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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110111

Dossier : IMM-1714-10

Référence : 2011 CF 24

Montréal (Québec), le 11 janvier 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

ANGIE AYMED VARGAS FLORES

KEVIN ALVAREZ

 

 

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par la demanderesse principale, Mme Angie Aymed Vargas Flores (la demanderesse), citoyenne du Pérou et de son fils Kevin Alvarez, citoyen américain, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la « LIPR »). Les demandeurs contestent la décision rendue le 9 mars 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SPR »), au terme de laquelle on ne leur a pas reconnu la qualité de réfugiés au sens de la Convention de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour en arrive à la conclusion que cette demande doit être rejetée. La décision de la SPR repose essentiellement sur le manque de crédibilité de la demanderesse principale, et son avocate ne m’a pas convaincu que la SPR avait erré en relevant de nombreuses contradictions et incohérences dans le témoignage de la demanderesse.

 

LES FAITS

[3]               La demanderesse allègue avoir entamé une relation conjugale à l’âge de seize ans avec un homme d’origine péruvienne exerçant le métier de policier. En 2001, ils auraient cohabité pendant une période de quatre mois. Peu après le début de leur vie commune, le conjoint se serait montré violent envers la demanderesse, qui se serait rendue compte de son alcoolisme, de sa toxicomanie et de sa dépendance au jeu.

 

[4]               Après avoir quitté ce premier conjoint, la demanderesse allègue avoir rencontré un autre homme avec qui elle a quitté le Pérou en 2002 alors qu’elle était enceinte de son fils. Une fois arrivés aux États-Unis, ils se sont quittés.

 

[5]               La demanderesse dit avoir rencontré un troisième conjoint au début de 2007. Elle soutient que ce dernier l’a menacé de mort et qu’elle a porté plainte à la police. L’homme aurait été arrêté, mais aurait continué de menacer la demanderesse alors même qu’il était emprisonné.

 

[6]               La demanderesse est venue chercher refuge au Canada avec son fils en 2006. La crainte alléguée par le fils est entièrement basée sur celle de la mère.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               La SPR a noté plusieurs contradictions entre le témoignage de la demanderesse et son formulaire de renseignements personnels (« FRP »). La SPR relève tout d’abord que la demanderesse, dans son FRP, a indiqué avoir découvert que la plupart des revenus de son premier conjoint provenaient d’autres sources que son emploi de policier, alors qu’à l’audition, elle affirma dans un premier temps que son conjoint n’avait pas d’autres sources de revenus. Confrontée à cette contradiction, la demanderesse a expliqué qu’elle s’était « confondue » et que ce n’est qu’à la fin de leur cohabitation qu’elle aurait découvert des choses louches sans être certaine pour autant que son conjoint était impliqué dans le commerce de la drogue. La SPR a rejeté cette explication.

 

[8]               Dans son FRP, la demanderesse a également noté que son premier conjoint abusait d’elle lorsqu’il rentrait à la maison sous l’emprise de la drogue. Or, à l’audience, elle s’est montrée beaucoup moins catégorique; questionnée afin de savoir s’il revenait sous l’emprise d’autres substances que l’alcool, elle a répondu qu’elle ne pouvait se prononcer parce qu’elle ne connaissait pas les effets de la drogue. Confrontée à cette contradiction, elle a par la suite ajouté que ce sont des amis qui lui avaient dit que son conjoint se droguait. Le tribunal n’a pas accepté cette explication.

 

[9]               Interrogée quant à savoir si son ex-conjoint avait d’autres défauts que la consommation de drogues et d’alcool, la demanderesse a répondu par la négative. Pourtant, elle avait indiqué dans son FRP que son premier conjoint s’adonnait au jeu. La demanderesse a tenté d’expliquer cette incohérence en disant qu’elle avait oublié de le mentionner lorsque questionnée lors de l’audition, une explication que la SPR a également rejetée.

 

[10]           Lors de l’audition, la demanderesse a indiqué avoir été informée par sa grand-mère en 2002 et en 2005 du fait que son ex-conjoint la recherchait toujours. Pourtant, cette information importante ne se retrouve pas dans son FRP. Encore une fois, la SPR a opiné qu’une telle divergence minait sa crédibilité.

 

[11]           Le tribunal a relevé une autre disparité entre son témoignage et son FRP, cette fois relativement au nombre de fois où elle se serait adressée à la police. Lors de l’audition, elle a dit s’être rendue à la police une seule fois, alors que dans son FRP, elle a écrit y être allée à deux reprises. Questionnée relativement à ces deux versions incompatibles, elle a dit ne plus se souvenir de ce qu’elle avait écrit dans son FRP. La SPR a refusé de prêter foi à cette explication.

 

[12]           Dans sa déclaration au point d’entrée, la demanderesse a déclaré craindre la personne qu’elle avait rencontrée aux États-Unis et qu’elle a fait mettre en prison, mais n’a pas dit un mot de son ex-conjoint péruvien. Pourtant, dans cette même déclaration, elle avait déclaré craindre de retourner au Pérou et non aux États-Unis. La demanderesse ne pouvait donc s’être « confondue » entre le nom de l’ex-conjoint du Pérou et celui qui résidait aux États-Unis, comme elle l’a soutenu, puisqu’elle comprenait qu’il lui fallait identifier la personne qu’elle craignait au Pérou.

 

[13]           Enfin, la cohabitation de la demanderesse avec son agent persécuteur a fait l’objet de plusieurs contradictions. La demanderesse a indiqué lors de son interrogatoire au point d’entrée qu’elle avait vécu avec son ex-conjoint pendant un an, alors qu’elle a témoigné que cette relation n’avait duré que 5 à 6 mois. De plus, la demanderesse n’a jamais indiqué où elle aurait cohabité avec son ex-conjoint dans son FRP et a plutôt donné l’adresse de sa grand-mère, prétextant qu’elle ne croyait pas nécessaire de donner l’adresse où elle aurait cohabité avec son ex-conjoint du fait que cette cohabitation aurait été de courte durée. Au surplus, la demanderesse a précisé dans son FRP qu’elle était devenue la conjointe de fait de son agent persécuteur le 1er janvier 2001, alors que selon son témoignage elle ne l’aurait rencontré qu’en mars ou avril 2001.

 

[14]           Compte tenu de toutes ces contradictions et incohérences, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et a par conséquent refusé de lui reconnaître la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger ». Quant à son fils, aucune preuve n’a été présentée relativement à une crainte de retour aux États-Unis, dont il a la nationalité.

 

QUESTION EN LITIGE

[15]           La seule question que soulève cette demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SPR a erré en concluant que la demanderesse n’est pas crédible.

 

ANALYSE

[16]           Il ne fait aucun doute selon la jurisprudence que les conclusions d’un tribunal quant à la crédibilité d’une personne doivent s’apprécier selon la norme de la décision raisonnable. Cette norme n’a d’ailleurs pas été remise en question par les parties. La Cour n’interviendra donc que si les conclusions tirées par le tribunal sont abusives ou arbitraires ou ne tiennent pas compte de la preuve au dossier : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339.

 

[17]           La partie demanderesse a soutenu dans son mémoire que la SPR n’avait pas pris en considération les Directives du tribunal intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » pour évaluer la crédibilité de la demanderesse. L’avocate de la demanderesse a fait valoir que la fragilité de la demanderesse au plan émotionnel et psychologique et la violence conjugale qu’elle avait subie permettait d’expliquer le caractère évasif de ses réponses à l’audition et les contradictions dont est truffé son témoignage.

 

[18]           Cet argument n’a pas été repris lors de l’audition devant cette Cour, et à bon droit me semble-t-il. D’une part, la SPR a explicitement mentionné au paragraphe 6 de ses motifs avoir pris en considération cette directive. En outre, aucun élément au dossier ne démontre que le tribunal aurait manqué de sensibilité face à la situation de la demanderesse.

 

[19]           D’autre part, les contradictions qui ont été relevées par le tribunal ne portent pas sur les agressions qu’auraient subies la demanderesse et qu’elle aurait pu involontairement oublier, mais sur le fait que son témoignage était plus détaillé à l’écrit qu’à l’audition. Qui plus est, cette directive n’empêchait pas le tribunal de tirer des inférences négatives quant à la crédibilité de la demanderesse à partir des contradictions entre ses déclarations antérieures et son témoignage lors de l’audition. Comme cette Cour l’affirmait dans l’arrêt Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445, aux paragraphes 48-49 :

[48] La SPR doit tenir compte des directives dans le contexte d’une demande où le sexe de la personne est pertinent. Cependant, les directives ne lient pas la SPR. En effet, selon les directives, la demanderesse devra démontrer que le préjudice qu’elle craint de subir est « suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution ».

 

[49] En l’espèce, il n’existait aucune preuve psychologique de l’existence du syndrome de la femme battue, du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol ou du trouble de stress post‑traumatique. Pour cette raison, les directives ne s’appliquaient pas. Même en présence de la preuve de l’existence du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, la Cour a statué que la simple existence du syndrome « … n’excuse pas les contradictions ni les omissions relatives à des incidents graves dans les déclarations antérieures d’une revendicatrice ». Voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1168, [2005] A.C.F. no 1408, au paragraphe 4.

 

[20]           La SPR a relevé nombre de contradictions et incohérences entre les déclarations faites par la demanderesse avant l’audition et son témoignage lors de l’audition. À chaque fois qu’elle était confrontée aux divergences entre ses différentes versions, elle modifiait son témoignage pour tenter de l’ajuster de façon à minimiser l’écart qui séparait les récits qu’elle avait faits à différentes époques. Après avoir examiné son témoignage à la lumière de l’ensemble du dossier, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible. Ce faisant, la SPR n’a pas agi de façon déraisonnable, mais a tiré une conclusion de fait qui trouve amplement appui dans la preuve versée au dossier.

 

[21]           L’évaluation de la crédibilité du témoignage d’un revendicateur de statut de réfugié se situe au cœur même des attributions de la SPR. Après tout, les membres de la SPR sont dans une bien meilleure position que la Cour pour évaluer la crédibilité d’un témoin et pour en tirer les inférences qui s’imposent : (Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Allinagogo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 545.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis de rejeter cette demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1714-10

 

INTITULÉ :                                       ANGIE AYMED VARGAS FLORES ET AL.

                                                            c.  M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 janvier 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 11 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angelica Pantiru

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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