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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100312

Dossier : T-1568-09

Référence : 2010 CF 290

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2010

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

DAVID R. JOLIVET

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 11 août 2009 par laquelle M. Marc-Arthur Hyppolite, sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada (le SCC), a rejeté le grief au troisième palier présenté par le demandeur au sujet du calcul de la date de sa libération d’office (la DLO) conformément à l’alinéa 11.1(2)b) de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.C. 2004, ch. 21 (la LTD).

 

I. Les faits

[2]               Le 20 mars 1979, le demandeur a commencé à purger dans un pénitencier fédéral canadien une peine d’emprisonnement de neuf (9) ans et neuf (9) mois après avoir été reconnu coupable de deux chefs de vol qualifié.

 

[3]               Le 11 novembre 1984, le demandeur s’est évadé de l’Établissement Matsqui, à Abbotsford, en Colombie-Britannique, lors d'une permission de sortie sans escorte.

 

[4]               Le 6 décembre 1984, le demandeur a été arrêté aux États-Unis et, le 1  avril 1985, il a été condamné par les autorités de l’Utah à une peine d’emprisonnement à perpétuité de durée indéterminée pour enlèvement avec circonstances aggravantes, agression sexuelle, viol, vol qualifié avec circonstances aggravantes, et sodomie par contrainte. Il a par la suite été déclaré coupable de deux infractions fédérales le 5 décembre 1994 et le 5 janvier 1995, infractions pour lesquelles il s’est vu infliger une peine supplémentaire de 41 et de 36 mois d’emprisonnement, respectivement, à purger consécutivement avec sa peine de durée indéterminée.

 

[5]               Le demandeur a par la suite demandé son transfèrement au Canada pour y purger le reste de ses peines. Cette demande a été acceptée et a pris effet le 23 juillet 2003. Le 21 mai 2004, la Commission de la réhabilitation (Board of Pardons) de l'Utah a commué la peine du demandeur de peine de durée indéterminée en peine de durée déterminée, soit 29 ans d’emprisonnement. Le mandat de dépôt du demandeur devait expirer le 12 février 2009.

 

[6]               Pour calculer le temps que le demandeur devait purger au Canada, le SCC a calculé le nombre total de jours qu’il restait au demandeur à purger relativement à la peine prononcée aux États‑Unis. Aux termes du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC), le demandeur doit purger au Canada l’équivalent des deux-tiers de la peine prononcée aux États‑Unis, ce qui le menait au 20 avril 2011.

 

[7]               Le demandeur a contesté ce calcul de sa DLO en déposant cinq (5) griefs, dont le dernier fait l’objet du présent contrôle judiciaire (V80A00023125). Le demandeur avait antérieurement introduit une instance en contrôle judiciaire relativement à son premier grief. Le 26 juin 2006, le juge Blais de la Cour fédérale (maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a, le 11 mai 2007, rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision du juge Blais. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le SCC avait correctement calculé le DLO du demandeur.

 

II. La question en litige

[8]               La principale question soulevée par le demandeur porte sur le fait qu’il aurait droit au maximum de réduction méritée de peine permis par l’article 11 de la LTD pour le calcul de sa DLO. Il soulève également la question de l’applicabilité de l’alinéa 127(2)b) de la LSCMLC, un argument qui ne faisait pas partie du cinquième grief, mais qui a été examiné dans le cadre de la procédure relative au quatrième grief dont la décision finale n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               Le défendeur, le Procureur général du Canada, s’oppose au présent contrôle judiciaire et affirme que la question soulevée par le demandeur au sujet du calcul de sa DLO est chose jugée, de sorte que le demandeur devrait être déclaré irrecevable à introduire la présente demande de contrôle et que la Cour devrait refuser d’examiner la question.

 

[10]           Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique à la demande de contrôle judiciaire étant donné que les conditions d’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige sont réunies en l’espèce. La Cour conclut au rejet de la demande de contrôle judiciaire. Malgré la conclusion tirée au sujet de la chose jugée, la Cour tient également à formuler ses observations au sujet de la multiplicité des instances portant exclusivement sur le calcul de la DLO.

 

III. L’analyse

[11]           Le demandeur a constamment remis en question le calcul de sa DLO depuis qu’elle a été calculée le 14 juillet 2005.

 

[12]           Le demandeur a déposé cinq (5) griefs au sujet du calcul de la DLO, lequel tient compte de la réduction méritée de peine, s’il en est. Il a également demandé, sans succès, le contrôle judiciaire du calcul de la DLO. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale l’ont toutes les deux débouté de ses demandes.

 

[13]           Dans ses multiples griefs et contestations juridiques du calcul de sa DLO, le demandeur invoque divers arguments de droit pour atteindre son objectif, qui est de raccourcir sa peine. Dans le cas de tous ces griefs, il est tenu de présenter tous ses arguments. Le demandeur ne peut présenter diverses parties de ses arguments à divers moments, parce qu’un tel fractionnement ouvre la voie à la multiplication des instances judiciaires. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’explique dans l’arrêt Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503 : « [U]ne partie […] est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible » (au paragraphe 9)).

 

[14]           Après avoir examiné le jugement de la Cour fédérale et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale précités qui portent sur le calcul de la DLO et, dans une certaine mesure, sur la réduction méritée de peine, je conclus que le demandeur a déjà fait examiner la question par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Il est inacceptable de sa part de prétendre maintenant qu’il n’avait pas découvert tous les points litigieux lorsque la première demande de contrôle judiciaire a été examinée.

 

[15]           Il n’y a pas de nouveaux faits importants. Il était au courant, à l’époque, du calcul de la DLO. Justifier maintenant un autre contrôle judiciaire au motif qu’il y a peut-être une nouvelle façon de calculer la DLO en tenant compte notamment de la réduction méritée de peine n’est pas acceptable. Il n’existe pas de circonstances spéciales justifiant un tel argument. Enfin, il existe des faits solides et valables qui permettent d’affirmer que la question est chose jugée.

 

[16]           Il est de jurisprudence constante que lorsqu’une question a déjà été tranchée dans une instance antérieure, le principe de l’irrecevabilité s’applique. Les conditions à respecter pour que ce principe s’applique sont les suivantes : (1) la même question a déjà été décidée; (2) la décision était finale; (3) les parties sont les mêmes (Angle c. Ministre du Revenu national [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254).

 

[17]           Dans l’arrêt Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, à la page 634, le juge Richie cite un extrait d’un jugement dans lequel le vice-chancelier Wigram explique que le principe de l’autorité de la chose jugée porte :

[traduction] […] non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d’exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l’époque, si elles avaient fait preuve de diligence.

 

En ne portant pas la simple existence d’une réduction méritée de peine à l’attention du juge de première instance, le demandeur a raté l’occasion de présenter sa meilleure preuve et ses meilleurs arguments. La question est donc la même que celle qui a déjà été tranchée, en l’occurrence le calcul que le SCC a fait de la DLO du demandeur. Je conclus donc que la première condition de l’irrecevabilité pour cause d’identité des questions en litige est remplie.

 

[18]           Les deux autres conditions de l’irrecevabilité pour cause d’identité des questions en litige sont manifestement réunies : l’arrêt de la Cour d’appel fédérale est définitif et le présent litige met en présence les mêmes parties.

 

[19]           De plus, une des questions examinées par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale était celle de savoir si le SCC avait commis une erreur dans son calcul de la DLO, de même que la question de la réduction de peine que le gouvernement fédéral lui avait accordée. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée tant par la Cour fédérale que par la Cour d’appel fédérale.

 

[20]           Il est donc évident que le présent litige est chose jugée.

 

La multiplication des instances

[21]           Indépendamment du fait que le présent contrôle judiciaire est chose jugée, le demandeur soutient que sa DLO devrait être antérieure au 20 avril 2011, parce qu’il estime qu’il a droit à une réduction méritée de peine dans le cas de sa peine canadienne. Il fait valoir que le SCC n’a pas tenu compte du fait qu’il avait purgé cinq (5) des neuf (9) années de sa peine, qui aurait commencé en mars 1979.

 

[22]           Il y a lieu de signaler que, dans le cinquième grief à l’origine du présent contrôle judiciaire, le demandeur soutenait que son droit à une réduction méritée de peine était fondé sur le paragraphe 11.1(2) de la LTD, alors que dans son mémoire des faits et du droit, il invoque l’alinéa 127(2)b) de la LSCMLC.

 

[23]           Le demandeur ne peut, après qu’une décision définitive a été rendue sur un grief, solliciter le contrôle judiciaire de cette décision en invoquant des moyens de droit différents. Le contrôle judiciaire de la présente décision doit porter sur les questions qui ont été soumises au décideur.

 

[24]           Dans sa décision du 11 août 2009, le SCC explique :

•      la Cour fédérale a révisé le calcul de la DLO du demandeur;

•      la Cour fédérale a examiné l’application de LTD, y compris les articles 11.1 et 12;

•      après l’instance introduite devant la Cour, le SCC a examiné le calcul de la DLO du demandeur dans le grief V80A00015687, lequel a été rejeté au motif que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale avaient confirmé que le SCC avec calculé avec exactitude la DLO du demandeur;

•      le demandeur avait déjà déposé un grief au sujet de la réduction méritée de peine dans le grief V80A00015687;

•      bien que le demandeur affirme qu’il soulève une nouvelle question en ce qui concerne l’application du paragraphe 11.1(2) de la LTD, la Cour fédérale a examiné l’application de la LTD au calcul de sa peine;

•      la décision rendue au sujet du grief V80A00015687 concluait que le calcul de la DLO avait été effectué correctement;

•      la décision rendue au sujet du grief au deuxième palier a rejeté à juste titre le grief étant donné que les questions entourant le calcul de la peine du demandeur avaient été examinées à fond à tous les niveaux de recours;

•      le grief au deuxième palier a été rejeté conformément au Guide de procédure des plaintes et griefs des délinquants, qui déclare que la plainte ou le grief peut être rejeté lorsqu’on a déjà répondu à la question dans une plainte ou un grief antérieurs.

 

[25]           Ainsi qu’il ressort à l’évidence de cette décision, le SCC a examiné toutes les questions soulevées par ce cinquième grief et il a conclu dans les termes les plus nets que le calcul de la DLO avait été examiné et avait déjà fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Il vaut la peine de signaler que ces deux tribunaux ont approuvé de calcul de la DLO et qu’ils mentionnent la question de la réduction méritée de peine (paragraphe 16 des motifs du jugement de la Cour fédérale et paragraphes 9, 10, 16 et 18 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale).

 

[26]           Cela suffit pour mettre fin à l’affaire et pour rejeter la demande de contrôle judiciaire de la décision du 11 août 2009.

 

IV. Conclusion

[27]           La décision du 11 août 2009 est confirmée. Par suite du calcul que le SCC a fait de la DLO du demandeur, la DLO a déjà été fixée au 20 avril 2011. Le demandeur aurait dû présenter tous ses arguments et, en tout état de cause, la demande de contrôle judiciaire est chose jugée, puisqu’elle répond clairement aux conditions de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige.

 

V. Dépens

[28]           Le demandeur a prié la Cour de ne pas être condamné aux dépens s’il faisait l’objet d’une telle décision. Il a fait valoir à la Cour qu’aucune autre instance ne serait introduite après le prononcé du présent jugement et qu’aucun appel ne serait interjeté, de sorte qu’il ne devrait pas être condamné aux dépens. Pour cette raison, et conformément au paragraphe 400(1) des Règles des Cours (DORS/98‑106), je ne condamnerai pas le demandeur aux dépens.
JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.

 

 

   « Simon Noël »

          Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1568-09

 

INTITULÉ :                                       DAVID R. JOLIVET

                                                            c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 mars 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David R. Jolivet

 

LE DEMANDEUR,

pour son propre compte

 

Charmaine de los Reyes

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s/o

 

LE DEMANDEUR,

pour son propre compte

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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