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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101122

Dossier : IMM-6584-10

Référence : 2010 CF 1169

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

 

PATHMALOGENI JAYASUNDARARAJAH, ABISHNA JAYASUNDARARAJAH (REPREÉSENTÉE PAR SA TUTRICE PATHMALOGENI JAYASUNDARARAJAH) ET SUVIGSHAN JAYASUNDARARAJAH (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE PATHMALOGENI JAYASUNDARARAJAH)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

          MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

 

[1]               Le vendredi 12 novembre 2010, j’ai accordé un sursis à la mesure de renvoi au Sri Lanka, le pays des demandeurs, une mère tamoule et ses deux enfants d’âge mineur, citoyens de ce pays, prévu pour le lundi 15 novembre 2010.

 

[2]               La procédure sous-jacente se rapportant à la demande de sursis est une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, datée du 9 novembre 2010, d’un refus présumé de reporter leur renvoi en attendant la décision de leurs demandes de résidence permanente au Canada pour motifs d’ordre humanitaire (nouvelle demande d’ordre humanitaire) présentées récemment, à savoir le 9 juillet 2010, ainsi qu’une nouvelle demande d’évaluation du risque avant renvoi (la demande d’ERAR), présentée le 22 octobre 2010. Une agente de renvoi a décidé, le 10 novembre 2010, de ne pas reporter leur renvoi, report qu’avaient demandé les demandeurs le 1er novembre 2010.

 

[3]               Les motifs pour lesquels j’ai accordé ce sursis sont exposés dans les paragraphes qui suivent.

 

I.          Faits

[4]               Les demandeurs faisaient partie d’une cellule familiale qui incluait Jayasundararajah Murugan (M. Murugan), son époux et le père des enfants. Le couple s’est séparé à la fin de 2008 en raison de son abus envers sa femme au cours de plusieurs années. M. Murugan a été renvoyé au Sri Lanka le 7 novembre 2010.

 

[5]               Ils sont arrivés au Canada le 9 septembre 2004 en tant que cellule familiale, et ont présenté une demande d’asile qui leur a été refusée le 16 août 2005 pour motifs de crédibilité. L’autorisation d’interjeter appel leur a été refusée le 1er décembre 2005. Une demande de résidence permanente au Canada avec risques a été présentée le 1er février 2006, laquelle a été refusée le 22 décembre 2009. L’autorisation d’interjeter appel leur a été refusée le 8 juin 2010. Une demande d’ERAR a été déposée le 28 décembre 2006, refusée le 29 décembre 2009 et l’autorisation a été refusée le 8 juin 2010.

 

[6]               Le 1er mars 2010, la cellule familiale a été informée que des décisions défavorables avaient été rendues sur leurs deux demandes. Le 12 octobre 2010, les demandeurs se sont fait signifier une demande leur enjoignant de se présenter à leur renvoi le 15e jour de novembre 2010. M. Murugan avait été interrogé préalablement le 8 octobre 2010, date à laquelle il a informé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) que le couple s’était séparé. M. Murugan avait été accusé, en juin 2008, de voies de fait sur son épouse en contravention de l’article 266 du Code criminel.

 

[7]               Le vendredi 22 octobre 2010, l’avocate des demandeurs a écrit au bureau d’ERAR à Toronto, présentant en leur nom une demande d’ERAR remplie récemment (en date du 18 octobre 2010) et pour prévenir ce bureau que le lundi 25 octobre 2010, le bureau d’ERAR recevrait les observations des demandeurs accompagnées des pièces justificatives incluant un affidavit d’un ami de la demanderesse principale concernant les voies de fait qu’elle avait subies, un rapport de psychiatres et des documents sur la situation au Sri Lanka.

 

[8]               En particulier, cette lettre du 22 octobre 2010 soutenait qu’elle était confrontée à des risques personnels graves si elle était renvoyée au Sri Lanka, de risques qui n’avaient jamais été évalués préalablement et devraient être évalués par le bureau d’ERAR avant son renvoi. Elle a demandé un examen d’urgence de la nouvelle demande d’ERAR.

 

[9]               Le 25 octobre 2010, l’avocate des demandeurs a produit les documents promis, des observations approfondies et des documents demandant que la documentation soit évaluée par [traduction] « un agent ayant une expertise en l’espèce (...) avant leur date de renvoi prévue ». Il a été noté que la demanderesse principale (ci-après Logeni) et ses enfants n’avaient jamais fait l’objet d’une ERAR indépendante parce que l’ERAR produite antérieurement était fondée sur les circonstances de son époux dont elle est maintenant séparée et non sur sa propre situation. Elle a soutenu que leur nouvelle demande d’ERAR contenait de nouveaux motifs de risque personnalisé et de nouveaux renseignements liés à la famille de son époux au Sri Lanka ainsi que des risques de l’État, puisqu’elle avait été identifiée comme sympathisant avec les TLET.

 

[10]           Le 1er novembre 2010, l’avocate des demandeurs a présenté, au Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain, une demande officielle de reporter leur renvoi. Elle a joint l’ensemble complet des documents qui avaient été produits auprès de l’agent d’ERAR. Elle a demandé le report [traduction] « jusqu’à ce que des agents qualifiés en ERAR et en motifs d’ordre humanitaire aient eu l’occasion d’examiner[l’affaire] ». Elle a demandé qu’une décision soit rendue au plus tard le 3 novembre 2010 à midi, et si cette date limite n’était pas respectée, « je supposerais que votre décision est défavorable ».

 

[11]           Comme il est noté, le 10 novembre 2010, l’agente de renvoi a refusé de reporter. L’audience de la demande de sursis a procédé en fonction des notes au dossier de l’agente de renvoi. Je note également qu’en date du vendredi 12 novembre 2010, la nouvelle demande d’ERAR et la nouvelle demande pour motifs d’ordre humanitaire étaient toujours en souffrance, c.-à-d., elles n’avaient pas été tranchées sur le fond.

II.         Les observations préliminaires du ministre

[12]            L’avocate du ministre a présenté plusieurs observations préliminaires sur la requête en sursis. Elle a soutenu que la requête en sursis constituait un abus de processus pour les motifs suivants :

                                                   i.                  Les demandeurs n’ont pas expliqué leur retard à engager les procédures de demande de report.

                                                 ii.                  Les demandeurs ont imposé de façon inappropriée au ministre défendeur une date limite unilatérale de moins de deux jours pour la prise d’une décision sur la demande de report.

                                                iii.                  Les demandeurs ont prématurément produit la requête en sursis actuelle et la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire avant l’existence d’une décision sur leur demande de renvoi.

                                               iv.                  Le ministre défendeur a dû préparer une défense hypothétique pour une décision jusqu’ici inexistante dans un délai artificiellement court.

                                                 v.                  Malgré l’urgence artificielle des procédures actuelles produite par les mesures des demandeurs, le ministre défendeur et la Cour se sont efforcés de veiller à ce que les demandeurs aient droit à l’application régulière de la loi et à une audience équitable.

 

 

[13]           Je suis d’accord avec l’avocate du ministre que les demandeurs ont imposé de façon inappropriée une date limite unilatérale de moins de deux jours pour la demande de renvoi et ont présenté prématurément une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Cependant, à mon avis, ces facteurs ne suffisent pas à me porter à décider de ne pas entendre la requête en sursis, surtout lorsqu’une décision a été prise le 10 novembre 2010 sur une requête en date du 1er novembre 2010.

 

[14]           Il se peut aussi que le ministre ait été obligé de préparer une défense hypothétique pour une décision jusqu’ici inexistante. Dans ce cas, la réparation appropriée est l’adjudication de dépens pour des raisons spéciales, en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.

 

[15]           Je n’accepte pas l’observation de l’avocat selon laquelle les demandeurs avaient retardé excessivement l’engagement de la demande de report. Les demandeurs n’avaient pas demandé à l’agente de renvoi d’analyser et de trancher sur le fond la nouvelle demande d’ERAR produite récemment par les demandeurs. Elle a été invitée à reporter la question jusqu’à ce qu’un agent ayant une expertise dans ces domaines ait l’occasion de trancher la demande d’ERAR. Une telle demande n’est pas nouvelle et se compare au cas d’une demande de sursis devant la Cour, où il n’est pas attendu qu’un juge, dans la plupart des cas, tranche la question sous-jacente sur le fond, mais décide simplement si celle-ci est bien fondée. Cependant, en l’espèce, l’agente de renvoi a entrepris un examen de fond du bien-fondé de la demande d’ERAR, ce qui n’était pas approprié étant donné son pouvoir discrétionnaire limité et, à mon avis, c’est ce qui l’a mené à commettre les erreurs qu’elle a commises.

 

[16]           Il n’est pas non plus réaliste de soutenir que les demandeurs ont retardé excessivement la production de leur demande d’ERAR. L’autorisation de l’ERAR de février 2006 de la famille avait été refusée le 8 juin 2010. La Cour doit être sensible au fait qu’il a fallu beaucoup de temps à Logeni, et l’assistance de ses amies et d’un médecin avant qu’elle n’arrive à parler de ses épreuves comme c’est souvent le cas pour les femmes dans ses circonstances. En particulier, je note dans le rapport du 19 octobre 2010 de la Dre Thirlwell qu’elle l’a consultée le 6 septembre 2010 et le 18 octobre 2010. Elle a diagnostiqué la patiente comme étant une femme qui souffre du syndrome de la femme battue, qui doit être évaluée à plusieurs occasions parce que ces femmes sont généralement très réticentes à parler de leurs problèmes pour plusieurs raisons. Le renvoi, ajoute-t-elle, [traduction] « avant qu’elle reçoive un traitement l’exposera à un risque de préjudice encore plus élevé, car elle n’est pas encore suffisamment bien mentalement pour se défendre contre les dangers psychologiques ou physiques » c.-à-d., l’effondrement psychologique et la possibilité de suicide.

 

III.       Le critère du sursis est satisfait

[17]           Il est bien établi en droit que pour obtenir un sursis de renvoi les demandeurs doivent satisfaire au critère à trois volets conjonctifs, notamment, ils doivent établir (1) l’existence d’au moins une question sérieuse, (2) les demandeurs subiront des préjudices irréparables si le sursis n’est pas accordé et (3) la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

 

A.  Question sérieuse

[18]           Parce que le fait d’accueillir le sursis accordera aux demandeurs la mesure qu’ils recherchent sur leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, soit le non-renvoi au Sri Lanka, le barème de la question sérieuse n’est pas simplement si la question sérieuse soulevée n’est pas frivole ou vexatoire, mais plutôt que les demandeurs doivent « être en mesure de faire valoir des arguments assez solides » (voir Baron c. Canada (MSPPC), 2009 CAF 81, aux paragraphes 66 et 67).

 

[19]           L’avocate des demandeurs a soulevé les questions sérieuses suivantes qui peuvent être caractérisées soit comme ignorant, soit comme interprétant mal la preuve : sauf dans le premier cas ci-dessous.

 

[20]           Premièrement, elle soutient que l’agente de renvoi a omis de fournir des motifs suffisants concernant une conclusion importante. Elle pointe à la phrase suivante :

[traduction]

Je note que, même si les renseignements présentés dans la demande de report en ce qui concerne les voies de fait que Mme JAYASUNDARARAJAH et ses enfants ont subies aux mains de M. MURUGAN, n’ont pas été examinés dans le contexte de la demande d’ERAR, je ne suis pas convaincue que Mme  JAYASUNDARARAJAH

 

Elle soutient que la phrase est incomplète et n’a aucun sens.

 

 

[21]           Deuxièmement, elle renvoie à la conclusion suivante :

[traduction]

Inhérent à la demande est le fait que le gouvernement du Sri Lanka ne serait pas en mesure d’offrir aux membres de la famille une protection contre M. MURUGAN et sa famille face à la possibilité qu’ils cherchent à imposer un châtiment à elle et à ses enfants. Je note que je ne suis pas convaincue que Mme JAYASUNDARARAJAH ne serait pas en mesure d’obtenir la protection des autorités sri-lankaises et des organismes sociaux, comme elle l’a fait au Canada, ou qu’ils ne voudront pas prendre de mesure pour combattre toute menace qui serait proférée à son égard ou à l’égard de ses enfants.

 

Elle soutient que cette conclusion va à l’encontre de la preuve documentaire citant un rapport de 2010 du HCNUR sur la protection de l’État au Sri Lanka. Ce rapport a décelé une preuve, aux pages 112 et 171, de violence sexuelle et fondée sur le sexe contre les femmes et les filles tamoules célibataires aux mains des forces militaires et de sécurité. Il a aussi fait remarquer que les dispositions légales actuelles au Sri Lanka concernant le viol et la violence conjugale n’étaient pas appliquées.

 

 

[22]            Troisièmement, elle soutient que la conclusion que les demandeurs seraient en mesure de se prévaloir de l’assistance et du soutien de la famille de la demanderesse au Sri Lanka est abusive puisque Logeni n’a pas de famille au Sri Lanka et que la famille de son ex-époux l’a menacée de châtiment pour avoir porté l’accusation de voies de fait.

 

[23]           Quatrièmement, l’agente de renvoi n’était pas convaincue qu’un nouvel élément de preuve suffisant  concernant le risque avait été présenté ou que le report du renvoi était justifié. Pour appuyer ces propositions, l’agente a affirmé que la SPR avait déjà évalué [traduction] « les circonstances du sujet et ne les avait pas considérés comme des réfugiés au sens de la Convention ». De plus, l’agente a affirmé que l’agent d’ERAR avait « conclu que le sujet n’était pas à risque ».

 

[24]           Sur ce point, l’avocate des demandeurs soutient que l’agente n’a pas tenu compte que ce cas portait sur un nouveau risque qui n’avait pas été évalué antérieurement, ni par la SPR ni par l’agent d’ERAR précédent.

 

[25]           L’avocate du défendeur n’a pas sérieusement contesté les points des demandeurs ni le fait que Logeni avait été agressée par son époux. Plutôt, sur la question sérieuse, elle a soutenu que la question était de savoir s’il y avait ou non au dossier suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour montrer que les demandeurs seraient à risque s’ils retournaient au Sri Lanka. Elle a soutenu qu’il n’y avait pas de preuve que son époux l’avait menacée depuis son retour au Sri Lanka ni de preuve que sa famille userait de représailles. Il n’y avait pas de preuve, selon l’avocate du défendeur, que les demandeurs resteraient à Colombo et qu’ils ne pouvaient pas être en sécurité ailleurs dans ce pays.

 

[26]           Après avoir examiné toute la preuve au dossier et les observations des parties, je suis porté à conclure que l’avocate des demandeurs a fait valoir des arguments assez solides et, en particulier, que Logeni serait exposé à des représailles si elle était renvoyée au Sri Lanka.

 

B.  Préjudice irréparable

[27]           Ayant soulevé une question sérieuse que, s’ils sont renvoyés au Sri Lanka, les demandeurs s’exposent à des représailles, la jurisprudence nous enseigne qu’un préjudice irréparable a été démontré. L’avocate du défendeur a admis ce point de la Cour.

 

C.  Prépondérance des inconvénients

[28]           Ayant établi des questions sérieuses et un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

 

[29]           Pour ces motifs, un sursis est accordé jusqu’à ce que l’autorisation soit tranchée en ce qui concerne la décision de l’agente de renvoi de ne pas reporter et, si l’autorisation est accordée, jusqu’à ce que le contrôle judiciaire de cette décision soit tranché.

 

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 19 novembre 2010


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                          IMM-6584-10

 

INTITULÉ :                          JAYASUNDARARAJAH ET AL. c. MSPPC

 

 

 

REQUÊTE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 12 NOVEMBRE 2010 À PARTIR D’OTTAWA (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :               Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :Le 22 novembre 2010

 

 

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES PAR :

 

Me Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Sybil Sakle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hadayt Nazami

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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