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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 


Date : 20101217

Dossier : IMM-6931-10

Référence : 2010 CF 1301

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

DOLORES ADRIANA ESPIDIO GOMEZ VALERIA ALAENTZI MARTINEZ ESPIDIO DIEGO EMILIANO MARTINEZ ESPIDIO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE

LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défenderesse

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

[1]               [18]      [...] il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé. (La Cour souligne).

 

TRADUCTION:

 

[18]      What is in issue … is the extent to which the granting of stays might become a practice which thwarts the efficient operation of the immigration legislation. It is well known that the present procedures were put in place because a practice had grown up in which many cases, totally devoid of merit, were initiated in the court, indeed were clogging the court, for the sole purpose of buying the appellants further time in Canada. There is a public interest in having a system which operates in an efficient, expeditious and fair manner and which, to the greatest extent possible, does not lend itself to abusive practices. This is the public interest which in my view must be weighed against the potential harm to the applicant if a stay is not granted.

 

(Membreno-Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 CF 306, 55 FTR 104).

 

[2]               Le juge Barbara Reed, dans l'affaire Membreno-Garcia, ci-dessus, a élaboré ses propos en matière de sursis en expliquant l'intérêt public à cet égard. Il est essentiel de prendre en considération dans un système de séparation des pouvoirs qu’il existe trois branches de gouvernement. C’est-à-dire, le législateur légifère, la branche exécutive exécute et c’est à la branche judiciaire que d’interpréter la Loi selon l’intention du législateur. C’est que de cette façon que la suprématie constitutionnelle a été conçue où chaque branche de gouvernement a un devoir solennel à la suprématie constitutionnelle d’où découle la séparation des pouvoirs.

 

 

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Le 13 décembre 2010, les demandeurs ont signifié aux défendeurs une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi émise à leur encontre.

 

[4]               Cette requête en sursis est rattachée à une Demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire (DACJ) visant la décision d’un agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR), rendue le 30 août 2010, et selon laquelle les demandeurs n’ont pas démontré que des considérations humanitaires justifiaient que leur soit accordée la permission de rester au Canada pour faire le dépôt de leur demande de résidence permanente.

 

[5]               Le départ des demandeurs est prévu pour le 21 décembre 2010 à 5h15 vers le Mexique.

 

III.  Faits

[6]               À moins d’indication contraire, les faits suivants émanent du résumé fait par l’agent d’ERAR dans sa décision datée du 30 août 2010.

 

[7]               La demanderesse principale, madame Dolores Adriana Espidio Gomez, et ses deux enfants mineurs sont citoyens du Mexique. Ils sont arrivés au Canada le 1er mai 2007 et ont demandé l’asile le jour même.

 

[8]               Le 9 février 2009, la demande d’asile a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), au motif que les demandeurs ne se sont pas prévalus de la protection que l’État mexicain pouvait leur offrir.

[9]               Les demandeurs ont ensuite déposé une DACJ de la décision de la CISR. Cette demande a été rejetée le 3 juin 2009 par le juge Yves de Montigny de cette Cour.

 

[10]           Le 5 novembre 2009, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations humanitaires (CH).

 

[11]           Le 16 décembre 2009, les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

 

[12]           Le 29 décembre 2009, ils ont déposé des prétentions écrites supplémentaires à l’appui de leur demande d’ERAR.

 

[13]           Le 23 août 2010, la demande d’ERAR a été rejetée.

 

[14]           Le 30 août 2010, la demande CH a été rejetée.

 

[15]           Le 19 novembre 2010, les décisions CH et ERAR négatives ont été remises en mains propres à la demanderesse principale.

 

[16]           Le 25 novembre 2010, les demandeurs ont déposé à la Cour fédérale une DACJ à l'encontre de chacune des décisions CH et ERAR négatives.

 

[17]           La DACJ à l’encontre de la décision CH est sous-jacente à la présente requête.

[18]           Le 29 novembre 2010, un agent de renvoi a remis aux demandeurs l’ordre de quitter le Canada. Ils doivent quitter le pays le 21 décembre 2010.

 

IV.  Point en litige

[19]           Les demandeurs ont-ils démontré avoir rencontré les trois critères de l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 11 ACWS (3d) 440 (CAF) leur permettant d’obtenir le sursis judiciaire de l'exécution de la mesure de renvoi les visant?

 

Test applicable

[20]           Pour obtenir un sursis judiciaire de l’exécution de la mesure de renvoi, un demandeur doit démontrer qu’il satisfait les trois éléments suivants :

                                                               i.      l’existence d’une question sérieuse;

 

                                                             ii.      l’existence d’un préjudice irréparable; et

 

                                                            iii.      l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

(Toth, ci-dessus).

 

V.  Analyse

[21]           Selon la position des défendeurs avec laquelle cette Cour est entièrement d’accord, la présente requête ne satisfait pas au test établi dans l’arrêt Toth. Plus particulièrement, les demandeurs n’ont démontré aucune question sérieuse à l’égard de leur DACJ sous-jacente et n’ont pas présenté une preuve crédible du préjudice irréparable qui les attend dans leur pays d’origine.

 

 

A.  Question sérieuse

[22]           En l’espèce, la DACJ des demandeurs ne soulève aucune question sérieuse. En effet, la décision CH à l’origine de la DACJ est tout à fait raisonnable et fondée sur la preuve qui a été soumise à l’agent.

 

[23]           Pour satisfaire au critère de la question sérieuse, les demandeurs devaient démontrer l’existence d’une question ayant des « chances raisonnables de réussite » relativement au recours à laquelle est greffée leur requête en sursis (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 658, [2009] ACF no 824 (QL/Lexis) au par 18).

 

[24]           En vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, une personne qui désire immigrer au Canada doit déposer une demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada.

 

[25]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit toutefois que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de faciliter l'admission d'une personne au Canada, ou de l'exempter de tout critère ou obligation prévue par la LIPR, s'il est convaincu qu'une telle exemption ou facilitation devrait être accordée en raison de l'existence de CH.

 

[26]           Comme l’a écrit le juge de Montigny concernant l’affaire Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 ACWS (3d) 1057:

[20]      L’une des pierres angulaires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir de manière permanente au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la Loi donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure se veut clairement une mesure d’exception, comme l’indique le libellé de cette disposition [...] (La Cour souligne).

 

[27]           Le processus décisionnel concernant les demandes CH est exceptionnel et discrétionnaire et sert seulement à déterminer si l'octroi d'une exemption est justifié De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868 (QL/Lexis) au par 15

 

[28]           Il revenait aux demandeurs de prouver que les difficultés auxquelles ils feraient face, s’ils devaient déposer leur demande de résidence permanente de l'extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives, critère adopté par la Cour d’appel fédérale (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 858, [2002] 4 CF 358 (CAF) au par 23).

 

[29]           Le Guide IP5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, préparé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, contient des lignes directrices sur le sens qu’il convient de donner aux motifs d’ordre humanitaire :

5.6. Évaluation des difficultés

 

L’évaluation des difficultés dans une demande CH est un moyen pour les décideurs de CIC de déterminer s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi de la dispense demandée.

 

Quand on détermine les difficultés auxquelles un demandeur s’expose, il faut examiner les circonstances d’ordre humanitaire qu’il fait valoir globalement et non isolément. En d’autres mots, les difficultés sont évaluées en soupesant ensemble toutes les circonstances d’ordre humanitaire soumises par le demandeur.

 

 

 

Difficultés inhabituelles et injustifiées

 

Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, inhabituelles. En d’autres mots, il s’agit de difficultés non prévues à la Loi ou au Règlement;

 

et

 

Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté.

 

OU

 

Difficultés démesurées

 

Il peut aussi exister des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes dans des cas où les difficultés entraînées par le refus de la dispense ne seraient pas considérées comme « inhabituelles et injustifiées », mais auraient des répercussions déraisonnables sur le demandeur en raison de sa situation personnelle.

 

(La Cour souligne).

5.6. The assessment of hardship

The assessment of hardship in an H&C application is a means by which CIC decisionmakers may determine whether there are sufficient H&C grounds to justify granting the requested exemption(s).

 

 

Individual H&C factors put forward by the applicant should not be considered in isolation when determining the hardship that an applicant would face; rather, hardship is determined as a result of a global assessment of H&C considerations put forth by the applicant. In other words, hardship is assessed by weighing together all of the H&C considerations submitted by the applicant.

 

Unusual and undeserved hardship

 

The hardship faced by the applicant (if they were not granted the requested exemption) would be, in most cases, unusual. In other words, a hardship not anticipated by the Act or Regulations;

 

 

and

 

The hardship faced by the applicant (if they were not granted the requested exemption) would be, in most cases, the result of circumstances beyond the person’s control.

 

OR

 

Disproportionate hardship

 

Sufficient humanitarian and compassionate grounds may also exist in cases that would not meet the “unusual and undeserved” criteria but where the hardship of not being granted the requested exemption(s) would have an unreasonable impact on the applicant due to their personal circumstances.

 

[30]           La norme de contrôle applicable aux demandes CH est la norme de la décision raisonnable:

La norme de contrôle judiciaire

 

[7]        La norme applicable à une décision portant sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris l’examen de l’intérêt supérieur d’un enfant, est la raisonnabilité, car de nombreuses conclusions portent sur des questions mixtes de fait et de droit et elles sont de nature hautement discrétionnaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Markis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, 71 Imm. L.R. (3d) 237, paragraphes 20 et 21; Laban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 661, [2008] A.C.F. no 819, paragraphes 13 et 14). Quant à la question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère, il a été conclu qu’il s’agissait d’une question de droit et que la norme de contrôle applicable était donc la décision correcte (Markis, paragraphe 19). (La Cour souligne).

 

(Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677, [2010] ACF no 805 (QL/Lexis) au par 7; également, Medina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 504, [2010] ACF no 611 (QL/Lexis) aux par. 22-23).

 

[31]           En l’espèce, il est manifeste que les demandeurs n’ont pas démontré que la DACJ soulevait une quelconque question sérieuse.

 

[32]           Tout d’abord, il est bon de rappeler que le dépôt d’une demande de résidence permanente à partir du pays d’origine des demandeurs est une situation prévue par la LIPR et n’est donc pas une situation que l’on peut qualifier d’inhabituelle ni d’injustifiée. L’agent d’ERAR devait donc déterminer si les circonstances poseraient des difficultés démesurées sur les demandeurs s’ils devaient retourner dans leur pays y déposer leur demande de résidence permanente.

[33]           En ce qui concerne l’établissement des demandeurs au Canada, et contrairement à ce qu’ils affirment dans leur mémoire, l’agent d’ERAR a bien considéré leur degré d’établissement au Canada dans sa prise de décision.

 

[34]           Toutefois, l’agent d’ERAR a déterminé que leur degré d’établissement ne justifiait pas une exemption à leur obligation légale de déposer leur demande de résidence permanente à partir du Mexique.

 

[35]           En effet, la demanderesse et ses enfants sont au pays depuis seulement trois ans et demi. Pendant cette période, la demanderesse a seulement travaillé quelques mois, et l’examen de son dossier par l’agent d’ERAR fait douter sérieusement de la légalité de ses activités.

 

[36]           Ainsi, la demanderesse a dit travailler depuis juillet 2009, alors qu’elle ne possédait pas encore de permis de travail. Au surplus, elle aurait reçu des prestations d’aide sociale jusqu’au 31 juillet 2010 alors même qu’elle occupait vraisemblablement un emploi.

 

[37]           Finalement, ses actifs sont minimes et son compte bancaire est à zéro. De plus, même si la demanderesse dit avoir un frère et une cousine au Canada, elle n’a fourni aucune preuve démontrant que leur présence ici allait lui causer des difficultés démesurées si elle devait possiblement se séparer d’eux.

 

[38]           Conséquemment, il est manifeste que l’agent d’ERAR a examiné en détail la situation des demandeurs. Ses conclusions, fondées sur la preuve devant lui, étaient tout à fait raisonnables. Il n’y a aucun doute que l’établissement des demandeurs au Canada n’est pas de nature à leur causer des difficultés démesurées advenant leur retour au Mexique.

 

[39]           Les demandeurs ne disent nulle part quels éléments auraient pu être ignorés par l’agent d’ERAR; ils se bornent à une seule allégation générale et dénuée de fondement, clairement insuffisante pour faire la démonstration qu’ils cherchent à faire.

 

[40]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, une simple lecture de la décision permet de constater que l’agent d’ERAR a bien examiné leur situation et a soupesé l’impact qu’aurait un renvoi au Mexique sur eux.

 

[41]           Ainsi, l’agent d’ERAR a déterminé que les enfants étaient encore relativement jeunes et qu’ils se trouvaient au Canada depuis peu de temps. En particulier, l’agent d’ERAR a souligné que les deux enfants avaient passé la majeure partie de leur vie au Mexique.

 

[42]           De plus, l’agent d’ERAR s’est penché sur les allégations de la demanderesse principale à l’effet que ses enfants souffriraient de malnutrition et n’auraient pas accès à des soins de santé adéquats s’ils devaient retourner au Mexique; toutefois, l’agent a noté qu’elle n’avait déposé aucune preuve à cet effet, et souligne dans sa décision que les enfants ne souffraient d’aucun problème médical pendant le temps passé au Mexique. En fait, en l’absence de preuve, la Cour ne peut seulement comprendre que les enfants de la demanderesse sont en excellente santé et qu’il n’y a aucune contre-indication médicale à leur voyage et leur retour dans leur pays.

 

[43]           Les vagues allégations des demandeurs à l’effet que l’intérêt des enfants n’a pas été considéré dans la décision sont dénuées de tout fondement. Tout indique que l’agent d’ERAR s’est montré « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt des enfants (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au par 75), mais a néanmoins déterminé avec raison que leur situation n’avait rien d’exceptionnel et ne justifiait pas une exemption à leur obligation de retourner dans leur pays d’origine pour y déposer leur demande.

 

[44]           Les demandeurs n’identifient pas d’autre question sérieuse que la décision sous-jacente aurait pu soulever. La décision était tout à fait raisonnable et ne justifie d’aucune façon l’octroi d’un sursis judiciaire. Puisque la décision ne soulève aucune question sérieuse, la requête des demandeurs devrait par conséquent être rejetée.

 

[45]           Néanmoins, la Cour est aussi d’avis que les demandeurs ne font face à aucun préjudice de nature irréparable advenant leur retour dans leur pays d’origine.

 

B.  Préjudice irréparable

[46]           Les risques allégués par les demandeurs sont les suivants :

a)      risque de torture psychologique du fait que le père des enfants mineurs pourrait demander et/ou obtenir la garde légale de ceux-ci;

b)      risque de maladie, de malnutrition et de danger pour les enfants du fait qu’ils n’obtiendraient pas les mêmes soins et/ou niveau d’éducation au Mexique par rapport au Canada;

c)      demande de contrôle judiciaire rendue théorique suite au renvoi des demandeurs.

[47]           Il est à noter que les demandeurs ne font pas dans leur requête d’allégation de risque de violence physique de la part de l’ex-conjoint.

 

[48]           De plus, la CISR a constaté qu’au moment de l’audience le 5 décembre 2008, la demanderesse principale ne craignait pas la violence physique de son mari pour elle-même advenant son retour au Mexique. Elle a aussi déclaré que son ex-conjoint n’avait jamais été violent avec les enfants.

 

[49]           La CISR a noté ces importantes admissions de la demanderesse principale, mais a d’autant plus déterminé que même dans le cas où il y aurait de la violence de la part de l’ex-conjoint, les demandeurs auraient la protection du Mexique à leur disposition. Cette décision a été maintenue par cette Cour.

 

[50]           Ces conclusions ont été suivies tant dans la décision d’ERAR que dans la décision CH qui ont toutes deux confirmé l’absence de risque des demandeurs.

 

[51]           La CISR a noté que la crainte de la demanderesse principale était plutôt de perdre la garde légale de ses enfants advenant son retour au Mexique.

 

[52]           Dans les demandes d’ERAR, CH et au stade de la présente demande de sursis, les demandeurs allèguent que l’ex-conjoint pourrait décider de demander et pourrait peut-être obtenir la garde de ses enfants, entraînant un préjudice irréparable.

 

[53]           Les demandeurs n’ont soumis aucune preuve démontrant le préjudice irréparable pouvant être causé par un changement de garde. La demanderesse principale se contente d’alléguer qu’il s’agirait de « torture psychologique » advenant que son ex-conjoint demande et obtienne la garde des enfants. Elle n’a déposé aucune preuve pour soutenir une telle allégation. Ce que craint la demanderesse principale est une mesure légale, soit la détermination de la garde des enfants.

 

[54]           La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l’affaire Kerrutt c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 FTR 93, 32 ACWS (3d) 621 comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité.

 

[55]           Cette décision a été suivie dans l’affaire Calderon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 92 FTR 107, 54 ACWS (3d) 316 dans laquelle elle y mentionnait ce qui suit relativement à la définition du préjudice irréparable établi dans Kerrutt, ci-dessus :

[22]      [...] Le critère est très exigeant et j'admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c'est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ.

 

[56]           Dans le contexte où la demanderesse principale a admis qu’elle ne craint ni pour sa sécurité physique ni pour celle de ses enfants, les critères de Kerrutt, ci-dessus, ne sont clairement pas remplis.

 

[57]           De plus, le fait que l’ex-conjoint ait des droits de garde qu’il pourrait légalement revendiquer est peut-être un inconvénient pour la demanderesse principale qui est habituée d’avoir la garde exclusive par défaut au Canada, mais il reste que cela ne correspond pas à la définition du préjudice établie dans l’affaire Calderon, ci-dessus, à savoir un danger pour sa vie.

 

[58]           Il est clair à la lecture de Calderon, ci-dessus, que la simple possibilité qu’il y ait une séparation familiale légale de la famille n’est pas un préjudice irréparable.

 

[59]           Les demandeurs allèguent que les enfants courent le risque de maladie, malnutrition et de danger en raison du fait qu’au Mexique ils n’obtiendraient pas la même qualité de soins et d’éducation qu’au Canada.

 

[60]           Les enfants sont d’âge primaire et il n’y a aucune preuve au dossier de problèmes de santé ou difficultés particulières eu égard à ceux-ci.

 

[61]           Ces risques allégués sont purement spéculatifs et ne sont aucunement appuyés par des éléments de preuve.

 

[62]           Lors des décisions CH et ERAR, l’agent d’ERAR a fait une évaluation de ces allégations. Chacune des décisions prises à ce stade note l’absence de preuve à cet égard.

 

[63]           Dans l’affaire Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 131 ACWS (3d) 547, la Cour d’appel fédérale écrivait :

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu'elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n'ont aucun souvenir du pays qu'ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu'entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l'arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d'exécution dans la plupart des cas dès lors qu'il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 29. (La Cour souligne).

 

[64]           L’agent d’ERAR s’est prononcé en ce qui a trait à l’intérêt des enfants advenant un retour au Mexique. D’ailleurs, il a déjà été démontré que sa décision CH, qui traite de la question, est raisonnable. Celle-ci conclut que les enfants sont jeunes et n’ont fréquenté l’école canadienne que pour une courte période de temps. Il ne s’agit donc pas d’un préjudice irréparable de les retourner dans le pays où ils ont passé la majorité de leur vie.

 

[65]           Enfin, les demandeurs allèguent que leur DACJ serait inefficace eu égard au redressement recherché s’ils devaient être retournés au Mexique. Ils allèguent que cela constituerait un préjudice irréparable.

 

[66]           Un tel argument a déjà été examiné par la Cour d’appel fédérale :

[69]      Il est par ailleurs évident, à mon avis, que rien ne lui permettait de conclure que les appelants subiraient un préjudice irréparable si l’exécution de la mesure de renvoi n’était pas suspendue. Ainsi que notre Cour et la Cour fédérale l’ont constamment répété, les difficultés et perturbations causées à la vie familiale sont une des conséquences regrettables entraînées par les mesures de renvoi, mais elles ne constituent manifestement pas un préjudice irréparable. Pour paraphraser le juge Pelletier (voir le paragraphe 48 de ses motifs dans la décision Wang, précitée), les difficultés causées à la famille sont la malheureuse conséquence d’une mesure de renvoi, mais on peut y remédier par une réadmission si la demande CH est accueillie. De plus, le fait que les enfants des appelants pourraient avoir à poursuivre leurs études en espagnol, à la suite du renvoi de leurs parents en Argentine, ne constitue de toute évidence pas un préjudice irréparable.

 

[...]

 

[86]      Aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’étranger qui souhaite obtenir le statut de résident permanent doit demander un visa, avant d’entrer au Canada. La LIPR précise bien que les demandes CH ne sont censées être que des exceptions à cette règle. Les demandes CH permettent d’examiner une demande du Canada lorsque le ministre estime que des raisons d’ordre humanitaire justifient cette exception :

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.

 

[87]      Les demandes CH ne sont pas censées faire obstacle aux mesures de renvoi valides. Lorsque l’ERAR révèle que le demandeur ne serait exposé à aucun risque s’il retournait dans son pays d’origine, on s’attend à ce que le demandeur présente ses demandes de résidence permanente ultérieures de son pays d’origine.

 

[88]      Dans le cas des appelants, la demande CH est toujours en instance, ce qui, à mon avis, n’empêche toujours pas leur renvoi. Ni eux ni leurs enfants nés au Canada ne subiront de préjudice irréparable à cause de leur renvoi. Si une nouvelle date de renvoi est fixée, les appelants réclameront probablement un report à l’agent d’exécution. Je crois que mon collègue fait preuve d’optimisme en laissant entendre qu’il faudrait alléguer de nouveaux faits pour pouvoir justifier une telle demande. Les appelants répètent les mêmes arguments depuis qu’ils ont commencé leurs échanges avec les autorités canadiennes de l’immigration et les probabilités qu’ils continuent d’invoquer ces arguments ou des variantes de ceux-ci qui soient compatibles avec l’écoulement du temps sont élevées. (La Cour souligne).

 

(Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311).

 

[67]           L’argument des demandeurs est donc erroné, puisque leur renvoi ne constitue pas un obstacle à l’examen de leur demande CH. Par analogie, leur renvoi ne constitue pas un obstacle à l’examen de leur DACJ, qui émane elle-même de leur demande CH (Alliu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 550, 178 ACWS (3d) 422 aux par. 14 et ss.).

 

[68]           Conséquemment, ils n’ont pas prouvé l’existence d’un préjudice irréparable.

 

C.  Balance des inconvénients

[69]           En l’absence de question sérieuse et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients penche en faveur de l’intérêt public, à l’effet que le processus d’immigration prévu par la LIPR soit respecté (Mobley c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 65 (QL/Lexis)).

 

[70]           En effet, le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent.

 

[71]           En conséquence, la balance des inconvénients penche nettement en faveur des défendeurs.

(iii) Équilibre des inconvénients

 

[21]      L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.

 

[22]      Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

 

(Selliah, ci-dessus).

 

[72]           La demanderesse a eu tout le loisir de présenter ses différentes demandes afin qu’elle puisse rester au Canada. Tour à tour, la Section de la Protection des réfugiés (SPR), la Cour fédérale et l’agent d’ERAR les ont rejetées.

 

[73]           Le moment est venu pour les défendeurs d’assurer le respect de la LIPR et pour les demandeurs de quitter le pays. Rien ne les empêchera alors de déposer une demande de résidence permanente à partir du Mexique, comme la LIPR le prévoit. Leurs recours pour rester au Canada sont maintenant échus et leur situation ne présente pas d’éléments positifs suffisants justifiant une exemption au principe général.

 

[74]           Ainsi, la balance des inconvénients penche en faveur des défendeurs, ce qui devrait entraîner par le fait même le rejet de la requête des demandeurs.

 

VI.  Conclusion

[75]           Les demandeurs n'ont pas démontré qu’ils satisfaisaient les trois critères pour l’obtention d’un sursis et en conséquence, la présente demande de sursis est rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6931-10

 

INTITULÉ :                                       DOLORES ADRIANA ESPIDIO GOMEZ

VALERIA ALAENTZI MARTINEZ ESPIDIO

DIEGO EMILIANO MARTINEZ ESPIDIO

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE

DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario (par téléconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 décembre 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudia Aceituno

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Catherine Brisebois

Me Alain Langlois

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CLAUDIA ACEITUNO, avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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