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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20101220

Dossier : T-973-09

Référence : 2010 CF 1312

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

RICHARD HARNOIS

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, ch F-7, visant deux décisions rendues par le Directeur du Service correctionnel du Canada. La première décision datée du 10 juin 2009 assigne au demandeur le médecin clinicien de l’établissement pénitencier du Service correctionnel du Canada. La deuxième décision rendue le 11 juin 2009 annule une visite des membres de la famille du demandeur.

 

[2]               Par la présente, le demandeur demande à cette Cour que soit déclaré qu’il avait un droit d’accès à son médecin traitant pendant son incarcération et que l’annulation de la visite était déraisonnable.

 

Exposé des faits

[3]               Le demandeur est atteint de plusieurs conditions médicales dont le VIH-Sida et l’Hépatite C.

 

[4]               Le demandeur a terminé de purger le 2 décembre 2009, une sentence d’une durée de trois (3) ans et neuf (9) mois relativement à une série de vols qualifiés pour lesquels il a plaidé coupable.

 

[5]               Il a passé la majeure partie de sa sentence à l’Établissement de La Macaza où le Dr. Jean Robert lui prodiguait des soins.

 

[6]               Le 29 août 2008, le demandeur a obtenu sa libération d’office.

 

[7]               Le Dr. Robert a continué à traiter le demandeur pendant sa libération.

 

[8]               Le 29 avril 2009, la libération d’office du demandeur a été suspendue par le Service correctionnel du Canada (SCC). Il a alors été réincarcéré à l’Établissement Leclerc à l’Unité post-suspensions pour cause de bris de condition de libération.

 

[9]               L’Établissement Leclerc est un établissement correctionnel fédéral à sécurité moyenne, situé à Laval au Québec. L’Établissement Leclerc fournit plusieurs programmes, dont les compétences psychosociales, le traitement de la toxicomanie, le traitement des délinquants à comportement violent et des programmes éducatifs.

 

[10]           Au moment de sa réincarcération, le demandeur était sous traitement de l’Hépatite C sous autorisation de paiement de la Régie de l’assurance maladie du Québec pour une première phase du 8 septembre 2008 au 22 avril 2009 et devant se prolonger durant un total de 48 à 72 semaines dans les circonstances.

 

[11]           Dès son arrivée à l’Établissement Leclerc le 29 avril 2009, le demandeur a été rencontré par une infirmière, madame Johanne Gagnon. Cette dernière a vérifié la médication prise par le demandeur alors qu’il était dans la communauté.

 

[12]           Le clinicien en établissement à l’Établissement Leclerc est le Dr. Michel Breton et parfois le Dr. Jacques Bélanger.

 

[13]           Le 10 juin 2009, le demandeur est amené au Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval pour des examens exploratoires neurologiques. Cette décision est prise par le Dr. Michel Breton. Elle est basée sur le fait que le demandeur semble être atteint de complications neurologiques dont les symptômes ressemblent au syndrome de Gilles de la Tourette mais dont le diagnostic médical est inconnu.

[14]           Il existe une entente contractuelle entre le SCC et le Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval pour fournir aux détenus incarcérés un continuum de soins de santé, lorsque nécessaire. Une chambre sécuritaire du Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval est donc mise à la disposition du SCC au cas où les détenus doivent demeurer hospitalisés, ce qui est le cas du demandeur.

 

[15]           Le 11 juin 2009, pendant que le demandeur est hospitalisé au Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval, il obtient la permission de recevoir la visite de membres de sa famille, madame Isabelle Harnois et monsieur Stéphane Deslandes. Cependant, avant que la visite n’ait lieu, madame Geneviève Thibault, sous-directrice de l’Établissement Leclerc, prend connaissance d’un rapport d’observation rédigé par un agent de correction qui effectuait la surveillance de la chambre sécuritaire ou le demandeur était hospitalisé. Selon ce rapport, l’agent de correction a entendu le 10 juin 2009 le demandeur discuter au téléphone avec un membre de sa famille pour faire entrer du tabac en établissement lors de la visite prévue à l’hôpital.

 

[16]           En prenant connaissance de ce rapport dans l’après-midi du 11 juin 2009, madame Thibault annule la visite spéciale du 11 juin 2009 compte tenu du risque d’introduction de tabac (objet non autorisé) que présente cette visite.

 

[17]           Le 8 juillet 2009, le demandeur est libéré à la suite d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

 

 

Dispositions législatives pertinentes

[18]           Les dispositions législatives pertinentes sont retrouvées dans l’annexe.

 

Questions en litige

[19]           De l’avis de la Cour, la demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

1.        La décision du SCC datée du 10 juin 2009 et réitérée dans la lettre du 11 juin 2009 à l’effet que le Dr. Jean Robert ne puisse être le médecin clinicien du demandeur pendant son incarcération à l’Établissement Leclerc est-elle raisonnable?

 

2.        Cette décision viole-t-elle les droits du demandeur garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte?

 

3.        La décision du SCC du 11 juin 2009 d’annuler la visite familiale spéciale est-elle raisonnable ou viole-t-elle les principes d’équité procédurale?

 

4.        Cette décision viole-t-elle les droits du demandeur garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte?

 

Norme de contrôle

[20]           En l’espèce, les deux (2) décisions ont été prises dans le contexte du milieu carcéral et le décideur détient une expertise en matière de gestion des pénitenciers. Le décideur doit protéger le détenu tout en prenant en compte un critère prépondérant qui est celui de la protection de la société. Le décideur doit également se conformer aux directives du SCC. Pour ce qui est de la décision d’annuler une visite pour un détenu, la décision touche à la sécurité des détenus et des visiteurs. Dans les deux cas, il s’agit essentiellement d’une question de faits et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[21]           La Cour suprême du Canada au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, a défini la raisonnabilité comme suit :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. […] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[22]           Les décisions du décideur reposent essentiellement sur l’expertise de cette dernière et relève d’une question de faits - ou à la rigueur d’une question mixte de faits et de droit - et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable. Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenu.

 

[23]           En ce qui concerne les questions d’équité procédurale qui ont été soulevées, il est désormais bien établi que c’est la norme correcte qui s’applique.

 

Analyse

a)         Article 302 des Règles des Cours fédérales

[24]           Lors de l’audience devant cette Cour, le défendeur a soulevé que la demande de contrôle judiciaire du demandeur porte sur deux (2) questions plutôt qu’une seule contrevenant ainsi à la Règle 302 des Règles des Cours fédérales. La Règle 302 se lit comme suit :

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

 

[…]

 

Limites

 

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

GENERAL

 

 

Limited to single Order

 

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

 

[25]           Un des remèdes appropriés pour pallier au non-respect de la Règle 302 serait pour cette Cour d’octroyer une prorogation de délai afin de permettre au demandeur de déposer une demande de contrôle judiciaire nunc pro tunc relativement à une autre décision (Pfeiffer c Canada (Surintendant des faillites), 2004 CAF 192, [2004] ACF no 902). Toutefois, après avoir pris connaissance du dossier et entendu les parties, bien que la Cour soit d’avis que les deux (2) décisions faisant partie de cette demande de contrôle judiciaire soient distinctes, elles sont néanmoins suffisamment reliées dans les circonstances. Compte tenu des faits au dossier, elles s’intègrent suffisamment dans la continuité pour permettre à cette Cour de les entendre lors du même contrôle judiciaire.

 

b) La décision du SCC datée du 10 juin 2009 et réitérée dans la lettre du 11 juin 2009 à l’effet que le Dr. Jean Robert ne puisse être le médecin traitant du demandeur pendant son incarcération à l’Établissement Leclerc est-elle raisonnable?

 

[26]           Il convient d’entrée de jeu de souligner que le paragraphe 2(c) de la Loi canadienne sur la santé prévoit qu’un détenu dans un pénitencier fédéral n’est plus couvert par le régime de soins de santé offert à la population. En conséquence, le SCC prend le relais et a l’obligation de veiller à ce que les détenus reçoivent les soins de santé essentiels et qu’il aient accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter leur réadaptation et leur réinsertion sociale (art. 85 et 86 de la LSCMLSC).

 

[27]           Le SCC agit donc en quelque sorte à titre d’assureur et dans une certaine mesure à titre d’hôpital. Afin de permettre aux détenus de recevoir des soins, les pénitenciers du SCC ont un département de soins de santé. Le SCC engage des médecins qui soignent les détenus dans les pénitenciers. À ce titre, les médecins sont inclus dans deux (2) catégories : ceux engagés de façon contractuelle à titre de médecin consultant et ceux engagés à titre de médecin traitant les détenus dans les établissements (médecin clinicien de l’établissement).

 

[28]           En vertu de la Directive du Commissaire 800 sur les services de santé (DC 800), le médecin clinicien de l’établissement est le médecin responsable de prescrire les traitements et la médication aux détenus. Le médecin consultant, pour sa part, donne des recommandations au médecin traitant.

 

[29]           Il convient également de mentionner que le paragraphe 4(e) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC) prévoit qu’un détenu continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée. Ainsi, les tribunaux ont décidé que certains droits des détenus garantis par la Charte sont restreints pour cause d’incarcération, ce qui est notamment le cas pour l’expectative de la vie privée (Weatherhall c Canada (Procureur général), [1993] 2 RCS 872).

 

[30]           Dans le cas qui nous occupe, la question des soins de santé en milieu carcéral se retrouve au premier plan.

 

[31]           Lors de son arrivée à l’Établissement Leclerc, le demandeur a été rencontré par une infirmière qui a évalué ses besoins de santé. Cette dernière a vérifié la médication prise par le demandeur alors qu’il était dans la communauté. La vérification des prescriptions permet à l’établissement de s’assurer que les doses prescrites sont adéquates. Cette procédure permet également de s’assurer que les doses ne servent pas à combler des besoins de toxicomanie ou ne servent pas à en faire le trafic à l’intérieur de l’établissement carcéral (DC 800 et Affidavit de Martin Turcotte, Dossier du défendeur à la page 216).

 

[32]           Ensuite le Dr. Michel Breton, le médecin clinicien de l’établissement, a substitué la médication du demandeur conformément au formulaire pharmacologique du SCC. Comme l’a expliqué la partie défenderesse à l’audience, le formulaire pharmacologique du SCC est un formulaire national comprenant une liste de médicaments que le SCC finance dans le cadre des soins médicaux essentiels prodigués aux détenus. La défenderesse a aussi correctement fait remarquer que le comité national de pharmacologie recommande de suivre les prescriptions des médicaments inscrits sur ce formulaire (Affidavit de Martin Turcotte, Dossier du défendeur aux   pp. 216-217). Certaines des doses prescrites au demandeur avant son incarcération à l’Établissement Leclerc ne font pas partie du formulaire pharmacologique du SCC.

 

[33]           Le SCC a adopté des lignes directrices pour la prise en charge de l’hépatite dont souffre le demandeur. Il appert que ces lignes directrices sont conformes aux normes canadiennes reconnues à ce sujet et le SCC s’attend à ce que les professionnels de la santé qui dispensent des services en cette matière respectent ces lignes directrices (Affidavit de Hélène Racicot, Dossier du défendeur à la page 2).

 

[34]           Le demandeur allègue que l’établissement aurait refusé que le Dr. Jean Robert lui prodigue des soins. Or, la correspondance au dossier confirme plutôt qu’il n’y a pas eu d’objection à ce que le Dr. Robert obtienne un privilège temporaire afin de prodiguer des soins au demandeur en communiquant avec le Dr. Breton, le médecin clinicien de l’établissement, afin d’en discuter et obtenir l’approbation du médecin clinicien traitant de l’établissement carcéral, en l’occurrence le  Dr. Breton (Dossier du défendeur aux pp. 343, 348, 351 et 353 et les lettres du 19 juin et du 29 juin 2009 de Me Eric Lafrenière à Me Isabelle Turgeon). La Cour est d’avis que cette façon de procéder respectent les dispositions en cause, notamment le paragraphe 4(a) et l’article 86 de la LSCMLSC et la DC 800. La preuve démontre aussi que le SCC a cessé de recourir aux services du Dr. Robert en raison du non-respect des lignes directrices pour la prise en charge de l’Hépatite virale (Affidavit de Hélène Racicot, Dossier du demandeur à la page 2.)

 

[35]           Le demandeur a également avancé que son traitement aurait été interrompu par le Dr. Breton lors de son incarcération. Or, la Cour est d’avis qu’il n’existe pas de preuve que les doses administrées par le Dr. Breton auraient pu contrevenir aux normes de la profession tel qu’avancé par le demandeur. La preuve au dossier démontre plutôt que le Dr Breton ainsi que les médecins de l’établissement ont pris des décisions constantes et qu’ils ont émis par moment des doutes quant aux malaises allégués du demandeur. Par exemple, le Dr. Breton a fait cesser le Statex sur la base que le demandeur semblait camoufler son narcotique dans sa bouche. Il existait donc des doutes relativement au fait que le demandeur n’utilise pas ce médicament pour soulager la douleur alléguée mais plutôt pour en faire la contrebande au sein de l’établissement (Dossier du demandeur aux     pp. 16 et 18 et Affidavit de Martin Turcotte, Dossier du défendeur à la page 217).

 

[36]           Aussi, la décision de ne pas poursuivre un traitement de rabavirine-interferon dans le cas du demandeur vu les recommandations d’un médecin consultant spécialiste en la matière, le Dr. Marc-André Gagné, était raisonnable (Affidavit du Dr. Michel Breton, Dossier du défendeur à la page 220 et document intitulé ‘Prise en charge de l’hépatite C chronique : lignes directrices de consensus, Dossier du défendeur aux pp. 259, 265, 267, 268 et 270). Enfin la preuve démontre sans équivoque que le demandeur a accepté la décision d’interrompre son traitement pour l’Hépatite C (Dossier du défendeur à la page 197; art. 88 LSCMLC).

 

[37]           En fait, rien au dossier ne permet d’établir que l’opinion médicale du Dr. Breton est inexacte, déraisonnable ou qu’elle n’est pas conforme aux normes reconnues par la pratique médicale comme a tenté de le démontrer le demandeur. Il ressort plutôt que le Dr. Breton a exercé son jugement professionnel clinicien en s’assurant que le demandeur reçoive les soins essentiels au sens de l’article 86 de la LSCMLC (Powell c Canada (Procureur général), 2004 CF 1304, [2004] ACF no 1566). La Cour n’accepte donc pas l’allégation du demandeur à l’effet qu’il y aurait eu       « bousillement » de traitement.

 

[38]           Par ailleurs, la Cour note l’absence par le demandeur de plainte ou de grief (art. 90 de LSCMLSC; Brian Raymond Stauffer v John Cosby, T-1677-09, 28 janvier 2010, ordonnance du protonotaire Roger F. Lafrenière).

 

[39]           Les arguments avancés par le demandeur conduisent à un argument central à l’effet, qu’essentiellement, un détenu a le droit d’avoir accès à un médecin de son choix car il n’existe pas de dispositions dans la LSCMLSC ni dans le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (Règlement) qui restreint ce droit. 

 

[40]           La Cour est d’opinion que si l’intention du législateur avait été de permettre au détenu d’avoir accès au médecin de son choix, ce dernier l’aurait clairement indiqué. Dans les circonstances, les analogies avec le droit provincial avancées par le demandeur comportent leurs limites. De façon générale, bien qu’il existe un droit à la santé universel, ce droit ne s’avère pas être un droit absolu pour la population en général et rien dans la LSCMLSC permet d’affirmer le contraire pour ce qui est des détenus. Le régime mis en place par le législateur par l’entremise de la LSCMLSC et qui s’applique aux établissements carcéraux confirme que le médecin clinicien de l’établissement est en fait le gardien du mandat législatif confié à la SCC. 

[41]           Dans les circonstances, la Cour conclut que la décision prise par l’établissement de faire soigner le demandeur par le médecin clinicien de l’établissement, en l’occurrence le Dr. Breton, est raisonnable. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir).

 

[42]           Compte tenu de la réponse à la question 1, il n’est pas nécessaire pour cette Cour de se prononcer sur la deuxième question.

 

c)   La décision du SCC du 11 juin 2009 d’annuler la visite familiale spéciale est-elle raisonnable ou viole-t-elle les principes d’équité procédurale?

 

[43]           La Cour rappelle que lors de son incarcération le demandeur a été conduit au Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval pour évaluation afin de compléter son dossier. À ce moment, ni le Dr. Breton, ni le Dr. Robert ne semblent connaître la source du problème neurologique du demandeur (Dossier du défendeur à la page 343).

 

[44]           Alors qu’il est au Centre hospitalier Cité de la Santé à Laval, une visite est prévue pour le 11 juin 2009. La visite du 11 juin 2009, avant d’être annulée, a été accordée sur une base spéciale car les visiteurs n’étaient pas inscrits sur la liste des visites.

 

[45]           Le demandeur soutient que la décision d’annuler la visite est déraisonnable et viole les principes d’équité procédurale car elle a eu lieu le jour même de la visite prévue. Le demandeur allègue de plus qu’il a été informé de la décision d’annuler la visite alors que ses visiteurs avaient déjà quitté.

[46]           La Cour ne peut se rallier aux arguments du demandeur.

 

[47]           D’une part, la décision de madame Thibault d’annuler la visite est basée sur le rapport d’observation d’un agent de correction qui a entendu le demandeur lors d’une conversation téléphonique discuter avec ses éventuels visiteurs de la possibilité d’introduire des objets non-autorisés, en l’occurrence du tabac (Dossier du défendeur à la page 208). Elle n’a pris connaissance de ces informations que le 11 juin en après-midi vers 14h45. C’est à ce moment que la décision d’annuler la visite fut prise.

 

[48]           Selon le demandeur, madame Thibault avait l’obligation en vertu de l’article 91 du Règlement de l’informer promptement des motifs de sa décision et de lui fournir la possibilité de présenter des observations à ce sujet. Le demandeur soutient aussi que madame Thibault a omis de se conformer au Règlement car le demandeur a été informé de la décision vers 18h alors que ses visiteurs avaient déjà quitté l’hôpital. 

 

[49]           En regard des circonstances et du contexte dans lesquels la décision d’annuler la visite a été prise, la Cour est d’avis que, compte tenu des impératifs de sécurité, la décision de madame Thibault est raisonnable pour les raisons suivantes :

-         Le tabac constitue un objet non autorisé et fait l’objet d’une préoccupation sécuritaire, compte tenu de la contrebande au sein des établissements  (Directive 259);

-         Il n’est pas possible d’effectuer des fouilles à nu des visiteurs et de surveiller adéquatement le détenu dans un hôpital - comme c’est le cas dans un établissement carcéral - les possibles échanges entre le détenu et ses visiteurs;

-         il n’est pas possible dans cet hôpital de limiter la visite à une visite de guichet;

-         il n’y a pas lieu de mettre en doute qu’opérationnellement il n’était pas possible à ce moment précis de poster un agent de correction qui serait assis entre les visiteurs et le demandeur;

-         Madame Thibault disposait de peu de temps entre le moment ou le rapport de l’agent de correction lui a été communiqué et le moment de la visite pour gérer le risque. 

 

[50]           À la lumière de ce qui précède, la Cour estime également que les faits en l’espèce n’étayent pas la prétention du demandeur à l’effet qu’il y aurait eu un manque à l’équité procédurale. 

 

[51]           Quelques jours plus tard à la suite d’une réévaluation du risque, madame Thibault a autorisé une visite familiale spéciale auprès du demandeur. Cette visite a eu lieu le 20 juin 2009. 

 

[52]           Ainsi, sur la base des impératifs de sécurité, des informations qui lui ont été transmises dans l’après-midi du 11 juin 2009 et, compte tenu du fait que la visite était prévue dans un centre hospitalier et non dans un établissement carcéral, la Cour conclut que la décision de madame Thibault est raisonnable, qu’elle respecte le Règlement et la Directive 770 sur les visites et ne viole pas les principes d’équité procédurale.

 

[53]           Compte tenu de la réponse à la question 3, cette Cour n’a pas à se prononcer sur la question 4.

 

[54]           Pour tous ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire. 

 

 

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande soit rejetée avec dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


ANNEXE

 

 

 

Loi canadienne sur la santé

LRC 1985, ch C-6

 

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« assuré »
insured person

« assuré » Habitant d’une province, à l’exception :

 

 

[…]

 

c) des personnes purgeant une peine d’emprisonnement dans un pénitencier, au sens de la Partie I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition;

 

[…]

Canada Health Act

RS 1985, c C-6

 

Definitions

 

2. In this Act,

 

 

“insured person”
« assuré »

“insured person” means, in relation to a province, a resident of the province other than

 

 

(c) a person serving a term of imprisonment in a penitentiary as defined in the Penitentiary Act, or

 

 

 

 

 

 

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

LRC 1992, ch 20

 

OBJET

 

But du système correctionnel

 

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

 

 

 

PRINCIPES

 

Principes de fonctionnement

 

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

 

a) la protection de la société est le critère

prépondérant lors de l’application du processus

correctionnel;

 

[…]

 

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

 

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

 

[…]

 

SERVICES DE SANTÉ

 

Définitions

 

85. Les définitions qui suivent s’appliquent aux articles 86 et 87.

 

« soins de santé »

health care

 

« soins de santé » Soins médicaux, dentaires et de santé mentale dispensés par des professionnels de la santé agréés.

 

« soins de santé mentale »

mental health care

 

« soins de santé mentale » Traitement des troubles de la pensée, de l’humeur, de la perception, de l’orientation ou de la mémoire qui altèrent considérablement le jugement, le comportement, le sens de la réalité ou l’aptitude à faire face aux exigences normales de la vie.

 

 

 

 

Obligation du Service

 

86. (1) Le Service veille à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu’il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter sa réadaptation et sa réinsertion sociale.

 

 

 

 

 

Qualité des soins

 

(2) La prestation des soins de santé doit satisfaire aux normes professionnelles reconnues.

 

 

État de santé du délinquant

 

87. Les décisions concernant un délinquant, notamment en ce qui touche son placement, son transfèrement, son isolement préventif ou toute question disciplinaire, ainsi que les mesures préparatoires à sa mise en liberté et sa surveillance durant celle-ci, doivent tenir compte de son état de santé et des soins qu’il requiert.

 

 

 

 

 

Consentement et droit de refus

 

88. (1) Sous réserve du paragraphe (5), l’administration de tout traitement est subordonnée au consentement libre et éclairé du détenu, lequel peut refuser de le suivre ou de le poursuivre.

 

 

 

 

 

 

Consentement éclairé

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a consentement éclairé lorsque le détenu a reçu les renseignements suivants et qu’il est en mesure de les comprendre :

 

a) les chances et le taux de succès du traitement ou les chances de rémission;

 

 

b) les risques appréciables reliés au traitement et leur niveau;

 

c) tout traitement de substitution convenable;

 

 

d) les conséquences probables d’un refus de suivre le traitement;

 

e) son droit de refuser en tout temps de suivre ou de poursuivre le traitement.

 

Cas particulier

 

(3) Pour l’application du paragraphe (1), le consentement du détenu n’est pas vicié du seul fait que le traitement est une condition imposée à une permission de sortir, à un placement à l’extérieur ou à une libération conditionnelle.

 

[…]

 

GRIEFS

 

Procédure de règlement

 

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

 

 

Accès à la procédure de règlement des griefs

 

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

Corrections and Conditional Release Act

RSC 1992, c.20

 

 

PURPOSE

 

Purpose of correctional system

 

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

 

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

 

PRINCIPLES

 

Principles that guide the Service

 

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

 

(a) that the protection of society be the

paramount consideration in the corrections

process;

 

 

(d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

 

(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

 

 

HEALTH CARE

 

Definitions

 

85. In sections 86 and 87,

 

 

“health care”

« soins de santé »

 

“health care” means medical care, dental care and mental health care, provided by registered health care professionals;

 

“mental health care”

« soins de santé mentale »

 

“mental health care” means the care of a disorder of thought, mood, perception, orientation or memory that significantly impairs judgment, behaviour, the capacity to recognize reality or the ability to meet the ordinary demands of life;

 

“treatment”« Version anglaise seulement »

“treatment” means health care treatment.

 

Obligations of Service

 

86. (1) The Service shall provide every inmate with

 

(a) essential health care; and

 

(b) reasonable access to non-essential mental health care that will contribute to the inmate’s rehabilitation and successful reintegration into the community.

 

Standards

 

(2) The provision of health care under subsection (1) shall conform to professionally accepted standards.

 

 

Service to consider health factors

 

87. The Service shall take into consideration an offender’s state of health and health care needs

 

(a) in all decisions affecting the offender, including decisions relating to placement, transfer, administrative segregation and disciplinary matters; and

 

(b) in the preparation of the offender for release and the supervision of the offender.

 

When treatment permitted

 

88. (1) Except as provided by subsection (5),

 

(a) treatment shall not be given to an inmate, or continued once started, unless the inmate voluntarily gives an informed consent thereto; and

 

(b) an inmate has the right to refuse treatment or withdraw from treatment at any time.

 

Meaning of “informed consent”

 

(2) For the purpose of paragraph (1)(a), an inmate’s consent to treatment is informed consent only if the inmate has been advised of, and has the capacity to understand,

 

(a) the likelihood and degree of improvement, remission, control or cure as a result of the treatment;

 

(b) any significant risk, and the degree thereof, associated with the treatment;

 

(c) any reasonable alternatives to the treatment;

 

(d) the likely effects of refusing the treatment; and

 

(e) the inmate’s right to refuse the treatment or withdraw from the treatment at any time.

 

Special case

 

(3) For the purpose of paragraph (1)(a), an inmate’s consent to treatment shall not be considered involuntary merely because the treatment is a requirement for a temporary absence, work release or parole.

 

 

GRIEVANCE PROCEDURE

 

Grievance procedure

 

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

Access to grievance procedure

 

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.

 

 

 

 

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

LC 1992, ch 20

 

VISITES

 

90. (1) Tout détenu doit, dans des limites raisonnables, avoir la possibilité de recevoir des visiteurs dans un endroit exempt de séparation qui empêche les contacts physiques, à moins que :

 

a) le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui n'ait des motifs raisonnables de croire que la séparation est nécessaire pour la sécurité du pénitencier ou de quiconque;

 

 

 

b) il n'existe aucune solution moins restrictive.

 

(2) Afin d'assurer la sécurité du pénitencier ou de quiconque, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut autoriser une surveillance du secteur des visites, par un agent ou avec des moyens techniques, et cette surveillance doit se faire de la façon la moins gênante possible dans les circonstances.

 

 

 

 

(3) Le Service doit veiller à ce que chaque détenu puisse s'entretenir avec son avocat dans un local assurant à l'entrevue un caractère confidentiel.

 

91. (1) Sous réserve de l'article 93, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui peut autoriser l'interdiction ou la suspension d'une visite au détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire :

 

 

 

a) d'une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

 

 

 

b) d'autre part, que l'imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d'enrayer le risque.

 

 

(2) Lorsque l'interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

 

a) elle reste en vigueur tant que subsiste le risque visé à ce paragraphe;

 

 

b) le directeur du pénitencier ou l'agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

Corrections and Conditional Release Regulations

SC 1992, c 20

 

VISITS

 

90. (1) Every inmate shall have a reasonable opportunity to meet with a visitor without a physical barrier to personal contact unless

 

 

(a) the institutional head or a staff member designated by the institutional head believes on reasonable grounds that the barrier is necessary for the security of the penitentiary or the safety of any person; and

 

(b) no less restrictive measure is available.

 

(2) The institutional head or a staff member designated by the institutional head may, for the purpose of protecting the security of the penitentiary or the safety of any person, authorize the visual supervision of a visiting area by a staff member or a mechanical device, and the supervision shall be carried out in the least obtrusive manner necessary in the circumstances.

 

(3) The Service shall ensure that every inmate can meet with the inmate's legal counsel in private interview facilities.

 

 

91. (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

 

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) plan or commit a criminal offence; and

 

 

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

 

(2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1),

 

(a) the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to in that subsection continues; and

 

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-973-09

 

INTITULÉ :                                       RICHARD HARNOIS c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Isabelle Turgeon

Simon Gruda

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michelle Lavergne

Marc Ribeiro

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Casgrain

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-ministre et sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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