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Date : 20110105

Dossier : IMM‑2056‑10

Référence : 2011 CF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

BIVIANA ELENA MENDOZA PEREZ

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR), de la décision rendue par une agente d’immigration (l’agente), en date du 7 avril 2010, par laquelle elle a refusé à la demanderesse sa demande de statut de résident permanent au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, au motif qu’il a été déterminé que son mariage n’était pas authentique et visait principalement à permettre son immigration.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Faits

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Colombie. Elle a quitté la Colombie en juillet 2005 parce que sa vie était menacée par une milice. Elle a tenté de demander l’asile à la frontière canado‑américaine le 1er août 2005, mais il lui a été refusé en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs. La demanderesse est revenue au Canada en octobre 2005 et a demandé l’asile une seconde fois en novembre 2005. Cette demande a été rejetée en raison du refus antérieur. On a dit à la demanderesse de se présenter le 28 novembre 2005 pour être expulsée, mais elle s’est soustraite à son renvoi. Un mandat d’arrestation a été émis contre elle le 12 décembre 2005, puis a été exécuté le 14 mai 2008.

 

[4]               Alors qu’elle se trouvait au Canada, la demanderesse est tombée enceinte pendant une relation de courte durée. Par la suite, elle a noué une seconde relation avec Carlos Alberto Lanza Elvir, qu’elle a épousé le 9 juin 2006. La demanderesse prétend habiter avec son époux depuis ce temps. La fille de la demanderesse est née à Montréal le 22 septembre 2006.

 

[5]               La demanderesse a présenté une demande parrainée de résidence permanente le 17 décembre 2007.

 

[6]               En décembre 2007, CIC a reçu d’une source anonyme un « tuyau » selon lequel la demanderesse s’était mariée à des fins d’immigration et le couple avait pris beaucoup de fausses photos pour prouver leur mariage. La personne qui a donné le tuyau a également allégué que la demanderesse et son époux vivaient séparément.

 

[7]               Le 31 mars 2010, une entrevue a eu lieu afin d’évaluer l’authenticité du mariage. La demanderesse et son époux ont été interrogés séparément, puis confrontés aux divergences.

 

Décision contestée

[8]               L’agente a déterminé que la relation entre la demanderesse et son parrain n’était pas authentique et visait principalement à obtenir la résidence permanente au Canada. L’agente a tiré cette conclusion parce qu’il existait plusieurs divergences pour lesquelles elle n’était pas satisfaite des explications données par la demanderesse et son parrain.

 

Questions en litige

[9]               Les questions en litige sont les suivantes :

a.       L’agente a‑t‑elle donné des motifs intelligibles et suffisants pour justifier sa décision?

b.      L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’agir équitablement en omettant de motiver sa décision concernant le but du mariage, conformément au second volet du critère énoncé à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (ci‑après le Règlement ou le RIPR)?

c.       L’agente a‑t‑elle commis une erreur en relevant ce qu’elle a qualifié de divergences importantes?

 

Dispositions législatives applicables

[10]           Les dispositions législatives applicables sont reproduites à l’annexe ci‑jointe.

 

Norme de contrôle

[11]           Les conclusions à savoir si une relation est authentique ou si elle vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi sont des conclusions de fait et la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable (Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417, [2010] A.C.F. no 482 (QL), par. 14). Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

 

[12]           La norme applicable aux questions relatives au droit du demandeur à une audition équitable et à la justice naturelle est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, par. 53).

 

1.  L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’agir équitablement en omettant de donner des motifs intelligibles pour justifier sa décision concernant l’authenticité de la relation?

Argument de la demanderesse

[13]           La demanderesse soutient que l’examen de la preuve par l’agente ne constitue pas des motifs et que ses conclusions ne sont que de simples conclusions et non des motifs. Par conséquent, elle allègue que l’agente a manqué à son obligation d’agir équitablement et que la décision devrait être annulée. La demanderesse invoque la décision Thalang c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 743, [2007] FCJ No 1002 (QL), par. 15, à l’appui de l’argument selon lequel l’obligation de motiver sa décision exige que les motifs soient suffisants et qu’ils traitent des principaux points en litige.

 

Arguments du défendeur

[14]           Le défendeur soutient que l’agente a donné des motifs intelligibles et suffisants pour justifier sa décision.

 

[15]           Le défendeur affirme que la lettre que l’agente a envoyée à la demanderesse, en date du 7 avril 2010, indique clairement que la raison de son refus est que la demanderesse était exclue aux termes de l’article 4 du RIPR. Le défendeur ajoute que les motifs détaillés de l’agente indiquent que CIC a reçu d’une source anonyme un tuyau selon lequel la demanderesse a marié son parrain à des fins de « travail » et ils ont pris beaucoup de photos trompeuses pour prouver leur mariage.

 

[16]           De plus, le défendeur fait valoir que l’agente a décrit en détail les sept divergences qu’elle a relevées pendant l’entrevue, après avoir comparé les réponses de la demanderesse à celles de son parrain pour les mêmes questions (voir les pages 10‑13 du dossier de la demanderesse).

 

[17]           Le défendeur allègue que les motifs de l’agente traitent des questions pertinentes concernant l’application de l’article 4 du RIPR. Il ajoute que, dans ses motifs, l’agente a fait au sujet des éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée pour arriver à sa décision un exposé qui permet de suivre son raisonnement (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, [2007] 1 R.C.F. 490, par. 14; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 F.T.R. 186, par. 47‑49).

 

Analyse

[18]           Je ne crois pas qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce, car l’agente a fourni des motifs intelligibles pour justifier ses conclusions. L’agente a énuméré toutes les divergences qu’elle a relevées, et il appert clairement que c’est sur quoi elle a fondé ses conclusions relativement au mariage de la demanderesse avec son parrain. Les motifs de l’agente comportent une liste de contradictions, notamment la contradiction entre les témoignages de la demanderesse et de son époux concernant la date de leur mariage, la date à laquelle ils ont emménagé ensemble et l’heure où ils partent le matin. Ainsi, il est possible de comprendre comment l’agente en est arrivée à sa conclusion.

2.  L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’agir équitablement en omettant de motiver sa décision concernant le but du mariage, conformément au second volet du critère énoncé à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

Arguments de la demanderesse

[19]           La demanderesse affirme que le critère d’exclusion énoncé à l’article 4 de la LIPR exige que des motifs soient fournis pour chacun des éléments (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490, 59 Imm. L.R. (3d) 251, par. 4‑5). La demanderesse soutient que, en l’espèce, il n’est même pas certain que l’agente sache qu’il s’agit d’un critère à deux volets, étant donné que l’agente n’a fait aucun effort pour énoncer des motifs distincts (Das c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 189, 79 Imm. L.R. (3d) 134, par. 19).

 

Arguments du défendeur

[20]           Le défendeur soutient que l’agente a fait explicitement référence au second volet du critère dans sa lettre de refus (voir le dossier de la demanderesse, aux pages 4 et 13). Le défendeur allègue que l’agente a déclaré que, compte tenu des réponses contradictoires que la demanderesse et son parrain ont données lors des entrevues, elle n’était pas convaincue que leur mariage était authentique et considérait qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada. Le défendeur affirme que, compte tenu des liens étroits entre les deux volets du critère, cette analyse était suffisante (Kaur, par. 17). Le défendeur soutient que l’agente a touché les deux volets du critère dans sa conclusion.

 

[21]           De plus, le défendeur invoque l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63, selon lequel le caractère raisonnable de la décision visée par le contrôle judiciaire doit être apprécié non seulement à la lumière des motifs énoncés par le décideur, mais également au vu des motifs qu’il aurait pu énoncer compte tenu des éléments de preuve dont il disposait. En conséquence, le défendeur fait valoir que l’agente avait la preuve que la demanderesse avait tenté à deux reprises d’obtenir le statut d’immigrant au Canada en présentant une demande d’asile, laquelle a été rejetée chaque fois, et qu’elle a marié son parrain moins de six mois après qu’un mandat d’arrestation a été lancé contre elle en vue de son renvoi.

 

Analyse

[22]           Le juge Zinn a déclaré ce qui suit aux paragraphes 15 et 16 de la décision qu’il a récemment rendue dans l’affaire Kaur :

La demanderesse a raison au sujet du fait que l’article 4 du Règlement crée un critère à deux volets permettant de déterminer si la relation est une relation conjugale aux fins du parrainage. Le demandeur a le fardeau de prouver (1) que la relation est authentique et (2) qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. Si l’agent ne tient pas compte des deux volets du critère pour conclure que le demandeur n’est pas un époux au sens de l’article 4 du Règlement, « il est loisible à la Cour de conclure qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise » : Khan, au paragraphe 5.

 

En l’espèce, les motifs de l’agente portaient principalement, mais pas uniquement, sur l’authenticité du mariage de la demanderesse. Aux paragraphes 17 et 18 de la décision Sharma, précitée, la juge Snider a conclu qu’il existe un lien étroit entre les deux volets du critère et que « le manque d’authenticité constitue une preuve convaincante que le mariage visait principalement à acquérir un statut ». À mon avis, si la preuve permet de conclure que le mariage n’était pas authentique, il existe donc une présomption que le mariage visait l’acquisition d’un statut. Le fardeau d’établir le contraire revient absolument au demandeur.

 

[23]           Il a également conclu que « [l]’agente a touché les deux volets du critère lorsqu’elle a conclu [TRADUCTION] "qu’il ne s’agit pas d’une relation conjugale authentique et que la demanderesse a contracté le mariage principalement dans le but d’acquérir la résidence permanente au Canada". L’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en appliquant le mauvais critère ou en n’appliquant qu’une partie du critère approprié » (Kaur, par. 18).

 

[24]           L’extrait tiré de la décision Kaur s’applique en l’espèce. Il m’est donc impossible de conclure que l’agente a commis une erreur susceptible de révision qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

3.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en relevant ce qu’elle a qualifié de divergences importantes?

Arguments de la demanderesse

[25]           La demanderesse allègue que les divergences relevées par l’agente sont mineures au point de constituer un examen microscopique de l’essentiel de chacune des réponses concordantes données par les époux au cours des trois heures où chacun d’eux a été interrogé, et que, de ce fait, sa conclusion est déraisonnable (Siev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 736, [2005] A.C.F. no 912 (QL), par. 21).

 

Arguments du défendeur

[26]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que l’agente se fonde sur de nombreuses divergences importantes entre les réponses données par la demanderesse et son parrain lors de leurs entrevues.

 

[27]           Le défendeur affirme que, dans ses motifs, l’agente a effectivement examiné les nombreuses divergences qu’elle a relevées au cours des entrevues distinctes qu’elle a tenues (voir les pages 10‑13 du dossier de la demanderesse). Le défendeur allègue que la Cour devrait rejeter l’argument de la demanderesse selon lequel les divergences relevées par l’agente n’étaient que [traduction] « mineures ». Le défendeur souligne que les divergences que l’agente a relevées étaient importantes et que, examinées dans l’ensemble, elles appuyaient suffisamment ses conclusions (Kaur, par. 32).

 

[28]           Le défendeur ajoute que les divergences relevées démontrent le manque de connaissances de la demanderesse et de son parrain au sujet de faits importants qui ont eu lieu au cours de leur relation ainsi qu’au sujet de moments habituels de la vie quotidienne et indiquent l’existence d’une relation dans laquelle les parties ne sont pas parfaitement au courant de leurs affaires réciproques, alors que ce devrait être normalement le cas lorsque l’on parle d’un couple marié (Kaur, par. 8).

 

 

Analyse

[29]           L’agente a relevé de nombreuses divergences dans les réponses données par la demanderesse et son parrain. Elle les a confrontés et leur a donné la possibilité de répondre, mais elle n’était pas satisfaite de leurs explications.

 

[30]           Dans l’ensemble, j’estime qu’on ne peut reprocher à l’agente d’avoir conclu que, compte tenu de la preuve, le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada.

 

[31]           Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.


ANNEXE

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227)

 

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2056‑10

 

INTITULÉ :                                                   BIVIANA ELENA MENDOZA PEREZ

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 5 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Normand Lemyre

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSER :

 

William Sloan

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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