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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101220

Dossier : IMM-1946-10

Référence : 2010 CF 1311

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

KOPALAKRISHNAN KUMARASEKARAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’épouse et le plus jeune fils du demandeur sont arrivés au Canada en 2001, ont reçu le statut de réfugié au sens de la Convention et ont obtenu le statut de résident permanent. Le demandeur est demeuré au Sri Lanka afin de retrouver leur fils aîné dont ils n’avaient pas eu de nouvelles depuis que les forces de sécurité sri-lankaises l’avaient arrêté en 1992. Le demandeur a décidé de rejoindre son épouse et son fils au Canada en 2005. Bien que son épouse l’ait inclus dans la demande de résidence permanente qu’elle avait remplie, il lui était nécessaire de posséder un visa de résident permanent, pour lequel il y avait une condition préalable, à savoir qu’il fût déterminé qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada. La demande de visa a été rejetée. Un contrôle judiciaire visant cette décision est demandé.

 

[2]               Le demandeur s’est présenté au haut-commissariat du Canada à Colombo pour une entrevue qui avait pour but de déterminer son admissibilité au Canada.  La décision de l’agent des visas (l’agent) a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 1er février 2010. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas pu s’acquitter de son devoir de le convaincre qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada. L’agent a noté :

[traduction]

J’ai examiné tous les faits relatifs à la présente affaire. Je demeure préoccupé par rapport à votre admissibilité. J’ai noté des divergences considérables entre vos propos lors de l’entrevue et ceux de votre famille. Je trouve difficile de croire que vous ayez peine à vous rappeler d’événements graves, tels que ceux rapportés par votre épouse et votre fils; plus spécifiquement, je suis préoccupé par le fait que vous n’ayez fait aucune mention des actions des TLET envers vous, à savoir les arrestations et votre détention, l’extorsion continue et l’incendie de votre maison. Je suis d’avis que vous ne vous êtes pas acquitté de votre devoir de me démontrer votre admissibilité. Je conclus donc que je n’ai pas un tableau complet de votre passé et je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire au Canada.

 

[3]               Les divergences mentionnées par l’agent venaient de la juxtaposition des réponses données par le demandeur lors de l’entrevue aux événements décrits dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) rempli par son épouse à l’appui de la demande d’asile.  Dans le FRP, l’épouse du demandeur rapportait qu’il avait été détenu à deux occasions par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) pendant un mois et que la famille avait dû amasser de l’argent pour obtenir sa remise en liberté. Le FRP indiquait aussi que le demandeur avait dû accomplir du travail pour les TLET et leur rendre des services, que l’épouse et la fille du demandeur avaient dû apporter des soins aux malades et aux blessés, que le demandeur et son fils avaient dû creuser des tranchées et construire des bunkers, et que la famille avait été obligée de fournir certains de ses produits agricoles aux TLET.

 

[4]               Les notes contenues dans le STIDI forment une partie des motifs de la décision de l’agent et procurent un meilleur aperçu du fondement des préoccupations de celui-ci.  L’agent a noté :

[traduction]

[Le demandeur] était très évasif sur la nature de la pression à laquelle [les TLET] le soumettaient, mais il a dit que sa famille et lui avaient été obligés de travailler pour les TLET. Lorsqu’on lui a demandé de quel genre de travail il s’agissait, il a simplement répondu qu’il avait été forcé d’utiliser son tracteur et de faire du transport pour les TLET. Il n’a pas fourni spontanément de plus amples détails, sauf que les TLET lui mettaient continuellement de la pression afin qu’il laisse ses fils rejoindre leurs rangs. D’après sa demande et le FRP rempli par son épouse, il aurait été enlevé par les TLET pendant deux mois en 2001, ce qu’il n’a pas mentionné durant l’entrevue. Il m’apparaît que le demandeur était peu disposé à donner des détails précis, et je suis d’avis que je n’ai pas un tableau complet de l’ensemble de ses activités et de ses problèmes au Sri Lanka. Il demeure cependant bel et bien un demandeur RD2 par définition.

 

[5]               L’agent a aussi noté que le demandeur n’était pas [traduction]  « disposé à fournir les détails requis » durant l’entrevue. 

 

[6]               Les notes contenues dans le STIDI indiquent que l’agent était préoccupé par la manière dont le demandeur avait réussi à amasser suffisamment d’argent pour faire sortir clandestinement les membres de sa famille du Sri Lanka, étant donné que, selon sa version des faits, tous les avoirs de la famille avaient été versés aux TLET et qu’il était sans emploi depuis 2003.  L’agent a aussi remarqué que le demandeur avait envoyé sa famille hors du Sri Lanka, mais que lui y était resté sous des conditions effroyables. L’agent a aussi fait remarquer que l’un des fils du demandeur avait fait l’objet de déclarations de culpabilité au Canada et que le demandeur lui-même [traduction] « n’était pas en mesure d’expliquer son comportement à l’égard de la police sri‑lankaise. »

 

[7]               Le demandeur présente deux arguments en faveur de la présente demande de contrôle judiciaire. Premièrement, la décision de l’agent est déraisonnable. Deuxièmement, l’agent a manqué à son obligation d’équité en ne faisant pas part des divergences précises au demandeur. Dans le contexte du premier argument, le demandeur affirme aussi que l’agent a pris en compte des renseignements incorrects et non pertinents pour former son opinion.


Première question en litige – la raisonnabilité des conclusions

[8]               La norme applicable à l’appréciation conduite par un agent des visas dans le cadre de l’article 11 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) est la décision raisonnable, et celle qui est applicable en matière d’équité procédurale est la décision correcte. Il est de mon avis que les inférences et les conclusions tirées par l’agent des visas faisaient partie des

« issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.   

 

[9]               En vertu de l'article 11 de la LIPR, un agent des visas doit avoir la preuve que le demandeur « n’est pas interdit de territoire » et se conforme à cette loi. Il incombe toujours au demandeur de fournir une preuve suffisante afin de justifier l’exercice, en sa faveur, du pouvoir discrétionnaire : Kazimirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1193.  En l’espèce, le demandeur demande à la Cour de substituer son opinion quant à la franchise et à la sincérité dont il a fait preuve lors de l’entrevue, et quant à savoir s’il s’est acquitté de son fardeau de prouver qu’il n’était interdit de territoire. Ici, les divergences notées par l’agent étaient concrètes de même qu’objectives et justifieraient le doute chez n’importe quelle personne raisonnable.

 

[10]           Dans le contexte de cet argument, l’agent des visas aurait pris en compte des facteurs non pertinents pour conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau. Le demandeur avance, avec raison, que l’agent des visas commettait une erreur en doutant de la provenance des fonds nécessaires pour envoyer son épouse et son fils au Canada, alors qu’une explication était fournie dans le dossier. Des parents vivant outre-mer avaient envoyé l’argent, selon le FRP. L’agent doutait de la raison pour laquelle le demandeur était resté au Sri Lanka. Le FRP fournissait ici aussi une explication. Finalement, l’agent se préoccupe du fait que le demandeur ait omis de préciser que son fils Sriskanthakumar avait un casier judiciaire au Canada, et que le demandeur n’ait pas fourni de détails sur la vie de sa fille. L’avocat du demandeur avance que ces détails n’étaient pas pertinents, alors que le défendeur estime que ces questions ne faisaient pas partie de la décision. 

 

[11]           Une lecture de la décision et des notes contenues dans le STIDI dans leur ensemble révèle qu’il s’agirait, au mieux, de facteurs accessoires qui mettaient en évidence la préoccupation de l’agent face au manque de sincérité du demandeur. Ils n’étaient pas, si on interprète objectivement la décision, déterminants quant au résultat, mais ils auraient raisonnablement servi de base à la conclusion de l’agent selon laquelle il n’avait pas un tableau complet du passé du demandeur.

 

[12]           Avant de conclure ce premier argument, je prends note de l’argument du demandeur voulant que l’agent n’ait pas déposé d’affidavit à l’appui des inférences tirées de l’entrevue. Un affidavit n’est pas nécessaire dans ces circonstances, puisque la lettre de décision de l’agent, datée du 1er février 2010, et les notes contenues dans le STIDI font mention, à première vue, des divergences relevées par l’agent et des inférences tirées par celui-ci.


Deuxième question en litige – manquement à l’équité procédurale

[13]           Le demandeur prétend aussi que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui faisant pas part des divergences précises qu’il a relevées et en ne lui donnant pas l’occasion de justifier ou de rationaliser celles-ci.

 

[14]           Un agent des visas n’est pas tenu d’attirer l’attention du demandeur sur chaque conclusion défavorable qu’il peut tirer de la preuve présentée par le demandeur. Un tel devoir pourrait naître si les inférences défavorables étaient tirées de faits ou de renseignements par ailleurs inconnus du demandeur, ou auxquels il n’a pas accès : Sivayogaraja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1112; Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1993; Pan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838, aux paragraphes 35 à 40; Sodhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et  de l’Immigration), 2010 CF 835, aux paragraphes 18 à 21; Ronner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 817.  Ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque les renseignements en question impliquaient le demandeur d’une manière très directe et traumatique.

 

[15]           La teneur et la portée de l’équité procédurale dépendent du contexte juridique et administratif dans lequel une décision est rendue, de la nature de la décision même ainsi que de ses conséquences. Puisqu’il incombait au demandeur d’établir son admissibilité, il n’était pas nécessaire de lui donner l’occasion de réfuter les inférences défavorables que l’agent pouvait évidemment tirer. La jurisprudence indique clairement qu’il n’existe aucune obligation de fournir un « résultat intermédiaire » sur la manière dont progresse l’entrevue : Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926; Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284.  Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale. 

 

[16]           Les avocats n’ont pas soumis de question à certifier, et je suis d’avis qu’aucune question de ce genre n’est soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT

 

VU la demande présentée en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), visant l’obtention d’une ordonnance annulant la décision datée du 1er février 2010 d’un agent des visas du haut-commissariat du Canada à Columbo, au Sri Lanka, qui rejetait la demande de visa de résident permanent du demandeur;

 

ET APRÈS lecture du présent dossier, y compris l’affidavit du demandeur, et après examen des observations écrites et orales des avocats;

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.

 

 

 « Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 


ANNEXE A

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (2001, ch. 27)

 

Immigration and Refugee Protection Act (2001, c. 27)

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Cas de la demande parrainée

 

(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.

 

2001, ch. 27, art. 11; 2008, ch. 28, art. 116.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

If sponsor does not meet requirements

 

(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.

 

2001, c. 27, s. 11; 2008, c. 28, s. 116.

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1946-10

 

INTITULÉ :                                       KOPALAKRISHNAN KUMARASEKARAM c. 
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kristina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Deborah Drukarsh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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