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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110106

Dossier : IMM-2214-10

Référence : 2011 CF 7

Ottawa (Ontario), ce 6e jour de janvier 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

DILANO GILLES

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« CISR ») présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) par Dilano Gilles (le demandeur). Le tribunal a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

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[2]          Le demandeur est un citoyen d’Haïti, né le 15 novembre 1958. Il est cultivateur et a vécu à Croix-des-Bouquets pendant toute sa vie. Il est analphabète.

 

[3]          Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur allègue que des hommes armés étaient à sa recherche et qu’il a dû se cacher chez sa belle-famille pendant deux mois. Il y dit craindre d’être agressé par les hommes de l’armée. Il note la violence extrême qui sévit en Haïti et allègue qu’il n’avait aucun autre choix que de partir.

 

[4]          La première audience du demandeur devant la SPR a eu lieu le 18 août 2008, alors que le demandeur se représentait lui-même, son avocate s’étant retirée à la dernière minute. Le tribunal a procédé quand même et a rejeté la demande. Cette décision a été cassée par cette Cour, avec le consentement des deux parties, le 29 septembre 2009, pour déni de justice naturelle.

 

[5]          Le demandeur était représenté lors de la seconde audience, qui a eu lieu le 24 mars 2010, et la décision a été rendue de vive voix à la fin de celle-ci.

 

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[6]          Le tribunal a pris note des circonstances de la première décision cassée et aussi des circonstances personnelles du demandeur, notamment son analphabétisme. Le tribunal a expressément déclaré son intention de faire en sorte que le demandeur comprenne sa décision.

 

[7]          Le tribunal a trouvé le témoignage du demandeur clair sur le point qu’il ne craignait finalement rien à son retour, sauf le climat général en Haïti et le fait que ce serait difficile pour lui de s’y réinstaller. Lorsque le tribunal a demandé au demandeur s’il y avait des individus qu’il craignait, celui-ci a répondu que non.

 

[8]          Sans se pencher sur la crédibilité des diverses allégations du demandeur, le tribunal a souligné que celui-ci devait établir craindre avec raison de retourner dans son pays de citoyenneté, ce qu’il n’avait pas réussi à faire. Le tribunal a aussi trouvé que le demandeur n’avait fait référence à aucune crainte concernant les motifs pour lesquels il serait persécuté et qu’il n’avait pas établi non plus qu’il était plus probable que non que sa vie serait menacée ou qu’il serait exposé à la torture s’il retournait en Haïti.

 

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[9]          Les paragraphes suivants des Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (le 15 décembre 2006), données par le président de la CISR en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi, (les Directives) sont également pertinents :

 

Définition d’une personne vulnérable

 

2.1     Pour l’application des présentes directives, une personne vulnérable s’entend de la personne dont la capacité de présenter son cas devant la CISR est grandement diminuée. Elle peut, entre autres, être atteinte d’une maladie mentale; être mineure ou âgée; avoir été victime de torture; avoir survécu à un génocide et à des crimes contre l’humanité; il peut aussi s’agir d’une femme qui a été victime de persécution en raison de son sexe.

 

Definition of Vulnerable Persons

 

2.1     For the purposes of this Guideline, vulnerable persons are individuals whose ability to present their cases before the IRB is severely impaired. Such persons may include, but would not be limited to, the mentally ill, minors, the elderly, victims of torture, survivors of genocide and crimes against humanity, and women who have suffered gender-related persecution.

Principes généraux

 

5.1     Une personne peut être identifiée comme étant vulnérable et peut faire l’objet d’adaptations particulières sur le plan procédural, de manière à ne pas être désavantagée dans la présentation de son cas. L’identification de la vulnérabilité est habituellement faite au début du processus, avant que la CISR ait examiné tous les éléments de preuve du cas et que la crédibilité de la personne soit évaluée.

General Principles

 

5.1     A person may be identified as vulnerable, and procedural accommodations made, so that the person is not disadvantaged in the presentation of their case. The identification of vulnerability will usually be made at an early stage, before the IRB has considered all the evidence in the case and before an assessment of the person’s credibility has been made.

 

Identification à la première occasion

 

7.1     Une personne peut être identifiée comme étant vulnérable à n’importe quelle étape des procédures. Il est préférable d’identifier une personne comme étant vulnérable le plus tôt possible.

 

 

Early identification

 

7.1     A person can be identified as vulnerable at any stage of the proceedings. It is preferable to identify vulnerable persons at the earliest opportunity.

7.2     Lors de l’examen du dossier en début de processus, la CISR peut trouver de l’information qui révèle que la capacité de la personne de présenter son cas peut être grandement diminuée. En début de processus, la CISR peut amorcer des contacts avec la personne, le représentant désigné, le conseil ou toute autre personne pour recueillir des éléments de preuve pertinents en vue de déterminer si la personne devrait être identifiée comme étant vulnérable de même qu’établir le genre d’adaptations d’ordre procédural qui pourraient être appliquées.

 

7.2     In the course of early review of the file, the IRB may find information which discloses that the ability of the person to present their case may be severely impaired.  The IRB may initiate early contact with the person, the designated representative, counsel or any other person to gather evidence which is relevant to whether the individual should be identified as a vulnerable person and which is relevant to the types of procedural accommodations which might be made.

7.3     Le conseil de la personne pouvant être identifiée comme étant vulnérable est le mieux placé pour porter sa vulnérabilité à l’attention de la CISR, et il devrait le faire le plus rapidement possible. Les personnes associées à cette personne ou qui connaissent des faits indiquant qu’elle pourrait être vulnérable (conseil du ministre ou toute autre personne) sont encouragées à en faire autant. Lorsque c’est raisonnablement possible, des éléments de preuve crédibles et indépendants établissant la vulnérabilité doivent être déposés auprès du greffe de la CISR.

 

7.3     Counsel for a person who may be considered vulnerable is best placed to bring the vulnerability to the attention of the IRB, and is expected to do so as soon as possible. Others who are associated with the person or who have knowledge of facts indicating that the person may be vulnerable (counsel for the Minister or any other person) are encouraged to do the same. Wherever it is reasonably possible, independent credible evidence documenting the vulnerability must be filed with the IRB Registry.

7.4     Le conseil d’une personne qui souhaite être identifiée comme étant une personne vulnérable présente une demande à cet effet en vertu des Règles de la Section. La demande doit préciser la nature de la vulnérabilité, le genre d’adaptation d’ordre procédural recherché ainsi que la raison. La CISR est sensibilisée aux obstacles que peuvent créer les exigences officielles liées à la présentation de demandes dans le cas de personnes non représentées et d’autres situations; elle donne une dispense ou modifie les exigences ou les délais établis dans les Règles, au besoin. La CISR peut également agir de sa propre initiative.

7.4     Counsel for a person who wishes to be identified as a vulnerable person must make an application under the Rules of the Division. The application must specify the nature of the vulnerability, the type of procedural accommodations sought and the rationale for the particular accommodations. The IRB will be sensitive to the barriers that may be created by the formal requirements related to making applications in the case of unrepresented persons and other situations and will waive or modify the requirements or time limits set out in the Rules, as appropriate. The IRB may also act on its own initiative.

 

 

 

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[10]      La seule question en litige est celle de savoir si le tribunal a correctement appliqué ces Directives.

 

[11]      Selon les arrêts Hernandez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 106, au paragraphe 12, et Sharma c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 908, aux paragraphes 14 à 16, la norme de contrôle applicable à une telle question, à savoir l’application des Directives, est celle de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale.

 

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[12]      Le demandeur plaide que le tribunal n’a pas correctement appliqué les Directives en l’espèce et donc que sa décision devrait être cassée. L’avocat du demandeur soumet, sans être spécifique, que son client montrait tous les signes d’une personne vulnérable, atteinte mentalement, qui ne pouvait témoigner sereinement. L’avocat soutient que le tribunal aurait dû alors suggérer la remise de l’audience afin de procéder à une évaluation psychologique du demandeur en conformité avec les Directives, ajoutant que le tribunal a erré en ne faisant pas mention de celles-ci.

 

[13]      Pour sa part, le défendeur plaide en premier lieu que le demandeur ne conteste aucunement les conclusions auxquelles la SPR en est arrivée, ni les faits et éléments à la base de celles-ci. Sur ce point, je ne suis pas d’accord puisque le demandeur allègue que l’équité procédurale n’a pas été observée en ce qui concerne le témoignage du demandeur sur lequel la décision est basée. À mon avis il est implicite que le demandeur s’attaque aux conclusions fondées sur ce témoignage qu’il considère affecté par l’iniquité de la procédure.

 

[14]      Le défendeur soutient ensuite que les allégations du demandeur sont gratuites et beaucoup trop générales. Il soumet que le simple fait d’être analphabète ne fait pas du demandeur une personne « vulnérable » et que de toute façon le tribunal a explicitement pris en compte l’analphabétisme du demandeur en lui expliquant clairement le processus.

 

[15]      Le défendeur ajoute que si le demandeur avait des difficultés, outre son analphabétisme, qui auraient fait de lui une personne vulnérable, il incombait à son conseil de demander la remise de l’audience pour lui faire subir un examen psychologique. Le défendeur cite notamment les paragraphes 7.3 et 7.4 des Directives qui notent que le conseil du demandeur est le mieux placé pour porter sa vulnérabilité à l’attention du tribunal et qu’il devrait le faire le plus rapidement possible. Le paragraphe 7.4 précise que le conseil du demandeur devrait alors présenter une demande en vertu des Règles de la SPR, précisant la nature de la vulnérabilité ainsi que le genre d’adaptation d’ordre procédural recherché et la rationalité de celle-ci. Le défendeur note que l’avocat du demandeur, qui le représentait pendant plusieurs mois avant l’audience, ne mentionne pas avoir fait une telle demande, alors que c’est lui qui connaissait mieux l’analphabétisme et la capacité mentale de son client.

 

[16]      Le défendeur note en outre qu’il ressort des motifs que malgré l’absence d’une telle demande de la part du demandeur, le tribunal a considéré sa situation personnelle, à savoir son analphabétisme et les difficultés qu’il a eues lors de la première audience. Le défendeur soumet enfin que la procédure suivie a amplement permis au demandeur de présenter son histoire et de fournir des explications, et ce dernier n’indiquant d’aucune façon comment il aurait été empêché de le faire.

 

[17]      Je suis d’accord avec le défendeur sur ces autres points, compte tenu notamment de la transcription de l’audience devant le tribunal. Il ressort en outre des motifs du tribunal que celui-ci était sensible aux limites du demandeur lors de l’audience et qu’il a cherché à prendre en compte ses difficultés. Bien que les Directives notent que le tribunal peut soulever la question de la vulnérabilité de son propre chef, il est clair que les mêmes Directives font reposer la plus grande part de ce fardeau sur le conseil du demandeur, lequel, en l’espèce, n’a rien fait à l’époque pour attirer la question de la capacité mentale du demandeur à l’attention du tribunal. Le tribunal ne semblant avoir rien remarqué d’anormal au sujet de l’état mental du demandeur, il incombait alors au conseil de ce dernier d’invoquer les Directives, ce qu’il n’a pas fait. À mon avis, il n’y a aucune erreur en l’espèce et le tribunal a agi correctement.

 

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[18]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[19]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 26 mars 2010 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2214-10

 

INTITULÉ :                                       DILANO GILLES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luc R. Desmarais                          POUR LE DEMANDEUR

 

Me Isabelle Brochu                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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