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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110119

Dossier : T-424-10

Référence : 2011 CF 61

ENTRE :

 

DANIEL JOLIVET

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

DU CANADA

 

et

 

LE GROUPE RESPONSABLE

DE LA RÉVISION DES

CONDAMNATIONS CRIMINELLES

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

  • [1] Il s’agit en l’espèce de trancher en vertu des paragraphes 318(3) et (4) des Règles des Cours fédérales (les règles), et suite à la directive de cette Cour du 22 juillet 2010, l’opposition des défendeurs formulée au terme du paragraphe 318(2) des règles.

  • [2] Cette opposition s’inscrit par suite de la demande de transmission de documents formulée par le demandeur en vertu des paragraphes 317(1) et (2) des règles dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire déposée le 22 mars 2010 (la demande de contrôle).

  • [3] Cette demande de transmission de documents est, tel que nous le verrons, somme toute assez longue et s’étale à la demande de contrôle sur près de cinq (5) pages.

Contexte

  • [4] La toile de fond dans laquelle s’inscrit ladite demande de transmission présente une certaine complexité et se déroule sur de nombreuses années. De fait, ces années ont permis au demandeur d’accumuler et d’appuyer sa demande de contrôle avec plus de 9 000 pages de documents.

  • [5] Dans ses grandes lignes cette toile ou contexte factuel peut néanmoins se présenter comme suit.

  • [6] Le 1er avril 1994, au terme d’un procès devant juge et jury, le demandeur a été déclaré coupable du meurtre au premier degré de Denis Lemieux et de François Leblanc ainsi que du meurtre au deuxième degré de Nathalie Beauregard et de Catherine Morin. Toutes ces personnes auraient été tuées dans la nuit du 9 au 10 novembre 1992 lors d’un même événement.

  • [7] Au procès, la preuve du ministère public aurait reposé essentiellement sur le témoignage du délateur Claude Riendeau qui aurait affirmé avoir reçu du demandeur dans un restaurant donné une confession desdits meurtres.

  • [8] Le 14 avril 1998, la Cour d’appel du Québec a accueilli l’appel du demandeur; les honorables juges Fish et Vallerand ordonnant la tenue d’un nouveau procès, l’honorable juge Robert étant quant à lui dissident. Les trois juges s’entendaient pour affirmer qu’une erreur avait été commise en première instance, mais différaient d’opinion relativement à l’application de la disposition réparatrice.

  • [9] Le ministère public a porté l’affaire en Cour suprême du Canada. Par son jugement du 18 mai 2000, la Cour suprême a infirmé la décision de la Cour d’appel du Québec et a rétabli le verdict de culpabilité du demandeur.

  • [10] Le 22 août 2005, le demandeur formulait auprès du ministre de la Justice du Canada (le ministre de la Justice) une demande de révision de sa condamnation criminelle (la Demande de révision), le tout en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel, L.R. 1985, ch. C‑46.

  • [11] Les dispositions législatives et réglementaires applicables à la Demande de révision sont les suivantes :

 

 

PARTIE XXI.1

DEMANDES DE RÉVISION AUPRÈS DU MINISTRE — ERREURS JUDICIAIRES

PART XXI.1

APPLICATIONS FOR MINISTERIAL REVIEW — MISCARRIAGES OF JUSTICE

696.1 (1) Une demande de révision auprès du ministre au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise peut être présentée au ministre de la Justice par ou pour une personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements ou qui a été déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la partie XXIV, si toutes les voies de recours relativement à la condamnation ou à la déclaration ont été épuisées.

(2) La demande est présentée en la forme réglementaire, comporte les renseignements réglementaires et est accompagnée des documents prévus par règlement.

696.1 (1) An application for ministerial review on the grounds of miscarriage of justice may be made to the Minister of Justice by or on behalf of a person who has been convicted of an offence under an Act of Parliament or a regulation made under an Act of Parliament or has been found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV and whose rights of judicial review or appeal with respect to the conviction or finding have been exhausted.

(2) The application must be in the form, contain the information and be accompanied by any documents prescribed by the regulations.

696.2 (1) Sur réception d’une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice l’examine conformément aux règlements.

696.2 (1) On receipt of an application under this Part, the Minister of Justice shall review it in accordance with the regulations.

(2) Dans le cadre d’une enquête relative à une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes et ceux qui peuvent lui être accordés en vertu de l’article 11 de cette loi.

(2) For the purpose of any investigation in relation to an application under this Part, the Minister of Justice has and may exercise the powers of a commissioner under Part I of the Inquiries Act and the powers that may be conferred on a commissioner under section 11 of that Act.

(3) Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à tout membre en règle du barreau d’une province, juge à la retraite, ou tout autre individu qui, de l’avis du ministre, possède une formation ou une expérience similaires ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l’enquête visée au paragraphe (2).

(3) Despite subsection 11(3) of the Inquiries Act, the Minister of Justice may delegate in writing to any member in good standing of the bar of a province, retired judge or any other individual who, in the opinion of the Minister, has similar background or experience the powers of the Minister to take evidence, issue subpoenas, enforce the attendance of witnesses, compel them to give evidence and otherwise conduct an investigation under subsection (2).

696.3 (1) Dans le présent article, « cour d’appel » s’entend de la cour d’appel, au sens de l’article 2, de la province où a été instruite l’affaire pour laquelle une demande est présentée sous le régime de la présente partie.

(2) Le ministre de la Justice peut, à tout moment, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie sur laquelle il désire son assistance, et la cour d’appel donne son opinion en conséquence.

(3) Le ministre de la Justice peut, à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie :

a) s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite :

(i) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès devant tout tribunal qu’il juge approprié ou, dans le cas d’une personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, une nouvelle audition en vertu de cette partie,

(ii) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, selon le cas;

b) rejeter la demande.

(4) La décision du ministre de la Justice prise en vertu du paragraphe (3) est sans appel.

696.3 (1) In this section, “the court of appeal” means the court of appeal, as defined by the definition “court of appeal” in section 2, for the province in which the person to whom an application under this Part relates was tried.

(2) The Minister of Justice may, at any time, refer to the court of appeal, for its opinion, any question in relation to an application under this Part on which the Minister desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

(3) On an application under this Part, the Minister of Justice may

(a) if the Minister is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred,

(i) direct, by order in writing, a new trial before any court that the Minister thinks proper or, in the case of a person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, a new hearing under that Part, or

(ii) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, as the case may be; or

(b) dismiss the application.

(4) A decision of the Minister of Justice made under subsection (3) is final and is not subject to appeal.

696.4 Lorsqu’il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, notamment :

a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;

b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

696.4 In making a decision under subsection 696.3(3), the Minister of Justice shall take into account all matters that the Minister considers relevant, including

(a) whether the application is supported by new matters of significance that were not considered by the courts or previously considered by the Minister in an application in relation to the same conviction or finding under Part XXIV;

 

 

(b) the relevance and reliability of information that is presented in connection with the application; and

(c) the fact that an application under this Part is not intended to serve as a further appeal and any remedy available on such an application is an extraordinary remedy.

[…]

Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires) DORS/202‑416

(Le Règlement)

[…]

Regulations Respecting Applications for Ministerial Review – Miscarriages of Justice

(The Regulations)

EXAMEN DE LA DEMANDE

REVIEW OF THE APPLICATION

3. Sur réception d’une demande de révision présentée conformément à l’article 2, le ministre :

a) transmet un accusé de réception au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui a présenté la demande en son nom;

b) procède a une évaluation préliminaire de la demande.

3. On receipt of an application completed in accordance with section 2, the Minister shall

(a) send an acknowledgment letter to the applicant and the person acting on the applicant’s behalf, if any; and

(b) conduct a preliminary assessment of the application.

4. (1) Une fois l’évaluation préliminaire terminée, le ministre :

a) enquête sur la demande s’il constate qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite;

b) ne mène pas d’enquête dans les cas où :

(i) il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite et que, pour éviter un déni de justice ou pour des raisons humanitaires, une décision doit être rendue promptement en vertu de l’alinéa 696.3(3)a) du Code,

(ii) il est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.

4. (1) After the preliminary assessment has been completed, the Minister

(a) shall conduct an investigation in respect of the application if the Minister determines that there may be a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred; or

(b) shall not conduct an investigation if the Minister

(i) is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred and that there is an urgent need for a decision to be made under paragraph 696.3(3)(a) of the Code for humanitarian reasons or to avoid a blatant continued prejudice to the applicant, or

(ii) is satisfied that there is no reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred.

(2) Le ministre transmet au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom, un avis indiquant si une enquête sera ou non menée en application du paragraphe (1).

(2) The Minister shall send a notice to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any, indicating whether or not an investigation will be conducted under subsection (1).

(3) Si le ministre ne mène pas d’enquête pour le motif visé au sous-alinéa (1)b)(ii), l’avis prévu au paragraphe (2) doit mentionner que le demandeur peut transmettre au ministre des renseignements additionnels à l’appui de la demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi de l’avis.

(3) If the Minister does not conduct an investigation for the reason described in subparagraph (1)(b)(ii), the notice under subsection (2) shall indicate that the applicant may provide further information in support of the application within one year after the date on which the notice was sent.

(4) Si le demandeur ne transmet pas les renseignements additionnels dans le délai prévu au paragraphe (3), le ministre l’avise par écrit qu’il ne mènera pas d’enquête.

(4) If the applicant fails, within the period prescribed in subsection (3), to provide further information, the Minister shall inform the applicant in writing that no investigation will be conducted.

(5) Si des renseignements additionnels sont transmis après l’expiration du délai prévu au paragraphe (3), le ministre procède à une nouvelle évaluation préliminaire de la demande en application de l’article 3.

(5) If further information in support of the application is provided after the period prescribed in subsection (3) has expired, the Minister shall conduct a new preliminary assessment of the application under section 3.

5. (1) Une fois l’enquête visée à l’alinéa 4(1)a) terminée, le ministre rédige un rapport d’enquête, dont il transmet copie au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom. Le ministre doit informer par écrit le demandeur que des renseignements additionnels peuvent lui être fournis à l’appui de la demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi du rapport d’enquête.

5. (1) After completing an investigation under paragraph 4(1)(a), the Minister shall prepare an investigation report and provide a copy of it to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any. The Minister shall indicate in writing that the applicant may provide further information in support of the application within one year after the date on which the investigation report is sent.

(2) Si le demandeur ne transmet pas les renseignements additionnels dans le délai prévu au paragraphe (1), ou s’il informe le ministre par écrit qu’aucun autre renseignement ne sera fourni, le ministre peut rendre une décision en vertu du paragraphe 696.3(3) du Code.

(2) If the applicant fails, within the period prescribed in subsection (1), to provide any further information, or if the applicant indicates in writing that no further information will be provided in support of the application, the Minister may proceed to make a decision under subsection 696.3(3) of the Code.

 

  • [12] Pour les fins des présentes, la Cour est somme toute d’accord avec la compréhension suivante que soutiennent les défendeurs à leurs représentations écrites quant à l’esprit du processus de révision des condamnations criminelles édicté ci-avant :

  1. Toute personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements et qui considère avoir été victime d’une erreur judiciaire peut présenter une demande de révision de sa condamnation auprès du ministre de la Justice;

Article 696.1 du Code criminel

  1. Cette demande ne peut être présentée avant que le justiciable ait épuisé tous les recours judiciaires dont il disposait pour faire valoir ses droits;

Article 696.1 du Code criminel

  1. Sur réception de la demande de révision, le ministre de la Justice du Canada doit procéder à une évaluation préliminaire du dossier à partir des éléments de faits qui lui ont été soumis par le requérant;

Article 3 b), Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre DORS/202-416

  1. Si cette évaluation préliminaire révèle qu’il peut y avoir des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu erreur judiciaire, le ministre fait enquête sur les nouveaux éléments de faits présentés au soutien de la demande de révision;

Article 4(1)a), Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre DORS/202-416

  1. Toutefois, le ministre ne fait pas enquête si :

    • a) L’évaluation préliminaire l’a convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite et que, pour éviter un déni de justice ou pour des raisons humanitaires, une décision doit être rendue promptement en vertu de l’alinéa 696.3(3)a) du Code criminel ou;

Article 4 (1) b) i), Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre DORS/202-416

  • b) L’évaluation préliminaire l’a convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite;

Article 4 (1) b) ii), Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre DORS/202-416

  1. Si le ministre conclut qu’il est raisonnable de croire qu’il n’y a pas eu erreur judiciaire, il doit en aviser le requérant qui a alors un an pour soumettre une preuve supplémentaire;

Articles 4 (2) et (3), Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre DORS/202-416

  1. Le ministre rend sa décision en fonction de tous les faits pertinents à partir des critères suivants :

    • a) les éléments de faits soumis par le requérant doivent être des faits nouveaux dont les tribunaux ou le ministre n’ont pas été saisis auparavant;

    • b) la pertinence et la fiabilité de ces faits nouveaux;

    • c) la demande ne constitue pas une forme d’appel;

Article 696.4 du Code criminel

  1. Il ressort des dispositions législatives et règlementaires discutées ci-dessus, que le recours prévu à l’article 696.1 C.cr. :

    • a) est un recours extraordinaire qui est utilisé pour s’assurer qu’aucune erreur judiciaire n’a été commise lorsque toutes les voies d’appel conventionnelles ont été épuisées;

    • b) n’existe pas simplement pour permettre au ministre de substituer son opinion au verdict rendu dans le cadre d’un procès ou à une décision rendue en appel et que par conséquent le seul fait pour le ministre d’avoir une opinion différente relativement à la preuve soumise au tribunal ne l’habilite pas à accorder une mesure de redressement en vertu de l’article 696.1 C.cr.

    • c) ne crée pas un quatrième pallier d’appel par le biais duquel le ministre réévalue les lacunes dans la preuve et/ou les points de droit discutés devant les tribunaux;

    • d) vise l’étude de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou que ont surgi après qu’ont été épuisées les voies d’appel conventionnelles. Cette étude porte entre autres sur la fiabilité des nouveaux éléments de preuves fournis eu égard aux circonstances entourant la déclaration de culpabilité du demandeur

    • e) vise à permettre au demandeur de démontrer qu’il existe des motifs permettant de conclure qu’il y a probablement eu erreur judiciaire.

 

  • [13] La Demande de révision du demandeur, comme apparemment toute demande similaire, fut étudiée pour et au nom du ministre de la Justice par le Groupe de la révision des condamnations criminelles (le GRCC).

  • [14] Par suite de la réception de la Demande de révision, et tel que le démontre le dossier de réponse du demandeur à l’encontre de l’opposition à l’étude des défendeurs, le GRCC, en la personne essentiellement de Me Martin Lamontagne et de Me Kerry Scullion, s’est aussitôt employé à rassembler, entre autres : le dossier carcéral du demandeur, le dossier du ministère de la Sécurité publique du Québec (le dossier du ministère public), le dossier de la Sûreté du Québec et le dossier de poursuites utilisé par la Couronne lors du procès du demandeur.

  • [15] Ainsi, en sus des documents et informations fournies au GRCC par le demandeur, les recherches de ce dernier groupe lui ont permis de rassembler une foule de documents, même si, suivant le demandeur, le GRCC n’aurait jamais été en possession, par ses démarches, du dossier complet de la Sûreté du Québec. Quant au dossier du ministère public, ce dossier aurait été égaré avant même la Demande de révision.

  • [16] Le 24 septembre 2007, le GRCC rend sa décision quant à la Demande de révision du demandeur.

  • [17] Par cette décision, le GRCC informe le demandeur que sa Demande de révision ne franchira pas l’étape de l’évaluation préliminaire et n’ira donc pas à l’étape de l’enquête.

  • [18] Dans sa lettre du 24 septembre 2007, qui était accompagnée de l’évaluation préliminaire proprement dite, le GRCC indique bien au demandeur qu’il a tenu compte de tous les documents qui ont été portés à son attention.

  • [19] Dans cette lettre on y indique en effet que :

Pour en venir à cette conclusion, le GRCC a examiné attentivement l’ensemble de la volumineuse documentation s [sic] s’y rapportant ainsi que la correspondance que vous lui avez acheminée par le truchement de Me Dominique Larochelle. Accessoirement, le GRCC a pris également en considération les propos tenus pour votre bénéfice par votre procureure dans le cadre de votre demande de révision.

Vous recevrez donc en sus de cette lettre, une évaluation préliminaire tenue dans le cadre de la révision de votre condamnation à l’égard de quatre homicides. Celle-ci expose les raisons pour lesquelles votre demande de révision vous est refusée. […]

  • [20] Dans l’évaluation préliminaire, on précise également ce qui suit :

ANALYSE ET DOCUMENTATION

Pour orienter normativement l’évaluation préliminaire de l’espèce, le GRCC dut attentivement analyser tous les documents soumis à son attention par le demandeur ainsi que par les autorités policières. Cette preuve fut acheminée au GRCC par l’entremise d’un CD‑ROM15.

15 À noter que le soussigné a expédié une copie de ce CD‑ROM à Me Dominique Larochelle, procureure du demandeur.

  • [21] À noter, tel que le souligne le dernier extrait reproduit, que l’ensemble de la preuve examinée par le GRCC fut communiquée au demandeur.

  • [22] Par la suite, le reste de l’année 2007 a essentiellement servi au demandeur à formuler des demandes d’accès à l’information et à obtenir des autorités visées certaines réponses à ces demandes. Les années 2008 et 2009 ont servi aux parties à s’échanger de la correspondance sur les conclusions du GRCC sans toutefois que ce dernier soit amené, si la Cour saisit bien, à entreprendre une nouvelle évaluation préliminaire et, bien sûr, une enquête au sens du Règlement.

Analyse

  • [23] Les règles 317 et 318 se lisent comme suit :

317. (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

(3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

(3) If an applicant does not include a request under subsection (1) in its notice of application, the applicant shall serve the request on the other parties.

318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

318. (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

  • [24] Bien que le demandeur avait au moment de sa demande de contrôle une foule de documents générés depuis le crime du 10 novembre 1992 et plus précisément l’ensemble des documents consultés par le GRCC pour les fins de sa décision du 24 septembre 2007 vu, entre autres, le CD‑ROM qui lui fut envoyé, sa demande de transmission de documents, tel que mentionné au paragraphe [3] supra, s’étale comme suit sur près de cinq (5) pages :

1.  les copies entières et non raturées de chacun des documents constituant quelque échange de correspondance que ce soit (lettres manuscrites/dactylographiées, courrier électronique, etc.) qui a:

a.  eu lieu entre le GRCC et Me Ginette Collin, responsable de l’accès à l’information et aux documents au Services correctionnel du Canada, qui se voulait une demande officielle dans le but d’obtenir le dossier de détention et/ou tout autre document en relation avec le détenu :

i.  Daniel Jolivet

ii.  Claude Riendeau

iii.  Michel Simon, né Mike Blass

b.  eu lieu entre le GRCC et Me Ginette Collin, responsable de l’accès à l’information et aux documents au Services correctionnel du Canada, qui se voulait une demande officielle dans le but d’obtenir toute déclaration récoltée par le personnel ayant côtoyé de près ou de loin le détenu Daniel Jolivet, ainsi que les notes manuscrites des agents correctionnels, ou autres, qui ont joué directement ou indirectement un rôle, et/ou on continué de jouer un rôle concernant la détention de celui-ci;

c.  eu lieu entre le GRCC et Madame Nancy Lafond, ex-agente des libérations conditionnelles du Demandeur au Service correctionnel du Canada, qui se voulait une demande officielle dans le but d’obtenir toute déclaration obtenu du Demandeur et/ou récoltée par le personnel ayant côtoyé de près ou de loin le détenu Daniel Jolivet, ainsi que les notes manuscrites des agents correctionnels, ou autres, qui ont joué directement ou indirectement un rôle, et/ou ont continué de jouer un rôle concernant la détention de celui-ci;

d.  été reçu par le GRCC en provenance de qui que ce soit au Service correctionnel du Canada relatif à chacune des demandes officielles mentionnées aux paragraphes cités ci-haut aux points a), b), c);

e.  eu lieu entre le GRCC et M. André Marois, responsable de l’accès à l’information et aux documents au ministère de la Sécurité publique du Québec, qui se voulat [sic] une demande officielle de documents et/ou d’informations;

f.  été reçu par le GRCC en provenance de M. André Marois, responsable de l’accès à l’information et aux documents au ministère de la Sécurité publique du Québec, relativement aux demandes officielles de documents et/ou d’informations mentionnées dans le paragraphe e);

g.  eu lieu entre le GRCC et M. Normand Proulx, directeur de la Sûreté du Québec, qui se voulait une demande officielle de documents et/ou de tout le dossier d’enquête effectué par les policiers de la Sûreté du Québec dans la cause du Demandeur;

h.  été reçu par le GRCC en provenance de M. Normand Proulx, directeur de la Sûreté du Québec, concernant les demandes officielles de documents et/ou d’informations mentionnées dans le paragraphe g);

i.  eu lieu entre le GRCC et M. Serge Chartrand, capitaine et responsable de la direction de l’audit et de l’évaluation au département de l’accès à l’information et aux documents à la Sûreté du Québec, qui se voulait une demande officielle de documents et/ou de tout le dossier d’enquête effectué par les policiers de la Sûreté du Québec dans la cause du Demandeur;

j.  été reçu par le GRCC en provenance de M. Serge Chartrand, capitaine et responsable de la direction de l’audit et de l’évaluation au département de l’accès à l’information et aux documents à la Sûreté du Québec, relatif aux demandes officielles de documents et/ou d’information mentionnées dans le paragraphe i);

k.  eu lieu entre le GRCC et Me Stéphane Lamarche, substitut en chef du procureur général du Québec au palais de justice de Longueuil, qui se voulait une demande officielle de tout le dossier de poursuites utilisées par la Couronne dans le procès de Daniel Jolivet;

l.  été reçu par le GRCC en provenance de Me Stéphane Lamarche, substitut en chef du procureur général du Québec au Palais de justice de Longueuil, relatif à quelque demande officielle que ce soit relativement à tout le dossier de poursuites utilisées par la Couronne dans le procès de Daniel Jolivet et mentionné dans le paragraphe k);

m.  eu lieu entre le GRCC et Me Sabin Ouellet, substitut en chef du procureur général du Québec et directeur du bureau de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui se voulait une demande officielle de tout le dossier de poursuites utilisées par la Couronne dans le procès de Daniel Jolivet;

n.  été reçu par le GRCC en provenance de Me Sabin Ouellet, substitut en chef du procureur général du Québec et directeur du bureau de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) relatif à quelque demande officielle que ce soit relativement à tout le dossier de poursuites utilisées par la Couronne dans le procès de Daniel Jolivet et mentionné dans le paragraphe m;

o.  été reçu par le GRCC en provenance de Me Juli [sic] Drolet, responsable à l’accès à l’information et aux documents au bureau de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) relativement à tout le dossier de poursuites utilisées par la Couronne dans les procédures judiciaires instruites à l’endroit de Paul-André St-Pierre et/ou Daniel Jolivet;

Tous les documents ci-haut mentionnés ont été faits dans le but de procéder à l’analyse et/ou l’évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation criminelle du Demandeur;

2.  les copies entières et non raturées de chacun des documents constituant quelque échange de correspondance que ce soit (lettres manuscrites/dactylographiées, courrier électronique, etc.) qui a:

a.  eu lieu entre le GRCC et le Conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, en relation directe avec le dossier de l’analyse ou de l’évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation criminelle du Demandeur;

b.  été reçu par le GRCC constituant les avis et/ou les recommandations écrites du Conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, tel qu’édicté dans le Règlement relativement à sa propre décision de lui-même être en accord de rejeter ou non le rapport et la décision initiale du 24 septembre 2007 indiquant le rejet de la demande de révision du Demandeur au stade de l’évaluation préliminaire;

c.  été reçu par le GRCC constituant les avis juridiques et les recommandations écrites du conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, tel qu’édicté dans le Règlement relativement à sa propre décision d’être en accord ou non de rejeter la décision initiale révisée par le GRCC;

d.  été reçu par le GRCC constituant les avis juridiques et les recommandations écrites du conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, tel qu’édicté dans le Règlement relativement à sa propre décision de lui-même être en accord de rejeter ou non la décision initiale révisée à nouveau par le GRCC de rejeter la demande de révision de la condamnation du Demandeur;

e.  été reçu par le GRCC en provenance du conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, relativement à des lettres accompagnées de plusieurs documents en annexes qui se voulaient le désaccord par écrit du Demandeur lui-même de la décision du rejet de la demande de révision de la condamnation.

3.  Calendrier et/ou échéancier établi lors de la réunion initiale en vue de préparer l’évaluation préliminaire, faite entre l’avocat principal (Kerry Scullion) et l’avocat chargé d’étudier le dossier (Me Martin Lamontagne);

4.  Tous les résumés du dossier préparé par Me Martin Lamontagne;

5.  Tous les résumés du dossier préparé par Me Martin Lamontagne à Me Kerry Scullion;

6.  Notes et/ou rapport de la deuxième entrevue entre Me Martin Lamontagne et Me Kerry Scullion;

7.  Calendrier préparé suite à la deuxième rencontre entre Me Kerry Scullion et Me Martin Lamontagne pour les étapes subséquentes;

8.  Note et/ou rapport du troisième rencontre entre Me Kerry Scullion et Me Martin Lamontagne relativement à la décision prise relativement aux prochaines étapes possibles;

9.  Copie de tous les documents envoyés au Conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, pour approuver le rejet de la demande et ses réponses;

10.  Toutes les opinions écrites du Conseiller spécial indépendant en matière de demande de révision des condamnations criminelles, Me Bernard Grenier, dans le présent dossier;

11.  Les deux croquis qui accompagnent la demande de révision :

a.  Une carte de 3 pieds par 8 pieds environ temps, nom et heure;

b.  Une carte topographique de 3 pieds par 5 pieds environ des régions de Montréal, de Laval et de la Rive-Sud avec les tours des zones de téléphones cellulaires;

12.  Lettre du 30 juin 2008 du GRCC à la Sûreté du Québec;

13.  La réponse de la Sûreté du Québec au GRCC datée du 8 septembre 2008;

14.  Toute documentation reçue par le GRCC en provenance de la Sûreté du Québec en lien avec numéro 32 et 33;

15.  Le CD-Rom qui a été acheminé au GRCC le 20 février 2006 suite à la demande du 27 octobre 2005. Ce CD-Rom devait être accompagné d’un rapport qui n’a jamais été divulgué au Demandeur;

16.  Toute lettre entre le GRCC et la Sûreté du Québec ou la Sûreté du Québec et le GRCC;

17.  Les échanges de correspondance entre le GRCC et Bernard Grenier, conseiller spécial, et vice-versa;

18.  Déclaration de Pierre Chapdelaine;

19.  Déclaration de Nathalie Houde;

20.  Déclaration de Linda Madore;

21.  Déclaration de Dino Nitollo;

22.  Déclaration de Mike Televi;

23.  Déclaration de Lise Veillette;

24.  Déclaration de Maryse Villeneuve;

25.  Parade d’identification pour Solange Demers;

26.  Parade d’identification pour Martine Goulet;

27.  Formulaire de remisage;

28.  Rapports de la police de Brossard;

29.  Pièce P‑31, telle que déposée à la Cour et telle qu’elle se retrouve au dossier de la Sûreté du Québec.

[Soulignement du demandeur.]

  • [25] Je considère que cette demande de transmission de documents se heurte à plusieurs obstacles.

  • [26] Premièrement, suivant les prétentions mêmes du demandeur, le GRCC aurait pris sa ou ses décisions sans le dossier du ministère public et avec une partie seulement du dossier de la Sûreté du Québec. De fait, bon nombre des conclusions ou remèdes recherchés par le demandeur au mérite de sa demande de contrôle vise justement l’obtention forcée par les défendeurs du dossier complet de la Sûreté du Québec et celui du ministère public. En effet, en pages 3 et 4, l’avis de demande du demandeur indique ce qui suit :

L’OBJET DE LA DEMANDE EST LE SUIVANT :

[…]

  ORDONNER au défendeur d’obtenir le dossier complet de la Sûreté du Québec et le dossier complet du ministère public, tenir compte de ces dossiers dans son évaluation et en fournir une copie au Demandeur;

  ORDONNER au défendeur de fournir une copie des documents consultés non divulgués au Demandeur relativement à la décision complémentaire des 10 et 13 novembre 2008;

  CONSTATER que le dossier du ministère public est inexistant;

[…]

  • [27] Ainsi, puisque ces documents n’étaient certes pas devant le GRCC au moment de la prise de toute décision et puisque ces mêmes documents font l’objet du mérite de la demande de contrôle judiciaire, il m’apparaît qu’ils échappent à l’objet et au but de la règle 317.

  • [28] Tel que mentionné par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 4 de l’arrêt Ominayak c. Bande indienne de Lubicon Lake, [2000] A.C.F. no 2056, 267 N.R. 96 :

[4]  Nous estimons, avec égard, que la juge des requêtes a commis une erreur lorsqu’elle a ordonné à l’appelante de se procurer la liste des membres et de la remettre aux intimés. En l’espèce, l’appelante est l’office fédéral dont la décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Selon la règle 317, une partie peut demander qu’on lui remette les documents se rapportant à la demande de contrôle judiciaire et qui se trouve en la possession de l’office fédéral en question. La liste des membres n’était pas en la possession de l’appelante, fait qu’a reconnu la juge des requêtes. Étant donné que cette liste n’était pas en la possession de l’appelante, nous estimons que la juge des requêtes a commis une erreur lorsqu’elle a ordonné à l’appelante de se la procurer pour la remettre aux intimés.

[Je souligne.]

  • [29] Les remarques précédentes frappent donc à tout le moins les demandes 1(e) à (o) de la demande de transmission de documents.

  • [30] D’autre part, pour ce qui est des autres documents, et en tenant qu’ils existent, il m’apparaît que l’approche suivie par le demandeur tient en l’espèce d’une demande à l’aveuglette, d’une expédition de pêche. Forts de leur implication depuis de nombreuses années dans le dossier du demandeur, ce denier ou ses procureurs semblent vouloir fouiller dans les moindres recoins du dossier des défendeurs de manière à potentiellement découvrir un ou des documents que les défendeurs ont possiblement obtenus de tout intervenant impliqué par le passé et qui possiblement leur permettraient de faire avancer les choses. C’est là une entreprise qui correspond à la définition d’une expédition de pêche.

  • [31] En ce sens, en plus de ne pas être véritablement en ligne avec les exigences du paragraphe 317(1) des règles quant au caractère précis des documents recherchés, je pense que cette approche du demandeur doit être frappée des commentaires suivants formulés par le juge Blais, alors de notre Cour, au paragraphe 24 de sa décision dans l'arrêt Bradley-Sharpe c. Banque Royale du Canada, 2001 CFPI 1130 :

[...] la demanderesse cherche à fouiller dans les dossiers de la Commission pour y trouver des renseignements parce que la décision de cette dernière ne lui plaît pas.

(Voir également l'arrêt Beno c. Canada (Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie - Commission Létourneau), [1997] A.C.F. no 535 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphes 23 et 24.)

  • [32] Au mieux, cette demande de transmission de documents est de la nature d’une recherche d’informations et de documents que l’on retrouve au stade interlocutoire d’une action et non lors d’une demande de contrôle judiciaire.

  • [33] Dans l’arrêt Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, la Cour d’appel fédérale s’est dite en désaccord avec des demandes de transmission de documents sous les règles 317 et 318 qui ressortent bien davantage du processus présent aux actions. Aux paragraphes [20] et [21], la Cour d’appel indique :

[20]  En terminant, la Cour désire exprimer sa désapprobation des demandes de transmission de documents rédigés en termes aussi vagues que celle en cause. La révision judiciaire ne procède pas sur la même base qu'une action en justice; c'est une procédure qui se veut sommaire. Il y a donc une série de limites imposées aux parties en conséquence de cette distinction. La preuve se fait par affidavit et non par témoignage de vive voix. Il y a moins d'ouverture aux procédures préliminaires telles que la communication de la preuve entre les mains des parties et l'examen au préalable. Si de telles procédures s'avèrent nécessaires, les règles permettent qu'une demande de révision judiciaire soit transformée en action.

[21]  C'est dans ce contexte que se situe la règle 317 qui traite de la demande de transmission de documents. L'objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n'étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d'exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n'est pas question, lorsqu'il s'agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l'espoir d'en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l'encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire. Si les circonstances sont telles qu'il s'avère nécessaire d'élargir le cadre de la communication de la preuve, celui qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l'avant des éléments de preuve qui justifient sa demande. C'est ce dernier élément qui est tout à fait absent en l'instance.  [Je souligne.]

  • [34] Dernièrement dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, la Cour suprême du Canada a également rappelé au paragraphe 26 le caractère expéditif et rapide que doit suivre une demande de contrôle judiciaire.

  • [35] Par ailleurs, le demandeur se réfère à la décision de notre Cour dans l’arrêt Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme des commandites et les activités publicitaires – Commission Gomery), 2006 CF 720, pour soutenir qu’une demande de transmission de documents sous la règle 317 peut viser des documents autres que ceux qui ont servi à la décision sous attaque. Au paragraphe 80 de ses représentations écrites déposées le 20 septembre 2010 le demandeur soutient à cet égard ce qui suit :

80.  Deuxièmement, ce ne sont pas uniquement les documents que le Ministre ou le GRCC a choisi d’utiliser pour sa prise de décision qui doivent être transmis à cette honorable Cour, mais bien ceux qui étaient en sa possession. Dans Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme des commandites et les activités publicitaires – Commission Gomery), 2006 CF 720, onglet 4, le juge Teitelbaum s’exprimait comme suit, au paragraphe 78 :

  « La question à trancher lorsqu’il s’agit d’apprécier la pertinence des documents aux fins de l’article 317 des Règles n’est pas celle de savoir si le commissaire a tenu compte des documents en question ou s’il leur a accordé une force probante quelconque, mais plutôt celle de savoir s’ils lui ont été présentés. »

  [Reproduction partielle de ce paragraphe 78]

  • [36] Bien que cet arrêt impliquait des questions d’équité procédurale, il ne doit pas être vu comme une porte ouverte quant à la recherche de tout document non pris en considération lors de la décision. Dans Gagliano, la Cour sur la base d’une preuve contradictoire en est venue à la conclusion que le décideur avait possiblement devant lui un certains nombre de courriels qui ont pu être utilisés par ce dernier. Ici une telle preuve n’est pas présente.

  • [37] Enfin, tel qu’abordé précédemment, et tel que semble l’indiquer ci-dessous le paragraphe 84 des représentations écrites du demandeur déposées le 20 septembre 2010, les manquements à l’équité procédurale soulevés par le demandeur se centrent sur le fait que la Demande de révision fut tranchée en l’absence de documents de la Sûreté du Québec et du ministère public :

84.  Le Demandeur allègue de graves manquements à l’équité procédurale, notamment le traitement de la demande alors que le GRCC n’était pas en possession du dossier complet de la Sûreté du Québec et ce, malgré les nombreuses indications du Demandeur en ce sens. De plus, le Demandeur allègue que le GRCC n’a pas obtenu le dossier du Ministère public qui s’avérait nécessaire à l’étude du dossier, alors même que le GRCC avait reconnu l’importance d’obtenir ce dossier. L’attitude du GRCC avait reconnu l’importance d’obtenir ce dossier. L’attitude du GRCC à l’égard du Demandeur, notamment les réponses données par le GRCC en ce qui concerne la demande du dossier du Ministère public, ainsi que son changement subi de position relativement à la pertinence de ce dossier, pose de sérieux doutes quant au respect de l’équité procédurale;

(Voir également le paragraphe 34 des mêmes représentations.)

  • [38] Or, tel que le démontrent elles-mêmes dans leur ensemble les représentations écrites détaillées soumises par le demandeur le 20 septembre 2010, ces manquements allégués à l’équité procédurale se soutiennent suffisamment sans même la présence de tout document apparemment manquant. En d’autres termes, il m’apparaît que la thèse du demandeur n’est pas fonction de la production de tout document additionnel. De manière générale, les motifs que fait valoir le demandeur aux paragraphes 73 à 75 de ses représentations écrites déposées le 20 septembre 2010 se soutiennent par le raisonnement élaboré, ici et là, aux 72 premiers paragraphes desdites représentations.

  • [39] Ainsi pour ces motifs, la Cour maintient l’opposition des défendeurs à la transmission de documents au demandeur, le tout sans frais vu qu’ils ne sont pas réclamés par les défendeurs.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

Montréal, Québec

Le 19 janvier 2011

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-424-10

 

INTITULÉ :  DANIEL JOLIVET

  et

  LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

  et

  LE GROUPE RESPONSABLE DE LA RÉVISION DES CONDAMNATIONS CRIMINELLES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  12 janvier 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :  19 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lida Sara Nouraie

 

POUR LE DEMANDEUR

Jacques Savary

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Desrosiers, Joncas, Massicotte

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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