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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110121

Dossier : T-25-10

Référence : 2011 CF 77

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE ET INTRIA ITEMS INC.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

MURUGANANDARAJAH MUTHIAH

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une arbitre nommée en vertu du Code canadien du travail, Ruth Hartman, a rejeté l’objection relative à la compétence que les demanderesses avaient formulée à l’égard de la plainte de congédiement injuste du défendeur. Les demanderesses sont des sociétés liées et sont ci-après appelées collectivement la CIBC.

 

[2]               La CIBC soutient que le licenciement de M. Muthiah découlait de la suppression d’un poste, ce qui aurait dû mener au rejet de la plainte de celui-ci conformément à l’alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), dont voici le libellé :

242. (3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

242. (3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

 

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

 

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

 

 

Il importe de souligner que le dossier de la présente demande ne renferme aucune transcription des témoignages présentés devant l’arbitre, probablement parce que l’audience n’a pas été enregistrée.

 

Les faits à l’origine du litige

[3]               L’emploi de M. Muthiah, qui avait été engagé par la CIBC à titre d’employé de bureau en 1988, a pris fin le 7 octobre 2008. La CIBC a soutenu que M. Muthiah avait été licencié par suite d’une initiative de restructuration nationale et qu’il avait été choisi parce que certaines de ses responsabilités pouvaient être confiées à d’autres personnes. Lorsque le poste a été éliminé, la totalité des fonctions de M. Muthiah ont été attribuées à d’autres personnes du service ou confiées en sous-traitance.

 

[4]               M. Muthiah n’a pas accepté la façon dont la CIBC avait décrit son licenciement et, le 7 novembre 2008, il a déposé une plainte de congédiement injuste fondée sur l’article 240 du Code. La CIBC a demandé que la plainte soit rejetée, parce que le licenciement découlait « du manque de travail ou de la suppression d’un poste », de sorte qu’il était exclu de l’arbitrage par le paragraphe 242(3.1) du Code. C’est cette question relative à la compétence que l’arbitre a tranchée en faveur de M. Muthiah et qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

            La décision sous examen

[5]               Il appert clairement de la décision de l’arbitre que celle-ci a compris la question relative à la compétence qu’elle devait trancher. Mme Hartman a cité les dispositions législatives pertinentes ainsi que les précédents jurisprudentiels dans lesquels ces dispositions avaient été examinées. Elle a accepté l’argument de la CIBC selon lequel le paragraphe 242(3.1) [traduction] « reconnaît à l’employeur le droit de licencier des employés pour des motifs économiques ou financiers ou encore en raison d’une compression des coûts, pourvu que la décision soit réelle et qu’elle soit prise de bonne foi, ainsi que le droit de réorganiser les effectifs et de réattribuer les tâches des employés licenciés ». L’arbitre a également cité avec approbation la conclusion tirée dans Flieger c. Nouveau‑Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, 104 D.L.R. (4th) 292, selon laquelle [traduction] « le fait de décentraliser, en les confiant à d’autres, des fonctions auparavant exercées par le titulaire d’un poste qui n’existe plus peut être considéré comme une suppression d’un poste ». Cependant, l’arbitre a précisé que les motifs énoncés par l’employeur ne peuvent pas toujours être acceptés tels quels et qu’il est parfois nécessaire de savoir si le licenciement reposait sur des raisons mixtes ou sur une raison inavouée. En conséquence, le licenciement qui est organisé ou maquillé afin d’empêcher une contestation fondée sur le Code n’est pas fait de bonne foi et n’est pas protégé par le paragraphe 242(3.1).

 

[6]               L’arbitre a entendu le témoignage de la directrice des remises de chèques de la CIBC à Mississauga, Mme Tina Maltese. Mme Maltese a témoigné au sujet de l’initiative de restructuration nationale de la CIBC (projet Saturn), qui constituait le motif invoqué ouvertement au soutien du licenciement de M. Muthiah. Mme Maltese ne savait rien au sujet de ce licenciement ni n’en connaissait la raison précise et, fait intéressant à souligner, elle a reconnu que, dans le service de M. Muthiah, le nombre de postes éliminés dépassait de deux l’objectif ciblé par le projet Saturn. L’arbitre a décrit comme suit le témoignage de Mme Maltese :

[traduction]

[61]      Mme Maltese n’a pas participé à la décision d’éliminer le poste de M. Muthiah et n’avait aucun renseignement direct à ce sujet. En réponse à la question de savoir comment l’élimination du poste de M. Muthiah était rentable, Mme Maltese a confirmé qu’elle n’avait aucun renseignement autre que l’information qui figurait sur les feuilles de calcul et elle a présumé que l’économie résidait dans le fait que le salaire de M. Muthiah n’était plus payé.

 

[62]      Mme Maltese a supposé que l’élimination du poste de M. Muthiah s’inscrivait peut-être dans le cadre de la mise en oeuvre générale de la réduction des coûts du projet Saturn par la « réattribution des tâches à d’autres personnes » ou par leur intégration dans les fonctions exercées par d’autres personnes, mais elle n’avait aucun renseignement direct à ce sujet. Elle a dit qu’elle était au courant de l’utilisation d’une matrice de comparaison servant à déterminer la ou les personnes à éliminer parmi celles qui occupaient le même poste. Elle a expliqué qu’un groupe de personnes exerçant les mêmes fonctions devait être évalué et classé à l’aide de critères comme le souci de la précision, la productivité et les qualités personnelles (adaptabilité, attitude, mesures disciplinaires progressives). La personne classée au dernier rang est celle dont le poste est éliminé. Selon Mme Maltese, cette procédure s’applique « lorsque plusieurs personnes font le même travail » et, pour qu’un employé soit admissible à une indemnité transitoire et au programme de soutien à la transition, il est obligatoire que son poste ait été choisi comme poste à éliminer.

 

[7]               Afin d’établir la raison sous-jacente à la sélection de M. Muthiah comme employé redondant, la CIBC a fait témoigner son gestionnaire des risques pour l’Ontario, M. Rakesh Sharma, qui a déclaré au cours de son témoignage qu’il n’avait aucun lien direct avec M. Muthiah. Voici comment l’arbitre a décrit ce témoignage :

[traduction]

[67]      M. Sharma semblait avoir une connaissance directe limitée en ce qui a trait au choix du poste de M. Muthiah comme poste à éliminer. Il a parlé à maintes reprises de « la vision de Mme Gordon », qu’il n’a pu décrire de façon précise, mentionnant simplement que celle-ci avait évoqué la possibilité que les opérateurs à la saisie des données séparent les bordereaux d’analyse coûts-avantages des autres bordereaux pendant l’entrée des données en faisant deux piles plutôt qu’une, ce qui éliminerait la nécessité de confier cette tâche à une autre personne après le délai de trois jours. Le dossier ne renferme aucun élément indiquant que cette idée a été mentionnée avant le licenciement. M. Sharma a souligné qu’il ne connaissait l’existence d’aucun document écrit, mais il a précisé avoir assisté à une brève réunion avec Mme Proc et Mme Gordon qui a eu lieu en septembre et au cours de laquelle la question a été abordée. À titre de preuve du « choix », il a invoqué le courriel suivant que Mme Gordon avait adressé à Mme Proc et à lui-même le 9 septembre 2008. Renvoyant apparemment à l’objet énoncé, qui était [traduction] « Nom de l’ouvreur de sacs », Mme Gordon répond de façon plutôt succincte en ces termes :

 

[traduction]

Bonjour :

 

Tel que demandé :

 

Prénom :                                   Nom de famille :

 

Muruganandarajab (Rajah)       MUTHIAH

 

Salutations

 

[68]      Même si M. Sharma a souligné que ce courriel découlait de sa rencontre avec Mme Gordon et Mme Proc, il est difficile de savoir en quoi ce document était lié à leur discussion concernant les bordereaux de dépôt.

 

[69]      M. Sharma a déclaré clairement au cours de son témoignage qu’il n’a pris aucune mesure de son propre chef au sujet de l’élimination du poste. Il n’a fait aucun examen ni aucune recherche et a simplement conclu après quelque temps qu’à son avis, la « vision » de Mme Gordon était plausible, qu’il y souscrivait et que sa principale tâche était de veiller à ce que le processus d’approbation applicable soit en place avant de rencontrer M. Muthiah pour l’informer.

 

[8]               L’arbitre a tranché comme suit la question relative à la compétence dont elle était saisie :

[traduction]

[84]      Il est indéniable que ni Mme Maltese ni M. Sharma n’ont fourni de renseignements directs au sujet de la façon dont M. Muthiah est devenu un élément de la très grande restructuration que la CIBC avait entreprise dans le cadre du projet Saturn. Selon la réduction des effectifs qui avait été prévue pour novembre 2008, 63 postes devaient être éliminés à l’établissement où il travaillait, mais 65 l’ont été. La question de savoir si le poste de M. Muthiah faisait partie des 63 dont l’élimination avait été prévue ou des deux autres qui ont été ajoutés demeure sans réponse, car aucune explication n’a été fournie.

 

[85]      Après avoir passé en revue la jurisprudence dans le contexte de la preuve que l’employeur a présentée en l’espèce, je ne puis conclure que l’alinéa 242(3.1)a) s’applique. Même si les employeurs peuvent restructurer leur entreprise et réduire leurs coûts comme bon leur semble, le Code s’applique, à moins qu’il ne soit possible de dire que l’employé ayant déposé la plainte a été licencié en raison de « la suppression d’un poste ».

 

[86]      L’employeur n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu suppression d’un poste, comme il devait le faire; par conséquent, il n’est pas nécessaire que je m’attarde à la question de savoir si le défendeur a été licencié en raison de la suppression d’un poste. Il suffit de dire que l’exception prévue au Code ne couvre pas le raisonnement invoqué après le licenciement.

 

[87]      Il est clairement reconnu dans la jurisprudence que l’employeur qui cherche à contester une plainte fondée sur le Code doit prouver que l’élimination d’un poste qui lui est reprochée découle d’une décision raisonnée et non arbitraire qui a été prise par souci d’économie et qu’il s’agissait là du « motif réel et opérationnel » à la date pertinente. Même si le motif opérationnel invoqué en l’espèce était simplement un « dénombrement des effectifs », la preuve ne démontre pas clairement en quoi M. Muthiah et son salaire sont concernés par la décision de restructurer les effectifs.

 

[88]      M. Sharma n’a joué qu’un rôle superficiel et n’avait aucun renseignement direct sur la façon dont M. Muthiah est devenu un élément du processus de restructuration, sur la date pertinente ou sur les raisons connexes. Il a dit qu’il n’a jamais parlé aux superviseurs immédiats de M. Muthiah ou à qui que ce soit et qu’il a simplement souscrit à une décision que Mme Gordon avait déjà prise. Cette décision était apparemment fondée uniquement sur la séparation des bordereaux de dépôt par type, ce qui représentait une partie infime de l’ensemble des tâches de M. Muthiah.

 

[89]      Ni Mme Gordon non plus que les autres personnes ayant joué un rôle plus direct dans la décision de licencier M. Muthiah n’ont été appelées à témoigner et la justification invoquée relève de renseignements largement anecdotiques et indirects. Le seul élément de preuve contemporain fourni au sujet de la décision d’éliminer le poste de M. Muthiah et de l’admissibilité de celui-ci au programme de soutien à la transition en raison de la restructuration réside dans le courriel laconique que Mme Gordon a envoyé en septembre 200[8] et qui comporte uniquement le nom du défendeur dans un contexte non précisé.

 

[90]      La preuve présentée n’est pas suffisante pour établir les circonstances nécessaires à l’application de l’alinéa 242(3.1)a) de façon à me retirer ma compétence en ce qui a trait à l’audition de la plainte de M. Muthiah. Quel que soit le bien-fondé de cette plainte, les demanderesses ne se sont pas déchargées du fardeau de preuve relatif à l’exclusion.

 

La question en litige

[9]               L’arbitre a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 242(3.1)a)?

 

Analyse

[10]           La CIBC a décrit la question dont la Cour est saisie comme une question de droit concernant la compétence, qui doit donc être révisée selon la norme de la décision correcte : voir Ocean Services Ltd. c. Guenette, 2010 C.F. 188, [2010] A.C.F. no 214. Cependant, une bonne partie des arguments de la CIBC sont fondés sur une analyse des conclusions que l’arbitre a tirées au sujet de la preuve et qui doivent être révisées selon la norme de la raisonnabilité.

 

[11]           La CIBC ne nie pas qu’il lui appartenait d’établir que la principale raison du licenciement de M. Muthiah résidait dans la suppression d’un poste. Elle soutient cependant que l’arbitre a commis une erreur en évaluant le bien-fondé de la décision de licencier M. Muthiah et en assimilant certaines questions relatives à la preuve à des conditions préalables à l’application du paragraphe 242(3.1). Ces arguments sont résumés dans les extraits suivants du mémoire de la CIBC :

[traduction]

7.         De l’avis des demanderesses, la conclusion de l’arbitre selon laquelle INTRIA n’a pas établi l’existence d’une situation visée par l’exception prévue à l’alinéa 242(3.1)a) du Code découle d’erreurs de droit et mènerait à l’imposition d’un fardeau de preuve excessif pour les employeurs, ce qui rendrait inefficace l’exception créée par le législateur à l’égard de la compétence en matière de congédiement injuste. Des inefficiences importantes et une grande imprévisibilité résulteraient de ce traitement, alors que le législateur souhaitait que l’alinéa 242(3.1)a) permette aux employeurs de diriger leurs entreprises sans que les arbitres nommés en vertu du Code leur prêtent des intentions à cet égard. La décision rendue en l’espèce élimine la liberté fonctionnelle et la protection contre le contrôle arbitral que l’alinéa 242(3.1)a) visait à offrir aux employeurs dans les situations où l’entreprise doit réorganiser le milieu de travail.

 

[…]

 

38.       Malgré la preuve au dossier qui démontre clairement que le défendeur était le seul employé responsable du tri des bordereaux de dépôt avant l’élimination de son poste, l’arbitre a analysé l’efficacité du changement de méthode qui a touché le poste en question. Après avoir mené une analyse a posteriori du jugement d’INTRIA, elle en est arrivée à ses propres conclusions au sujet des gains en efficience relatifs obtenus après la mise en oeuvre des changements qui a suivi le licenciement du défendeur et a donc substitué son jugement à celui d’INTRIA.

 

[…]

 

63.       L’arbitre semble se fonder sur la décision que la Cour fédérale a rendue dans Howard and Maritime Telephone c. Telegraph Co. Ltd., [2000] 5 C.P.E.L. (3d) 210 (C.F. 1re inst.), notamment sur les commentaires formulés aux paragraphes 33 à 36, pour affirmer que la suppression du poste d’un employé doit être précédée d’un plan de restructuration détaillé. Or, la CIBC fait valoir que cette décision n’appuie pas cette nouvelle norme de preuve très élevée ni ne permet de dire que l’arbitre ne peut tenir compte des mesures prises après la date du licenciement pour chercher à savoir s’il y a eu suppression d’un poste aux fins de l’alinéa 242(3.1)a). Logiquement, la restructuration est nécessairement mise en oeuvre après la suppression du poste de l’employé.

 

[12]           La CIBC fait valoir que l’arbitre n’a pas le droit d’évaluer la sagesse d’un licenciement dans le cadre de l’application de l’alinéa 242(3.1)a). Cette disposition, dit-elle, vise à préserver le droit de l’employeur de gérer son entreprise comme bon lui semble, y compris le droit de prendre des décisions qui pourraient, plus tard, se révéler peu judicieuses. Je souscris à cette opinion. Lorsqu’un employé est licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste, l’examen de la question de la compétence à trancher dans le cadre de l’application de cette disposition législative se limite à la bonne foi de l’employeur, ce qui ne nécessite habituellement pas une analyse du caractère judicieux de la décision de celui-ci au plan économique ou fonctionnel. Cependant, l’arbitre a le droit de se demander si l’employeur a décidé de licencier l’employé pour des raisons commerciales dissimulées ou dans un autre but, y compris une forme déguisée de sanction disciplinaire. Pour déterminer la bonne foi de l’employeur, il est peut-être nécessaire d’examiner la justification qu’il a ouvertement invoquée; cependant, lorsqu’il appert de la preuve que la décision repose légitimement sur un manque de travail ou sur la suppression d’un poste, il n’y a pas lieu de s’attarder au bien‑fondé du choix.

 

[13]           La principale faiblesse de l’argument de la CIBC à ce sujet réside dans le fait que l’arbitre n’a pas examiné la sagesse de la décision de licencier M. Muthiah. Elle a mentionné en toutes lettres que la question dont elle était saisie était de savoir, non pas si la décision de la CIBC était appropriée, mais plutôt si la banque avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait. L’arbitre a également ajouté que [traduction] « les employeurs peuvent restructurer leur entreprise et réduire leurs coûts comme bon leur semble ». En bout de ligne, l’arbitre était tout simplement insatisfaite de la qualité de la preuve que la CIBC avait présentée et elle a donc rejeté l’objection de celle-ci.

 

[14]           Pour que le concept de la retenue judiciaire ait une signification quelconque, il doit certainement s’appliquer à une décision semblable à celle dont la Cour est saisie en l’espèce, qui repose sur une appréciation de la preuve. L’arbitre a eu l’avantage d’entendre les témoins des deux parties et a conclu que la CIBC n’avait pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait et à présenter la preuve nécessaire pour écarter la compétence de l’arbitre. La position manifestement désavantageuse du tribunal de révision, qui est souvent déplorée, est amplifiée en l’espèce par l’absence de transcription des témoignages que l’arbitre a entendus à l’audience. Je ne suis donc pas en mesure de décider si la description que l’arbitre a faite des témoignages était raisonnable et je dois accepter ses conclusions à peu près intégralement.

 

[15]           Ce qui ressort de la décision, c’est que la CIBC n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve plausibles au sujet de la raison du licenciement de M. Muthiah pour que cette décision puisse être protégée par le paragraphe 242(3.1). Il ne s’agit pas là d’une conclusion déraisonnable, la CIBC ayant apparemment omis de présenter la meilleure preuve disponible. D’après le dossier soumis à l’arbitre, plusieurs gestionnaires de la CIBC avaient participé à la décision de licencier M. Muthiah et M. Sharma a agi principalement comme messager. L’arbitre a souligné à juste titre l’omission de la CIBC de faire témoigner la gestionnaire qui était apparemment directement responsable de la décision (Mme Gordon) et cette omission aurait pu, en soi, constituer le fondement d’une conclusion défavorable : voir Thomas c. Bande indienne Crie d’Enoch, [2003] A.C.F. no 153, 227 F.T.R. 236, aux paragraphes 50 et 51. Par ailleurs, les documents antérieurs au licenciement que la CIBC a présentés ne comportaient à peu près aucun renseignement susceptible d’appuyer la décision et l’arbitre a eu raison d’écarter la justification commerciale que la CIBC a invoquée après le licenciement. Après tout, la preuve à présenter aux fins de la principale question à trancher devait concerner les raisons ayant motivé le choix porté sur M. Muthiah comme employé à licencier et non la façon dont la décision a subséquemment été formulée ou présentée par une personne des ressources humaines.

 

[16]           Contrairement à ce que soutient la CIBC, je ne crois pas que l’arbitre a mal appliqué la décision Flieger susmentionnée en se fondant sur une partie de l’opinion dissidente de la juge Claire L’Heureux-Dubé. Il est évident que l’arbitre a bien compris le critère juridique relatif à l’application du paragraphe 242(3.1) et qu’elle a reconnu qu’une décision prise de bonne foi en vue d’éliminer un poste par la réattribution des tâches à d’autres personnes sera visée par cette disposition. En bout de ligne, l’arbitre a simplement conclu que la CIBC n’avait pas réussi à établir que tel était le cas d’après la preuve qu’elle avait présentée. Un contrôle judiciaire ne peut reposer sur la possibilité pour la CIBC d’invoquer une interprétation de la preuve plus favorable que celle de l’arbitre. Mon rôle se limite à décider si l’interprétation de l’arbitre était raisonnablement étayée par la preuve et, de toute évidence, elle l’était.

 

[17]           La décision ne renferme aucun élément permettant de dire, à l’instar de la CIBC, que l’arbitre a exagéré l’importance de l’absence de plan de réorganisation à l’égard de l’élimination du poste de M. Muthiah ou, à l’inverse, qu’elle a commis une erreur en écartant la justification invoquée par la CIBC après la décision. L’omission de la CIBC d’étayer suffisamment à l’avance sa justification commerciale au soutien de la décision est surprenante et l’arbitre avait pleinement le droit d’en tenir compte. Dans la même veine, il est bien établi que la justification invoquée a posteriori par l’employeur au soutien d’un licenciement peut, dans les cas pertinents, susciter des doutes : voir Howard c. Maritime Telephone and Telegraph Co. Ltd., [2000] A.C.F. n1758, 196 F.T.R. 130. Eu égard à l’omission de la CIBC de faire témoigner une personne ayant une connaissance directe du choix porté sur M. Muthiah, ces autres failles justifient amplement la conclusion de l’arbitre.

 

[18]           En dernier lieu, je ne crois pas que la preuve relative à la réattribution ponctuelle, après coup, de la plupart des tâches de M. Muthiah constituait en soi une raison pour laquelle l’arbitre a refusé d’accorder la réparation que demandait la CIBC. Les remarques de l’arbitre à ce sujet s’ajoutent simplement aux autres commentaires qu’elle a formulés sur la solidité de la cause de la CIBC et cette preuve n’a pas été considérée comme un obstacle ou comme une condition préalable à l’application de l’alinéa 242(3.1)a).

 

Conclusion

[19]           La décision de l’arbitre est approfondie, raisonnée et bien appuyée par la preuve et elle ne comporte aucune erreur de droit apparente. En conséquence, la présente demande est rejetée et les dépens au montant convenu de 5 000 $, y compris les débours, sont adjugés au défendeur.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et les dépens de 5 000 $, y compris les débours, sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-25-10

 

INTITULÉ :                                       BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE ET AL c. MUTHIAH

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Norman Grosman et

Mark Fletcher

 

POUR LES DEMANDERESSES

Kent Elson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grosman, Grosman & Gale LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Klippenstein

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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