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Federal Court

 

Cour fédérale

Date : 20101217

Dossier : IMM-1803-10

Référence : 2010 CF 1280

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

EMILIO GONZALEZ CHAVEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 4 mars 2010, selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes de la Loi.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique et membre du Parti Action Nationale (PAN), qui allègue craindre la persécution pour des raisons politiques aux mains de membres de la Confédérale nationale campagnarde (CNC), plus particulièrement un de ses dirigeants, monsieur Jose Luis Gomez Luna, qui est également membre du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI).

 

[3]               Le demandeur occupait le poste de vérificateur au Secrétariat de la Réforme agraire à Mexico. Le 15 octobre 2007, il a reçu des menaces de monsieur Luna d’une part en raison de son refus de démissionner et d’autre part à cause de sanctions disciplinaires qui auraient été imposées au prédécesseur de monsieur Luna à la suite du rapport de vérification préparé par le demandeur.

 

[4]               Dans la soirée du 24 novembre 2007, le véhicule du demandeur est immobilisé alors qu’il y prend place. Ses attaquants, armés de bâtons, lui profèrent alors des menaces de mort en raison de son refus de démissionner de son poste de vérificateur et de son appartenance au PAN.

 

[5]               Ébranlé à la suite de cet incident, il fait une déclaration au cours de la nuit au Bureau du Procureur général de la Justice à Mexico, qui lui aurait alors promis un suivi dans les 48 heures.

 

[6]               Le 26 novembre, il entre en communication avec la Commission nationale des droits humains. Un préposé qu’il connaît bien lui conseille alors de quitter le pays vu son appartenance au PAN.

 

[7]               Le 5 décembre 2007, soit dix (10) jours après sa déclaration au Bureau du Procureur général, il quitte le pays et se rend à Montréal sans avoir assuré de suivi auprès de cet organisme.

 

[8]               Le demandeur dépose une demande d’asile dès son arrivée au Canada, soit le 5 décembre 2007.

 

La décision contestée

 

[9]               Le tribunal reconnaît d’abord que le demandeur est crédible, mais rejette sa demande d’asile aux motifs qu’il n’a pas déployé tous les moyens nécessaires, ni fait d’efforts sérieux, pour obtenir la protection de l’État. Selon le tribunal, il n’aurait pas épuisé tous les recours disponibles.

 

[10]           De même, le demandeur n’aurait pas déposé d’éléments de preuve clairs et convaincants pour établir que l’État mexicain n’était pas en mesure d’assurer sa protection.

 

La question en litige

[11]           Cette demande de contrôle judicaire soulève la question suivante :

Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur n’a pas épuisé tous les recours pour se prévaloir de la protection de l’État du Mexique?

 

La norme de contrôle

 

[12]           Avant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des cas analogues était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, il s’agit de la décision raisonnable.

 

[13]           La norme de contrôle applicable aux décisions de protection de l’État est la raisonnabilité (Dunsmuir, précitée, aux paras. 47, 55, 57, 62 et 64; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4e) 413 au para. 38; Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3e) 968 au para. 14; et Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98 au para. 10).

 

L’analyse

 

[14]           Le demandeur soutient qu’il fait l’objet de menaces et de persécution en raison de ses opinions politiques. La Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, cite au paragraphe 81, l’ouvrage d’Atle Grahl-Madsen, The Status of Refugees in International Law, Pays-Bas, A.W. Si-jthof-Leyden, 1966 et affirme que :

 

L’opinion politique comme motif de craindre avec raison d’être persécuté a été définie tout simplement comme étant liée à la persécution de personnes du fait (TRADUCTION) qu’on prétend ou on sait qu’elles ont des opinions contraires aux politiques du gouvernement ou du parti au pouvoir ou qu’elles critiquent ces politiques.

 

[15]           Au même paragraphe, la Cour poursuit en affirmant « qu’il est possible que le demandeur soit considéré comme une menace par un groupe qui n’est pas allié au gouvernement ni même opposé à cause de ce qui est ou semble être son point de vue politique ».

 

[16]           Dans le cas devant nous, le tribunal concluait à la crédibilité du demandeur quant à sa persécution. Ce dernier rencontre donc le premier critère à savoir qu’il avait raison de se croire persécuté en raison de ses opinions politiques.

 

[17]           Le demandeur reproche ainsi au tribunal de ne pas prendre sa plainte au sérieux, car il aurait conclu sans fondement qu’un délai de neuf (9) jours n’était pas suffisant pour que la police donne suite à la dénonciation du demandeur.

 

[18]           De plus, le demandeur s’appuie sur l’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35, pour affirmer que le tribunal a erré en affirmant qu’il n’a pas épuisé tous les recours disponibles au Mexique avant de rechercher la protection d’un État tiers.

 

[19]           Selon le demandeur, la capacité de l’État mexicain de protéger ses ressortissants, particulièrement ceux qui craignent pour leur intégrité en raison de leur opinion politique, doit s’apprécier à la lumière des faits et circonstances propres à chaque demande.

 

[20]           À l’audience, la procureure du demandeur, après avoir rappelé l’importance du PRI sur la scène politique mexicaine, a soutenu que le tribunal avait erré puisqu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire déposés par le demandeur quant au degré d’impunité qui existe au Mexique. De plus, il aurait dû prendre en compte le degré de corruption qui existe dans le pays et qui diminue d’autant son degré de démocratie.

 

[21]           La procureure rappelle entre autres les évaluations d’Amnistie Internationale déposées comme éléments de preuve par le demandeur et reproche au tribunal d’avoir fait défaut de tenir compte de ces éléments dans sa décision.

 

[22]           Le défendeur quant à lui s’oppose au motif que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve puisqu’il n’a pu établir à la satisfaction du tribunal que toutes les démarches et recours disponibles ont véritablement été épuisés avant de quitter le territoire mexicain. Il soulève entre autres l’arrêt Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996),  143 D.L.R. (4e) 532, 206 N.R. 272 (C.A.F.), pour faire valoir que le demandeur ne pouvait se contenter d’une simple dénonciation pour réfuter la présomption de la protection de l’État et qu’il aurait dû à tout le moins assurer un suivi auprès des autorités compétentes.

 

[23]           S’appuyant entre autres sur l’arrêt Castaneda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l’Immigration), 2010 CF 393, le défendeur fait valoir toute l’importance d’épuiser l’ensemble des recours, ce qui en l’espèce n’aurait pas été fait par le demandeur.

 

[24]           Plusieurs décisions de cette Cour ont traité de la capacité de l’État mexicain à protéger ses citoyens et de la présomption de protection de l’État qui en découle (Luna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1132, 2008 A.C.F.no 1501 (QL) au para. 14; Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73, [2007] F.C.J. No. 115 (QL) au para. 14 et Alfaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 460, [2006] F.C.J. No. 569 (QL) au para.18).

 

[25]           Dans la décision qui fait l’objet de ce contrôle judiciaire, le tribunal a considéré les allégations du demandeur à l’effet qu’il a dénoncé les menaces dont il faisait l’objet et y fait directement référence, tout en considérant les éléments de preuve documentaire déposés par le demandeur.

 

[26]           Les éléments de preuve documentaires déposés au dossier traitent également des services mis à la disposition des citoyens pour mettre un terme à la corruption que l’on retrouve dans la fonction publique et des sanctions prises par les autorités mexicaines à la suite des dénonciations reçues.

 

[27]           Le demandeur prétend que l’État du Mexique ne peut assurer sa protection, car il a déposé une dénonciation à la suite des menaces qu’il a reçues à cause de son appartenance au PAN et qu’il ne s’est rien passé dans les neuf (9) jours qui ont suivi.

 

[28]           Le tribunal a reconnu que le demandeur est crédible, qu’il est persécuté en raison de son appartenance au PAN et qu’il a déposé une dénonciation auprès des autorités mexicaines. Toutefois, le tribunal a conclu à l’insuffisance des éléments de preuve au dossier qui corroborent la position du demandeur à l’effet qu’il a épuisé les recours qui lui étaient offerts par l’État mexicain pour assurer sa protection.

 

[29]           Lorsque nous considérons la décision du tribunal, il nous apparaît que tous les éléments de preuve ont effectivement été considérés et que le tribunal a identifié d’autres recours ouverts au demandeur en l’espèce.

 

[30]           Dans ces circonstances il devenait raisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur a fait défaut de se décharger de son fardeau de preuve quant à l’incapacité de l’État mexicain d’assurer sa protection (voir Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).

 

[31]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judicaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.

 

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE QUE :

 

-        La demande de contrôle judicaire est rejetée.

 

-        Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

Juge


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1803-10

 

INTITULÉ :                                       EMILIO GONZALEZ CHAVEZ contre

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      20 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cristina Marinelli

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alain Langlois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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