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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110112

Dossier : T-663-10

Référence : 2011 CF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

ALEXANDER DAVID CARDIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de citoyenneté canadienne d’Alexander Cardin a été rejetée en raison du fait qu’il ne remplissait pas le critère de résidence de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29. Le fait que M. Cardin est demeuré en dehors du Canada pendant 688 jours dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande est incontesté.

 

[2]               Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans Re Pourghasemi [1993] A.C.F. n° 232, 62 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), qui requiert qu’un demandeur soit physiquement présent au Canada durant 1 095 jours au cours de la période pertinente de quatre ans. Le juge de la citoyenneté a ainsi adopté le raisonnement du juge Muldoon dans Re Pourghasemi, où celui-ci a déclaré que l’objet de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est de garantir que quiconque reçoit la citoyenneté canadienne « ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de "se canadianiser" ».

 

[3]               Citant le juge Muldoon, le juge de la citoyenneté a noté que la « canadianisation » se produit « en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d’alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d’automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l’ascenseur, à l’église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple — en un mot là où l’on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux — durant les trois années requises ».  Cette « canadianisation » ne peut se faire à l’étranger « car la vie canadienne et la société canadienne n’existent qu’au Canada, nulle part ailleurs ».

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a noté les propos du juge Muldoon selon lesquels trois ans constituent « [traduction] une bien courte période pour devenir canadianisé ». Si un demandeur n’a pas passé par cet apprentissage, cela signifierait que la citoyenneté peut être accordée à quelqu’un « qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d’adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses ». Toutes les citations sont tirées de Re Pourghasemi, précitée, au paragraphe 3, citée dans la décision du juge de la citoyenneté.

 

[5]               Le juge de la citoyenneté a conclu que M. Cardin n’avait pas rempli le critère en question.

 

[6]               Il est acquis que la norme de contrôle applicable à la décision d’un juge de la citoyenneté est la décision raisonnable : Zhang c. Canada (MCI), 2008 CF 483, aux paragraphes 7 et 8; Canada (MCI) c. Elzubir, 2010 CF 298, au paragraphe 12.

 

[7]               L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté stipule qu’un résident permanent doit avoir, « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout ».

 

[8]               Il existe trois écoles de pensée différentes sur la façon dont l’exigence de résidence de l’alinéa 5(1)c) doit être appliquée.  La première est le critère de Re Pourghasemi utilisé en l’espèce, qui ne requiert du demandeur qu’une période de présence physique à l’intérieur du Canada d’au moins trois ans sur quatre, soit un minimum de 1 095 jours.

 

[9]               Le deuxième critère est celui établi dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208; [1978] A.C.F. n° 31. Ce critère est moins rigoureux en ce qu’il ne demande au demandeur que de démontrer qu’il a un grand attachement pour le Canada et qu’il y a établi une résidence, même s’il a dû s’absenter du pays temporairement.

 

[10]           Le troisième critère est le plus utilisé dans les affaires de citoyenneté : il s’agit du critère connu sous le nom de « Koo », établi dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286; [1992] A.C.F. n° 1107. Le critère Koo définit la résidence comme le lieu où une personne « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou a « centralisé son mode d’existence ». Re Koo établit six questions à être posées afin de déterminer si ce critère a été satisfait.

 

[11]           Parce que les décisions de la Cour fédérale en matière de citoyenneté ne sont pas portées en appel, la Cour d’appel fédérale ne s’est jamais prononcée sur la question de savoir lequel des trois critères est le plus approprié.

 

[12]           À la lumière de la jurisprudence contradictoire, la Cour a statué que les juges de la citoyenneté pouvaient choisir lequel des trois critères devrait être appliqué dans un cas particulier. De plus, si le juge de la citoyenneté « appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l'approche qu'il privilégie, sa décision ne serait pas erronée » : voir Lam c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. n°  410, au paragraphe 14.

 

[13]           La demande de citoyenneté de M. Cardin a été rejetée en raison de la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle les absences de M. Cardin hors du Canada signifiaient qu’il ne s’était pas suffisamment « canadianisé ». Cette conclusion était déraisonnable à la vue des faits en l’espèce.

 

[14]           M. Cardin est âgé de 26 ans. Il est entré au Canada avec sa famille en 1999, alors qu’il avait 14 ans. Il a étudié dans une école secondaire canadienne. Il a passé quatre ans dans une université canadienne et il a reçu un baccalauréat ès arts en science politique de l’Université de Western Ontario en 2006. Il est devenu un résident permanent du Canada en 2005. Il a travaillé au Canada. Ses parents et ses deux frères sont des citoyens canadiens.

 

[15]           Il est donc indéniable que M. Cardin a eu amplement l’occasion de s’immerger dans la société canadienne et de « côtoyer » des Canadiens tout au long des années de formation qu’il a passées dans ce pays.

 

[16]           En 2006, l’employeur canadien de M. Cardin a envoyé ce dernier aux États-Unis dans le cadre d’un programme de formation en gestion. C’est sa participation à ce programme qui a occasionné la grande majorité de ses absences. M. Cardin est depuis revenu au Canada et a continué de travailler pour son employeur canadien.

 

[17]           Pendant que M. Cardin était aux États-Unis, ses possessions étaient demeurées dans la maison familiale en Ontario. Il a aussi maintenu ses comptes de banque au Canada et il est revenu au Canada à quelques occasions pour rendre visite à sa famille et à ses amis.

 

[18]           Bien que le juge de la citoyenneté puisse choisir lequel des trois critères de résidence approuvés convient d’être appliqué, celui-ci doit être appliqué avec discernement. Si la raison d’être de l’application d’un critère en particulier n’est pas présente dans les faits de l’affaire, alors l’appliquer n’a simplement aucun sens. Autrement dit, c’est déraisonnable.

 

[19]           Le critère de Re Pourghasemi est habituellement appliqué dans un cas où une personne arrive au Canada, puis s’absente immédiatement et par la suite régulièrement, peut-être pour affaires, souvent sans jamais vraiment s’intégrer dans la société canadienne. Le principe sous-jacent de l’exercice consistant à compter les jours établi par Re Pourghasemi est de s’assurer qu’un tel demandeur a bel et bien eu un contact réel avec la société canadienne, ou qu'il s’y est vraiment impliqué. Autrement dit, qu’il a été « canadianisé ».

 

[20]           Ce n’est pas le problème en l’espèce. M. Cardin a développé des liens profonds et durables avec le Canada, bien avant le commencement de la période de résidence de quatre ans prévue par l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il a amplement eu l’occasion de devenir « canadianisé ».

 

[21]           Je conclus donc que les principes sous-jacents du critère de Re Pourghasemi n’ont pas été correctement appliqués aux faits en l’espèce. L’appel sera donc accueilli. La demande de citoyenneté de M. Cardin sera renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire, conformément aux présents motifs.

 

[22]           Je terminerai en faisant écho aux observations répétées faites par plusieurs juges de la Cour.  L’état du droit dans ce domaine est fort insatisfaisant. Comme l’a remarqué la juge Dawson, il est fondamentalement injuste que deux personnes puissent demander la citoyenneté à partir de faits identiques et qu'elles obtiennent pourtant des résultats opposés, selon le critère qui a été appliqué : voir Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 492, 2002 CFPI 346. Il s’agit d’un domaine en criant besoin de réforme législative.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

            LA COUR STATUE que l’appel est accueilli et que l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire, conformément aux motifs exposés.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-663-10

 

 

INTITULÉ :                                       ALEXANDER DAVID CARDIN c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexander David Cardin

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Peter Nostbakken

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Néant

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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