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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110106

Dossier : IMM-2411-10

Référence : 2011 CF 6

Ottawa (Ontario), ce 6e jour de janvier 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

WILNER JOACHIM

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) par Wilner Joachim (le demandeur). Le tribunal a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[2]          Le demandeur est un citoyen d’Haïti, âgé de 65 ans. Depuis 29 ans, il travaille en tant que chauffeur de camion pour l’organisation non-gouvernementale Service Chrétien d’Haïti, chargé de la livraison de marchandises à l’aide de la région sinistrée de Gonaïves. Sa femme, actuellement en Haïti, est commerçante. Toutes ses relations sont témoins de Jéhovah.

 

[3]          Le demandeur allègue avoir été agressé à deux reprises lorsqu’il conduisait son camion et une fois de plus lorsqu’il attendait un autobus. Chaque fois les malfaiteurs auraient été différents et l’auraient battu et volé. Il prétend qu’il a été agressé la première fois parce qu’il transportait des marchandises, les malfaiteurs s’étant emparés de ces dernières. Lors du deuxième incident, les agresseurs l’auraient identifié comme l’époux d’une commerçante qui avait refusé de verser une rançon. Lors de l’incident, près de l’arrêt d’autobus, les malfaiteurs lui auraient volé son portefeuille.

 

[4]          Dans sa revendication du statut de réfugié, le demandeur avait déclaré être ciblé à cause de ses opinions politiques. Lors de l’audience devant le tribunal, toutes les parties semblent s’être accordées sur le fait que le demandeur n’avait jamais fait de politique puisque sa religion ne le tolère pas, et ainsi que cette partie de la demande n’était plus pertinente.

 

[5]          Le demandeur allègue qu’il ne connaissait aucun des bandits et ne saurait les identifier, mais qu’ils étaient des personnes qu’on appelait, il y a un certain temps, les Chimères ou les Zinglindos.

 

[6]          Le patron du demandeur lui aurait dit qu’il ne pouvait pas le protéger. Le demandeur est arrivé au Canada le 9 mai 2007 et a revendiqué le statut de réfugié le 24 mai 2007.

[7]          Le tribunal a noté que le demandeur a déclaré ne pas avoir été ciblé pour des opinions politiques qu’il aurait exprimées ou qui lui auraient été imputées. Ainsi, le tribunal a trouvé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de l’article 96 de la Loi.

 

[8]          Par ailleurs, en regard de l’article 97 de la Loi, le tribunal a noté que le demandeur a témoigné qu’il existe en Haïti un désordre tel que tout le monde faisait n’importe quoi. Le tribunal a considéré qu’au cours du vol de son portefeuille, et au moins une fois lors du vol de son camion, les bandits auraient identifié le demandeur non comme un chauffeur de camion pour une organisation non-gouvernementale, mais bien comme une personne qui tenait un commerce et qui refusait de verser les rançons qu’on lui réclamait. Le tribunal a ainsi conclu que le demandeur n’était pas persécuté à cause de son emploi. Le tribunal a trouvé que le risque allégué était un risque aléatoire auquel, selon les propres dires du demandeur, font face indistinctement et de manière générale toute la population haïtienne. Le tribunal a conclu que le demandeur ne s’était pas déchargé du fardeau de démontrer qu’il était visé personnellement et que le risque auquel il dit faire face différait de celui des autres personnes vivant dans son pays. Le tribunal a donc trouvé que l’exception au sous-alinéa 97(1)b)(ii) s’appliquait, et que le demandeur n’était pas une personne à protéger.

 

[9]          À l’origine, le demandeur a soulevé deux questions, dans cette affaire :

a)      La décision est-elle suffisamment motivée au sujet de l’article 97 de la Loi?

b)      La décision est-elle déraisonnable ?

 

 

 

[10]      À l’audition devant moi, le procureur du demandeur a abandonné le premier moyen, reconnaissant que l’application de l’article 97 avait bel et bien été motivée. Toutefois, le procureur a indiqué toujours s’en prendre au caractère raisonnable de la décision. À cet égard, dans l’arrêt Innocent c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1019, le juge Robert Mainville a, au paragraphe 36, fait le bilan de la jurisprudence au sujet du sous-alinéa 97(1)b)(ii) et trouvé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

 

[11]      Le demandeur plaide fondamentalement qu’il a témoigné avoir été ciblé en raison de l’emploi qu’il occupait à l’époque, à savoir chauffeur de camion pour une organisation non-gouvernementale. Il allègue avoir démontré qu’il était ainsi personnellement visé par ses agresseurs.

 

[12]      Le défendeur, pour sa part, soumet, et je suis d’accord, que le demandeur erre à cet égard, vu les extraits pertinents suivants de la transcription de l’audience :

Q : Alors pour quelles raisons ces gens vous ont-ils arrêté sur ces routes-là?

R : Le problème politique était tellement terrible à ce moment-là, donc les gens surveillaient les passants qui passaient. Et ils vous arrêtent et ils prennent qu’est-ce qu’ils veulent puis ils vous battent. [Dossier du tribunal, page 197.]

 

Q : Est-ce que c’est des gens qui vous recherchaient vous personnellement?

R : Non. [. . .] [Dossier du tribunal, page 197.]

 

Q : Alors. Et pourquoi dites-vous que vous étiez persécuté ou que vous pourriez être persécuté à cause de vos opinions politiques?

R : Non, je n’ai pas dit qu’on me persécutait parce que j’avais des opinions politiques. Moi j’ai pensé que c’était les gens qui nous persécutaient parce que ma femme avait un commerce. Et quand ils venaient chercher de l’argent, ils n’en – les gens n’en trouvaient pas. [Dossier du tribunal, page 199.]

 

Q : Bon. On va y aller étape par étape. Quand ils vous ont attaqué sur la route, il s’agissait de quoi pour vous?

R : Étant donné que je savais que le pays était en bouleverse, je ne pensais pas qu’on me cherchait précisément. J’ai pensé à une foule qui m’attaque et qui ont pris ce qu’ils voulaient avoir. [. . .]

Q : D’accord. Donc pour vous, si je comprends bien ce que vous m’expliquez, ces individus voulaient s’accaparer les marchandises que vous transportiez.

R : Oui, oui. [Dossier du tribunal, pages 199-200.]

 

Q : Vous avez dit, quand vous êtes arrivé ici, aux agents de l’immigration, que vous avez peur des Chimères et des Zinglindos.

R : Oui.

Q : C’est bien ça?

R : Oui. Parce qu’à l’époque c’était les Chimères et les Zinglindos.

Q : Mais aujourd’hui, qui craignez-vous? Est-ce que…

R : En 2010, je ne sais pas, mais ces groupes-là fonctionnent toujours. [Dossier du tribunal, page 203.]

 

 

 

[13]      Le défendeur soutient que ces extraits démontrent que les attaques subies par le demandeur ne le ciblaient pas personnellement et donc que les bandits avaient choisi le demandeur indistinctement pour le voler. Le défendeur ajoute que rien dans le témoignage du demandeur ne suggère qu’il aurait était visé particulièrement à cause de son lien avec l’organisation non-gouvernementale. Je suis d’accord. Les malfaiteurs n’étaient pas toujours les mêmes et le demandeur a témoigné lors de l’audience qu’il « ne pensait pas qu’on [le] cherchait précisément ».

 

[14]      Or, les deux arrêts suivants de cette Cour soutiennent la conclusion du tribunal à l’effet que le risque visé par le paragraphe 97(1) de la Loi doit être personnalisé et que les victimes indistinctes de crimes ne peuvent pas être reconnues comme personnes à protéger : Lozandier c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 770, aux paragraphes 21 et 22 et Prophète c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 331, aux paragraphes 22 et 23. Dans ce dernier arrêt, la juge Danièle Tremblay-Lamer s’est exprimée ainsi sur la question :

[23]     Compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour, je suis d’avis que le demandeur n’est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d’Haïti. Le risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. [. . .]

 

 

 

[15]      Le tribunal en est arrivé à une conclusion semblable en l’espèce. Je trouve qu’en raison de son propre témoignage, le demandeur n’a pas démontré en quoi cette conclusion est déraisonnable.

 

[16]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[17]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 6 avril 2010 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2411-10

 

INTITULÉ :                                       WILNER JOACHIM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luc R. Desmarais                          POUR LE DEMANDEUR

 

Me Alain Langlois                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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