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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110118

Dossier : T-885-10

Référence : 2011 CF 56

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2011

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

KALPANA GUPTA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Gupta demande à la Cour d’examiner et d’annuler la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) de rejeter sa plainte contre son employeur, Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC). Mme Gupta allègue qu’elle a fait l’objet de discrimination, parce qu’on lui a refusé des possibilités d’emploi et de formation, et qu’elle a été victime de harcèlement fondé sur la race, l’origine ethnique nationale, la couleur et le sexe.

 

[2]               La CCDP a désigné une enquêtrice pour enquêter sur la plainte de la demanderesse. Après la tenue de son enquête, l’enquêtrice a écrit un rapport qui recommandait le rejet de la plainte. La demanderesse a reçu une copie du rapport et a eu l’occasion d’y répondre. Après avoir reçu des observations écrites additionnelles de la demanderesse, la CCDP a décidé de suivre la recommandation de l’enquêtrice et a rejeté la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, parce qu’elle était convaincue « que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié ».

 

[3]               Je ne suis pas convaincu que la décision de la CCDP était déraisonnable ou qu’une erreur de droit a été commise au cours du processus ayant mené à la décision; en conséquence, pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera rejetée.

 

Le contexte

[4]               La demanderesse est entrée à l’emploi de l’AINC en 1998 comme commis de base de données CR‑04 et a travaillé de 2005 à 2007 comme commis de soutien postsecondaire CR‑04. Elle a posé sa candidature ou exprimé son intérêt pour neuf postes d’attache ou postes intérimaires et pour deux occasions de formation, mais elle soutient que ses candidatures ont été refusées en raison d’une différence de traitement préjudiciable et de discrimination. Elle allègue également qu’elle a fait l’objet de harcèlement discriminatoire au travail. L’enquêtrice a conclu qu’aucun élément de preuve n’étayait ces allégations.

 

[5]               Faute d’éléments de preuve, l’enquêtrice n’a pas traité des questions suivantes qui ont été soulevées dans la plainte : des allégations fondées sur l’article 9 de la Loi, ayant trait à l’appartenance aux organisations d’employés; des allégations fondées sur l’article 10 de la Loi, ayant trait à des politiques et à des pratiques discriminatoires; des allégations fondées sur l’article 11 de la Loi, ayant trait à l’équité salariale; des allégations de discrimination fondée sur l’âge. La demanderesse n’a soulevé aucune question relativement à la décision de l’enquêtrice à cet égard.

 

[6]               Au cours de son enquête, l’enquêtrice a interrogé neuf individus, dont la demanderesse et son représentant, M. Noel Ayangma, et trois autres personnes proposées par la demanderesse. En outre, elle a aussi examiné un grand nombre de documents qui sont mentionnés dans le rapport. L’enquêtrice a examiné les allégations de pertes de possibilités d’emploi et l’allégation de harcèlement.

 

Les possibilités d’emploi

[7]               L’enquêtrice a examiné en détail chacun des postes pour lesquels la demanderesse avait sans succès exprimé de l’intérêt ou posé sa candidature. Dans chaque cas, l’enquêtrice a estimé que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle la demanderesse avait été traitée différemment. Ses conclusions se résument comme suit :

  • Agent de vérification de la conformité PM‑02 (septembre 2004) : l’enquêtrice a conclu que le concours pour ce poste avait été annulé. La demanderesse ainsi que 47 autres candidats à ce poste ont été avisés de ce fait. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante aurait été traitée différemment des autres candidats ».

 

  • Coordonnateur de la vérification de la conformité PM‑04 (novembre 2004) : la demanderesse a allégué qu’elle avait été exclue du concours parce qu’on a jugé qu’elle n’avait pas l’expérience suffisante dans deux domaines. Elle a déclaré avoir fourni des renseignements supplémentaires sur son expérience, qui n’ont pas été acceptés, alors que des renseignements supplémentaires fournis par un homme blanc ont été acceptés. La défenderesse a déclaré dans sa réponse à la plainte que le comité de sélection pour le poste avait considéré les renseignements supplémentaires de la demanderesse, mais que cela n’avait pas élevé son niveau de qualification. L’enquêtrice a conclu que l’occasion avait été donnée à la demanderesse de fournir des renseignements supplémentaires et de contester le processus d’appel. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante aurait été traitée différemment des autres candidats ».

 

  • Agent de vérification de la conformité PM‑02 (février 2005) : la demanderesse a été retenue pour l’examen écrit pour le poste et on lui a demandé de subir [traduction] « l’épreuve 425 de simulation de l’agent », qu’elle a échouée. Elle a allégué que l’épreuve était similaire à [traduction] « l’épreuve 428 », que certains candidats avaient déjà subie dans le cadre d’un autre concours et, en conséquence, que d’autres candidats avait eu un avantage. L’enquêtrice a noté, incorrectement, que la demanderesse avait déposé un grief à propos des résultats de l’épreuve 425 à la Commission des relations de travail dans la fonction publique et à la Cour d’appel fédérale[1]. L’enquêtrice a noté que, selon la décision du comité d’appel, le candidat qui avait finalement remporté le poste n’avait pas auparavant subi l’épreuve 428. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres candidats ».

 

  • Agent des successions et de l'administration des bandes (dotation anticipée) PM-02 (mai 2005) : La demanderesse a obtenu le plus haut classement dans un concours pour ce poste de dotation anticipée et a été inscrite dans une liste d’admissibilité, mais la liste a expiré sans que la demanderesse soit nommée à un poste permanent. La défenderesse a présenté des éléments de preuve selon lesquels les postes de dotation anticipée sont créés pour doter les postes qui pourraient devenir disponibles dans l’avenir et, dans ce cas, le poste n’est pas devenu disponible. Cependant, la plaignante a été choisie pour occuper ce poste PM‑02 [traduction] « par intérim » à deux occasions sur le fondement de la liste d’admissibilité. La liste d’admissibilité est finalement devenue caduque en vertu des dispositions obligatoires de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13 [LEFP]. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres employés ».

 

  • Un poste « intérimaire » AS‑03 à Terres et administration et un poste [traduction] « intérimaire » AS‑02 aux Services ministériels (mai 2006) : La demanderesse a déclaré que l’affectation à ces postes lui a été refusée en dépit du fait qu’elle s’y était montrée intéressée. La défenderesse a déclaré que la possibilité a été refusée à la demanderesse, ainsi qu’à autres, de travailler dans certains postes intérimaires en raison de [traduction] « l’initiative de remaniement » ayant lieu alors. La demanderesse a été nommée par intérim à d’autres postes avant et après le remaniement. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres employés ».

 

  • Poste « intérimaire » AS‑05 et poste à pourvoir AS‑02 (31 juillet 2006) : la demanderesse prétend qu’on a refusé de la nommer à ces postes pour lesquels elle a pourtant montré de l’intérêt. La défenderesse a présenté des éléments de preuve selon lesquels elle a nommé une personne pour occuper le poste AS‑05 pendant moins de quatre mois, conformément à ses politiques, et a déclaré que la demanderesse n’a pas posé sa candidature à l’un ou l’autre des postes permanents AS‑05 ou AS‑02. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment du fait qu’elle n’a pas été nommée aux postes AS‑05 et AS‑02. Elle n’avait pas postulé. »

 

  • Agent de vérification de la conformité PM‑02 (juillet 2006) : la demanderesse prétend qu’on a refusé de la nommer à ce poste pour lequel elle a pourtant montré de l’intérêt. La défenderesse a présenté des éléments de preuve selon lesquels, dans le cadre du processus d’embauche pour ce poste, plusieurs candidats, dont la demanderesse, ont été sélectionnés pour remplir la fonction d’agent de vérification de la conformité PM‑02. On a offert une prolongation de son poste à la demanderesse, mais celle‑ci a refusé l’offre sauf à la condition que la prolongation soit d’au moins deux ans. La politique de la demanderesse prévoit que les affectations intérimaires de plus d’une année doivent être annoncées et être assujetties à ses processus d’embauche, et cette demande a donc été refusée. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres employés ».

 

 

[8]               L’enquêtrice a également examiné l’allégation de la demanderesse selon laquelle, après l’expiration de la liste d’admissibilité pour le poste d’agent des successions et de l'administration des bandes, la défenderesse a annoncé un poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02. La demanderesse a échoué l’épreuve pour ce poste, mais a soutenu qu’elle aurait néanmoins dû être nommée parce qu’elle faisait un travail similaire dans son poste de commis de soutien postsecondaire CR‑04 et qu’elle était sur la liste d’admissibilité mentionnée plus haut. L’enquêtrice a déterminé, en se fondant sur les descriptions de travail respectives des postes d’agent des successions et de l'administration des bandes et d’agent de vérification de la conformité, que l’expérience et les connaissances requises pour ces postes étaient différentes. L’enquêtrice a également considéré la déclaration de la demanderesse selon laquelle M. Kevin McKeever avait été nommé comme agent de vérification de la conformité malgré le fait qu’il n’avait pas participé au concours pour le poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02, mais elle a conclu que ceci s’expliquait par le fait que M. McKeever était une personne autochtone nommée en vertu d’une disposition spéciale de la LEFP. L’enquêtrice a examiné le processus visant à créer des listes d’admissibilité et à embaucher des personnes provenant de différentes sections, mais a conclu qu’elle ne voyait aucun lien entre le fait que la demanderesse n’avait pas été nommée au poste d’agent de vérification de la conformité et le fait qu’elle aurait été traitée différemment des autres employés. L’enquêtrice a conclu qu’elle ne voyait [traduction] « aucun lien entre le fait que la plaignante n’a pas été nommée au poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02 et la plainte de la plaignante selon laquelle elle aurait été traitée différemment des autres employés ».

 

[9]               L’enquêtrice a examiné la plainte de la demanderesse selon laquelle, bien que celle‑ci ait été nommée à des postes [traduction] « intérimaires », contrairement à ses collègues elle n’avait finalement jamais été nommée à des postes à durée indéterminée ou permanents. L’enquêtrice a examiné la nature des nominations [traduction] « intérimaires » dans la fonction publique, en notant expressément que de telles nominations constituent des occasions de formation et de perfectionnement professionnel, n’exigent pas des personnes nommées qu’elles soient qualifiées pour [traduction] « occuper de manière intérimaire » un certain poste et ne garantissent pas un poste permanent parce que les candidats doivent néanmoins participer aux concours d’embauche fondés sur le critère du mérite et être retenus.

 

[10]           L’enquêtrice a examiné les organigrammes de la région du Manitoba de la défenderesse et a déterminé que les personnes qui se trouvent dans un poste intérimaire ne sont pas toutes finalement nommées de manière permanente à ce poste. L’enquêtrice a conclu que la demanderesse n’avait pas été nommée à un poste permanent à partir de ses postes [traduction] « intérimaires » parce que ces postes avaient été dotés conformément aux pratiques d’embauche de la défenderesse. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres employés ».

 

Les possibilités de formation

[11]           En juin 2006, la demanderesse a sollicité la permission de participer à une séance de [traduction] « formation des formateurs » dans le cadre d’un projet de transfert de paiements des Premières nations et des Inuits. La permission lui a été refusée en raison de questions de remaniement au sein du ministère. L’enquêtrice a noté la preuve selon laquelle, pendant une période de quatre mois en 2006, on avait refusé des possibilités de formation ou de postes intérimaires à un certain nombre de personnes dans la section de la demanderesse. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a été traitée différemment des autres employés ».

 

[12]           En juin 2008, il a été permis à la demanderesse de participer à un atelier du programme d’apprentissage mixte (PAM) de cinq jours qui visait à former les participants pour qu’ils puissent agir comme [traduction] « facilitateurs » afin d’améliorer les relations de travail entre les membres du syndicat et la direction dans le lieu de travail. Cependant, après avoir examiné la requête de la demanderesse, son superviseur, M. Fred Mills, a refusé d’accorder la requête pour les motifs que (i) la formation était davantage appropriée pour les praticiens des ressources humaines, les directeurs et les représentants syndicaux et (ii) il y avait du retard dans le traitement des rapports dont la demanderesse était responsable. L’enquêtrice a conclu que (i) la demanderesse avait été traitée différemment des autres employés du fait qu’on avait d’abord approuvé sa formation, puis qu’on la lui avait refusée et (ii) le traitement avait des conséquences défavorables pour la demanderesse du fait qu’elle n’était pas capable de faire progresser sa carrière et, en conséquence, l’enquêtrice a examiné la question de savoir si la demanderesse avait été traitée différemment en raison de caractéristiques ayant trait à l’un ou l’autre des motifs de discrimination illicite. L’enquêtrice a examiné la preuve recueillie auprès des différents témoins, en notant plus particulièrement que (i) les demandes pour des postes intérimaires et de formation étaient souvent refusées durant le cycle d’activité élevé de la section, (ii) la décision d’approuver ou non la demande de participation d’un employé à un PAM appartenait au seul superviseur de l’employé, (iii) selon la demanderesse, il y avait toujours du retard dans le traitement des dossiers, ce retard ne relevait pas de sa responsabilité et elle ne pouvait pas y remédier et (iv) la défenderesse donnait la priorité pour les PAM aux personnes engagées dans le syndicat. Finalement, l’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve ne permettait pas de lier le refus de formation au fait que la plaignante s’identifiaient comme une femme ressortissante des Indes orientales ».

 

Le harcèlement

[13]           L’enquêtrice a considéré les allégations de la demanderesse selon laquelle elle avait fait l’objet de harcèlement de la part de ses directeurs, en notant particulièrement :

  • que le superviseur de la demanderesse, alors qu’elle occupait « un poste intérimaire », lui avait donné une évaluation de rendement défavorable, ce qu’elle n’avait jamais eue auparavant;
  • qu’au cours d’une réunion, le directeur des services de financement avait déclaré que la demanderesse ne pouvait pas être nommée au poste d’agent de vérification de conformité PM‑02 à partir du poste d’agent des successions et de l'administration des bandes PM‑02 parce que les critères d’emploi étaient incompatibles et parce que la demanderesse avait auparavant échoué l’épreuve applicable. La demanderesse avait trouvé ces commentaires [traduction] « irrespectueux et humiliants »;
  • que le directeur du superviseur de la demanderesse avait refusé la requête de la demanderesse de participer bénévolement à un salon des carrières et que, lors d’un autre incident, avait mis en question son emploi du temps relativement à une présentation qu’elle avait donnée à une conférence.

 

[14]           Après avoir examiné ces allégations, l’enquêtrice a déterminé que [traduction] « les incidents rapportés par la plaignante et la documentation qu’elle a présentée étayaient l’affirmation de la défenderesse selon laquelle ses directeurs agissaient en suivant des lignes directrices établies ». L’enquêtrice a conclu que [traduction] « la preuve n’étaye pas [l’allégation selon laquelle] la plaignante a fait l’objet de harcèlement de la part de ses directeurs ».

 

[15]      L’enquêtrice a recommandé à la CCDP de rejeter la plainte parce que :

·          [traduction] « La preuve recueillie ne permet pas d’établir un lien entre le fait que la défenderesse a refusé d’accorder à la plaignante des possibilités de carrière et de formation et le fait que celle‑ci est une femme ressortissante des Indes orientales.

·          La preuve recueillie ne montre pas que la défenderesse n’a pas garanti un environnement dépourvu de harcèlement ».

 

[16]           La demanderesse a présenté des observations écrites en réponse au rapport d’enquête et, après avoir examiné le rapport de même que les observations de la demanderesse, la CCDP a rejeté la plainte au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une instruction au Tribunal canadien des droits de la personne. La CCDP a traité de l’observation écrite de la demanderesse selon laquelle le rapport ne tenait pas compte de la preuve de M. Ayangma, en notant que M. Ayangma était le représentant de la demanderesse durant l’enquête et que la demanderesse n’avait pas comblé les lacunes dans la preuve par des renseignements provenant de M. Ayangma. La CCDP a également tenu compte de la correction par la demanderesse de l’information inexacte ayant trait à son grief, qui se trouvait dans le rapport, mentionnée dans la note de bas de page 1 ci‑dessus, mais a déterminé que cette information ne constituait pas le fondement sur lequel reposait sa décision de rejeter la plainte.

 

Les questions en litige

[17]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.       L’enquêtrice a-t-elle outrepassé sa compétence en se comportant comme un tribunal?

b.       L’enquêtrice a-t-elle mené une enquête rigoureuse et impartiale de la plainte.

 

[18]           Les parties et la Cour conviennent que la norme de contrôle judiciaire relative à ces questions est celle de la décision correcte. Le caractère rigoureux et l’impartialité du rapport d’un enquêteur sont des questions d’équité procédurale : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), conf. [1996] A.C.F. No 385 (C.A.); aux paragraphes 48 et 49; Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 8. En conséquence, cette question est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. La question de la compétence est une question de droit et est également susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

 

L’enquêtrice a-t-elle outrepassé sa compétence en se comportant comme un tribunal?

 

[19]           La demanderesse fait valoir que l’enquêtrice a outrepassé sa compétence en se comportant comme si elle était le Tribunal. Elle soutient que ni la Commission, ni l’enquêtrice n’ont le pouvoir de trancher la question de savoir s’il y a réellement eu discrimination, mais que le rôle de la Commission, et donc celui de l’enquêtrice, est seulement de déterminer s’il convient de renvoyer une plainte au Tribunal. Selon la demanderesse, les questions posées par l’enquêtrice, censément pour examiner l’allégation de différence de traitement préjudiciable, équivalent à déterminer si la plainte est établie et, par conséquent, des conclusions ont été tirées sur des questions importantes qui auraient dues être laissées au juge des faits.

 

[20]           Les questions dans le rapport de l’enquêtrice qui portaient sur la discrimination étaient les suivantes :

[traduction]

Enquête sur l’allégation de différence de traitement dans l’emploi

 

Étape 1 : L’enquête examinera la question de savoir si l’allégation de traitement différentiel de la plaignante est étayée par des éléments de preuve, en considérant :

 

i.                     en relation avec la conduite qui fait l’objet de la plainte, la question de savoir si la plaignante a été traitée différemment des autres employés;

ii.                   la question de savoir si le traitement comportait des conséquences défavorables pour la plaignante;

iii.                  la question de savoir si la plaignante a été traitée différemment en raison de caractéristiques ayant trait à un ou plusieurs motifs de discrimination illicite.

 

Étape 2 : Selon les conclusions de l’enquêtrice, l’enquête pourrait également examiner :

 

i.                     la question de savoir si la répondante peut donner, pour ses actions, une explication raisonnable qui ne soit pas un prétexte pour la discrimination fondée sur des motifs illicites.

 

L’enquêtrice a posé un ensemble similaire de questions relativement à l’allégation de harcèlement.

 

[21]           La demanderesse fait également valoir qu’en concluant que la preuve n’étayait pas son allégation de différence de traitement, l’enquêtrice a outrepassé sa compétence, puisqu’il s’agissait‑là d’une décision qui devait être rendue par le Tribunal après avoir apprécié la preuve.

 

[22]           La demanderesse note qu’à la phase d’enquête d’une procédure en vertu de la Loi, un plaignant ne doit donner qu’une preuve prima facie de discrimination pour établir le bien‑fondé de la plainte, et que l’évaluation par un enquêteur de la question de savoir si la preuve prima facie a été établie doit être faite sans apprécier la preuve. La demanderesse soutient que, pour parvenir aux conclusions auxquelles elle est parvenue, l’enquêtrice doit avoir apprécié la preuve et que cela constitue une erreur susceptible de révision.

 

[23]           J’estime que l’enquêtrice n’a pas usurpé le rôle du Tribunal en menant son enquête. Quoique la demanderesse ait fait état d’expressions qui, selon elle, indiquent que l’enquêtrice a agi comme un arbitre en appréciant la preuve et en rendant des décisions finales, l’examen du rapport dans son ensemble n’étaye pas cette affirmation.

 

[24]           La demanderesse n’a pas compris la distinction importante entre l’appréciation de la preuve et l’évaluation de la suffisance de la preuve. L’appréciation de la preuve requiert d’évaluer la valeur probante de la preuve – aux fins de cet exercice, le décideur évalue le caractère convaincant d’une preuve particulière en comparaison à une autre preuve. L’évaluation de la suffisance de la preuve nécessite de considérer la valeur probante de la preuve – aux fins de cet exercice, le décideur évalue la question de savoir si la preuve tend à démontrer ou à réfuter certaines allégations, telles que les allégations de discrimination et de harcèlement. Il est généralement accepté qu’il ne relève pas du pouvoir de la Commission ou de l’enquêteur d’apprécier la preuve : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 [S.E.P.Q.A.]. Il relève toutefois de leur pouvoir d’évaluer la valeur probante de la preuve : Slattery, précité, au paragraphe 56; Tan c. Société canadienne des postes., [1995] A.C.F. No 899 (1re inst.), au paragraphe 25; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1997] A.C.F. No 207 (1re inst.), au paragraphe 27.

 

[25]           Lorsqu’elle examine la question de savoir s’il convient de renvoyer une plainte au Tribunal pour instruction, la Commission doit considérer la question de savoir si une instruction est [traduction] « justifiée »; ce processus exige d’évaluer la suffisance de la preuve. Il a été dit que ce processus est analogue à une enquête préliminaire : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 53, S.E.P.Q.A, précité, et plus récemment Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au paragraphe 16.

 

[26]           En l’espèce, l’enquêtrice a accepté la véracité de la preuve, mais a déterminé qu’on ne pouvait tirer aucune inférence de discrimination de la preuve présentée par la demanderesse. L’enquêtrice n’a pas donné de valeur à la preuve ou préféré la preuve de la défenderesse à celle de la demanderesse. Elle a plutôt considéré toute la preuve et a déterminé qu’elle ne suffisait pas à étayer une conclusion de discrimination. Dans son rapport, l’enquêtrice a conclu que la preuve [traduction] « n’étaye pas » une conclusion de différence de traitement, que la preuve [traduction] « ne permet pas de discerner » une différence de traitement, qu’elle [traduction] « ne pouvait établir un lien » entre la preuve et la différence de traitement ou le fait que la demanderesse s’identifie comme une femme des Indes orientales, et enfin que la preuve de la demanderesse relativement à la discrimination étayait la position de la défenderesse. Ces conclusions portaient toutes sur la valeur probante de la preuve, non sur le poids qu’il convenait de lui accorder. Ayant lu le rapport dans son ensemble, je conclus que l’enquêtrice a accepté les éléments de preuve présentés, mais a déterminé qu’ils n’établissaient pas la discrimination.

 

L’enquêtrice a-t-elle mené une enquête rigoureuse et impartiale?

 

[27]           La demanderesse fait valoir qu’il existe une [traduction] « preuve abondante » que l’enquête manquait de rigueur et d’impartialité et que la décision a été prise sans égard à certains éléments de ses observations écrites et de ses documents. En particulier, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit en ne considérant pas des questions importantes soulevées dans ses observations écrites postérieures à l’enquête, y compris son allégation que l’enquêtrice avait outrepassé sa compétence en se comportant comme le Tribunal, et que ce défaut de considérer des questions importantes dans une réfutation de la demanderesse est une erreur susceptible de révision : Busch c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1211, paragraphe 17.

 

[28]           Contrairement à l’observation écrite de la demanderesse, je conclus que la Commission n’a pas fait défaut de considérer les questions soulevées dans ses observations écrites postérieures à l’enquête. La Commission :

  • a examiné l’argument de la demanderesse au sujet de la compétence, a expliqué le rôle de l’enquêtrice et de la Commission et a expliqué l’exigence qu’il y ait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier le renvoi de la plainte;
  • a noté que le rapport répondait à chacun des éléments des allégations;
  • a noté que M. Ayangma était le représentant de la demanderesse, mais a conclu que la demanderesse ne comblait aucune des lacunes dans la preuve grâce aux renseignements donnés par M. Ayangma;
  • a noté les corrections par la demanderesse aux renseignements contenus aux paragraphes 36 à 39 du rapport et a expliqué que, bien que ces renseignements puissent être inexacts, ils ne constituaient pas le fondement sur lequel reposait la décision de la Commission de rejeter la plainte.

 

[29]           La décision Busch, précitée, se distingue clairement de l’affaire en l’espèce . Dans Busch, le juge Snider, au paragraphe 11, a noté expressément que la décision de la Commission ne faisait nullement référence à la réponse de Mme Busch au rapport, mais était simplement une déclaration [traduction] « passe-partout » selon laquelle il avait été tenu compte de ses observations écrites. En l’espèce, des quatre façons notées au paragraphe 28, la Commission a traité, expressément et efficacement, de la réponse de la demanderesse au rapport.

 

[30]           La demanderesse fait également valoir que l’enquêtrice a commis une erreur en n’examinant pas les renseignements pertinents qui lui ont été présentés par les témoins de la demanderesse, M. Ayangma et Archie McGillivray. La demanderesse soutient que, bien que l’enquêtrice ait interrogé M. Ayangma, son rapport en exclut clairement le témoignage.

 

[31]           L’enquêtrice n’a pas omis d’examiner les renseignements pertinents présentés par M. Ayangma ou M. McGillivray. L’enquêtrice a interrogé ces deux témoins. Dans son rapport, elle a noté l’opinion de M. Ayangma selon laquelle, lorsqu’une affectation intérimaire a été donnée à la demanderesse, l’on s’attendait à ce qu’on lui donnât l’emploi de manière permanente. Elle a aussi fait maintes fois référence au témoignage de M. McGillivray. L’enquêtrice n’est pas tenue de faire référence à chaque élément précis du témoignage des témoins de la demanderesse; les omissions n’étaient pas de « nature si fondamentale » et ne concernaient pas une preuve « manifestement importante » (Slattery, précité). Une grande partie de la [traduction] « preuve » présentée par M. Ayangma et M. McGillivray était seulement des croyances personnelles et était grandement circonstancielle. M. Ayangma était le [traduction] « défenseur » de la demanderesse, mais il n’avait pas connaissance personnelle ou directe des circonstances qui ont donné lieu à la présente affaire et l’argument de la demanderesse selon lequel l’enquêtrice a exclu le témoignage parce qu’il étayait la cause de la défenderesse est sans fondement. De plus, quoique M. McGillivray affirme que la demanderesse a fait l’objet de discrimination, il n’a présenté aucune preuve de cette discrimination hormis des descriptions de ce qui à son avis était le style de direction défectueux des directeurs d’AINC.

 

[32]           La demanderesse soutient en outre que le fait que 47 autres candidats ont été avisés de l’annulation du concours pour le poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02 en septembre 2004 ne suffisait pas à expliquer pourquoi le concours a été annulé après qu’elle a subi une épreuve écrite ou pourquoi l’annulation du concours n’était pas discriminatoire. La demanderesse soutient qu’en n’examinant pas davantage la question au regard du critère exposé par l’enquêtrice, cette dernière a commis une erreur de droit et n’a pas mené une enquête rigoureuse et impartiale.

 

[33]           J’estime que cette observation est sans fondement. La décision qui fait l’objet de la plainte de la demanderesse était la même qui a affecté tous les autres 47 candidats; comme elle a reçu le même traitement que tous les autres candidats, il n’y a pas eu de différence de traitement.

 

[34]           Enfin, la demanderesse soutient que les conclusions de l’enquêtrice en ce qui a trait au concours pour le poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02 et la contestation du concours qu’elle a introduite ont été tirées sans tenir compte des documents dont disposait l’enquêtrice, ce qui soulève des doutes quant à la rigueur, la fiabilité, l’impartialité et l’objectivité du rapport.

 

[35]           Les erreurs dans le rapport ayant trait à la contestation antérieure par la demanderesse du concours pour le poste d’agent de vérification de la conformité PM‑02 (février 2005) ne constituaient que des erreurs mineures sur des détails et n’affectaient pas la décision. La Commission a noté expressément cette erreur.

 

[36]           Selon mon évaluation, le rapport portait beaucoup d’attention aux détails et tenait compte de tous les incidents de discrimination allégués par la demanderesse. Le rapport était rigoureux. Rien n’étaye l’allégation de la demanderesse selon laquelle le rapport n’était pas impartial.

 

[37]           Pour les motifs exposés, la demande sera rejetée. La défenderesse a avisé la Cour qu’elle ne sollicite pas les dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, sans dépens.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-885-10

 

INTITULÉ :                                       KALPANA GUPTA c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kalpana Gupta

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Brad Favel, Joseph Langan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet

 

 

POUR SON PROPRE COMPTE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 



[1] La demanderesse a en fait contesté le processus d’embauche et l’utilisation de l’épreuve 425 devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. La demanderesses s’est adressée sans succès à la Cour fédérale, non à la Cour d’appel fédérale, relativement à une décision interlocutoire du comité; voir Gupta c. Canada, 2006 CF 1262.

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