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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20100921

Dossier : IMM-5836-09

Référence : 2010 CF 940

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

JEAN-PIERRE RUDAKUBANA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur a servi dans l’armée patriotique rwandaise (APR), puis dans la gendarmerie rwandaise (la gendarmerie). En raison de son adhésion à ces deux organisations, de son statut à cet égard et de sa connaissance de leurs activités persécutrices, la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité commis par ces organisations.

 

[2]               La Commission a conclu que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de la section Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. La Commission a aussi conclu que les craintes du demandeur de persécution par le gouvernement rwandais n’étaient pas crédibles.

 

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

II.         LE CONTEXTE

[4]               En 1988, alors qu’il était à l’école secondaire, le demandeur a joint l’aile jeunesse (JPR) du Front patriotique rwandais (FPR). En 1990, un conflit armé a éclata entre le FPR et le gouvernement rwandais. Il a joint l’APR et il a été envoyé en Ouganda pour suivre un entrainement.

 

[5]               En 1991, le demandeur a été gravement blessé pendant le conflit. Après son rétablissement, il a été assigné à une gare frontalière à la frontière Rwanda-Ouganda où il supervisait de 13 à 15 gardes. Il a terminé sa carrière dans l’APR à titre de lieutenant.

 

[6]               En 1993-1994, le demandeur est devenu membre de la gendarmerie après avoir suivi une formation à cet effet. Il a obtenu le grade d’inspecteur, puis celui d’inspecteur-chef, fonction qu’il occupait au moment de son départ.

 

[7]               Le demandeur allègue que, en 2001, il est devenu un problème pour ses supérieurs, car il refusait d’obéir aux ordres visant des arrestations politiques. Il allègue aussi que, en 2002, il a appris qu’il serait assassiné pendant une séance de tir. Il a donc fui le Rwanda en 2003.

 

[8]               Le demandeur s’est d’abord rendu en Suède où il a demandé l’asile. Il prétendait que son nom figurait sur une liste d’agents rwandais qui vivaient en Scandinavie et qui étaient suspectés d’avoir informé le gouvernement français que c’était le ministre de la Défense qui avait fait abattre l’avion du président, ce qui avait entrainé le déclenchement du génocide.

 

[9]               Le processus de demande d’asile en Suède a duré 4 ans et demi et le demandeur a été débouté à chaque étape. La demande qu’il a présentée en Suède était essentiellement la même que celle qu’il a présentée au Canada. Après s’être procuré un faux passeport belge, le demandeur a présenté une demande d’asile en janvier 2008.

 

[10]           La Commission a analysé les activités de l’APR et de la Gendarmerie en se fiant aux témoignages des organismes de défense des droits de la personne. Bien qu’elles ne visaient pas des fins limitées et brutales, l’APR et la gendarmerie ont participé à des assassinats, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, à de la détention, de la torture, et à des exécutions extrajudiciaires.

 

[11]           La Commission a conclu que le demandeur a personnellement et sciemment participé aux actes de persécution commis par l’APR et la gendarmerie, et ce, en raison de la nature de ces organisations, du fait que le demandeur s'est engagé volontairement dans les rangs de celles-ci, qu’il a obtenu un grade élevé, qu’il a servi pendant 14 ans sans jamais tenter de partir et qu’il connaissait les activités auxquelles ces organisations se livraient.

 

[12]           La Commission a également conclu que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne sa demande d’asile. Le témoignage qu’il a rendu ne correspond pas à celui qu’il a rendu en Suède relativement à sa détention au Rwanda et sa lettre d’appui émanant d’un ami ne fait aucune mention de sa détention. Ses notes au point d’entrée ne font également aucune mention de sa détention, ni du fait qu’il est recherché par la police. De même, ni son FRP ni la lettre de son ami ne mentionnent que son nom figure sur la liste d’informateurs potentiels.

 

[13]           La Commission, en plus de conclure que le demandeur était exclu en raison de ses crimes contre l’humanité, a aussi conclu qu’il n’était pas crédible (et que son récit était invraisemblable) en ce qui concerne son propre risque. La Commission a conclu qu’il ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait au Rwanda.

 

III.       ANALYSE

[14]           La norme de contrôle applicable à la conclusion de complicité est celle de la raisonnabilité. Quant à la conclusion sur la crédibilité, c’est également la norme de la raisonnabilité qui s’applique, mais un degré important de déférence doit être accordé à la Commission à cet égard (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[15]           Les prétentions du demandeur selon lesquelles l’analyse de la Commission sur la complicité n’était pas suffisamment détaillée ou rigoureuse ne reposent sur aucun fondement. La preuve étaye les conclusions de la Commission et celles-ci sont raisonnables dans les circonstances (Kasturiarachchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 295).

 

[16]           La Commission, comme elle en avait le droit, a accepté la preuve du défendeur quant aux activités de l’APR et de la gendarmerie. La carrière du demandeur, décrite dans le dossier du tribunal à la page 130, constitue une preuve suffisante pour établir l’existence d’un lien entre le demandeur et les actes répréhensibles commis par les deux organisations.

 

[17]           Les prétentions du demandeur comportaient de sérieuses lacunes, une conclusion que pouvait tirer la Commission. Il était raisonnable que la Commission se fie à la décision des autorités suédoises, particulièrement à ce qui a trait aux contradictions figurant dans le récit du demandeur.

 

[18]           Bien que, sauf dans des circonstances extraordinaires, les conclusions des autorités ne lient pas la Commission, il convient de tenir compte des décisions de ces autorités puisqu’il y a suffisamment de similitudes entre leurs pratiques, leurs politiques et leurs valeurs et celles du Canada. En l’espèce, la décision des autorités suédoises et la preuve dont la Commission était saisie ont permis raisonnablement à la Commission de conclure comme elle l’a fait.

 

IV.       CONCLUSION

[19]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5836-09

 

INTITULÉ :                                       JEAN-PIERRE RUDAKUBANA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS POUR JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS 

ET DU JUGEMENT :                       LE 21 SEPTEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS AU DOSSIER :

 

Mme Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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