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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101203

Dossier : IMM-493-10

Référence : 2010 CF 1223

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2010

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

 

ABD EL NASSER KADAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 7 janvier 2010, portant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission est parvenue à cette décision quand elle a conclu que le demandeur aurait pu se réclamer de la protection de l’État.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Abd El Nasser Kadah (le demandeur) est un homosexuel musulman palestinien qui a la citoyenneté israélienne. Il demande l’asile parce qu’il craint d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire les homosexuels musulmans d’origine arabe en Israël.

 

[4]               Le demandeur a grandi dans la région musulmane palestinienne d’Israël appelée Kufr Manda, en banlieue de Nazareth. Il était le benjamin de 14 enfants. Il a souvent été battu par son père et ses grands frères durant son enfance. Il a déjà entendu son père affirmer que les homosexuels devraient être éliminés.

 

[5]               À l’âge de 11 ans, le demandeur a entamé une relation à caractère sexuel avec un garçon plus âgé, Mohammed, qui a duré deux mois. Il a caché cette relation à sa famille et à ses amis parce qu’il craignait des représailles violentes si elle était découverte.

 

[6]               Au début de son adolescence, il a été victime d’injures homophobes ainsi que des sévices physiques et sexuels. Il attribue ces mauvais traitements aux rumeurs concernant son homosexualité. Son frère était souvent violent avec lui et, à une occasion, l’a poussé en bas d’un escalier, ce qui lui a causé des fractures aux deux bras. À plusieurs reprises, des hommes ont tenté d’avoir des rapports sexuels avec le demandeur, par la contrainte ou contre paiement. Parmi ces hommes, il y avait un cousin, des brutes de son voisinage et deux hommes du quartier. Il a été agressé physiquement plusieurs fois. À l’école secondaire, le demandeur était isolé et il a envisagé le suicide. Il a consulté un psychologue mais n’a jamais révélé son orientation sexuelle.

 

[7]               En juillet 2003, le demandeur s’est enfui à Tel Aviv, où il a changé de nom. Quand ses frères et trois amis l’ont retrouvé, ils l’ont forcé à rentrer à Kufr Manda. Il a été battu quand ses parents ont constaté qu’il avait changé son nom.

 

[8]               Le demandeur est retourné à Tel Aviv avec le consentement de ses parents, car son neveu, Ibrahiem, l’accompagnait. Il y a vécu pendant deux mois jusqu’à ce qu’il soit forcé de retourner chez lui parce que son neveu a été surpris en train de boire de l’alcool avec une fille russe. À la maison, sa famille a arrangé son mariage avec une cousine.

 

[9]               En mai 2005, le demandeur est retourné à Tel Aviv pour la troisième et dernière fois. Son frère se rendait souvent chez lui sans avertir pour le surveiller. Une fois, il est entré par effraction dans l’appartement du demandeur, qu’il a fouillé. Ce dernier a déménagé à plusieurs reprises pour tenter d’éviter son frère.

 

[10]           Le demandeur ne s’est pas adressé à la police pour lui demander protection contre sa famille. De fait, la seule fois où il a demandé l’aide des policiers, c’est après avoir été impliqué dans une bataille. Il avait alors approché un policier pour lui demander de l’eau et l’agent lui avait dit de se taire et de dormir. Le demandeur a déclaré qu’il ne se sentait pas en sécurité à l’idée de solliciter l’aide de la police.

 

[11]           Le demandeur a décidé qu’il ne pouvait échapper à sa famille en Israël et a donc quitté le pays pour le Canada, où il est arrivé le 14 octobre 2006 muni d’un visa de visiteur. Après deux mois, il a parlé à un avocat de Toronto, qui a confié son dossier à un adjoint originaire de la même région d’Israël que le demandeur. Pour cette raison, le formulaire de renseignements personnels (le FRP) affirme dans sa première version que le demandeur craint d’être persécuté parce qu’on le croit homosexuel. Le demandeur a depuis modifié le FRP pour préciser qu’il est homosexuel, mais il avait peur alors que l’adjoint informe sa famille s’il avouait son homosexualité ouvertement.

 

[12]           Le demandeur est resté en communication avec les membres de sa famille depuis son arrivée au Canada, mais ne leur a pas révélé l’endroit où il se trouve ni son numéro de téléphone.

 

La décision de la Commission

 

[13]           Dans sa décision, la Commission a jugé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a précisé que sa décision se fondait sur la possibilité d’obtenir la protection de l’État.

 

[14]           De façon générale, la Commission a estimé que le demandeur était crédible. Il était direct et ne tentait pas d’éviter les questions, et la Commission a jugé que son récit concordait avec ceux d'hommes homosexuels ayant grandi dans les Territoires occupés. Elle a conclu que son explication au sujet des incohérences entre le FRP d'abord produit et le FRP modifié était raisonnable dans les circonstances.

 

[15]           La Commission a conclu qu’Israël était une démocratie parfaitement fonctionnelle et que la présomption de la protection de l’État s’appliquait.

 

[16]           La Commission a précisé que le seul cas de mauvais traitement infligé par la police au demandeur ne suffisait pas à justifier que ce dernier refuse de demander la protection des autorités, surtout que cela s’était produit dans des circonstances n’ayant rien à voir avec le harcèlement et la violence homophobes que le demandeur subissait de la part de sa famille et de la communauté.

 

[17]           Selon la Commission, bien qu’il puisse y avoir des preuves d'une discrimination qui s’exerce contre les Arabes en Israël, il n’y avait rien qui établissait que la police ne donnait pas suite aux plaintes des citoyens arabes. En outre, la Commission a jugé que des efforts sérieux étaient déployés pour lutter contre la discrimination en Israël.  Elle a affirmé en plus qu’aucun élément de preuve ne portait à croire qu’il y avait de la persécution fondée sur l’orientation sexuelle en Israël.

 

[18]           La Commission a estimé que la preuve documentaire présentée par le demandeur ne reflétait pas des attitudes homophobes au sein de la police israélienne. L’article intitulé Nowhere to Run: Gay Palestinian Asylum Seekers in Israel (Nowhere to Run), sur lequel s’appuyait le demandeur, affirmait que les Palestiniens homosexuels qui demandent l’asile en Israël étaient renvoyés dans les Territoires occupés par la police israélienne, même s’ils y risquaient la mort. La Commission a conclu que cet article prouvait que ces hommes, si leur demande d’asile était acceptée, aurait accès à la protection des autorités en Israël.

 

[19]           Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur était tenu de demander la protection de l’État, mais qu’il ne l’avait pas fait.

 

Les questions à trancher

 

[20]           Les questions à trancher sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait obtenir une protection efficace de l’État?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[21]           Le demandeur soutient qu’il était seulement tenu de demander la protection de l’État s’il était raisonnable de croire qu’elle lui serait accordée. À son avis, la démocratie en soi ne suffit pas à conclure que l’État est en mesure d’offrir sa protection. Une obligation plus grande n’est pas imposée aux demandeurs d’asile provenant d’États dotés d’institutions démocratiques, et le demandeur n’avait qu’à présenter des éléments de preuves fiables dénotant l’absence de protection de l’État. La Commission doit tenir compte de la qualité des institutions qui donnent cette protection.

 

[22]           Le demandeur fait valoir que son propre témoignage et les preuves documentaires relatives à des personnes se trouvant dans la même situation que lui permettaient d’établir que l’État d’Israël n’est pas en mesure d’offrir sa protection à ses citoyens.

 

[23]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur quand elle a conclu que l’incident où il a été insulté par la police israélienne, qui avait refusé de donné suite à sa demande d’aide, ne suffisait pas à établir que l’État n’était pas en mesure de le protéger. Cette expérience dénote une incapacité générale de l’État de protéger les hommes arabes homosexuels.

 

 

[24]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de preuve d'une persécution fondée sur l’orientation sexuelle en Israël. Puisque la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable au sujet de la crédibilité, les éléments de preuve et le témoignage du demandeur doivent être acceptés, y compris au sujet du harcèlement, de la violence et de la discrimination homophobes dont il a été victime et qui, d’après le demandeur, équivalent à de la persécution.

 

[25]           Le demandeur soutient qu’il a aussi présenté des preuves documentaires relatives à des personnes s'étant trouvées dans une situation semblable à la sienne et qui n'ont pu recevoir la protection de l’État. La Commission a écarté la preuve d’actes de brutalité policière commis contre des musulmans d’origine arabe en Israël. Cette preuve montre l’ampleur de la discrimination sociale que vivent les Arabes aux mains des agents d’application de la loi. La Commission était tenue de déterminer l’incidence de ces éléments de preuve sur la protection que l’État offre aux Israéliens arabes musulmans et homosexuels.

 

[26]           En outre, selon le demandeur, la preuve montre que les Palestiniens homosexuels sont retournés par des policiers israéliens dans les Territoires occupés, malgré les risques qu'on leur fait sciemment courir en raison de leur origine ethnique et de leur orientation sexuelle. Les Israéliens arabes subissent la même discrimination et les mêmes mauvais traitements de la part des policiers israéliens. La situation est semblable à l’apathie de la police israélienne décrite dans le jugement Jabbour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 831, où il était question des femmes arabes menacées d’être victimes de crimes d’honneur ou de subir de la violence à cause de leur sexe.

 

[27]           L’omission de prendre en considération la totalité de la preuve avant de déterminer quelles actions étaient raisonnables de la part du demandeur ne constitue pas une analyse appropriée de la protection de l’État et la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait recevoir une protection efficace de l’État.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[28]           Selon le défendeur, pour réfuter la présomption suivant laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens, le demandeur doit présenter des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État de le protéger. La Commission a conclu qu’il existait un degré élevé de démocratie en Israël, imposant un lourd fardeau au demandeur qui souhaite parvenir à réfuter cette présomption.

 

[29]           La Commission a pris connaissance des documents présentés par le demandeur et a cité les exposés circonstanciés personnels et les preuves documentaires déposés. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de conclure que ces éléments de preuve ne permettaient pas au demandeur de s’acquitter de son fardeau.

 

[30]           Selon le défendeur, un seul refus de la part des autorités ne suffit pas à réfuter la présomption de la protection de l’État. En outre, la Commission a déclaré que le demandeur avait sollicité l’aide de l’État dans des circonstances qui n’avaient rien à voir avec le harcèlement et la violence que lui infligeaient les membres de sa famille.

 

[31]           En ce qui concerne les preuves relatives aux personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, le défendeur souligne que la Commission a examiné la preuve de la discrimination visant les Israéliens d’origine arabe, mais qu'elle a conclu qu’elle ne démontrait pas que la police ne donnerait pas suite aux plaintes émanant de la communauté arabe. L’affaire pouvait être distinguée de la décision Jabbour, précitée, où des preuves précises avaient été présentées à la Commission concernant l’apathie des policiers face aux menaces de meurtres d’honneur à l’endroit de femmes arabes, preuves dont la Commission n’avait pas tenu compte.

 

[32]           Le défendeur soutient que la Commission pouvait conclure que le refus des forces de sécurité d’accorder l’asile aux Palestiniens homosexuels ne signifiait pas que les autorités n’offraient pas de protection aux citoyens arabes et homosexuels d’Israël.

 

[33]           Le défendeur fait valoir que la Commission n’est pas obligée, dans sa décision, de se reporter à tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. En l’espèce, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve et de tirer une conclusion différente de celle de la Commission. Selon le défendeur, cette dernière pouvait effectivement parvenir à ces conclusions et la Cour devrait faire preuve de retenue à cet égard.

 

Analyse et décision

 

[34]           La question à trancher no 1

      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            La Cour suprême a statué dans son arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la norme de contrôle dans chaque cas. Si la norme de contrôle applicable à une question en litige est tranchée de manière satisfaisante dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (paragr. 57).   

 

[35]           La jurisprudence a déjà déterminé que l’évaluation de la protection de l’État soulève des questions mixtes de fait et de droit et qu’elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité (voir Hinzman, 2007 CAF 171, paragr. 38, et James c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546, paragr. 16).

 

[36]           Quand elle applique la norme de raisonnabilité, la cour de révision s’attachera à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». La cour ne devrait intervenir que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir,  précité, paragr. 47).

 

[37]           La question à trancher no 2

            Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que l’État était en mesure d’offrir une protection efficace au demandeur?

            Après avoir examiné la décision et le dossier, je dois conclure que l’analyse faite par la Commission au sujet de la protection offerte par l’État contient des erreurs susceptibles de contrôle.

 

[38]           Les décideurs doivent présumer que les États sont en mesure de protéger leurs citoyens, à moins qu’il n’y ait effondrement complet de l’appareil de l’État. En règle générale, il incombe au demandeur d’asile de fournir une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens pour pouvoir réfuter cette présomption (voir Ward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL), paragr. 57).

 

[39]           Quand le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question dans l’État, la présence d’institutions démocratiques va alourdir le fardeau dont doit s’acquitter le demandeur pour prouver qu’il a épuisé toutes les avenues possibles (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 143 D.L.R. (4th) 532, [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.F) (QL), paragr. 5). Cependant, la démocratie à elle seule ne garantit pas la protection adéquate de l’État, et la Commission doit évaluer la qualité des institutions qui fournissent cette protection (Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 61, paragr. 21). 

 

[40]           En vue de réfuter la présomption de la protection de l’État, un demandeur peut décrire des situations qu’il a vécues où la protection de l’État ne s’est pas concrétisée ou bien présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et ont sollicité en vain la protection de l’État (voir Ward précité, paragr. 57).

 

[41]           En l’espèce, l’exemple donné par le demandeur quant à son interaction avec la police israélienne ne suffit vraisemblablement pas, en soi, à respecter la norme de preuve. Un seul refus des autorités peut être insuffisant pour réfuter la présomption de la protection de l’État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, paragr. 9). Si c’était le seul élément de preuve invoqué par le demandeur, il serait raisonnable de conclure qu’il n’a pas réfuté la présomption.

 

[42]           Cependant, la Commission est aussi tenue de « de répondre à la question du caractère pratique et adéquat de la protection de l’État lorsqu’une menace à la vie ou à la sécurité d’un demandeur d’asile est admise » (voir Jabbour précité, paragr. 42). Il s’agit notamment d'examiner la preuve de l'insuffisance de la protection de l'État sur le plan opérationnel et de tenir compte de personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable à celle du demandeur et qui n'ont pas été aidées par l'État (voir Zaatreh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 211, paragr. 55). 

 

[43]           Bien que les commissaires soient présumés avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui leur sont présentés, quand il y a une preuve substantielle qui contredit une conclusion de fait de la Commission, celle-ci doit expliquer pourquoi elle n’a pas été jugé la preuve contradictoire pertinente ou digne de foi (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL), paragr. 17, et Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL).

 

[44]            La Commission semble avoir tiré plusieurs conclusions de fait sans prendre en considération les documents pertinents qui lui avaient été présentés.

 

Les réactions des policiers aux Israéliens d’origine arabe

 

[45]           La Commission a conclu que, même s’il y a certaines preuves d’une discrimination envers les Israéliens d’origine arabe, il n’y a aucune preuve selon laquelle que la police ne réagit pas ou ne donne pas suite aux plaintes formulées par des membres de la communauté arable.

 

[46]           De multiples documents présentés à la Commission décrivaient la violence et l’intolérance de la police israélienne envers les Israéliens arabes et les Palestiniens. Le Département d’État des États-Unis a signalé de nombreux cas où les policiers israéliens ont détenu et agressé des Israéliens arabes ou des Palestiniens (voir le dossier du tribunal certifié (DTC), p. 79, 80, 84 et 92). Le rapport du Département d’État déposé à la Commission décrivait aussi le traitement rude et méprisant réservé par les autorités israéliennes aux citoyens du pays ayant des noms à consonance arabe ou musulmane (voir le DTC, p. 87). En outre, ce même rapport précisait qu’une direction du ministère de la Justice avait déjà [traduction] « omis de faire enquête comme il se doit à la suite de plaintes déposées contre des policiers par des Israéliens arabes et des Palestiniens » (voir le DTC, p. 81). Étant donné les nombreux exemples du comportement violent et intolérant des autorités israéliennes envers les Arabes et les Palestiniens, la Commission semble avoir tiré cette conclusion de fait sans égard à la preuve qui lui avait été présentée.

 

La persécution en raison de l’orientation sexuelle

 

[47]           En plus de sa conclusion au sujet de l’absence d'une preuve de l’indifférence de la police israélienne envers les citoyens arabes, la Commission a jugé qu’il n’y avait aucune preuve de la persécution en Israël motivée par l’orientation sexuelle et que, de fait, il existait des lois précises interdisant la discrimination fondée sur ce motif.

 

[48]           La Commission a conclu que le demandeur était crédible, y compris quand il a décrit la violence et les menaces homophobes qu’il avait vécues. Il s’agissait d’actes de persécution fondée sur l’orientation sexuelle en Israël.

 

[49]           De plus, la Commission disposait d’éléments de preuve décrivant la persécution dont avaient été victimes des personnes autres que le demandeur, en raison de leur orientation sexuelle. Par exemple, le rapport du Département d’État notait l'existence [traduction] « dans des cas isolés, de la violence et de la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle ou visant les personnes atteintes du VIH/sida ».

 

[50]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de conclure que le rapport intitulé Nowhere to Run tendait à prouver que l’État d’Israël était en mesure de protéger les Palestiniens homosexuels. Cependant, certains témoignages dans Nowhere to Run contredisent directement cette conclusion de la Commission. Dans un exemple, un Israélien arabe au poste de police de Bat-Yam a subi un traitement dégradant. Cet homme décrit ce qui suit à la page 220 du DTC :

[traduction]

 

Un des interrogateurs, K, a commencé à m’insulter quand il a vu ma carte d’adhésion à une association pour homosexuels. Il m’a dit : [traduction] « Alors, tu en prends dans le ___? Tu ___ des hommes? » Il s’est mis à m’injurier en me disant : [traduction] « Tu viens ici pour ruiner notre pays. Ne bouge pas, sale maniaque, je vais te tuer, je vais t’____ » […] Quand je lui ai dit que je serais tué dans les Territoires, il m’a répondu [traduction] : « Et puis après? Ça fera un chien de moins. »

 

 

[51]           Les témoignages personnels et les pièces documentaires donnent à penser que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents quand elle a tiré sa conclusion de fait suivant laquelle il n’y avait pas de preuve de la persécution fondée sur l’orientation sexuelle en Israël.

 

[52]           La Commission a tiré plusieurs conclusions de fait sans égard aux éléments qui lui avaient été présentés. Elle a jugé que l’État était en mesure de protéger adéquatement le demandeur sur la foi de ces conclusions. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision.

 

[53]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau.

 

[54]           Aucune des parties n'a proposé une question grave de portée générale pour certification.

 

 

 


JUGEMENT

 

[55]           LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueille, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


ANNEXE

 

Dispositions légales applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-493-10

 

INTITULÉ :                                       ABD EL NASSER KADAH

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F. Battista

 

POUR LE DEMANDEUR

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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