Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110126

Dossier : IMM-808-10

Référence : 2011 CF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

 

AMANDIP KAUR RANU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Amandip Kaur Ranu (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans sa décision, datée du 25 janvier 2010, la Commission a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada. La Commission a jugé qu’elle avait obtenu le statut de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial sur la base d’une fausse déclaration faite indirectement, car son mariage avec Sukhdev Singh Hansra n’était pas authentique.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. En septembre 2001, elle a épousé M. Hansra. Celui-ci a parrainé sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial, et on a accordé le droit d’établissement à la demanderesse le 30 mars 2003.

 

[3]               M. Hansra avait auparavant été marié avec Mme Kulwant Kaur, une cousine de la demanderesse. Ce mariage s’est conclu par un divorce en juin 2001, quoiqu’il semble que ces deux personnes aient continué de vivre une relation intime, ce qui, le 2 décembre 2002, a mené à la naissance d’un enfant.

 

[4]               La demanderesse et M. Hansra se sont séparés deux mois après l’arrivée de la demanderesse au Canada, soit après que celle-ci eut découvert l’existence de l’enfant de M. Hansra. Leur divorce a pris effet le 16 septembre 2004.

 

[5]               Les amis de la demanderesse l’ont encouragée à considérer un homme nommé Maninderjit Singh Ranu comme partenaire potentiel. M. Ranu et la demanderesse se sont échangé des photos et des lettres et ont rencontré leur belle-famille respective. Ils se sont mariés le 23 mars 2005. En juin 2005, la demanderesse a parrainé la demande de résidence permanente de M. Ranu dans la catégorie du regroupement familial.

 

[6]               Le 13 juin 2006, un agent d’immigration (l’agent) a interrogé la demanderesse et M. Hansra relativement à une allégation de fausses déclarations sur l’authenticité de leur mariage. L’agent a estimé que la demanderesse n’était pas crédible au sujet de sa relation avec M. Hansra et a déféré l’affaire pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[7]               Dans une décision datée du 13 mai 2008, la Section de l’immigration a conclu que le mariage entre la demanderesse et M. Hansra en était un de convenance, ce qui constituait une fausse déclaration. Une mesure de renvoi a été prise contre la demanderesse le jour même.

 

[8]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision auprès de la Commission au titre du paragraphe 63(3) de la Loi. La demanderesse et son ex-époux, M. Hansra, ont tous deux témoigné devant la Commission. Celle-ci a conclu que la demanderesse avait peut-être cru que son mariage avec M. Hansra était authentique, mais que, néanmoins, il en était un de convenance. La Commission a conclu que le mariage de convenance constituait une fausse déclaration faite indirectement par la demanderesse dans sa demande de résidence permanente, et on a donc déclaré qu’elle était interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. La Commission a aussi conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

 

[9]               Trois questions sont soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire :

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

La Commission a-t-elle tiré une conclusion raisonnable au sujet de l’authenticité du mariage de la demanderesse avec M. Hansra?

La Commission a-t-elle fourni des motifs inadéquats?

 

[10]           La première question à être examinée est la norme de contrôle applicable. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S.190, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il existe seulement deux normes de contrôle pouvant être appliquées aux décisions des décideurs d’origine législative, soit la décision correcte pour les questions de droit et d’équité procédurale, et la décision raisonnable pour les conclusions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

 

[11]           Dans Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable s’applique au processus décisionnel de même qu’à l’issue de la décision :

 

[...] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[12]           La question principale dans la présente instance concerne l’authenticité du mariage de la demanderesse avec M. Hansra. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, compte tenu des alinéas 40(1)a) et 67(1)c) de la Loi, lesquels sont rédigés ainsi :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[...]

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

[...]

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

[...]

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

[...]

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

La norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable.

 

[13]           En ce qui concerne la deuxième question en l’espèce, la Commission a conclu que le mariage de la demanderesse avec M. Hansra n’était pas authentique. Dans ses motifs, la Commission a formulé un certain nombre d’incohérences en arrivant à cette conclusion. Au paragraphe 9, par exemple, la Commission estime que le témoignage de la demanderesse au sujet de l’arrangement de son mariage avec M. Hansra est « invraisemblable et manque de crédibilité », mais ensuite, au paragraphe 16,  elle conclut que la demanderesse est crédible.

 

[14]           On traite de la crédibilité de la demanderesse une fois de plus au paragraphe 24, où la Commission estime qu’il est vraisemblable que la demanderesse avait eu l’intention de demeurer mariée à M. Hansra après son arrivée au Canada. La Commission ajoute, au paragraphe 25, que la demanderesse n’était probablement pas au courant de la véritable nature de son mariage avec M. Hansra. Je suis d’avis que ces énoncés sont contradictoires et rendent la décision de la Commission inintelligible. D’après Dunsmuir, précité, une décision inintelligible ne satisfait pas la norme de la décision raisonnable.

 

[15]           La dernière question est de savoir si les motifs de la Commission étaient adéquats, une question d’équité procédurale et donc assujettie à la norme de la décision correcte. Dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), au paragraphe 22, la Cour d’appel fédérale a ainsi statué :

On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l'examen des facteurs pertinents.

 

[Renvois omis.]

 

[16]           Au paragraphe 22 de ses motifs, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

[...] De l’avis du tribunal, la preuve de relations intimes avec l’ex-épouse du témoin [M. Hansra], après son mariage avec l’appelante, permet de conclure que le mariage des parties n’était pas authentique. Cette constatation, de même que la preuve d’un lien familial entre l’appelante et la première épouse de Sukhdev Singh Hansra, l’enquête inadéquate sur les antécédents de Suckdev Singh par la famille de l’appelante, la brièveté du mariage et l’absence de preuves de tentatives de réconciliation appuient une conclusion de mariage de convenance.

 

[17]           La Commission n’explique pas pourquoi ni comment les faits énumérés au paragraphe 22 « appuient une conclusion de mariage de convenance ». Je suis d’avis que la raison pour laquelle ces faits appuient la décision de la Commission n’est pas claire, compte tenu en particulier de son autre conclusion selon laquelle la demanderesse était crédible dans son témoignage qu’elle avait eu l’intention de demeurer mariée à M. Hansra. Comme il a été déclaré dans VIA Rail, précité, « [i]l faut [...] retrouver le raisonnement suivi par le décideur ». À mon avis, la Commission a omis de démontrer son raisonnement et elle a fourni des motifs inadéquats.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision, datée du 25 janvier 2010, soit annulée. L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                                  « E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-808-10

 

INTITULÉ :                                       AMANDIP KAUR RANU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 septembre 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 26 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilete Stein

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Angela Marinos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.