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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101108

Dossier : IMM-804-10

Référence : 2010 CF 1100

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

MANITA FREDERIC

RODERK FREDERIC

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.        Vue d’ensemble

 

[1]               Mme Manita Frederic a quitté Haïti en 1994 avec son fils, Roderk, juste après l’assassinat de sa mère, de son frère et de sa sœur à Port-au-Prince. Les meurtriers, d’après Mme Frederic, étaient des opposants au président Aristide, que sa famille avait appuyé. Sa demande d’asile aux États-Unis a été rejetée. En 2007, elle est arrivée au Canada avec son fils Roderk, né aux États-Unis, et a demandé l'asile.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé que la version donnée par Mme Frederic des faits qu’elle avait vécus en Haïti était crédible, mais a rejeté sa demande parce que l’identité des assassins et la raison des meurtres n’étaient pas connues. Parce que sa boutique avait été détruite en 1991 par des opposants politiques, Mme Frederic soupçonnait que les membres de sa famille avaient été assassinés pour des motifs politiques. Elle n’en avait toutefois aucune preuve.

 

[3]               La Commission a conclu que le risque que Mme Frederic soit persécutée en raison de ses opinions politiques avait disparu. Elle s’est tournée ensuite vers deux autres motifs qui pouvaient sous-tendre la demande d’asile : 1) est-ce que Mme Frederic s’exposait à un risque de mauvais traitements graves du fait que les Haïtiennes sont souvent victimes de crimes d’ordre sexuel et 2) est-ce que Mme Frederic risquait d’être victime d’extorsion ou d’enlèvement si elle retournait en Haïti, parce qu’elle serait perçue comme une personne relativement riche du fait qu’elle avait vécu pendant de nombreuses années aux États-Unis et au Canada? Au sujet de ces deux motifs, la Commission a mentionné que la criminalité est omniprésente en Haïti et que les craintes de Mme Frederic d’être victime d’un acte criminel étaient partagées par tous les membres de la population. Elle ne serait pas ciblée en raison de son appartenance à un groupe social. Le risque ne serait pas non plus rattaché à sa personne même.

 

[4]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Frederic ne fait valoir qu’un point : est-ce que la Commission a commis une erreur quand elle a conclu que la crainte de Mme Frederic d’être agressée sexuellement ne lui donnait pas la qualité de réfugiée parce qu’il s’agissait d’une crainte générale qu’éprouvent tous les Haïtiens, et non pas les membres d’un groupe social particulier?

 

[5]               À mon avis, dans les circonstances en l’espèce, la Commission n’a pas commis d’erreur. Je devrai donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

 

II.     La décision de la Commission relativement au risque d’agression sexuelle

 

[6]               La Commission a d’abord souligné que, dans sa demande d’asile, Mme Frederic n’avait pas mentionné expressément sa crainte d’être victime de violence sexuelle. C’est plutôt son avocat qui avait soulevé ce point à l’audience.

 

[7]               La Commission s’est reportée à des preuves documentaires confirmant que la violence faite aux femmes et aux filles haïtiennes est un phénomène répandu. Les agressions sexuelles sont fréquentes et les agresseurs restent souvent impunis. Cependant, la criminalité en général règne en Haïti, et les femmes ne sont pas particulièrement ciblées. Tous les Haïtiens risquent d’être victimes de criminels (voir Soimin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 218, et Lozandier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 770). Par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre la crainte de Mme Frederic d’être agressée sexuellement et un motif de persécution reconnu dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 96.

 

III.   La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle a rejeté la demande d’asile de Mme Frederic?

 

[8]               Mme Frederic soutient que la Commission a commis une erreur de droit quand elle a conclu que la criminalité générale ayant cours en Haïti justifiait le rejet de sa demande. Selon elle, la Commission était obligée de déterminer si elle était effectivement persécutée en raison de son sexe.

 

[9]               À l’appui de cet argument, Mme Frederic cite le juge Yvon Pinard, qui a déclaré qu’« une conclusion de généralité ne ferme pas la porte à une conclusion de persécution fondée sur l’un des motifs énoncés dans la Convention ». (Dezameau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559, paragr. 23). Elle invoque aussi les propos du juge Richard Boivin, suivant lesquels la Commission doit, même quand il existe des preuves d’un climat général de criminalité, déterminer si la crainte du demandeur d'être persécuté pour un motif visé à la Convention est fondée (Luc c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 826, paragr. 25).

 

[10]           D’après mon interprétation de sa décision, la Commission ne me semble pas avoir omis de se demander si Mme Frederic craignait avec raison d'être persécutée pour un motif visé à la Convention. Elle n’a pas conclu que le risque généralisé de criminalité faisait en soi obstacle à la demande d’asile. Elle a plutôt jugé que la crainte qu’éprouvait Mme Frederic n’était pas liée à son appartenance à un groupe social particulier ni à un motif quelconque énoncé dans la Convention. Autrement dit, la Commission n’a pas omis de déterminer s’il existait un lien avec un motif reconnu de persécution. Elle a expressément conclu qu’il n’y avait pas de lien – la crainte de Mme Frederic n’était pas fondée sur son appartenance à un groupe social particulier ni sur un autre motif mentionné à l’article 96.

 

[11]           Je souligne également que, même si les questions à trancher dans la présente affaire sont délicates et justifient, dans des circonstances appropriées, un examen sérieux de la part de la Commission et de la Cour, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où il y avait lieu de les analyser dans tous les détails. Comme je l’ai mentionné, l'argument selon lequel la crainte de violence sexuelle éprouvée par une femme peut justifier sa demande d’asile ne constituait pas le fondement de la demande de Mme Frederic. Par conséquent, la preuve présentée à la Commission n’était pas aussi abondante qu’on aurait pu s’y attendre, et les observations sur ce point n’étaient pas aussi détaillées que cela aurait été le cas si la question avait résidé au cœur de la demande d’asile.

 

 

IV.  Conclusion et décision

 

[12]           Compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été présentés, la Commission n’a pas fait d’erreur dans l’analyse qu’elle a effectuée pour déterminer si la crainte de Mme Frederic d’être agressée sexuellement pouvait constituer une crainte de persécution fondée sur son appartenance à un groupe social. Par conséquent, je devrai rejeter la demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, aucune question de portée générale ne sera énoncée.

 


 

JUGEMENT

V.                 LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-804-10

 

INTITULÉ :                                       FREDERIC c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMEMENT :                             Le juge O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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