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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101125

Dossier : IMM-89-10

Référence : 2010 CF 1165

Ottawa (Ontario), ce 25e jour de novembre 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

LIVELOT PROFÈTE

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 décembre 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) selon laquelle le demandeur n’est ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, et rejetant sa demande d’asile.

[2]          Le demandeur est un citoyen haïtien, né en 1947. Il était pasteur à l’Église de Dieu de la Rhema, à Port-au-Prince, jusqu’en 1998. Lors de ses sermons, il dénonçait le crime et l’injustice, ce qui aurait attiré l’attention des Chimères de Lavalas, une bande armée notoire.

 

[3]          Le demandeur allègue que le 19 novembre 1998, une vingtaine de Chimères seraient venus chez lui avec des bâtons et des armes à feu et qu’ils auraient tenté d’entrer dans sa maison. Le demandeur aurait téléphoné à la police et la police serait venue promptement. Les Chimères se seraient tous échappés sans que la police n’ait pu les attraper.

 

[4]          Le demandeur, sa femme et leurs deux enfants se seraient par la suite cachés chez la belle-sœur du demandeur, dans une autre zone de Port-au-Prince. Le demandeur a quitté Haïti le 18 décembre 1998, un mois après l’incident, pour se rendre à Orlando (Floride). Il possédait à l’époque un visa valide aux États-Unis. Il prétend avoir attendu un mois avant de quitter Haïti afin de s’assurer qu’il pourrait travailler comme pasteur aux États-Unis. Le demandeur est retourné à Port-au-Prince à deux reprises, en juin 1999 et en septembre 1999. Il allègue être revenu afin de régler les affaires de l’Église et s’assurer qu’il aurait un remplaçant comme pasteur.

 

[5]          Le demandeur n’a jamais demandé asile aux États-Unis. Il a fait une demande de résidence permanente par le biais de l’Église de Dieu d’Horeb qui l’a parrainé comme pasteur, mais la demande a été rejetée le 13 décembre 2005. Il est demeuré illégalement à Orlando pendant près de deux années de plus.

 

[6]          Le 2 octobre 2007, le demandeur est arrivé à la frontière canadienne et il a demandé l’asile le jour même. Il allègue une crainte de persécution de la part des Chimères à la fois personnalisée, étant membre du groupe social des « pasteurs » et à cause des opinions politiques qui lui auraient été imputées.

 

[7]          Le tribunal a trouvé que le demandeur n’avait pas établi de manière crédible les éléments essentiels de son récit, pas plus que le bien-fondé de sa crainte subjective de persécution. Le tribunal a trouvé que le comportement du demandeur n’était pas celui d’une personne qui dit craindre la persécution en Haïti et a cité trois motifs : le demandeur n’a quitté Haïti qu’un mois après l’incident allégué, il est retourné à Haïti à deux reprises alors qu’il disait craindre les Chimères et il n’a jamais revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis, un pays signataire de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés.

 

[8]          Le tribunal a jugé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible parce qu’il semblait ne pas avoir vécu l’incident allégué, ayant de la difficulté à décrire les détails de l’incident. Le tribunal a particulièrement trouvé le témoignage du demandeur évasif et ambigu.

 

[9]          La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 51 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 59). En effet, le demandeur s’attaque aux motifs du tribunal concernant des questions mixtes de fait et de droit; il s’en prend particulièrement à l’évaluation de la preuve, élément clairement dans la juridiction du tribunal, et au sujet duquel la Cour ne devrait pas substituer sa propre opinion à moins que la décision ne soit trouvée arbitraire ou non-transparente.

[10]      Le demandeur a soulevé une question préliminaire concernant le traitement par le tribunal de la décision négative des autorités américaines au sujet de sa demande de résidence permanente aux États-Unis. Le demandeur prétend que le tribunal se contredit puisque, au paragraphe 8 de ses motifs, il mentionne que le demandeur n’avait pas présenté une copie de la décision lors de l’audience et qu’au paragraphe 15 il indique avoir reçu la décision par la suite. Le défendeur note, et je suis d’accord, que ce que le demandeur reproche au tribunal à ce sujet n’est pas clair. Le tribunal a manifestement lu la décision et en a traité. Il ne se contredit pas pour autant lorsqu’il mentionne en passant que la décision n’avait pas été d’abord produite à l’audience en même temps que les autres documents du demandeur et qu’elle a été ensuite produite quelques heures plus tard.

 

[11]      Par ailleurs, le demandeur prétend que le tribunal a erré lorsqu’il a déterminé que son témoignage était évasif, ambigu et non-crédible. Cet argument ne saurait justifier l’intervention de cette Cour, puisque l’appréciation du témoignage est au cœur même de la juridiction du tribunal, lequel a eu l’avantage de voir le demandeur et de l’entendre.

 

[12]      Le demandeur soutient en outre que le tribunal a erré en ne prenant pas en considération certains documents qu’il a produits, à savoir les attestations de son épouse et celles du pasteur qui l’a remplacé. Or, il est bien établi que le tribunal n’a pas besoin de mentionner chaque élément de preuve soumis, ni d’expliquer pourquoi chaque élément a été rejeté (Hassan c. Canada (M.E.I.) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Le tribunal en l’espèce a mentionné l’existence de la preuve documentaire au début de ses motifs, mais il a trouvé qu’il n’y avait « aucun document désintéressé » et donc que cette preuve documentaire n’avait aucune valeur probante quant à la crédibilité du demandeur (voir Arabalidoosti c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 440, aux paragraphes 20 et 21). À mon avis, lorsqu’il a trouvé que les attestations étaient intéressées et qu’il ne croyait pas que l’incident a eu lieu, il était implicite qu’il ne croyait pas davantage les attestations. De plus, l’attestation du nouveau pasteur ne corrobore pas l’incident avec les Chimères, mais traite simplement des raisons pour lesquelles le demandeur est revenu à Haïti, élément que le tribunal n’a pas mis en question. Je ne trouve donc pas que le traitement de la preuve était déraisonnable.

 

[13]      Le demandeur plaide enfin que le tribunal a été capricieux en concluant à une absence de crainte subjective de persécution. Le demandeur ne fait que réitérer les trois motifs pour lesquels le tribunal a trouvé que son récit n’était pas crédible (le délai avant de quitter Haïti, les deux retours volontaires au pays de persécution et le défaut de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis) et répète les explications offertes pour chacun des éléments lors de l’audience. Or, ce sont là des inférences qui sont bien supportées par des éléments de preuve non contredits. Ces inférences pouvaient donc être raisonnablement tirées par le tribunal et il n’appartient pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle faite par celui-ci (voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Je trouve donc que les conclusions du tribunal quant au manque de crainte subjective et de crédibilité étaient raisonnables.

 

[14]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[15]      Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 18 décembre 2009 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-89-10

 

INTITULÉ :                                       LIVELOT PROFÈTE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Kathleen Gaudreau                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Alain Langlois                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kathleen Gaudreau                                                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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