l’agente se soit appuyée sur sa compréhension de la situation des Kurdes en Iran a été préjudiciable pour le demandeur n’est qu’une supposition et n’est pas fondé. En effet, rien ne prouve que, pour rejeter la demande, l’agente s’est appuyée sur autre chose que des éléments de preuve objectifs auxquels toute personne a accès.

 

[63]           Il était raisonnable que l’agente déclare dans son affidavit qu’elle était au fait des difficultés que doivent affronter les Kurdes en Iran étant donné que le demandeur avait contesté, dans son exposé des arguments, la compréhension qu’avait l’agente de leur situation. Aucun élément de l’affidavit ou de la décision de l’agente ne donne à penser que cette dernière a outrepassé ses pouvoirs ou que la décision était entachée de partialité.

 

[64]           Pour statuer sur la demande, l’agente avait le droit de tenir compte de renseignements objectifs sur le pays d’origine. Le défendeur fait valoir que « [l]es renseignements publics sur les conditions ayant cours dans les pays dont viennent les personnes revendiquant le statut de réfugiés sont précisément le genre de “renseignements ou d’opinions” dont on peut s’attendre à ce qu’ils soient du ressort de la “spécialisation” de la Commission ». Voir Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 151 N.R. 215, [1993] A.C.F. no 127, et Kalu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 400, [2008] A.C.F. no 488, au paragraphe 5. De plus, le simple fait de passer en revue ces renseignements objectifs ne constitue pas une enquête.

 

[65]           Selon le défendeur, l’argument du demandeur quant à l’existence de partialité équivaut à [traduction] « une analyse à la loupe et purement hypothétique de deux mots figurant dans l’affidavit du demandeur et ne démontre pas que la décision de l’agente était déraisonnable ».

 

ANALYSE

            Confusion autour d’un aspect central de la décision

 

[66]           Le demandeur a soumis plusieurs questions dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Cependant, tout bien considéré, parce qu’elle s’articule autour d’une confusion fondamentale, la décision doit être renvoyée pour réexamen.

 

[67]           Le demandeur n’a soumis aucune documentation sur la situation dans son pays d’origine, de sorte que l’agente a effectué sa propre recherche et tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

Voici le libellé de l’article 498 du cinquième livre du code pénal islamique :

« Toute personne qui, pour quelque raison que ce soit, crée un groupe, une association ou une section englobant plus de deux personnes, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ou qui gère ladite organisation dans le but de nuire à la sécurité nationale, sera condamnée à une peine de deux à dix ans d’emprisonnement si elle n’est pas reconnue comme un ennemi de Dieu. »

 

Cependant, le demandeur principal ne faisait pas partie d’un groupe et n’était pas membre du PDKI; il avait simplement obtenu deux CD distribués par le PDKI qui, incidemment, contenaient des renseignements au sujet de son grand‑père. De plus, selon les renseignements sur le pays d’origine, il est peu probable dans la pratique, « sauf si la personne a attiré directement l’attention des autorités iraniennes, que ces dernières fassent preuve d’un intérêt quelconque à l’égard d’un citoyen membre de l’ethnie kurde ou d’un partisan peu en vue du PDKI ou du Komala. Cependant, selon des éléments de preuve objectifs, les dirigeants et militants du PDKI et du Komala seraient exposés à un risque réel de persécution à cause de leurs activités ».

 

Sur le fondement de ces renseignements sur le pays d’origine, le demandeur principal n’a pas réussi à démontrer qu’il pourrait attirer l’attention des autorités iraniennes. Le seul élément de preuve d’un lien entre le demandeur principal et le PDKI est une vidéo sur CD. Il n’est pas concevable – et les renseignements sur le pays d’origine vont dans le même sens – qu’un sympathisant aussi peu en vue puisse attirer l’attention des autorités. J’en conclus donc que la crainte du demandeur principal n’est pas fondée objectivement.

 

La demande est donc REFUSÉE.

 

 

[68]           Malgré le contre‑interrogatoire de l’agente par l’avocat du demandeur, à mon avis, il y a encore confusion au cœur même de la décision. Je ne sais pas très bien si l’agente dit qu’elle croit que les autorités savent que le demandeur était en possession des CD, mais que ces dernières ne s’intéresseraient pas à lui parce que les documents d’information sur le pays n’étayent pas la conclusion selon laquelle les autorités s’intéresseraient à une personne qui se trouvait simplement en possession de CD du PDKI et qui était un [traduction] « sympathisant si peu en vue ».

 

[69]           Si c’est bien la conclusion tirée par l’agente, il y a problème parce que l’agente reconnaît que les autorités sont à la recherche du demandeur ou, à tout le moins, aucun élément de la décision ne donne à penser qu’elle ne reconnaît pas ce fait. Donc, qu’elles aient été ou non informées au sujet des CD, les autorités ont déjà fait preuve d’un certain intérêt à l’égard du demandeur et ont montré qu’elles étaient à sa recherche.

 

[70]           Par ailleurs, l’agente pourrait dire que le demandeur n’a pas prouvé que les autorités sont au fait de l’existence des CD ou qu’il est un sympathisant du PDKI. Si c’est là son intention, je ne vois pas très bien pour quelles raisons l’agente semble accorder autant de poids à la documentation sur le pays pour laisser entendre que le demandeur ne présente aucun intérêt pour les autorités parce qu’il n’est qu’un [traduction] « sympathisant si peu en vue ». Si les autorités ne sont pas au fait de l’existence des CD, il est difficile de comprendre de quelle façon elles pourraient établir un lien entre le demandeur et le PDKI, peu importe son degré d’engagement dans le parti.

 

[71]           Je ne pense pas que cette confusion a été dissipée en contre‑interrogatoire, où l’agente a déclaré que le demandeur n’a pas pu établir que la police était au courant de l’existence des CD, parce que si l’agente n’a pas accepté le fait que la police connaissait l’existence des CD, comment aurait‑elle pu savoir que le demandeur était un [traduction] « sympathisant peu en vue », ce qui semble être le fondement de sa décision?

 

[72]           Au cours du contre‑interrogatoire sur son affidavit, l’agente a été interrogée au sujet des éléments de la version du demandeur qu’elle avait acceptés. Sur la question fondamentale du lien entre les CD et la perquisition de la police, l’agente a dit que le père de son ami

[traduction] a pu faire une plainte qui a amené les policiers à se rendre à la maison, mais qu’il n’a pas nécessairement déposé de plainte contre le demandeur du fait qu’il était en possession des CD… Je n’étais pas convaincue qu’ils avaient fait la perquisition à cause de cet incident, à cause du fait que le demandeur était en possession de la vidéo du PDKI.

 

 

Cette déclaration ne dissipe pas la confusion déjà décrite que l’on retrouve dans les motifs.

 

Interprète incompétent

 

[73]           Le demandeur se plaint après coup de la mauvaise qualité de l’interprétation. Il dit qu’il a été surpris en voyant les notes de l’agente car il a eu l’impression d’en avoir dit beaucoup plus que ce qui y était reproduit. Selon lui, le recours à un interprète incompétent [traduction] « qui a pu commettre de nombreuses et importantes erreurs de traduction a empêché l’agente des visas de faire une évaluation correcte, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité du demandeur ».

 

[74]           Comme l’indiquent les notes du STIDI, l’agente a pris des précautions pour s’assurer que le demandeur comprenait les questions. On a eu recours aux services d’un interprète compétent et le demandeur ne peut même pas mentionner d’erreurs commises ou d’éléments de ses déclarations qui n’auraient pas figuré dans les notes du STIDI. Absolument rien ne permet d’étayer ses allégations quant aux problèmes d’interprétation. Et, comme le contre‑interrogatoire l’a établi, le véritable problème en l’espèce n’en était pas un de crédibilité; en effet, la question centrale était celle du lien entre le fait qu’il était en possession des CD et la perquisition de la police.

 

Défaut de tenir compte d’éléments de preuve et conclusions non étayées par la preuve

 

[75]           Le demandeur déclare que l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte des

[traduction] éléments de preuve fondamentaux et importants soumis par le demandeur et, en fait, notés par l’agente. Selon le demandeur, parce que ce dernier avait en sa possession des CD favorables au PDKI et qu’il les a regardés, son domicile a été perquisitionné par la police, qui y a trouvé de l’alcool et une antenne parabolique, les deux étant interdits dans les régions kurdes. Le demandeur n’était pas chez lui à ce moment‑là, contrairement à sa mère; cette dernière a par la suite informé le demandeur que les autorités lui avaient demandé de lui faire savoir qu’il devait se rendre.

 

 

 

[76]           Le demandeur prétend que l’agente n’a pas tenu compte du fait que des policiers se sont rendus à son domicile pour le retrouver. À mon avis, la décision est fondée sur l’énoncé suivant : [traduction] « Il n’est pas concevable – et les renseignements sur le pays d’origine vont dans le même sens – qu’un sympathisant aussi peu en vue puisse attirer l’attention des autorités ». Cela signifie que l’agente doit reconnaître que le demandeur est un [traduction] « sympathisant peu en vue » et que les autorités doivent être au fait que le [traduction] « lien entre le demandeur principal et le PDKI est une vidéo sur CD ». Cette conclusion passe à côté du fait que les autorités se sont déjà intéressées au demandeur en allant chez lui pour le retrouver. À mon avis, la décision est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de ce fait fondamental. Voir, par exemple, Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 56, [2004] A.C.F. no 43, aux paragraphes 8 à 10.

 

Motifs inadéquats

 

[77]           J’ai déjà expliqué pour quelles raisons j’estime que les conclusions des motifs de l’agente sont entachées d’une confusion fondamentale. Cette confusion rend la décision déraisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

Preuve extrinsèque

 

[78]           Le demandeur n’a pas démontré qu’on l’a empêché de consulter la documentation sur son pays d’origine. Il n’a pas non plus démontré qu’il s’agissait de renseignements nouveaux et importants qui faisaient état d’un changement de situation dans le pays.

 

[79]           Le demandeur soutient que les renseignements sur le pays d’origine auraient dû lui être divulgués afin qu’il ait l’occasion de réagir. Cependant, comme le défendeur l’a déclaré, aucun élément dans la présente affaire ne démontre que l’agente s’est appuyée sur des éléments de preuve autres que ceux que l’on peut obtenir de source publique. Par conséquent, on ne peut juger que ces éléments de preuve sont extrinsèques. L’agente n’était donc pas tenue de faire part de ces renseignements au demandeur. Selon la juge Hansen dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266, [2002] 4 C.F. 193, au paragraphe 33,

L’équité ne requiert... pas la communication d’éléments de preuve non extrinsèques, comme les rapports sur la situation générale du pays, à moins que ces éléments n’aient été rendus accessibles après que la demanderesse eut déposé ses observations et à moins qu’ils respectent les autres critères formulés dans [l’arrêt Mancia].

 

Aucun élément de preuve soumis à la Cour ne démontre que les renseignements relatifs au pays d’origine sur lesquels s’est appuyée l’agente en l’espèce correspondent à la norme décrite par la juge Hansen dans la décision Chen, précitée. Par conséquent, on ne peut dire que l’agente a violé le droit à l’équité procédurale du demandeur en ne portant pas à son attention les renseignements sur le pays d’origine qu’elle avait consultés.

 

[80]           En l’espèce, l’agente s’est appuyée sur des éléments de preuve auxquels le demandeur aurait eu accès s’il avait cherché à les consulter. L’agente a ensuite tenu compte de ces éléments de preuve dans le contexte de la demande afin de déterminer si le demandeur pouvait être visé par les risques décrits dans la preuve. Cependant, l’agente a estimé que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il était un sympathisant peu en vue dont les autorités avaient eu vent des opinions.

 

[81]           Je ne crois pas que l’agente a mal pris en compte ou mal utilisé la preuve documentaire dont elle disposait, d’autant plus que le demandeur aurait eu accès à ces éléments de preuve s’il avait choisi de les consulter et qu’il n’a lui‑même fourni aucune documentation sur son pays d’origine.

 

Autres motifs

 

[82]           Le demandeur soulève plusieurs autres motifs, comme l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, que je n’estime pas étayée par le dossier.

 

Conclusions

 

[83]           En dernière analyse, je pense que la décision était déraisonnable parce que l’agente n’explique pas pour quelles raisons les autorités ne s’intéresseraient pas au demandeur en tant que [traduction] « sympathisant peu en vue » alors que ces mêmes autorités avaient déjà fait preuve de leur intérêt en perquisitionnant sa maison et en disant à sa mère qu’il devait se rendre. Cela signifie soit que l’agente a commis une erreur en passant complètement à côté d’une preuve essentielle de l’existence d’un intérêt de la part des autorités à l’égard du demandeur, soit que les motifs sont inadéquats parce qu’ils ne précisent pas clairement pour quelles raisons les autorités auraient été informées de l’existence du demandeur, un [traduction] « sympathisant peu en vue » du PDKI, si elles ignoraient l’existence des CD.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                                          La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent.

2.                                          Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2252‑09

 

INTITULÉ :                                                   FERZAD SHOKOHI ET HAKEM SHOKOHI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

Marcia Schmitt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACKMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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