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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110106

Dossier : IMM-2418-10

Référence : 2011 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

TEODORO PEREZ

LILIANA AIDE TORRES VERGARA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]   Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Teodoro Perez et Liliana Aide Torres Vergara (les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision rendue par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

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[2]   Les demandeurs sont des citoyens du Mexique et sont mariés. Avant leur départ, ils vivaient à Acapulco, où le demandeur était propriétaire d’une entreprise et où la demanderesse était policière.

 

[3]   La motocyclette du demandeur a été volée en septembre 2006. Des voisins l’ont informé que les auteurs du crime étaient des pompiers de la région. Les demandeurs allèguent qu’il est bien connu à Acapulco que les pompiers ont des liens avec le crime organisé et les trafiquants de drogue. Le demandeur a déposé une plainte auprès de la police locale et a dénoncé les pompiers à leur commandant. À la fin du mois de novembre 2006, le demandeur a été interviewé à la télévision locale et a lancé un appel pour qu’on lui retourne sa motocyclette. Les demandeurs n’ont pas été en mesure de se procurer une copie originale de l’entrevue, mais ils ont reçu un synopsis signé par le reporter; le synopsis n’indique pas toutefois si le demandeur a expressément mentionné les pompiers durant l’entrevue télévisée.

 

[4]   Le demandeur allègue qu’il a par la suite reçu des appels téléphoniques menaçants de la part d’inconnus lui disant qu’ils étaient au courant de ses allées et venues, de même que de l’emplacement de son entreprise. Il affirme que l’on avait parfois aperçu des véhicules d’allure suspecte aux alentours de sa résidence. En mai 2007, des inconnus l’ont suivi depuis son travail jusqu’à son domicile.

 

[5]   Les demandeurs sont brièvement restés chez la mère de la demanderesse à Acapulco, puis ont vendu l’entreprise et ont emménagé chez le père de la demanderesse à Conchero, à trois heures de voiture d’Acapulco. Ils allèguent avoir continué à se sentir menacés là-bas.

 

[6]   La demanderesse allègue craindre d’être assassinée par des membres de groupes criminels à Acapulco, qui, selon elle, sont responsables d’un bon nombre de meurtres de policiers depuis novembre 2006, y compris celui de son partenaire qui fut tué dans une attaque à la grenade.

 

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[7]   La Commission a conclu qu’il n’y avait pas de lien avec les motifs prévus dans la Convention et que l’article 96 ne pouvait donc s’appliquer. La Commission a conclu qu’à l’exception de quelques légères exagérations, les demandeurs étaient crédibles. Le facteur déterminant était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Durango. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution, de risque d’être soumis à la torture ou de menace à leur vie, ou encore de risque de traitements ou peines cruels et inusités à Durango, et qu’il serait donc objectivement raisonnable pour les demandeurs d’y bâtir une nouvelle vie.

 

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[8]   Deux questions en litige sont soulevées dans le cadre de la présente demande, comme cela a été plaidé par les avocats des parties, qui ont aussi référé la Cour à leurs observations écrites :

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa caractérisation de l’élément central de la demande des demandeurs?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur pour les demandeurs?

 

 

 

[9]   Les demandeurs ont soulevé des points d’équité procédurale dans le cadre de la première question en litige, alléguant que la Commission avait manqué à la justice naturelle par une interprétation ou une caractérisation incorrecte des éléments centraux de leur demande, ce qui avait entraîné des conclusions erronées. D’après l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43, la norme de contrôle applicable à une question d’équité procédurale est la décision correcte.

 

[10]           La norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission quant à l’existence d’une PRI, qui est une question de fait, est la décision raisonnable, selon la décision Navarro c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 358, aux paragraphes 12 à 14.

 

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A.  La caractérisation incorrecte du fondement de la demande des demandeurs

[11]           Les demandeurs allèguent que la Commission a mal interprété le fondement de leur demande. Ils avancent que leur principale crainte n’était pas seulement due au harcèlement lié à la dénonciation du vol de la motocyclette, mais qu’ils croyaient plutôt que ce harcèlement serait un moyen pour les cartels de la drogue de tourmenter la famille d’une agente de police afin de la faire chanter par la suite pour obtenir des faveurs. Ils allèguent que la Commission n’a pas compris cela, étant donné la complexité de leur demande, et qu’il incombait à la Commission et à l’agent de la protection des réfugiés présent lors de l’audience de s’assurer qu’ils avaient tous les renseignements nécessaires à leur disposition et que le fondement central de leur demande avait bien été compris.

 

[12]           Je suis d’avis que, si les demandeurs ressentaient que la Commission n’avait pas bien compris la nature de leur demande, ils auraient dû soulever ce problème durant l’audience. Dans la décision Ayub c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1411, le juge Luc Martineau a déclaré au paragraphe 21 que « l’omission de s'opposer lors de l'audience équivaut à une renonciation implicite à tout manquement qui aurait pu survenir ». Dans l’affaire Ayub, précitée, la demanderesse alléguait aussi que la Commission n’avait pas bien compris son témoignage, mais le juge Martineau a conclu qu’en fait, « la demanderesse a[vait] eu l'entière possibilité d'expliquer sa version de l'histoire et de répondre aux questions du tribunal ». De plus, à mon avis, la transcription d’audience et le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) rempli par les demandeurs n’appuient pas leur argument. Rien ne laisse croire que le fondement de leur demande était autre chose que l’histoire de la motocyclette. Le FRP et les observations du conseil des demandeurs lors de l’audience au tribunal ne se concentrent que sur cet incident sans faire de connexion avec l’emploi de la demanderesse. De plus, il a été spécifiquement demandé à celle-ci s’il y avait un lien entre ce qui était arrivé à son époux et la crainte relative à son emploi, ce à quoi elle a répondu par la négative (dossier certifié du tribunal, page 527). Je conclus qu’il n’y a aucune preuve que la Commission a commis une erreur dans sa caractérisation de la demande et que les demandeurs auraient pu s’y opposer lors de l’audience s’ils l’avaient voulu. Enfin, cela ne l’emporterait pas sur la question relative à une possibilité de refuge intérieur.

 

B.  La possibilité de refuge intérieur

[13]           Les demandeurs allèguent qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’une possibilité de refuge intérieur existait à Durango, car il n’y avait pas de preuve à l’appui de cette conclusion. Les demandeurs invoquent la décision Barajas c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 21, dans laquelle le juge James Russell a conclu que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôlable en identifiant certaines villes comme des PRI potentielles [traduction] « sans citer aucun élément de preuve qui aurait pu établir que la situation dans ces régions métropolitaines fût qualitativement différente de celle qui caractérise Guadalajara » (paragraphe 72). Les demandeurs allèguent aussi que la Commission a démontré un manque de connaissances par rapport aux conditions et au modus operandi des cartels de la drogue au Mexique, lesquels sont, allèguent‑ils, bien connus de la plupart des Mexicains. Les demandeurs semblent objecter que la Commission a fait abstraction des éléments de preuve de corruption et de trafic de drogue à Durango tout en omettant de leur fournir des éléments qui démontreraient qu’ils y seraient en sécurité.

 

[14]           Je note que dans la décision Barajas, précitée, il y avait amplement d’éléments de preuve qui démontraient que le demandeur, qui a été battu plusieurs fois par des agents de police pour avoir dénoncé la corruption policière, a été poursuivi même lorsqu’il était au Canada, et que les membres de sa famille demeurés au Mexique ont continué à être menacés en son absence. Je suis d’avis que les faits en l’espèce se distinguent donc de ceux de l’affaire Barajas.

 

[15]           La norme pour éliminer une PRI est rigoureuse et les demandeurs doivent démontrer des conditions qui mettraient leur sécurité et leur vie en danger, d’après l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.). La protection internationale n’est offerte que si le pays d’origine du demandeur ne peut offrir une protection adéquate sur l’ensemble de son territoire, selon l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), à la page 711. En l’espèce, la Commission a explicitement reconnu que des problèmes liés au crime et à l’impunité existaient à Durango, mais que cette ville demeurait quand même une PRI viable. Les motifs de la Commission semblent démontrer que celle-ci s’est basée sur le bon sens et la rationalité, étant donné le temps qui s’était écoulé depuis l’incident et l’absence apparente d’intérêt véritable des auteurs du crime envers le demandeur pendant qu’il était encore au Mexique. La Commission n’a fait abstraction d’aucun élément de preuve, mais a plutôt apprécié les craintes des demandeurs, sans toutefois les considérer comme suffisantes pour écarter ses conclusions.

 

[16]           Le défendeur allègue que les demandeurs interprètent mal la décision lorsqu’ils objectent que la Commission n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de sa conclusion quant à l’existence d’une PRI. Le défendeur fait référence aux paragraphes 16 à 24 de la décision, qui résument les grandes lignes de la conclusion à laquelle est venue la Commission selon laquelle les agents de persécution ne poursuivraient vraisemblablement pas les demandeurs dans le futur. Je suis d’accord avec le défendeur que c’est cette conclusion qui a amené la Commission à conclure que Durango était une PRI raisonnable, malgré la présence reconnue de trafiquants de drogue et du crime organisé. Je conclus que le raisonnement de la Commission était valable : les demandeurs n’auraient vraisemblablement pas été poursuivis une fois qu’ils auraient quitté Acapulco, et donc il n’y aurait aucun danger pour eux à Durango par suite des incidents en question. Une crainte généralisée des trafiquants de drogue n’est pas une raison suffisante pour conclure qu’il y a persécution au titre de l’article 97.

 

[17]           Je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas pu dégager une erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement de la Commission à ce sujet, ni quelque élément de preuve que la Commission n’aurait pas pris en compte.

 

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[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[19]           Je suis d’accord avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2418-10

 

INTITULÉ :                                       TEODORO PEREZ, LILIANA AIDE TORRES VERGARA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 6 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrizia Ruscio                                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Simone Truong                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrizia Ruscio                                                  POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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