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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101209

Dossier : IMM‑1944‑10

Référence : 2010 CF 1269

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

ENTRE :

 

INSUN PARK

(ou IN SUN PARK)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), datée du 9 mars 2010, où il a été décidé que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission a estimé que la défenderesse manquait de crédibilité et qu’elle pouvait compter sur la protection de l’État. 

 

[2]               La demanderesse demande que la décision de la Commission soit annulée et que la demande soit renvoyée pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

Contexte

 

[3]               Insun Park (la demanderesse) est née le 25 juillet 1966 et est citoyenne de la République de Corée (Corée du Sud).

 

[4]               En octobre 1988, la demanderesse a épousé M. Mooyong Kim. Peu de temps après le mariage, M. Mooyong Kim a commencé à faire preuve de violence à l’encontre de la demanderesse. Cette dernière a décrit dans son formulaire sur les renseignements personnels (FRP) plusieurs incidents de violence pour lesquels elle a dû être hospitalisée. La demanderesse a également déclaré qu’elle craignait son mari parce qu’il était membre d’un groupe criminel.

 

[5]               Le couple a divorcé en 2003, bien que la demanderesse soutienne que ce divorce était un stratagème orchestré par son mari pour empêcher que leur maison soit saisie par les créanciers. Son mari a quitté la maison, mais la demanderesse a déclaré qu’il lui arrivait de revenir et de l’agresser physiquement et sexuellement.

[6]               En 2004, la demanderesse a commencé une relation par courriels avec un Coréen, M. Yeon, qui vivait sans statut au Canada. La demanderesse a expliqué que son mari avait trouvé une lettre de M. Yeon en août 2007 et qu’il était devenu très violent avec elle. En mars 2008, la demanderesse est allée au Canada pour visiter M. Yeon. Elle a déclaré que cela a rendu son mari furieux et qu’il lui a dit que lui et ses hommes de main les tueraient, M. Yeon et elle.

 

[7]               Lorsque la demanderesse est retournée au Canada en mai 2008, elle a été arrêtée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Pendant l’entrevue, la demanderesse a été victime d’une paralysie aux mains et aux pieds et a été hospitalisée dans une unité psychiatrique. Le jour suivant, elle est retournée à l’Agence des services frontaliers du Canada pour la suite de l’entrevue et elle a présenté une demande d’asile au Canada.

 

La décision de la Commission

 

[8]               Conformément aux Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Directives), l’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse a été entendue par une commissaire, une agente du tribunal et une interprète. La Commission a accepté que le conseil de la demanderesse commence l’interrogatoire.

 

[9]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié ou une personne à protéger. Cette décision se fonde sur des doutes concernant la crédibilité de la demanderesse quant à sa crainte subjective de persécution en tant que victime de violence conjugale. En raison de ces doutes sur la crédibilité, la Commission a conclu que la demanderesse n’a pas été agressée physiquement par son ex‑mari. Subsidiairement, la Commission a également conclu que la demanderesse disposait d’une protection de l’État adéquate en Corée du Sud.

 

[10]           La Commission a conclu que la description de l’agression que la demanderesse allègue avoir subie en 2007 comporte des incohérences. La demanderesse a dû se faire aider de son conseil pour se souvenir de cet incident et la description qu’elle a faite de l’agression dans son FRP diffère de celle qu’elle a donnée dans son témoignage. La demanderesse a également déclaré qu’elle était hors du pays lorsque son mari a trouvé une lettre de M. Yeon, ce qui contredisait son FRP et son témoignage antérieur. Elle a déclaré plus tard que son mari avait immédiatement été violent après avoir découvert la lettre. La Commission a conclu que la demanderesse était en Australie lorsque son ex‑mari a trouvé la lettre et elle a tranché que l’agression n’a jamais eu lieu.

 

[11]           Dans sa décision, la Commission a expliqué qu’elle était également préoccupée par le fait que la demanderesse n’a pas parlé dans son FRP du rôle important de son mari dans le groupe criminel et qu’elle n’a pas donné le nom du groupe. La demanderesse a témoigné qu’elle a entendu les membres du groupe dire qu’ils allaient enterrer quelqu’un. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait rapporté ces propos, elle a déclaré qu’elle ne les avait pas pris au sérieux parce qu’elle estimait qu’il ne s’agissait que d’une blague. La Commission a tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de la demanderesse fondée sur cette réponse.

 

[12]           La Commission a également conclu que les détails donnés par la demanderesse concernant sa relation avec M. Yeon étaient incohérents. À l’audience, elle a témoigné que M. Yeon était un ami qu’elle avait connu à l’école. En revanche, elle a déclaré dans son FRP qu’elle ne l’avait jamais rencontré en personne. Lors de l’entrevue au point d’entrée (PDE) avec l’ASFC, elle a déclaré qu’elle vivait en union de fait avec M. Yeon, mais elle a déclaré à l’audience qu’elle n’avait pas employé l’expression « union de fait » et qu’elle n’en connaissait pas le sens, bien qu’elle ait indiqué en avoir compris la traduction lors de l’entrevue au PDE. La Commission a conclu que cette explication n’était pas plausible compte tenu du nombre de fois où l’expression figure dans les notes du PDE.   

 

[13]           Enfin, la Commission a tiré une inférence défavorable fondée sur le témoignage de la demanderesse voulant que son mari ait menacé de tuer sa mère, car la demanderesse ne connaissait pas bien les détails de l’incident et elle ne pouvait pas expliquer pourquoi elle n’avait pas demandé à sa mère de lui dire ce qui s’était passé.

 

[14]           Appliquant la décision Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 71 D.L.R. (4th) 604, [1990] A.C.F. no 604 (QL) (C.A.F.), la Commission a rejeté tous les éléments de preuve de la demanderesse, les jugeant non crédibles en raison des nombreuses contradictions et incohérences qui existaient entre le témoignage de la demanderesse, son FRP, sa déclaration à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), et son entrevue à l’ASFC.

 

[15]           La Commission n’a accordé aucune force probante à la vérification du formulaire d’hospitalisation du 20 août 2007 parce qu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu d’agression. De la même manière, la Commission n’a accordé aucun poids à la lettre d’un médecin canadien selon laquelle le corps de la demanderesse comportait des cicatrices compatibles avec le type de violence dont elle a dit avoir été victime dans son FRP, car la lettre se fondait sur le récit de la demanderesse selon lequel elle avait été agressée, que la Commission a rejeté en raison du manque de crédibilité. Enfin, la Commission n’a accordé aucun poids à un rapport psychologique, car il a été produit après une seule séance et qu’il ne comportait pas de recommandation de suivi.

 

[16]           La Commission a conclu que la demanderesse n’a pas été agressée par son mari.

 

[17]           Subsidiairement, la Commission a conclu que la demanderesse disposait d’une protection de l’État adéquate en Corée du Sud.

 

[18]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait jamais demandé protection aux autorités sud‑coréennes concernant son mari. Elle a noté son explication selon laquelle elle pensait que cela rendrait son mari plus agressif et qu’elle avait vu à la télévision et sur Internet que la police n’aidait pas les victimes d’agression. Il incombait à la demanderesse de prouver de manière claire et convaincante que l’État n’était pas en mesure de la protéger. Ce fardeau est proportionnel au niveau de démocratie d’un pays et la Corée du Sud est une démocratie constitutionnelle qui contrôle ses forces de sécurité. La Commission a conclu que la Corée du Sud prend la violence conjugale au sérieux et qu’elle a adopté plusieurs lois pour la combattre.

 

[19]           La Commission a examiné le rapport de Clifton Emery sur la violence conjugale en Corée du Sud, mais a estimé qu’il ne montrait pas de façon convaincante que la Corée du Sud ne pouvait pas protéger la demanderesse. 

 

[20]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle la Corée du Sud offre une protection suffisante et elle a rejeté la demande d’asile.

 

Questions en litige

 

[21]           La demanderesse a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         La commissaire a‑t‑elle omis de considérer adéquatement l’ensemble de la preuve en concluant que la demanderesse n’avait pas été agressée?

            2.         La commissaire a‑t‑elle fait preuve d’un zèle intempestif dans ses conclusions sur la crédibilité? Ce faisant, a‑t‑elle mal interprété la preuve? A‑t‑elle tiré des conclusions défavorables fondées sur des questions secondaires?

            3.         La commissaire a‑t‑elle omis de tenir compte des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe en ne tenant pas compte des facteurs culturels et psychologiques particuliers qui ont empêché la demanderesse de dénoncer les agressions dont elle a été victime?

            4.         La commissaire a‑t‑elle lu la preuve documentaire de manière sélective et l’a‑t‑elle mal interprété?

 

[22]           Je reformulerais les questions de la manière suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’examen de la crédibilité de la demanderesse fait par la Commission est‑il erroné?

            3.         L’analyse de la protection offerte par l’État faite par la Commission est‑elle erronée?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[23]           La demanderesse fait valoir que la Commission a mal interprété la preuve soumise au moment de rendre ses conclusions défavorables sur la crédibilité. 

 

[24]           La Commission a conclu que la demanderesse n’a pas été agressée en 2007 parce qu’elle était en Australie lorsque l’agression alléguée a eu lieu. Cependant, il ressort clairement du témoignage de la demanderesse à l’audience et de son FRP qu’elle ne se trouvait pas en Australie et qu’elle n’a pas dit qu’elle y était.

 

[25]           La Commission a conclu que la demanderesse a fait preuve d’incohérences en ce qui concerne sa relation avec M. Yeon, parce qu’elle a déclaré qu’ils étaient conjoints de fait lors de l’entrevue donnée au PDE et qu’elle a ensuite témoigné qu’elle n’avait jamais entendu cette expression. La conclusion de la Commission n’était pas raisonnable parce qu’il n’existe pas de trace de ce que la demanderesse ou l’interprète ont dit en coréen lors de l’entrevue au PDE. De plus, la Commission a commis une erreur d’interprétation en concluant que la preuve de la demanderesse sur l’appartenance de son mari à un groupe criminel était incohérente, car elle a dit que son mari avait des subordonnées dans l’entrevue au PDE et qu’elle a fait référence à ses hommes de main dans son FRP.

 

[26]           La Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve extrinsèque du rapport de 2007 de l’hôpital sud‑coréen et du rapport médical canadien concernant les cicatrices de la demanderesse. La Commission n’était pas autorisée à écarter une preuve extrinsèque au motif que le témoignage de la demanderesse manquait de crédibilité.

 

[27]           Les autres conclusions de la Commission sur la crédibilité étaient fondées sur des questions secondaires. La demanderesse soutient que les questions de savoir si elle a rencontré M. Yeon par l’entremise d’un ami ou par l’Internet, ou si elle a utilisé l’expression conjoints de fait pour décrire leur relation et quand ou comment son mari a trouvé la lettre de M. Yeon ne sont pas pertinentes pour ce qui est de déterminer si elle a été gravement battue par son mari et hospitalisée à plusieurs reprises et si elle courrait des risques en retournant en Corée du Sud. La Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en se concentrant sur les détails, plutôt que sur le fond de la demande de la demanderesse.

 

[28]           La demanderesse fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte des Directives en ne considérant pas les facteurs psychologiques et culturels qui interdisaient à la demanderesse de dénoncer les agressions qu’elle a subies et comment ces facteurs l’ont empêchée de demander l’aide de la police. La Commission était tenue de prendre en compte les circonstances sociales et culturelles particulières applicables à la demanderesse, conformément aux Directives.

 

[29]           Enfin, la demanderesse fait valoir que l’évaluation de la protection de l’État par la Commission est erronée. La Commission s’est fondée sur la preuve documentaire de manière sélective. Elle s’est concentrée sur l’adoption et le contenu de lois visant à combattre la violence conjugale et non sur la question de savoir si ces lois sont appliquées de manière adéquate. La Commission a écarté la preuve qui montre que la réaction de la police sud‑coréenne à la violence conjugale n’est pas satisfaisante et qui indique que la police blâme les victimes et hésite à faire des arrestations, exposant ainsi les victimes à des risques accrus.

 

[30]           Les conclusions de la Commission sur la crédibilité et la protection de l’État ne sont pas raisonnables et la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

Observations écrites du défendeur

 

[31]           Le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission sur la crédibilité sont raisonnables. La Commission est mieux placée que la présente Cour pour évaluer la crédibilité, car ce type de conclusion se trouve au cœur même de la compétence spécialisée de la Commission. Cette dernière a estimé qu’il existait de nombreuses incohérences et invraisemblances dans le témoignage de la demanderesse, plus précisément :

  • La demanderesse était incapable de répondre aux questions sur l’agression de 2007 sans l’aide de son conseil et sa description des événements différait de ce qu’elle avait déclaré dans son FRP;
  • La demanderesse a fourni des renseignements incohérents et contradictoires sur ses déplacements à l’époque où son mari a découvert la lettre de M. Yeon;
  • La demanderesse a modifié ses assertions sur l’appartenance de son mari à un groupe criminalisé au cours de l’interrogatoire et elle a omis de donner ces renseignements dans le FRP;
  • Les réponses de la demanderesse concernant sa relation avec M. Yeon et les circonstances de leur rencontre étaient incohérentes et contradictoires.

 

[32]           La Commission a adéquatement considéré la preuve extrinsèque et elle a reconnu la preuve de blessure, mais elle a raisonnablement conclu qu’il n’était pas clair que les blessures avaient été subies de la façon dont la demanderesse l’a décrit.

 

[33]           La Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. La Commission a examiné la preuve documentaire et a reconnu que la violence conjugale constituait un problème social important en Corée du Sud et que la protection de l’État n’est pas toujours parfaite. En revanche, la Corée du Sud est une démocratie qui fonctionne et la demanderesse devait faire des efforts raisonnables pour trouver des moyens de recourir à la protection de son pays avant de rechercher la protection d’un État étranger. La demanderesse n’a pas demandé la protection des autorités sud‑coréennes et la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable.

 

[34]           La demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

 

Analyse et décision

 

[35]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Notre Cour n’a pas à faire une analyse relative à la norme de contrôle pour chaque affaire dont elle est saisie. Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question précise, la cour de révision peut appliquer cette norme de contrôle (voir Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[36]           Les conclusions sur la crédibilité sont intimement liées à l’expertise de la Commission, qui consiste à déterminer le caractère plausible d’un témoignage et à tirer des inférences à partir de la preuve. L’appréciation de la crédibilité est essentiellement une pure question de fait et le législateur voulait clairement qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46).

 

[37]           L’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État soulève des questions mixtes de fait et de droit et elles sont également susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Hinzman, Re, 2007 CAF 171, au paragraphe 38).

 

[38]           Dans l’examen de la décision de la Commission selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne devrait intervenir par voie de contrôle judiciaire que dans le cas où la Commission a tiré une conclusion qui ne respecte pas les principes de transparence, de justification ou d’intelligibilité ou qui ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont elle a été saisie (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

[39]           Question 2

            L’examen de la crédibilité de la demanderesse fait par la Commission est‑il erroné?

            La demanderesse fait valoir que la Commission a mal présenté les faits de la cause de la demanderesse et qu’elle a mal interprété la preuve lorsqu’elle a tiré sa conclusion défavorable sur la crédibilité. Je suis d’accord.

 

[40]           Premièrement, la Commission a fondé sa conclusion que la demanderesse n’a pas été agressée par son ex‑mari en 2007, en grande partie, sur le fait qu’elle était convaincue que la demanderesse était en Australie à cette époque. La Commission a affirmé ce qui suit :

Le tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’agression n’avait pas eu lieu parce que la demandeure d’asile a indiqué qu’elle était en Australie au moment où son ex‑époux avait découvert la lettre.

 

 

[41]           La Commission a également affirmé que la demanderesse a déclaré dans son FRP qu’elle était allée en Australie pendant une semaine à l’été 2007. Ces conclusions sont erronées. La demanderesse a déclaré dans son FRP qu’elle était allée en Australie en 1997, non en 2007. De plus, bien que la demanderesse ait témoigné à l’audience qu’elle était à l’étranger lorsque son mari a trouvé la lettre de M. Yeon, elle n’a jamais dit qu’elle était en Australie (dossier du tribunal, page 399). 

 

[42]           Je conviens avec la demanderesse que la mauvaise interprétation de la preuve par la Commission a influencé sa conclusion sur la crédibilité (voir Mushtaq c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1066, 33 Imm. L.R. (3d) 123, au paragraphe 6). S’il s’était agi de la seule erreur, cela aurait pu ne pas être fatal à la décision de la Commission, car le témoignage de la demanderesse comportait certaines incohérences concernant le moment et les détails de l’agression de son mari en 2007. Cependant, la conclusion sur la crédibilité comporte d’autres erreurs.

 

[43]           La Commission a conclu que la demanderesse avait donné de faux renseignements concernant sa relation avec M. Yeon. Dans l’entrevue au PDE, la demanderesse a dit que M. Yeon était son conjoint de fait, alors qu’elle a témoigné à l’audience relative à la demande d’asile qu’elle n’avait jamais entendu cette expression. La Commission a conclu qu’il n’était pas plausible qu’elle n’ait pas employé l’expression « conjoint de fait » lors de l’entrevue au PDE, compte tenu du nombre de fois où l’expression figure dans les notes du PDE. Dans Neto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 565, le juge Douglas Campbell a conclu ce qui suit :

6     À mon avis, l'affirmation de la Commission que je viens de citer constitue une base manifestement déraisonnable pour écarter le témoignage de la demanderesse, vu qu'on ne peut pas savoir ce que la demanderesse a dit à l'interprète ou ce que l'interprète a dit à la demanderesse, étant donné que la conversation dans un sens comme dans l'autre a eu lieu en portugais. Vu que la traduction qui fait partie des notes du point d'entrée n'est pas annexée à un affidavit ou autre déclaration quant à son exactitude, et vu que l'identité de l'interprète n'est pas connue, et vu que les qualités de l'interprète ne sont pas connues, je conclus que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en présumant que la traduction était exacte, surtout au mépris de l'objection de la demanderesse sur ce point.

 

 

[44]           Je conviens avec la demanderesse que selon Neto, précité, la conclusion de la Commission n’était pas raisonnable puisqu’il n’existe aucune trace de ce que la demanderesse ou l’interprète ont dit en coréen lors de l’entrevue au PDE.

 

[45]           La Commission a conclu que la preuve de la demanderesse selon laquelle son ex‑mari appartient à un groupe criminel n’était pas crédible en partie parce qu’elle n’a pas donné le nom du groupe lors de l’entrevue au PDE ou dans son FRP et parce qu’elle n’a pas indiqué le rang que son mari occupait dans le groupe. La Commission a reconnu lors de l’audience relative à la demande d’asile que la demanderesse a parlé du groupe dans son FRP. Je conviens avec la demanderesse que les mots qu’elle a employés lors de l’entrevue au PDE et dans le FRP donnent des renseignements sur le rang qu’occupait son mari dans le groupe. Lors de l’entrevue au PDE, elle a déclaré que son mari est membre du crime organisé et elle a fait allusion à ses hommes de main dans son FRP. Cela était compatible avec son témoignage le plus récent concernant l’appartenance de son mari à un groupe criminel et le rang de ce dernier au sein de ce groupe. 

 

[46]           Enfin, la Commission n’a accordé aucun poids à un rapport médical canadien indiquant que la demanderesse avait des cicatrices de blessures qui étaient compatibles avec ce qu’elle a déclaré dans son FRP. La Commission a conclu que le médecin avait fondé son évaluation sur les assertions de la demanderesse contenues dans le FRP, que la Commission avait jugées non crédibles, et elle a donc décidé que le rapport médical n’était pas convaincant. Dans Ameir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 876, 47 Imm. L.R. (3d) 169, le juge Edmond Blanchard a examiné un raisonnement similaire de la Commission et a conclu ce qui suit au paragraphe 27 :

La Commission peut n'accorder aucune valeur probante à un rapport médical lorsqu'il est essentiellement fondé sur les allégations, qu'elle ne croit pas, du revendicateur. Cependant, il arrive que des rapports reposent aussi sur les observations cliniques qui sont tirées indépendamment de la crédibilité du revendicateur. En l'espèce, le rapport médical du Dr Hirsz repose, au moins en partie, sur des examens indépendants et objectifs. Dans de tels cas, les rapports d'experts peuvent servir de preuve corroborante pour décider de la crédibilité d'un revendicateur et il faut donc en traiter avant de les rejeter. En l'espèce, la Commission a, toutefois, rejeté les deux rapports sur le seul fondement de sa conclusion que le demandeur n'était généralement pas crédible. Étant donné ma décision que la Commission a commis une erreur dans sa décision touchant la crédibilité, il s'ensuit que sa conclusion sur ces deux rapports ne tient pas.

 

 

[47]           Bien que la Commission se soit fondée sur Sheikh, précité, pour justifier le fait qu’elle pouvait rejeter les rapports médicaux puisqu’elle avait conclu que la demanderesse n’était pas crédible, il ressort clairement d’Ameir et de Sheikh, précités, que la Commission ne peut rejeter que les éléments de preuve provenant directement de la demanderesse. Comme le médecin a pris en considération des facteurs objectifs quant aux cicatrices en plus des assertions de la demanderesse, la Commission n’aurait pas dû rejeter le rapport médical sur la base de sa conclusion à l’égard de la crédibilité.

 

[48]           Au vu de l’ensemble des facteurs énoncés ci‑dessus, j’estime que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse, à savoir qu’elle n’avait pas été agressée par son ex‑mari. 

 

[49]           La Commission a également effectué une analyse indépendante de la protection de l’État subsidiairement à ses conclusions sur la crédibilité. La demanderesse doit démontrer que les conclusions sur la crédibilité et sur la protection de l’État contiennent des erreurs pour que le jugement final de la Commission puisse être considéré comme déraisonnable.

 

[50]           Question 3

            L’analyse de la protection offerte par l’État faite par la Commission est‑elle erronée?

            La protection des réfugiés est une forme de protection auxiliaire qui n’est offerte que lorsque l’État du demandeur ne peut le protéger (voir Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no74 (QL), au paragraphe 25).  

 

[51]           La Corée du Sud est une démocratie qui fonctionne très bien et qui semble être en mesure de protéger ses citoyens. Lorsque l’État en cause est une démocratie, la présence d’institutions démocratiques augmente le fardeau incombant au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours qui s’offrent à lui (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, [1996] A.C.F. n1376 (C.A.F.)(QL), au paragraphe 5). 

 

[52]           La Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’a jamais demandé la protection de la Corée du Sud contre les agressions de son mari. Par conséquent, elle devait présenter une preuve claire et convaincante démontrant que la protection de personnes partageant sa situation ne pouvait être assurée par cet État (voir Ward, précité, au paragraphe 57).

 

[53]           La demanderesse fait valoir qu’elle a bel et bien présenté cette preuve, mais que la Commission a interprété la preuve documentaire portant sur la protection accordée par l’État de manière sélective ou qu’elle l’a mal interprétée.

 

[54]           Malgré la présomption voulant que les commissaires aient examiné toute la preuve dont ils sont saisis, lorsqu’il existe des éléments de preuve importants qui contredisent une conclusion de fait de la Commission, cette dernière doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi (voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17; Florea c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n598 (C.A.) (QL)). 

 

[55]           La Commission a convenu que la violence conjugale est un problème important en Corée du Sud et a noté que la protection offerte aux victimes de violence conjugale dans ce pays fait l’objet de critiques. Cependant, la majeure partie de l’analyse de la Commission portait sur l’adoption et le contenu de lois visant à combattre la violence conjugale en Corée du Sud, plutôt que sur l’application de ces lois. 

 

[56]           Notre Cour a tranché par le passé que la démocratie et la loi ne suffisent pas à assurer une protection de l’État adéquate et que la Commission doit considérer toutes les lacunes de nature pratique ou opérationnelle en ce qui concerne la protection accordée par l’État (voir Zaatreh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 211, au paragraphe 55; Jabbour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 831, 83 Imm.L.R. (3d) 219, au paragraphe 42). Comme le juge Yves de Montingy l’a conclu dans Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, au paragraphe 24 :

. . . le simple fait que le gouvernement a pris des mesures en vue de supprimer le problème de la violence familiale ne veut pas dire que le sort des femmes battues s'est amélioré.

 

 

[57]           La demanderesse a présenté une preuve documentaire importante devant la Commission, qui portait sur les réactions et la conduite réelles de la police sud‑coréenne. Cette preuve montrait que la police n’intervient pas assez souvent dans les affaires de violence conjugale parce qu’elle estime qu’il s’agit d’un problème familial. La preuve indiquait également que la police blâmait souvent les victimes et les mettait physiquement en danger et elle indiquait aussi qu’il était rare que des hommes soient emprisonnés ou accusés de violence conjugale, ajoutant que la police faisait preuve d’un manque d’empathie et de sensibilité quant à la gravité de la violence conjugale. Cet élément de preuve sur la réalité concrète de la protection accordée par l’État en Corée du Sud, qui provient d’une variété de sources, n’a pas été considéré par la Commission. Cela constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[58]           Compte tenu des erreurs dans les conclusions touchant la crédibilité et dans l’analyse sur la protection accordée par l’État, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[59]           Aucune des parties n’a manifesté l’intention de soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

 

[60]           LA COUR DÉCIDE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Vincent

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                IMM‑1944‑10

 

ITITULÉ :                                                  INSUN PARK

                                                                    (ou IN SUN PARK)

 

                                                                    ‑ et ‑

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 25 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                      LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 9 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angus Grant

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angus Grant

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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