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Date : 20110114

Dossier : T-1013-10

Référence : 2011 CF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

CYNTHIA STIRBYS

 

demanderesse

 

et

 

 

L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Cynthia Stirbys a travaillé pour l’Assemblée des Premières Nations pendant un certain nombre d’années. Après avoir été avisée que son contrat de travail ne serait pas renouvelé, Mme Stirbys a déposé une plainte de congédiement injuste sur le fondement de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R., 1985 ch. L-2.

 

[2]               Le processus d’arbitrage du Code canadien du travail ne s’applique pas aux employés qui perdent leur emploi par suite de l’expiration de leur contrat de travail : voir Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council c. MacIsaac, [1986] A.C.F. no 263 (C.A.F.).

 

[3]               L’APN a soulevé une objection préliminaire devant l’arbitre nommé pour instruire la plainte de Mme Stirbys. Elle a affirmé que Mme Stirbys a été embauchée en vertu d’un contrat à durée déterminée qui est venu à échéance et qui n’a pas été renouvelé. Par conséquent, l’APN a soutenu que Mme Stirbys n’avait pas le droit d’invoquer les dispositions visant le congédiement injuste prévues dans le Code.

 

[4]               Madame Stirbys a prétendu que l’examen des faits et des circonstances entourant l’historique de son emploi au sein de l’APN a démontré que son emploi était devenu pour une durée indéterminée. Par conséquent, elle a affirmé qu’elle devrait avoir le droit d’invoquer l’article 240 du Code.

 

[5]               L’arbitre a conclu que Mme Stirbys avait été employée par l’APN pour une durée déterminée et que son emploi s’était terminé à la fin de la durée de son contrat. Par conséquent, l’arbitre a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte de congédiement injuste de Mme Stirbys.

 

[6]               Madame Stirbys a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, dans laquelle elle allègue que l’arbitre a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour évaluer la nature de son emploi. Madame Stirbys affirme que l’arbitre a également commis une erreur en ne tenant pas compte des toutes les circonstances pour déterminer le statut juridique de son emploi.

 

[7]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que l’arbitre a commis l’erreur reprochée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Norme de contrôle

[8]               Madame Stirbys prétend que l’arbitre statuait sur une question se rapportant à sa propre compétence et que la décision doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte. Elle cite plusieurs décisions de notre Cour à l’appui de sa prétention, dont la plupart ont été rendues avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada.

 

[9]               Il ne fait aucun doute que les arbitres doivent statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Toutefois, la Cour suprême a clairement indiqué dans Dunsmuir qu’il faut faire attention de ne pas considérer trop rapidement une question comme touchant à la « compétence ». La question touchant véritablement à la « compétence » se rapporte à la faculté d’un tribunal à connaître de la question : voir Dunsmuir, par. 59.

 

[10]           En l’espèce, les parties conviennent que l’arbitre avait la faculté de connaître de la nature de l’emploi de Mme Stirbys et de déterminer si les dispositions de congédiement injuste prévues dans le Code canadien du travail s’appliquaient de quelque manière que ce soit. L’arbitre a exercé cette compétence en entendant les témoignages et les arguments sur la question avant de conclure que Mme Stirbys n’était pas une employée de l’APN nommée pour une période indéterminée.

 

[11]           En fait, Mme Stirbys conteste le critère que l’arbitre a appliqué lorsqu’elle a évalué si elle était une employée nommée pour une période déterminée ou pour une période indéterminée, et ses conclusions à cet égard.

 

[12]           Le Code canadien du travail comporte une clause privative non équivoque, laquelle témoigne de l’intention du législateur que l’on fasse preuve de retenue à l’égard des décisions des arbitres : voir l’article 243. Quoi qu’il en soit, l’expertise requise pour décider du statut d’employé en vertu des principes de common law est partagée par les tribunaux : voir Dynamex Canada Inc. c. Mamona et al, 2003 CAF 248; 305 N.R. 295 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi refusée, [2003] C.S.C.R. no 383).

 

[13]           De plus, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a établi que la norme de contrôle à l’égard de la décision de l’arbitre quant aux principes de common law applicables en droit du travail est celle de la décision correcte : voir H. & R. Transport c. Baldrey, 2005 CAF 151; 334 N.R. 340, 2005 CAF 151, par. 4-8. Par conséquent, je suis convaincue que le critère juridique que l’arbitre a appliqué dans son évaluation de la nature de l’emploi de Mme Stirbys est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[14]           Toutefois, l’application de ces principes juridiques aux faits de l’espèce devrait être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Dans un cas comme celui en l’espèce, la décision quant au statut d’un employé comporte manifestement une composante factuelle importante. C’est ce que démontrent les arguments présentés par Mme Stirbys, qui se rapportent à la nature des représentations qui lui auraient été faites au cours des années où elle a travaillé pour l’APN et à l’historique des pratiques d’emploi propres à l’organisme.

 

[15]           Lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59.

 

L’arbitre a‑t-elle appliqué le mauvais critère?

[16]           Madame Stirbys prétend que l’arbitre a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a évalué si elle était une employée nommée pour une durée déterminée ou pour une durée indéterminée. À l’appui de cette prétention, elle renvoie au paragraphe 5 de la décision, où l’arbitre a affirmé que la question de savoir si Mme Stirbys a été congédiée dépend [traduction] « de la validité des contrats à durée déterminée qu’elle a signés au fil des ans depuis juillet 2002 ».

 

[17]           Selon Mme Stirbys, l’arbitre aurait dû analyser la question plus largement afin d’établir la vraie nature des attentes à long terme des parties relativement à la relation d’emploi. Madame Stirbys affirme que l’arbitre ne devait pas simplement examiner le libellé de ses divers contrats de travail. L’arbitre était plutôt tenue d’évaluer les circonstances entourant ses années d’emploi au sein de l’APN : voir, par exemple, Société Radio-Canada c. Lemieux, [2001] A.C.F. no 1810, par. 47, conf. par 2003 CAF 212; [2003] A.C.F. no 757.

 

[18]           Le problème avec cet argument est que lorsque la décision est interprétée dans son ensemble, il ne fait aucun doute que c’est ce que l’arbitre a fait précisément.

 

[19]           Ainsi, un examen des motifs de l’arbitre révèle qu’en plus d’analyser le libellé du contrat conclu entre les parties, l’arbitre a également tenu compte des éléments suivants :

-      L’historique des rapports d’emploi excellents de Mme Stirbys : par. 9 et 21;

 

-      Le fait que l’APN n’a pas tenté de tromper Mme Stirbys quant à la nature de son emploi : par. 11;

 

-      Le fait que Mme Stirbys a reconnu que son contrat écrit régissait son emploi : par. 8, 9 et 11;

 

-      Le fait que Mme Stirbys savait qu’elle était une employée nommée pour une période déterminée : par. 11 et 17;

 

-      Le fait que Mme Stirbys était expressément au courant que l’APN n’était pas en mesure de lui offrir un emploi à durée indéterminée : par. 11;

 

-      Les garanties que les superviseurs de Mme Stirbys lui avaient données au fil des ans : par. 12;

 

-      Le libellé d’un accord sur les échanges conclu entre Mme Stirbys, l’APN et les Instituts de recherche en santé du Canada : par. 18;

 

-      La question de savoir si la participation de Mme Stirbys à une entente de détachement donne un indice quant à son niveau d’engagement à l’APN : par. 22.

 

 

[20]           Par conséquent, on ne m’a pas convaincue que l’arbitre a commis une erreur en appliquant le mauvais critère lorsqu’elle a évalué si Mme Stirbys était une employée nommée pour une période déterminée ou pour une période indéterminée.

 

L’examen des circonstances de l’espèce effectué par l’arbitre

[21]           Madame Stirbys soutient que l’arbitre a également commis une erreur en ne tenant pas compte de toutes les circonstances pertinentes lorsqu’elle a déterminé le statut juridique de son emploi. En particulier, Mme Stirbys fait référence au défaut de l’arbitre d’examiner précisément le fait que ses contrats de travail ne comportaient aucune disposition prévoyant le renouvellement.

 

[22]           Madame Stirbys affirme également que l’arbitre n’a pas accordé suffisamment de poids au fait que son contrat de travail avait été renouvelé plusieurs fois. Selon Mme Stirbys, l’arbitre n’a également pas accordé suffisamment de poids aux pratiques de l’APN et aux attentes des parties.

 

[23]           Je me pencherai d’abord sur l’argument concernant le défaut de l’arbitre d’examiner expressément l’absence de disposition prévoyant le renouvellement dans le contrat de travail de Mme Stirbys. Le décideur n’est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve versé au dossier et est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés : voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946; 147 N.R. 317 (C.A.F.).

 

[24]           De plus, les décisions citées par Mme Stirbys analysant la signification d’une disposition prévoyant le renouvellement dans un contrat de travail à durée déterminée considèrent la présence d’une telle disposition comme un facteur permettant de conclure à l’existence d’un emploi à durée indéterminée : voir, par exemple, Ceccol c. Ontario Gymnastic Federation, 55 O.R. (3d) 614, par. 15 et 16; Gandolfi c. Hishkoonikun Education Authority, [2006] C.L.A.D. No. 198, par. 23.

 

[25]           Dans la mesure où les arguments de Mme Stirbys se rapportent au poids accordé par l’arbitre aux différentes parties de la preuve, le tribunal de révision n’est manifestement pas tenu de réévaluer les faits : voir Ligue des droits de la personne B’Nai Brith Canada c. Odynsky, 2010 CAF 307, par. 85. Voir également Khosa, précité, par. 59.

 

[26]           L’arbitre a conclu que le libellé des contrats de travail de Mme Stirbys était clair et sans équivoque et que la conduite de l’APN ne permettait pas de conclure à l’existence d’une relation d’emploi à durée indéterminée. Malgré l’excellente argumentation de l’avocat de Mme Stirbys, je suis convaincue que cette conclusion était raisonnable.

 

Conclusion

[27]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Stirbys est rejetée.

 

Dépens

[28]           Les parties conviennent que les dépens  devraient suivre l’issue de l’affaire et être fixés à 3 000 $.

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de Mme Stirbys soit rejetée et que les dépens, fixés à 3 000 $, soient adjugés à la défenderesse.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1013-10

 

INTITULÉ :                                                   CYNTHIA STIRBYS c.

                                                                        L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karin Galldin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jeremy Wright

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galldin Law

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sevigny Westdal, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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