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Date : 20110110

Dossier : IMM-594-10

Référence : 2011 CF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

JOHN DE BRITO S. ANTHONYSAMY, THAVAMANY MANICKAM, JANE DE BRITO ET JERARD ANTHONY DE BRITO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Aperçu

 

[1]               En 2008, M. John De Brito Anthonysamy, ainsi que son épouse, Thavamany Manickam, et leurs deux enfants, Jane et Jerard, ont quitté la Malaisie pour demander l’asile au Canada. M. Anthonysamy a allégué avoir été persécuté parce qu’il faisait partie de la communauté indienne minoritaire en Malaisie. Plus particulièrement, il dit avoir été harcelé et menacé par des collègues qui travaillaient à l’hôtel où il occupait un emploi de gérant.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Anthonysamy au motif qu’il n’a pas démontré qu’il risquait d’être persécuté ou d’être gravement maltraité s’il retournait en Malaisie. De plus, la Commission a conclu que M. Anthonysamy n’avait pas présenté une suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il ne pouvait compter sur la protection de l’État malaisien.

 

[3]               M. Anthonysamy soutient que la Commission l’a traité de manière injuste et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables. Il me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal. Toutefois, je ne vois aucune raison d'annuler la décision de la Commission et je dois, par conséquent, rejeter sa demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Les points en litige sont les suivants :

 

            1. La Commission a‑t‑elle traité M. Anthonysamy de façon injuste?

            2. Les conclusions de la Commission sont‑elles déraisonnables?

 

II.     Contexte factuel

 

[5]               M. Anthonysamy et Mme Manickam sont tous deux des personnes instruites qui occupaient en Malaisie des postes de cadres. Néanmoins, M. Anthonysamy dit avoir été victime de préjugés et de discrimination dans le contexte de son emploi parce qu’il est d’origine indienne. De plus, il prétend que certains de ses collègues avaient fait courir la rumeur qu’il faisait partie d’un groupe appelé l’HINDRAF, une organisation qui se consacre à l’amélioration du sort de la population malaisienne d’origine indienne, et même peut‑être qu’il était un dirigeant du groupe. L’HINDRAF est un organisme malaisien illégal qui existe depuis 2008. M. Anthonysamy dit avoir, surtout par curiosité, participé à un seul rassemblement organisé par l’HINDRAF, mais qu’il n’était pas un membre actif du groupe. Il a toutefois reçu des appels téléphoniques chez lui, au cours desquels son interlocuteur le menaçait de révéler sa prétendue participation aux activités de l’HINDRAF. M. Anthonysamy a eu peur d’être arrêté et détenu sur la foi de ces allégations, sans preuve, sans mandat, ou sans que des accusations soient portées contre lui.

 

[6]               M. Anthonysamy a jugé la situation en Malaisie insupportable, et il a décidé de quitter le pays. Juste avant qu’il ne quitte la Malaisie avec sa famille, il a appris que les policiers le cherchaient. Sans en être certain, il a cru qu’il était recherché en raison des rumeurs concernant sa participation aux activités de l’HINDRAF. M. Anthonysamy ainsi que les membres de sa famille ont sans difficulté obtenu des passeports, et ils ont quitté la Malaisie sans encombre.

 

III.   La décision de la Commission

 

[7]               La Commission a souligné qu’en Malaisie la population majoritaire fait preuve de discrimination à l’égard des Malaisiens d’origine indienne. Toutefois, elle a aussi conclu que M. Anthonysamy et son épouse, malgré les obstacles auxquels ils se heurtaient, avaient connu beaucoup de succès dans leurs carrières respectives.

 

[8]               Pour ce qui est des menaces reçues par téléphone, la Commission a relevé que M. Anthonysamy ne savait pas qui était à l’origine des appels en question, mais qu’il soupçonnait ses collègues de travail. Quoi qu’il en soit, la Commission était d'avis que les appels téléphoniques ne constituaient pas, à eux seuls, de la persécution. De plus, M. Anthonysamy n’a pas signalé aux autorités policières qu’il recevait des menaces, estimant qu’elles ne l’auraient sans doute pas cru en raison de son origine ethnique. Bref, il n’a d’aucune façon tenté d’obtenir la protection de l’État.

 

[9]               La Commission a en outre conclu que la police n’était pas à la recherche de M. Anthonysamy. Dans son exposé écrit des faits, M. Anthonysamy n’a fait mention d’aucun problème avec les autorités policières. La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Anthonysamy ait soulevé l’allégation en question pour la première fois lors de l’audience. De plus, rien ne permettait de penser qu'il était recherché en vue d’être arrêté. Les policiers semblent n’avoir aucunement indiqué pourquoi ils souhaitaient lui parler. Ils ne se sont pas rendus chez lui. La Commission doutait que M. Anthonysamy ait été recherché par la police simplement parce qu’il avait participé à un rassemblement organisé par l’HINDRAF – où se trouvaient plus de 2000 autres participants – plus d’un an auparavant.

 

(1)  La Commission a‑t‑elle traité M. Anthonysamy de façon injuste?

 

[10]           M. Anthonysamy soutient que la Commission l’a traité de façon injuste en s’appuyant sur ses connaissances spécialisées et qu’elle n’a pas correctement évalué sa crédibilité.

 

[11]           En ce qui concerne les connaissances spécialisées de la Commission, M. Anthonysamy souligne que cette dernière a conclu qu’il n’était guère vraisemblable que la police soit à sa recherche étant donné qu’il a été en mesure d’obtenir un passeport sans difficulté. Comme aucune preuve n’a été soumise à la Commission concernant les pratiques et procédures appliquées en Malaisie à l’égard des personnes qui quittent le pays, M. Anthonysamy affirme que la Commission s’est nécessairement appuyée sur ses connaissances spécialisées. Si tel est le cas, elle devait en informer M. Anthonysamy et lui fournir l’occasion de répondre (art. 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés).

 

[12]           Selon moi, la Commission ne s’appuyait pas sur ses connaissances spécialisées lorsqu’elle a fait remarquer que M. Anthonysamy, accompagné des membres de sa famille, a quitté le pays sans problème après avoir appris que la police était à sa recherche. Cet énoncé, qui était factuellement exact, a joué un rôle limité dans l’analyse de la Commission. La Commission ne semble pas avoir tiré de cette affirmation des inférences importantes, qui auraient pu nécessiter qu’elle s’appuie sur ses connaissances spécialisées. Il s’agit seulement de l’un des nombreux faits qu’elle a pris en compte pour arriver à sa conclusion ultime.

 

[13]           Pour ce qui est de ses conclusions portant sur la crédibilité, la Commission a conclu que le témoignage de M. Anthonysamy était vague à certains égards. Elle a aussi tiré une inférence du fait que M. Anthonysamy n’ait pas indiqué dans son exposé écrit des faits que la police était à sa recherche. La Commission a jugé que le témoignage de M. Anthonysamy était « vague » sous deux aspects : sa peur d’être mis en prison par la police et le fait que ses collègues de travail soient au courant qu’il était recherché. M. Anthonysamy soutient que, bien qu’il se soit nécessairement appuyé sur des renseignements provenant de tiers, notamment ses collègues de travail à l’hôtel, son témoignage était clair.

 

[14]           Considérant l’ensemble de sa décision, j’estime que la Commission a dit du témoignage de M. Anthonysamy qu’il était « vague » parce qu’elle estimait que les sources de la persécution ainsi que la forme de persécution que disait craindre M. Anthonysamy n’étaient pas claires. Il n’était peut‑être pas sage que la Commission associe le caractère incertain de la preuve à une conclusion négative en matière de crédibilité. En d’autres termes, les imprécisions dans le témoignage de M. Anthonysamy ne devaient pas permettre de penser qu’il était évasif ou mensonger. En fait, le témoignage relatif à la persécution était tout simplement faible. Il s’appuyait sur du ouï‑dire ainsi que des hypothèses et des inférences émises par M. Anthonysamy, plutôt que de constituer une preuve directe. Par conséquent, je conclus que la Commission décrit de façon appropriée le témoignage de M. Anthonysamy. Toutefois, elle aurait pu faire preuve de plus de rigueur dans son évaluation de sa crédibilité à certains égards. Un témoignage faible ne saurait être assimilé à un témoignage mensonger.

 

[15]           Par contraste, en ce qui a trait au fait que M. Anthonysamy n’ait aucunement mentionné dans son exposé écrit des faits qu’il était recherché par la police, l’inférence négative de la Commission était manifestement justifiée. M. Anthonysamy souligne qu’il n’était pas représenté par avocat lorsqu’il a préparé son exposé, mais la conclusion de la Commission – selon laquelle une personne instruite, même sans formation juridique, aurait su qu’il était important que M. Anthonysamy mentionne dans sa demande écrite d’asile la principale raison l’ayant conduit à fuir la Malaisie – n’était pas déraisonnable; la conclusion défavorable de la Commission en matière de crédibilité était donc raisonnable.

(2)     Les conclusions de la Commission sont‑elles déraisonnables?

 

[16]           M. Anthonysamy fait valoir que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables parce qu’elle a omis de se référer à certains éléments de preuve documentaire qu’il juge importants et qui corroboraient sa thèse. De plus, il soutient que la Commission n’a pas considéré l’ensemble du contexte factuel, de sorte qu’elle a conclu de façon déraisonnable que sa crainte de persécution n’était pas justifiée dans les circonstances.

 

[17]           De plus, selon M. Anthonysamy, la Commission a commis une importante erreur en concluant qu’il a fait l’objet de menaces par téléphone trois à cinq fois alors qu’il ressort de son témoignage qu’il a reçu de trois à cinq appels de cette nature par jour.

 

[18]           La preuve documentaire à laquelle se réfère M. Anthonysamy montre que les arrestations arbitraires sont choses courantes sous le régime de la loi malaisienne portant sur la sécurité intérieure, que des personnes qui participaient aux activités de l’HINDRAF ont été arrêtées en vertu de cette loi, et que la police malaisienne est inefficace et à l’origine de violations des droits de la personne.

 

[19]           J’estime que ces éléments de preuve auraient pu corroborer l’essentiel de la thèse de M. Anthonysamy s’il avait été en mesure de fournir une preuve fiable montrant que la police malaisienne était effectivement à sa recherche en raison de liens avec l’HINDRAF. Faute de preuve à cet égard, la preuve documentaire ne l’a pas aidé. Il n’était donc pas déraisonnable que la Commission n’y fasse pas référence.

 

[20]           La Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne le nombre d’appels de menaces qu’aurait reçu M. Anthonysamy. Sur ce sujet, son témoignage n’était pas clair. Il a peut-être reçu de trois à cinq appels certains jours, mais il n’a pas dit que cela se produisait tous les jours. 

 

IV.  Conclusion et décision

 

[21]           Je n’ai aucune raison de conclure que M. Anthonysamy a été traité de façon injuste par la Commission ou que la Commission est arrivée à des conclusions déraisonnables en ce qui concerne sa demande d’asile. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question de portée générale n’est formulée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM-594-10

 

RÉFÉRENCE :                                              JOHN DE BRITO S. ANTHONYSAMY ET AL. c.

                                                                        MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 3 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT :                             Le 10 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LES DEMANDEURS

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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